Description d’un parler irlandais de Kerry/3-4

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CHAPITRE IV
ADVERBES

§ 86. On confond d’ordinaire sous le nom d’adverbe les éléments les plus disparates. Nous laissons ici de côté les particules, qui doivent être rattachées, les unes, à la flexion du nom, les autres, à celle du verbe, d’autres à la construction de la phrase, pour réserver le nom d’adverbe (malgré son impropriété et pour la commodité de l’expression) à un ensemble de formes, d’origine diverse, mais présentant une certaine unité d’emploi ; l’adverbe est un mot invariable qui peut avoir tous les emplois du nom, à l’exclusion de ceux réservés au cas direct. Au point de vue de la fonction, il équivaut donc à un cas oblique nominal. On le trouve :

1º comme qualificatif d’un nom : ə fʹαr əʃtʹigʹ (an fear istigh) « l’homme à l’intérieur », comme ə fʹαr sa mɑ :d (an fear san mbád) « l’homme dans le bateau » ; ə rœd ənʹe : (an rud indé) « la chose hier » ;

2º comme prédicat d’une phrase nominale (§ 149): is fɑdo : riəv e : (is fadó riamh é) « il y a longtemps de cela », litt. « c’est longtemps cela » ;

3º comme détermination circonstancielle d’un verbe, celui-ci pouvant être le verbe d’existence : imʹi :n ʃe ʃi :s (imthigheann sé síos) « il s’en va en bas, il descend » ; tɑ : ʃe go sɑ :stə (tá sé go sásta) « il est satisfait ».

Mais l’adverbe ne peut être sujet ni de la phrase verbale, ni de la phrase nominale.

Quant à la forme, et, dans une certaine mesure, quant au sens, il y a lieu de distinguer deux types d’adverbes : les adverbes adjectivaux, formés sur des adjectifs ; les adverbes nominaux : à ce type se rattachent les adverbes de quantité et les adverbes interrogatifs, qui occupent dans le système de l’adverbe la même place que les « nominaux » (indéterminés et interrogatifs) dans le système du nom, et fonctionnent comme des cas obliques de nominaux.

§ 87. Adverbes adjectivaux.

Il suffit de préfixer à un adjectif quelconque la particule go (go), sans action sur l’initiale, pour obtenir l’adverbe correspondant.

On a ainsi normalement go devant un adjectif servant à qualifier l’action verbale (emploi adverbial au sens propre) : sgrʹi:n ʃe go tɑpəgʹ (scríobhann sé go tapaidh) « il écrit vite » ; eg ihə go hɑmplu:lʹ (ag itheadh go h‑amplamhail) « mangeant voracement ».

Comme détermination circonstantielle du verbe d’existence, la forme adverbiale se rencontre concurremment à l’adjectif : tɑ:n tu go hu:ntəχ (tánn tu go h‑iongantach) « tu es étonnant » ; tɑ: ʃe go mαh ɑs (tá sé go maith as) « il est riche, à l’aise ; tɑ: n sgʹi:αl go hαnʹəʃ əgɑt (tá an scéal go h‑aindeis agat) « la situation est embarassée, de ton fait » « te voilà dans de beaux draps ». Mais : tɑ: n i:hə fʹlʹuχ, dorəχə (tà an oidhche fliuch, dorcha) « la nuit est humide, sombre » ; tɑ: ʃe bʷi:, gʹαl (tá sé buidhe, geal) « il est jaune, blanc (de peau) ». L’opposition entre l’adjectif et l’adverbe permet de distinguer au besoin une qualité inhérente au sujet d’un état occasionnel : tɑ:n tu go lɑ:dʹərʹ (tánn tú go láidir) « tu es en bonne forme (pour le moment) » ; tɑ:n tu lɑ:dʹərʹ (tánn tu láidir) « tu es robuste (de ton naturel) », avec une valeur approchant de is lɑ:dʹərʹ ə vʹαn hu: (is láidir an bhean tu), § 154. Aussi n’a-t-on pas go devant les adjectifs exprimant un état permanent ou un résultat acquis (adjectifs verbaux) : tɑ: ʃe bɑləv (tá sé balbh) « il est muet » ; mais lɑur ʃe go nʹαbɑləv (labhair sé go neamhbalbh) « il parla hardiment » ; tɑ: ʃe imʹihə (tá sé imthighthe) « il est parti ».

