Transformations par semi-droites réciproques

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Transformations par semi-droites réciproques
Nouvelles annales de mathématiques, 1: 542–556
Transformations par semi-droites réciproques.

TRANSFORMATIONS PAR SEMI-DROITES RÉCIPROQUES ; Par M. LAGUERRE.


1. Une droite étant donnée, on peut supposer qu’elle soit décrite dans un certain sens par un point mobile ; une telle droite, déterminée ainsi par sa position et le sens dans lequel elle est décrite, est désignée sous le nom de semi-droite ; ce sens est indiqué sur la figure par une flèche placée près de la droite (fig. 1).

Une même droite pouvant être décrite dans deux sens différents détermine deux semi-droites distinctes, que l’on appelle semi-droites opposées.


2. Un cercle étant donné, on peut supposer également qu’il soit décrit dans un certain sens par un point mobile ; un tel cercle, déterminé ainsi par sa position et le sens dans lequel il est décrit, est désigné sous le nom de cycle ; ce sens est indiqué sur la figure par une flèche placée près de la circonférence du cycle.

Un même cercle, pouvant être décrit dans deux sens différents, détermine deux cycles distincts que l’on appelle cycles opposés.


3. En un point d’un cycle, la tangente doit être

Fig. 1.


considérée, le long de l’élément infiniment petit commun au cycle, comme décrite dans le même sens que le cycle ; la tangente au point est donc une semi-droite bien déterminée.

De là résultent les conséquences suivantes :

1o On ne peut mener à un cycle donné qu’une tangente parallèle à une semi-droite donnée.

Il est clair, en effet, qu’on peut mener au cercle déterminé par le cycle deux tangentes parallèles à la droite déterminée par la semi-droite donnée ; mais, si l’on désigne par et par les points de contact de ces tangentes, on voit que les tangentes en ces points ont des directions opposées ; une seule d’entre elles est donc parallèle à la semi-droite donnée.

2o Deux cycles donnés ont deux tangentes communes et n’en ont que deux.

Sur la fig. 2, on voit que les semi-droites et sont tangentes à la fois aux deux cycles et . Les cercles déterminés par ces cycles ont quatre tangentes communes, dont deux sont précisément et  ; si l’on considère une quelconque des Fig. 2. deux autres, par exemple , il est aisé de voir que, quel que soit le sens dans lequel on suppose décrite cette droite, elle ne peut toucher les deux cycles donnés, d’après la définition donnée du contact d’un cycle et d’une semi-droite.

Deux cycles ont donc seulement deux tangentes communes ; leur point de rencontre est le centre de similitude des deux cycles.

Ce centre de similitude est unique.[1]

La distance , comprise sur l’une des tangentes Communes entre les points de contact avec les cycles, est la distance tangentielle des cycles ; elle n’est déterminée qu’en valeur absolue, mais non en signe.


4. Le rayon d’un cycle sera regardé comme positif si ce cycle est décrit dans le sens du mouvement des aiguilles d’une montre, comme négatif dans le cas contraire.

Par suite, en désignant par la distance tangentielle des deux cycles dont les centres sont et , la fig. 2 montre immédiatement que, en désignant par la distance des centres, on a la relation

.

Cette formule détermine, dans tous les cas possibles, la distance tangentielle de deux cycles ; en particulier, si

Fig. 2.


nous considérons deux cycles opposés, si le rayon d’un de ces cycles est , l’autre est  ; d’ailleurs, la distance de leurs centres est nulle ; on a donc, dans ce cas,

.


5. Une semi-droite étant donnée, ainsi qu’un point , le cycle qui a pour centre ce point et qui touche la semi-droite est bien déterminé ; la distance du point à la semi-droite est le rayon de ce cycle : elle est donc déterminée en grandeur et en signe.


6. Un point doit être considéré comme un cycle d’un rayon infiniment petit ; toutes les semi-droites passant par ce point doivent être considérées comme tangentes à ce cycle.


7. Étant données deux semi-droites quelconques, on peut construire une infinité de cycles qui leur soient tangents ; les centres de ces cycles sont situés sur une même droite que l’on appellera la bissectrice des semi-droites.

