Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Chœur

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CHŒUR, s. m. Partie de l’église où se tiennent les chanoines, religieux ou clercs pour chanter. L’intérieur des églises se divise en cinq parties distinctes : le narthex, vestibule ou porche, la nef, les transsepts, le chœur et le sanctuaire. Dans les églises monastiques françaises, le chœur des religieux descendait ordinairement jusque dans la nef. Un autel était placé au delà des transsepts ; c’était l’autel devant lequel on chantait les matines et laudes ; derrière l’autel matutinal s’élevait le sanctuaire qui occupait tout l’espace compris entre les transsepts et le chevet. Dans les cathédrales et les églises paroissiales, le chœur ne commence ordinairement qu’après les transsepts et l’autel est placé au fond de l’abside dans le sanctuaire qui occupe le rond-point. « Le chœur des clercs, dit Guillaume Durand[1], est l’endroit où ils se réunissent pour chanter en commun, » et il ajoute : « où la multitude du peuple est rassemblée pour assister aux saints mystères, » ce qui rend sa définition assez vague ; à moins de supposer (ce qui est possible) qu’il entendait par chœur, non-seulement l’espace réservé aux clercs, mais aussi les bas-côtés de l’abside dans lesquels se rangeaient les fidèles[2]. Toutefois il est nécessaire ici de faire connaître ce qu’étaient les chœurs des églises, soit conventuelles, soit paroissiales ou cathédrales, aux différentes époques du moyen âge.

Les dispositions qui aujourd’hui nous semblent les plus faciles à retrouver sont celles des chœurs des églises monastiques, parce qu’elles ont, jusqu’à la fin du siècle dernier, subi moins d’altérations que celles des autres églises. Toutes les abbayes possédaient des corps saints, des reliques vénérées qui étaient déposées soit dans une crypte sous le sanctuaire, soit dans le sanctuaire lui-même, ainsi que cela avait lieu à Saint-Denis en France. Ce sanctuaire, qui, comme nous venons de le dire, commençait à partir de l’ouverture orientale de la croisée, était souvent élevé de quelques marches au-dessus du sol des transsepts. Les fidèles n’étaient admis dans l’intérieur du sanctuaire qu’à certaines fêtes, à l’occasion de cérémonies extraordinaires. Le chœur des religieux, placé dans la croisée et les dernières travées de la nef, était clos par un jubé vers l’entrée, et des boiseries, grilles ou murs latéraux s’étendant jusqu’au sanctuaire. L’assistance des fidèles dans les églises monastiques n’était qu’accessoire, et les religieux enfermés dans le chœur, n’étaient pas et ne devaient pas être vus de la nef, les fidèles entendaient leurs chants, voyaient les clercs montés sur le jubé pour lire l’épître et l’évangile, et ne pouvaient apercevoir l’autel qu’au travers de la porte du jubé, lorsque le voile était tiré. Dans les monastères des XIe et XIIe siècles, les religieux étaient très-nombreux et leurs églises faites pour eux ; les fidèles se rendaient aux paroisses et dans les nombreuses chapelles qui entouraient les couvents pour assister au service divin. Il y avait toujours alors dans ces monastères un concours nombreux d’étrangers, de pèlerins, de réfugiés, auxquels la nef de l’église était réservée, qui y passaient une grande partie de leur temps et y demeuraient même parfois jour et nuit. Il devenait alors nécessaire de clore le chœur des religieux. Ce programme ne convenait pas aux paroisses, encore moins aux cathédrales.

Les cathédrales (voy. ce mot), lorsqu’elles furent presque toutes rebâties en France, à la fin du XIe le siècle, avaient à la fois un caractère religieux et civil ; et là, sauf l’autel qui était entouré de ses voiles, rien n’obstruait la vue. En les construisant sur de vastes plans, les évêques avaient voulu, au contraire, offrir aux habitants des grandes cités, de larges espaces dans lesquels les cérémonies du culte, et même des assemblées civiles, pussent se développer à l’aise. Il ne faut pas oublier que les cathédrales de cette époque furent élevées dans un esprit opposé à l’esprit monastique, pour attirer et réunir les habitants des cités populeuses autour de leur évêque. Les évêques voulaient que les fêtes religieuses fussent la fête de tous. Aussi les chœurs et les sanctuaires des cathédrales ne s’élèvent que de deux ou trois marches au-dessus du pavé de la nef ; les transsepts sont abandonnés aux fidèles, les larges bas-côtés qui entourent les absides sont presque toujours de plain-pied avec le chœur, et n’en sont séparés par aucune clôture. De tous côtés la vue s’étend, l’accès est facile.