L’adverbe ne possède pas de degrés de comparaison, absolus ou relatifs ; c’est l’adjectif que l’on a, à l’ordinaire, au comparatif, aussi avec les particules marquant le degré : ə vʷilʹən tu go mαh (an bhfuileann tu go maith ?) « Te portes-tu bien ? » Mais nʹi:lʹəmʹ ro:vαh (nílim rómhaith) « Je ne me porte pas très bien » ; cf. cependant Peig, p. 32 : bhí na tighearnaí... go ró chomhachtach « les seigneurs étaient trop puissants ».

§ 88. Adverbes nominaux.

1º Adverbes de temps :

fo:s (fós) « encore » : tɑ: ʃe luəh fo:s (tá sé luath fós) « il est encore tôt ».

hα (cheana) « déjà, auparavant ».

αstə (feasta) « dorénavant ».

əniʃ (anois) « maintenant »

əri:ʃtʹ (arís) « de nouveau ».

riəv (riamh) « jamais » en se référant au passé, et aussi, dans les contes, « toujours », en se reférant au passé : αs ʃi riəv (mheas sí riamh) « elle considéra de tout temps... »

χʷi:hə (choidhche) « jamais », en se référant à l’avenir : mɑ: vʹerʹən è:n ǥrʹeimʹ kruegʹ χʷi:hə ort (má bheireann aon ghreim cruaidh choidhche ort) « si tu te trouves jamais dans l’embarras ».

iˈnʹuv (indiu) « aujourd’hui ».

ənoχt (anocht) « ce soir ».

əmɑ:rʹəχ (ambáireach) « demain » ; ɑrəvu:mɑ:rʹəχ (arú ambáireach) ou əmɑnəhər (amanathar) « après-demain » ; əmαnʹirʹiʃ (amainiris) « le jour après après-demain ». Ces deux derniers termes ne sont plus employés que par les vieilles gens.

əre:rʹ (aréir) « hier soir ».

iˈnʹe: (indé) « hier » ; ɑrəvu: iˈnʹe: (arú indé) « avant hier ».

əmʹlʹiənə (i mbliadhna) « cette année ».

ənirʹigʹ (anuiridh) « l’année dernière » ; ɑrəvu: ənirʹigʹ (arú anuiridh) « l’année avant l’année dernière ».

Ces adverbes ne peuvent faire fonction de cas directs. On dira donc : vʹi: n i:hə əre:rʹ, ən lɑ: iˈnʹe:, fʹlʹuχ (bhí an oidhche aréir, an lá indé, fliuch) « la nuit d’hier soir, le jour d’hier a été humide » ; ə go:rʹ an lè: əmɑ:rʹəgʹ (i gcomhair an lae ambáirigh) « en vue du lendemain ».

Strictement, ces adverbes ne s’emploient que par rapport au moment actuel. Pour préciser le temps par rapport à une autre époque, future ou passée, on dira, par exemple : lɑ:r nə vɑ:rʹəχ (lá’r na bháireach) « le lendemain ». En fait le temps relatif n’est pas toujours distingué du temps absolu (cf. § 209) si bien qu’on pourra dire : er mαdʹinʹ əmɑ:rʹəχ du:rtʹ ʃe lʹe nə vʹαn (ar maidin ambáireach, dubhairt sé le n‑a bhean) litt. « demain matin, il dit à sa femme ».

§89.Adverbes de lieu.

L’originalité du système des adverbes de lieu réside en ceci qu’au système d’orientation objective se superpose un système d’orientation subjective, par rapport au sujet parlant. Un même mouvement sera ainsi exprimé différemment, selon que le sujet parlant se trouve au point de départ ou au point d’aboutissement.

Ces adverbes constituent des séries où l’initiale varie en fonction de l’état de repos ou de la direction subjective du mouvement envisagé, tandis que le radical caractérise le repère fixe (point cardinal, verticale), par rapport à quoi ce mouvement est déterminé.