Si, le point d’intersection des semi-droites restant fixe, l’angle que font ces semi-droites diminue indéfiniment, en sorte qu’elles "tendent toutes les deux à se confondre avec leur bissectrice, les rayons de tous les cycles inscrits diminuent indéfiniment et à la limite se réduisent à des points, tandis que les deux semi-droites deviennent deux semi-droites opposées.

On voit ainsi que les cycles qui touchent deux semi-droites opposées sont les divers points de la droite qu’elles déterminent.


8. Il résulte aussi de ce qui précède qu’un cycle assujetti à toucher trois semi-droites données est entièrement déterminé. Son centre est le point de rencontre des trois bissectrices des semi-droites prises deux à deux.


Méthode de transformation par semi-droites réciproques.

9. Considérons une droite fixe ; traçons dans le plan un cycle quelconque ayant pour centre le point et, sur la perpendiculaire abaissée du point sur la droite , prenons un point arbitraire (fig. 3).

Cela posé, à chaque semi-droite du plan on peut

Fig. 3.


faire correspondre une autre semi-droite de la façon suivante. Menons au cycle la tangente parallèle à , joignons le point de contact au point , et, au point où la droite ainsi obtenue rencontre le cycle, menons la tangente  ; menons enfin, par le point où la semi-droite donnée coupe la droite fixe , une semi-droite parallèle à .

correspond ainsi à , et il est clair, en examinant les constructions effectuées, que correspond réciproquement à  ; on dit que ces deux semi-droites sont réciproques.

Il résulte évidemment de ce qui précède que :

1o Deux semi-droites réciproques se coupent sur la droite que l’on appelle l’axe de transformation ;

2o Des semi-droites parallèles ont pour réciproques des semi-droites parallèles.


10. Si, du point , on mène des tangentes au cycle , on voit que les semi-droites parallèles à ces tangentes sont leurs réciproques à elles-mêmes. Il y a donc deux séries de semi-droites parallèles qui se transforment en elles-mêmes ; ces semi-droites font des angles égaux avec l’axe de transformation. Il est toutefois à remarquer que ces semi-droites ne sont réelles que si le point est extérieur au cycle .


11. Théorème. – Deux couples quelconques de semi-droites réciproques sont tangents à un même cycle.

Soient, en effet, l’axe de transformation, et deux semi-droites réciproques, une semi-droite quelconque du plan (fig. 4).

Construisons le cycle qui touche les semi-droites , et  ; menons la droite qui joint les points de contact de et de , et désignons par le point où cette droite coupe la perpendiculaire abaissée du point sur l’axe . Il est clair, d’après ce qui précède, que la transformation qui a pour axe et dans laquelle correspond à peut être définie au moyen du cycle et du point . Si maintenant on remarque que est le pôle de la droite relativement au cycle , on

Fig. 4.


voit que la tangente est la réciproque de  ; les deux couples de semi-droites réciproques et , et sont deux tangentes au cycle , ce qui démontre la proposition énoncée.


12. La transformation par semi-droites réciproques est aussi caractérisée par les deux propriétés suivantes :

Deux semi-droites réciproques se coupent sur l’axe de transformation ; deux couples de semi-droites réciproques sont tangents à un même cycle.[2]

Il est clair que la transformation est entièrement définie quand on se donne l’axe de transformation et deux semi-droites réciproques et . Pour obtenir la réciproque d’une semi-droite quelconque , que l’on construise le cycle tangent à , et , et que, par le point coupe l’axe de transformation, on mène la deuxième tangente au cycle, cette tangente sera la semi-droite cherchée.


13. Considérons une courbe comme l’enveloppe d’une semi-droite mobile , la réciproque de enveloppera une courbe qu’on appelle la transformée de la courbe .

Théorème. – Quand on effectue une transformation pur semi-droites réciproques, un cycle a pour transformé un autre cycle.

Soit l’axe de transformation, et considérons un cycle

Fig. 5.


quelconque coupant l’axe aux points et . Menons à ce cycle des tangentes et parallèles à la direction des semi-droites qui, dans la transformation, sont leurs réciproques à elles-mêmes, et désignons par le point de rencontre de ces droites (fig. 5).

Cela posé, construisons le second cycle qui, passant par les points et , touche les semi-droites et ; je dis que le cycle est le transformé de .

On voit en effet que la transformation est définie par l’axe , le cycle et le point (9).