Du temps de Guillaume Durand encore, à la fin du XIIIe siècle, il ne semble pas que les chœurs fussent généralement entourés de stalles fixes et de clôtures. « L’ornement du chœur, dit-il[3], ce sont des dorsals, des tapis que l’on étend sur le pavé, et des bancs garnis (bancalia). Les dorsals (dorsalia) sont des draps que l’on suspend dans le chœur derrière le dos des clercs[4]… » Plus loin, à propos des fêtes de Pâques, il dit[5] : « On approprie les églises, on en décore les murailles en y étalant des draperies. On place des chaires dans le chœur, on y déploie des tapis et on y dispose des bans[6]… L’autel est décoré de tous ses ornements ; dans certaines églises, ce sont des étendards qui désignent la victoire de Jésus-Christ, des croix et autres reliques. »

Dans toutes les cathédrales primitives la place de l’évêque était au fond de l’abside, dans l’axe ; celles des officiers qui assistaient le prélat lorsqu’il disait la messe étaient à droite et à gauche en demi-cercle ; cette disposition justifie l’une des étymologies données au mot chœur, corona ; alors l’autel n’était qu’une table sans retable, placée entre le clergé et le bas-chœur où se tenaient les chanoines et clercs ; puis venaient les laïques rangés dans les transsepts et la nef, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Cette disposition fut conservée dans quelques cathédrales, jusque vers le milieu du dernier siècle, entre autres à Lyon, ainsi que l’atteste le sieur de Mauléon, dans ses Voyages liturgiques. À l’une des extrémités de l’hémicycle qui garnissait l’abside du côté de l’épître, s’asseyait le prêtre célébrant qui avait à côté de lui un pupître pour lire l’épître. L’officiant à l’autel faisait face à l’orient. Derrière le grand autel, entouré d’une balustrade, était un autel plus petit. Depuis cet autel jusqu’au fond de l’abside où se trouvait placé le siège archi-épiscopal, il restait un vaste espace libre au milieu duquel on plaçait, sur une sorte de pupître, la chape pour l’officiant, et à côté un réchaud contenant de la braise pour les encensements. En avant de l’autel, entre le bas-chœur et le sanctuaire, était placé un grand ratelier à sept cierges[7], qui remplaçait ainsi la trabes ou trabs[8] des églises primitives. Mais l’abside de la cathédrale de Lyon est dépourvue de bas-côté. La disposition du chœur et du sanctuaire devait être tout autre dans les églises, dont les absides, comme celles de nos grandes cathédrales du Nord, étaient accompagnées d’un bas-côté simple ou double. Alors le maître-autel était placé au centre de l’hémicycle, et l’évêque assistant prenait sa place en bas du chœur, qui était alors la place honorable ; les officiers s’asseyaient à droite et à gauche, sur des bancs, suivant leurs dignités, les derniers plus près du sanctuaire. Cet ordre était également suivi dans les églises abbatiales ; le siège de l’abbé était en bas du chœur, cette disposition se prêtant mieux que toute autre aux cérémonies.

Pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, soit que les évêques eussent renoncé à conserver à leurs cathédrales les dispositions de vastes salles propres aux grandes réunions populaires, soit que les chapitres se trouvassent trop à découvert dans les chœurs accessibles de toutes parts, on établit d’abord des jubés en avant des chœurs, puis bientôt après des clôtures hautes, parfaitement fermées, protégeant des rangées de stalles fixes garnies de hauts dossiers avec dais. Les chanoines furent ainsi chez eux dans les cathédrales, comme les religieux cloîtrés étaient chez eux dans leurs églises monastiques. Mais cependant, il fallait, dans les cathédrales, que les fidèles pussent assister aux offices, ne pouvant voir les cérémonies qui se faisaient dans les chœurs fermés de toutes parts ; c’est alors que l’on éleva, dans les églises épiscopales, ces chapelles nombreuses autour des bas-côtés des chœurs et même le long des parois des nefs (voy. Cathédrale). La pensée dominante qui avait inspiré les évêques à la fin du XIIe siècle, lorsqu’ils se mirent à bâtir des cathédrales sur de nouveaux plans, fut ainsi abandonnée lorsqu’elles étaient à peine achevées, et, en moins d’un siècle, la plupart des chœurs de ces grandes églises furent fermés, les cérémonies du culte dérobées aux yeux des fidèles. Nous n’entreprendrons pas de rechercher ici ni d’expliquer les causes de ce changement. Nous nous contenterons de signaler le fait qui doit se rattacher, si nous ne nous trompons, à des discussions survenues entre les évêques et leurs chapitres, discussions à la suite desquelles les évêques durent céder aux vœux des chanoines, particulièrement intéressés à se clore[9].

La cathédrale de Chartres éleva un jubé en avant de son chœur vers le milieu du XIIIe siècle ; nous ne savons aujourd’hui si, dès cette époque, elle l’entoura d’une clôture ; c’est probable. La cathédrale de Bourges éleva une clôture en pierre autour de son chœur dès la fin du XIIIe siècle. Celle de Paris commença aussi à clore son chœur vers la même époque, et cette clôture était à peine achevée, que l’évêque Mattifas de Bucy faisait construire la ceinture de larges chapelles qui enveloppe le double bas-côté de l’abside. Ces clôtures nécessitaient donc la construction de ces chapelles ?

Les clôtures modifièrent profondément les plans primitifs des cathédrales dont les chœurs n’avaient nullement été disposés pour les recevoir ; elles donnèrent aux chœurs un aspect nouveau, contraire à l’esprit qui avait dû diriger les premiers constructeurs. Ne pouvant savoir aujourd’hui quelles étaient les dispositions premières des chœurs de cathédrales, nous sommes obligés de nous en tenir à celles adoptées à la fin du XIIIe siècle ; elles sont d’ailleurs coordonnées avec ensemble, et dignes en tous points de l’objet. De tous les chœurs de cathédrales, celui sur lequel il reste le plus de renseignements précis est le chœur de la cathédrale de Paris. Nous en donnerons donc (1) une vue cavalière, accompagnée d’une description empruntée à Corrozet et à Du Breul.
Après la croisée, entre les deux gros piliers des transsepts, un jubé de pierre fermait l’entrée du chœur. Sur l’arcade principale qui servait de porte était un grand crucifix ; cet ouvrage, dit Du Breul, était un chef-d’œuvre de sculpture ; à droite et à gauche, cette arcade se réunissait à la clôture en pierre peinte, de cinq mètres de haut, représentant l’histoire de Jésus-Christ, et dont il reste une grande partie. Cette clôture, du côté nord et du côté sud, servait d’appui aux dossiers des stalles qui étaient de bois sculpté et couronnées d’une suite de dais. Deux portes latérales percées dans la clôture donnaient entrée dans le chœur, auquel on arrivait du côté du cloître par la porte rouge, et du côté de l’évêché par une galerie communiquant avec le palais épiscopal. Autour du rond-point (sanctuaire), la clôture, dans sa partie supérieure, était à jour, de sorte que les scènes de la vie de Notre-Seigneur, sculptées en ronde-bosse, se voyaient du dedans du chœur aussi bien que des bas-côtés. Au-dessous de cette partie à jour, des bas-reliefs représentaient des scènes de l’Ancien Testament. Il était, de toutes manières, impossible de voir, des collatéraux, ce qui se passait dans le chœur et le sanctuaire. Des deux côtés de l’entrée du jubé donnant sur la croisée étaient deux autels, suivant l’usage. Le chœur s’élevait de quatre marches au-dessus du pavé de la nef ; à la suite des stalles venait le sanctuaire, élevé de trois marches au-dessus du chœur, et sous la clef de voûte absidale le maître autel, dont une tapisserie et une gravure[10] nous ont conservé la forme et les accessoires. Derrière le maître autel était placée, sur une large table de cuivre, portée sur quatre gros piliers de même matière, la châsse de saint Marcel, surmontée d’une grande croix ; d’autres châsses étaient disposées à droite et à gauche ; derrière la châsse de saint Marcel était, du côté droit, le petit autel de la Trinité, dit des Ardents, sur lequel était placée la châsse de Notre-Dame, contenant du lait de la sainte Vierge et des fragments de ses vêtements. Près de l’entrée principale du chœur, on voyait, en ronde-bosse, la statue de bronze de l’évêque Odon de Sully, couchée sur une table de même métal élevé d’un pied environ au-dessus du niveau du pavé du chœur. Odon de Sully contribua en partie à la construction de la cathédrale ; c’est sous son épiscopat que fut probablement élevée la nef. Au milieu du chœur, sous le lutrin, étaient incrustées, au niveau du pavé, quatre pierres tombales, couvrant les restes de la reine Isabelle de Hainaut, femme de Philippe-Auguste, de Geoffroy, duc de Bretagne, et de deux autres personnages inconnus. Devant le grand autel, sous une table de cuivre, le cœur de Louise de Savoie, mère de François Ier. D’autres tombes se voyaient encore derrière le grand autel du temps de Corrozet, entre autres celles du célèbre Pierre Lombard, archidiacre de la cathédrale et prince ; car on n’enterrait dans le chœur des cathédrales que des évêques, des princes et princesses. À côté du maître autel, du côté du nord, s’élevait, sur une colonne de pierre, la statue de Philippe-Auguste ; à ses pieds était la tombe en marbre noir de l’évêque Pierre de Ordemont, qui mourut en 1409. Mais quelle que fût la richesse et la splendeur des chœurs des cathédrales, ceux-ci n’égalaient pas, en étendue, en meubles richement ouvragés, en châsses précieuses et en tombeaux magnifiques, les chœurs et sanctuaires des grandes abbayes. Parmi ces abbayes, celle de Saint-Denis, en France, se distinguait entre toutes, puisque le chœur de son église servait de sépulture aux princes français. Le plan de ce chœur et de ce sanctuaire est donné dans l’histoire de l’abbaye de Saint-Denis, par dom Félibien ; nous nous contenterons d’en tracer la vue cavalière, qui fera mieux comprendre les dispositions principales de cette clôture vénérée (2).
Ici, comme dans toutes les églises abbatiales, le chœur, proprement dit, occupait les dernières travées de la nef, la croisée et une travée de l’abside ; le sanctuaire, auquel on montait par quatre rampes de dix-huit degrés chacune, deux petites de chaque côté de l’autel et deux grandes dans les deux collatéraux, s’étendait dans l’abside au-dessus de l’ancienne crypte carlovingienne.