L’initiale h- (th‑) exprime le repos en un point (ubi).

L'initiale s‑, ʃ- (s‑) exprime le mouvement en partant du sujet vers un point (quo).

L’initiale ən- (an‑) exprime le mouvement vers le sujet en parlant d’un point (unde).

On aura ainsi, pour le mouvement vertical, les formes suivantes :

Position do repos : huəs (thuas) « en haut », hi:s (thíos) « en bas ».

Mouvement en parlant du sujet parlant : suəs (suas) « vers le haut » ʃi:s (síos) « vers le bas ».

Mouvement vers le sujet parlant : ənuəs (anuas) « du haut », ənʹi:s (aníos) « du bas ».

La même direction absolue sera donc traduite par suəs (suas) « de bas en haut (moi étant en bas) » ou par ənʹi:s (aníos) de bas en haut (moi étant en haut) ». Soit ce passage, tiré d’un conte :

Chuala sé an dul tri n‑a chéile thuas insa tseomra agus tamall beag i n‑a dhiaidh sin do ghluais bean bhreágh... anuas ; d’imthigh sí síos go dtí an baraille agus do dh’iompaigh sí ar sáil, agus ar linn di dul suas on tseómra..., etc., « il entendit le remue-ménage en haut dans la chambre, et un moment après une belle femme vint d’en haut ; elle descendit jusqu’au baril ; elle tourna sur ses talons, et comme elle remontait dans sa chambre... », etc.

On voit que l’emploi de anuas puis de síos suffit à indiquer que la femme passe dans sa marche devant le héros du récit.

§ 90. Points cardinaux :

Position de repos : hirʹ (thoir) « à l’est », hiər (thiar) « à l'ouest », huegʹ (thuaidh) « au nord », hαs (theas) « au sud ».

Mouvement en partant du sujet parlant : sirʹ (soir) « vers l’est », ʃiər (siar) « vers l’ouest », o huegʹ (o thuaidh) « vers le nord », o jαs (o dheas) « vers le sud ».

Mouvement en allant vers le sujet parlant : ənirʹ (anoir) « de l’est », ənʹiər (aniar) « de l’ouest », əduegʹ (adtuaidh) « du nord », ənʹαs (andeas) « du sud ».

On s’oriente en regardant le levant ; aussi ʃiər (siar), ənʹiər (aniar) signifient-ils aussi bien « en arrière, par derrière » que « vers l’ouest, de l’ouest ».

Dans les combinaisons de points cardinaux, le Nord et le Sud passent après l’Est et l’Ouest : ə ǥʷè:h ənʹiərduegʹ (an ghaoth aniar dtuaidh) « le vent du nord-ouest ».

L’orientation par rapport aux points cardinaux est constamment employée dans le parler, de préférence à l’orientation par rapport à des points familiers qui, dans d’autres parlers ou dans d’autres milieux, viendrait plus naturellement à l’esprit. On dit ainsi : tɑ: ʃe e tʹαχt ənʹiər, ənirʹ (tá sé ag teacht aniar, anoir) « il vient de l’ouest, de l’est », et non « de la mer, de la colline » ; kαhə mʹe dœl ʃiər, fʹi:αχ ə vʷilʹ bαnʹ əku (caithfidh mé dul siar, feuch an bhfuil bainne aca) « il faut que j’aille vers l’ouest, voir s’ils ont du lait », ce qui signifie « à la ferme d’Un Tel, à l’ouest d’ici ».

La forme en s- ʃ- tend à supplanter la forme en h- : ə tʹe vʹi:n ʃi:s litʹər kos erʹ, ə tʹe vʹi:n suəs o:ltər dʹoχ erʹ (an té bhíonn síos luightear cos air, an té bhíonn suas óltar deoch air) « qui est à bas, on le foule aux pieds, qui est en haut, on boit à sa santé ».

§ 91. « dedans », sans mouvement : əʃtʹigʹ (istigh) ; avec mouvement : əʃtʹαχ (isteach).

« dehors », sans mouvement : əmu: (amugh) ; avec mouvement : əmɑχ (amach).