Par le point , menons une sécante quelconque coupant le cycle au point et le cycle aux points et . On sait que les tangentes menées en et se coupent en un point de l’axe radical des deux cycles ; d’ailleurs, est parallèle à  : il résulte donc de la définition donnée plus haut (9) que et sont deux semi-droites réciproques. L’enveloppe des réciproques des semi-droites qui enveloppent est donc le cycle  : ce qu’il fallait démontrer.


14. On voit ainsi qu’un cycle a pour réciproque un cycle . La relation qui existe entre deux cycles réciproques est caractérisée par les deux propriétés suivantes :

1o Leur axe radical est l’axe de transformation ;

2o Leurs tangentes communes sont parallèles à deux directions fixes, à savoir aux directions des semi-droites qui se transforment en elles-mêmes.

Désignons respectivement par et les rayons des deux cycles (ces quantités étant données en grandeur et en signe) et par et les distances de leurs centres à l’axe.[3]

La première propriété donne la relation suivante :


et la deuxième, la relation

(1)


désigne une constante caractérisant la transformation ; d’où encore, en combinant ces deux relations,

(2)
On en déduit


et

.

Le cycle est ainsi complètement déterminé, quand le cycle est donné, puisque l’on connaît la distance de son centre à l’axe et son rayon.

Remarques. — Le cycle se réduit à un point, si , ce qui exige que l’on ait


d’où

Il en résulte qu’un cycle étant donné, ainsi que l’axe de transformation, on peut toujours déterminer le module de la transformation, de façon que ce cycle ait pour transformé un point, dans le cas où ce cycle ne coupe pas l’axe. En désignant, en effet, par son rayon et par la distance de son centre à l’axe, on voit que, étant positif, l’équation précédente détermine pour le module deux valeurs réelles.

Soit (fig. 6) le cycle donné ; de son centre abaissons

Fig. 6.


une perpendiculaire sur l’axe de transformation, et de son pied comme centre décrivons le cercle qui coupe orthogonalement le cycle donné. Ce cercle coupe la droite en deux points et ; on prouvera aisément qu’il existe une transformation telle que les tangentes au cycle aient pour réciproques les semi-droites qui se croisent au point . Il existe également une autre transformation dans laquelle le point B est le réciproque du cycle .

2o Une transformation étant définie par l’axe de transformation et par le module , il y existe une infinité de cycles qui ont pour transformés des points ; ils sont définis par la relation

Leur propriété caractéristique est que leur rayon varie proportionnellement à la distance de leur centre à l’axe ; elle présente une grande importance dans l’application de la transformation par semi-droites réciproques à la théorie des anticaustiques par réfraction.


15. Théorème. – La distance tangentielle de deux cycles est égale à la distance tangentielle des deux cycles correspondants.

Considérons, en effet, deux cycles; désignons respectivement par et leurs rayons, par et les distances de leur centre à l’axe de transformation, par la projection sur cet axe de la droite qui joint leurs centres, et par leur distance tangentielle; on aura évidemment

Soient de même et les rayons des cycles transformés, et les distances de leurs centres à l’axe, et leur distance tangentielle. Si l’on remarque que deux cycles réciproques ont leurs centres sur une même perpendiculaire à l’axe, il est clair que l’on a

Or les formules données plus haut donnent aisément

Substituant ces valeurs dans l’expression précédente, il viendra, toutes réductions faites,


ce qui démontre la proposition énoncée.[4]


APPLICATIONS DE LA MÉTHODE.

16. Soient trois cycles , et ayant respectivement pour centre les points , et . Soient le centre de similitude des cycles et , le centre de similitude des cycles et . Supposons que la droite ne coupe pas le centre  ; en prenant cette droite pour axe de transformation, nous pourrons toujours, en choisissant convenablement le module de la transformation, transformer le cycle en un point . Les deux tangentes et auront pour transformées les semi-droites opposées déterminées par les points et  ; le cycle , étant tangent à et , aura pour transformé un cycle tangent à ces demi-droites opposées, et, par conséquent, un point qui sera l’intersection de avec la perpendiculaire abaissée de sur l’axe .