Dom Doublet[11] nous fournira la description détaillée de toutes les parties du chœur et sanctuaire de la célèbre église abbatiale. L’entrée du chœur était fermée par un jubé, sur le devant duquel, du temps de dom Doublet, on voyait encore, sculptés en pierre, la vie et le martyre de saint Denis, de saint Rustic et de saint Éleuthère. Sur l’arcade principale s’élevait le crucifix donné par l’abbé Suger ; les images de la Vierge et de saint Jean accompagnaient la croix. C’était du haut du jubé que, les jours de fêtes, on chantait l’Évangile. Dom Doublet dit qu’autrefois ce frontispice était couvert de figures d’ivoire entremêlées d’animaux de cuivre ; ouvrage admirable, prétend-il, donné par Suger, et que les huguenots détruisirent[12]. Avant le sacre et couronnement de la reine Marie de Médicis, le chœur de Saint-Denis n’avait toutefois subi aucune modification importante. Des deux côtés, soixante stalles hautes et basses, richement sculptées et garnies de dossiers en étoffe, s’adossaient aux piliers de la nef. À l’extrémité des stalles, d’un des gros piliers de la croisée à l’autre, une trabes traversait le chœur ; cette poutre était peinte d’azur, semée de fleurs de lis d’or ; une croix d’or, que l’on prétendait avoir été fabriquée par saint Éloy, s’élevait au milieu de sa portée. Entre les stalles était le lutrin de bronze donné par le roi Dagobert et provenant de l’église Saint-Hilaire de Poitiers. Ce pupitre était soutenu par les quatre figures des Évangélistes, également en bronze. En remontant vers l’autel, dans l’axe du chœur, on voyait le tombeau de Charles le Chauve, en cuivre émaillé, porté sur quatre lions, et ayant, à chaque angle, un des quatre docteurs de l’Église. Le pavé était magnifique, en marbre blanc, noir, vert antique, jaspe et porphyre ; c’était probablement une de ces mosaïques connues en Italie sous le nom d’opus Alexandrinum. À l’extrémité orientale du chœur, au-delà de la croisée dans la première travée du sanctuaire, s’élevait l’autel de la Trinité, dit autel matutinal, en marbre noir, enrichi de figures en marbre blanc représentant le martyre de saint Denis ; on couvrait son retable de pierre d’un magnifique retable d’or aux fêtes solennelles (voy. Autel, fig, 7). Une grille de fer, placée au-devant de l’autel matutinal, au droit des deux premiers piliers de l’abside, formait un premier sanctuaire inférieur. Derrière l’autel, on apercevait la châsse de saint Louis, ouvrage d’argent et de vermeil. Des deux côtés, deux rampes étroites montaient au sanctuaire supérieur. Quatre colonnes d’argent portant les anges céroféraires accompagnaient ces rampes et servaient à suspendre, au moyen de tringles, les voiles de l’autel matutinal. Le sanctuaire supérieur était clos par des grilles de fer forgé, dont il reste des débris admirables. Au fond de l’abside, les châsses de saint Denis et de ses deux compagnons étaient placées sous un édicule d’un travail précieux, accompagné d’un grand autel antérieur (voy. Autel, fig. 6). Entre les stalles et l’autel de la Trinité, saint Louis avait fait placer un grand nombre de tombes des princes ses prédécesseurs, en respectant probablement les anciennes places occupées par leurs restes. Le tombeau de Dagobert, monument d’une grande importance, également refait du temps de saint Louis, était placé à côté de l’autel matutinal (côté de l’épître). En face, plus tard, furent disposées les tombes de Philippe V, de la reine Jeanne d’Évreux, de Charles le Bel son époux, de Jeanne de Bourgogne, de Philippe de Valois et du roi Jean. Le magnifique monument de Charles VIII, en bronze doré et émaillé, se trouvait, du même côté, en avant de la clôture de l’autel matutinal (voy. Tombeau).