« à la maison », sans mouvement : egə bαlʹə (ag baile) ; avec mouvement : əwαlʹə (abhaile) ; « hors de chez soi » ; ɑs bαlʹe (as baile).

Franchissement.

hɑul (thall) « au delà (sans mouvement) » ; sɑul (sall) « au delà (avec mouvement) » ənɑul (anall) « d’au delà ».

əvus (abhus) « en deçà » (sans mouvement).

Le parler n’emploie pas anonn « d'en deçà » ; on a toujours sɑul en ce sens. Il n’y a donc pas, ici, combinaisons des orientations subjectives et objectives, et aussi bien peut-on s’en dispenser, puisque la notion d’ « au delà » et d’ « en deçà » est par elle-même relative au sujet parlant.

ən ɑ:tʹ hɑul (an áit thall) « l’endroit de l’autre côté, l’Amérique » tɑ: ʃe imʹihə sɑul (tá sé imthighthe sall) « il est parti de l’autre côté », « il est parti en Amérique », ou « il est mort ».

§ 92. 3º Adverbes démonstratifs.

ənso (annso) « ici » ; ɑun (ann) « là » ; ənsɑn (annsan) « alors » ; ɑul, ɑuləgʹ (amhlaidh) « ainsi ».

La plupart des 3es pers. masc. sing. des prépositions peuvent s’employer adverbialement : ainsi de ɑun (ann) « dans cela », et adverbialement « là » ; de même : lʹeʃ (leis) « avec cela », d’où « aussi » ; ɑs (as) « au loin » ; fʹe: (fé) « dessous » ; rimʹəʃ (roimis) « auparavant » ; tʹrʹi:dʹ (tríd) « complètement » : tɑ:mʹ krɑ:tʹə tʹrʹi:dʹ is tʹrʹi:dʹ (táim cráidhte tríd is tríd) « je suis contrarié au plus haut point » ; peut-être à rapprocher d’anglais through and through.

§ 93. 4º Adverbes interrogatifs.

kɑ: (cá) « où » ; devant un prétérit kɑ:r (cf. § 216).

ən mo: (an mó) « combien ? », d’objets qui se comptent ; kʹe mʹe:dʹ (ce méid) « combien ? », d’objets qui ne se comptent pas.

kɑhinʹ (cathain) « quand ? ».

knus, konəs (connus) « comment ? ».

kɑ nə χè:v (cad ’n‑a thaobh) « pourquoi ». On peut aussi avoir recours à diverses expressions formées avec les cas directs interrogatifs :

kʹe ən fɑ:h (cé an fath) « pourquoi », litt. «quoi la raison ? », etc. (cf. § 84).

Pour la construction de ces adverbes avec une proposition relative, cf. § 235.

§ 94. 5º Adverbes de quantité,

kʷi:səχ (cuibheasach) « suffisamment, médiocrement » ; go lʹe:rʹ (go léir) « entièrement » ; bʹoˈgɑ:n (beagán) « un peu » s’emploie aussi bien adverbialement que substantivement : tɑ:mʹ bʹoˈgɑ:n korhə (táim beagán cortha) « je suis un peu fatigué » ; mo:rɑ:n (mórán) « grande quantité » est seulement substantif.

fʹu: əvɑ:nʹ (fiú amháin), ou fʹu: (fiú) « même pas ».

bʹog nɑχ (beag nach), χ muər (nach mór) « presque ».

La plupart des nuances quantitatives, très variées, que distingue le parler s’expriment par la composition (§ 63).

Il arrive qu’un adverbe soit employé après un verbe ou après un adjectif pour exprimer l’accomplissement. C’est en particulier le cas de suəs (suas) « en haut », au sens figuré d’anglais up et de əmɑχ (amach) « dehors », au sens figuré d’anglais out. Il s’agit sans doute là de calques de l’anglais : eg ihə suəs (ag ithe suas) « mangeant complètement », eating up ; lɑ:n suəs (lán suas) « complètement plein », full up ; on rencontre sporadiquement d’autres adverbes dans le même rôle : go mαh ɑs (go maith as) « aisé », anglais well off, etc.