Les deux tangentes et (fig. 7) auront pour transformées les semi-droites opposées déterminées par la

Fig. 7.


droite , et il est clair que le cycle , qui touche et , aura pour transformé le point , où rencontre la perpendiculaire abaissée de sur l’axe . Si l’on considère maintenant les deux tangentes communes aux cycles , elles auront pour transformées les semi-droites opposées déterminées par les points et . D’où il résulte que ces tangentes se coupent au point où la droite rencontre , et delà une démonstration nouvelle de cette proposition rappelée plus haut : Les trois centres de similitude de trois cycles considérés deux à deux sont en ligne droite, il suit de là également que si trois cycles sont tels que la droite, qui contient leurs centres de similitude, ne les rencontre pas, on peut, par une transformation par semi-droites réciproques, les transformer en trois points[5].


17. La transformation par semi-droites réciproques peut servir, comme la transformation par rayons vecteurs réciproques, soit à simplifier la solution de certains problèmes, soit à généraliser diverses propriétés des figures.


18. Pour en donner un exemple simple, considérons le problème suivant : Construire un cycle touchant trois cycles donnés.

Supposons que les cycles donnés , et soient tels que la droite qui contient leurs centres de similitude ne les coupe pas, nous pouvons, d’après ce qui précède, en prenant cette droite pour axe de transformation, transformer les cycles donnés en trois points , et . Le cercle passant par ces points détermine deux cycles opposés et dont les réciproques seront les solutions du problème. Deux cycles opposés rencontrant l’axe de transformation aux mêmes points, il en est de même de leurs réciproques ; d’où il suit que le problème proposé a deux solutions, et que l’axe radical des deux cycles qui satisfont à la question est l’axe de similitude des cycles donnés.

Le problème de mener un cercle tangent à trois cercles donnés se ramène immédiatement au précédent. On peut, en effet, donner à un des cercles un sens arbitraire, de façon à le transformer en un cycle ; on transformera également les deux autres cercles en cycles en fixant leur direction, ce qui pourra se faire de quatre façons différentes. À chaque groupe de cycles correspondent deux solutions; le problème proposé aura donc en tout huit solutions.

19. Un point décrivant dans un sens déterminé une semi-droite ou un cycle, si l’on emploie la transformation par rayons vecteurs réciproques, on voit que le point transformé décrit une autre semi-droite ou un autre cycle (lequel peut se réduire à une semi-droite quand le pôle de transformation est sur le cycle considéré).

On peut souvent, avec avantage, employer simultanément la transformation par rayons vecteurs réciproques et la transformation par semi-droites réciproques. Ainsi, en général, étant donnés cinq cycles, on peut, par deux transformations successives, les transformer en deux semi-droites et en trois points. En effet, si deux des cycles se coupent, par une première transformation par rayons vecteurs réciproques, on pourra les transformer en deux semi-droites. Les trois autres cycles ayant pour transformées , et , si l’axe de similitude de ces cycles ne les rencontre pas, on pourra, par une transformation par semi-droites réciproques, les transformer en trois points, tandis que les semi-droites se transformeront en semi-droites.

  1. Une proposition bien connue peut, par suite de cette définition, s’énoncer de la façon suivante : Étant donnés trois cycles, les trois centres de similitude de ces cycles pris deux à deux sont en ligne droite.
  2. La transformation par rayons vecteurs réciproques est également caractérisée par les deux propriétés suivantes :

    Deux points réciproques sont situes sur une droite passant par le pôle de transformation ;

    Deux couples de points réciproques sont situes sur un même cercle.

  3. On doit ici considérer l’axe de transformation comme une semi-droite, en lui donnant un sens arbitraire, de sorte que et sont aussi déterminées en grandeur et en signe.
  4. Relativement à la transformation par rayons vecteurs réciproques, le théorème analogue est le suivant : L’angle sous lequel se coupent deux cercles est égal à l’angle sous lequel se coupent les cercles correspondants.

    Ce théorème s’étend à deux courbes quelconques, et de même dans la transformation par semi-droites réciproques :

    Si une semi-droite touche deux courbes aux deux points et , et si la semi-droite réciproque touche les courbes transformées aux points et , les deux longueurs ab et sont égales.

  5. La propriété analogue dans la théorie de la transformation par rayons vecteurs réciproques est la suivante : Lorsque deux cercles se coupent, on peut toujours les transformer en deux droites.