Toutes les églises abbatiales ne pouvaient réunir dans leurs chœurs une aussi grande quantité de monuments précieux comme art et comme matière ; cependant elles rivalisaient de zèle et de soins pour décorer les clôtures religieuses. Le chœur de l’abbaye de Cluny était magnifique, le nombre des stalles considérable, le luminaire splendide. Le sanctuaire était entouré de grilles et de tombeaux qui formaient clôture. Cet usage d’employer les tombeaux en guise de clôture pour les sanctuaires se retrouve également dans beaucoup d’autres églises abbatiales et cathédrales, à Saint-Germain-des-Prés, à l’abbaye d’Eu, dans les cathédrales de Rouen, d’Amiens, de Limoges, de Narbonne. Les tombes des princes, des évêques, protègent les sanctuaires (voy. Clôture, Tombeau).

Les chœurs des églises paroissiales reproduisaient, sur de petites dimensions, les dispositions adoptées dans les cathédrales. Cependant, comme les églises paroissiales étaient, avant tout, faites pour les fidèles, les chœurs ne furent guère entourés que de clôtures à jour en fer ou en pierre, et les jubés laissaient voir l’autel sous des arcs portés par de fins piliers. Il ne paraît pas, d’ailleurs, que des jubés aient été très-anciennement élevés à l’entrée des chœurs des églises paroissiales, tandis qu’à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe, au contraire, on établit des jubés devant les chœurs de ces églises (voy. Jubé). Nous ne devons pas omettre de signaler à nos lecteurs les chœurs des églises qui étaient dépourvues de bas-côtés, comme, par exemple, la cathédrale d’Alby. Dans ce cas, le chœur formait une église dans l’église, avec un espace laissé entre cette clôture et les chapelles rayonnantes ; cette disposition est rare en France, et ne se rencontrait que dans quelques églises du Midi.

Presque toutes les églises françaises, et particulièrement les grandes églises abbatiales et cathédrales, présentent une déviation plus ou moins prononcée dans leur axe, à la réunion du chœur avec les transsepts, soit vers le nord, soit vers le sud. On a cherché naturellement à donner l’explication de cette singularité. L’auteur du moyen âge qui pouvait le mieux en donner la raison, Guillaume Durand, qui applique à chaque partie de l’église une signification symbolique, n’en dit mot. Les archéologues modernes ont voulu voir, dans cette inclinaison donnée à l’axe des chœurs des églises, soit une représentation mystique de l’inclinaison de la tête du Christ sur la croix, soit une orientation particulière de l’abside vers le levant et de la façade vers le couchant. Nous ne discuterons pas ces deux opinions, qui ne sont basées sur aucun texte et qui sont plus ingénieuses que vraisemblables ; car, dans l’une ou l’autre hypothèse, l’inclinaison serait toujours dirigée du même côté, ce qui n’est point, et les écrivains du moyen âge qui ont parlé longuement de la construction des églises en auraient dit un mot.

Nous hasarderons aussi notre opinion personnelle, sans toutefois prétendre la donner comme résolvant la question ; nous dirons tout d’abord qu’elle n’est basée que sur une observation pratique et purement matérielle. Les églises qui présentent cette déviation dans leur axe sont toutes bâties à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe ; on les construisait partiellement sur l’emplacement d’églises déjà existantes ; c’est-à-dire qu’en conservant la nef pour ne pas interrompre les offices, on bâtissait le chœur, ou, ce qui était plus rare, conservant le chœur ancien, on rebâtissait d’abord la nef, ainsi que cela eut lieu pour la cathédrale d’Amiens. Il arrivait souvent qu’en reconstruisant le chœur on élevait en même temps la façade occidentale, afin de donner aux fidèles, le plus promptement possible, une idée de la grandeur du monument et d’encourager leurs efforts ; ou bien, par des raisons d’économie faciles à comprendre, on comptait se servir des fondations anciennes lorsque, l’abside achevée, on rebâtirait la nef. Ces deux opérations successives, ce raccordement ne laissaient pas de présenter des difficultés de plantation assez grandes, surtout à une époque où l’on ne possédait pas d’instruments de précision appropriés à la plantation des édifices, où l’on ne pouvait se servir que de cordeaux et de jalons ; alors même l’instrument très-imparfait, connu sous le nom d’équerre d’arpenteur, n’était pas en usage. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que les cathédrales, aussi bien que les églises conventuelles, étaient, à cette époque, entourées d’une quantité de bâtiments accessoires, cloîtres, trésors, sacristies, librairies, logements, que les évêques ainsi que les moines conservaient debout aussi longtemps que cela était possible, puisque ces bâtiments servaient journellement. Le maître de l’œuvre, en plantant un chœur avec l’idée de le raccorder plus tard à une nef existante ou à reconstruire sur d’anciennes fondations, ne pouvait se mettre en communication immédiate avec cette seconde partie. Il devait fermer hermétiquement la portion conservée de l’édifice, et planter son abside au moyen de lignes d’emprunt qu’il lui fallait prendre au milieu d’une masse compacte de bâtiments. Or aujourd’hui, avec l’aide de nos instruments si parfaits, cette opération présente d’assez sérieuses difficultés, ne réussit pas toujours, et on constate des erreurs lorsqu’on en vient au raccordement. Le raccordement exact de l’axe ancien avec l’axe nouveau est un, tandis que la chance d’erreurs est infinie. Nous sommes donc disposés à penser que ces déviations des chœurs de nos églises proviennent d’erreurs, inévitables alors, dans la plantation de monuments construits à deux reprises. Si l’on pouvait nous fournir deux exemples seulement d’églises bâties d’un seul jet et dans lesquelles les chœurs seraient inclinés du même côté, nous serions disposés à admettre une raison symbolique ; jusqu’alors nous regarderons l’opinion que nous venons d’émettre comme étant la plus probable.

On nous objectera peut-être que, lorsque les maîtres des œuvres en venaient à la reconstruction de la nef après avoir achevé celle du chœur, il leur était facile de réparer leur erreur, et de prolonger l’axe du sanctuaire pour en faire l’axe de la nef nouvelle. Certainement cela leur eût été facile, s’ils n’eussent dû soit conserver de vieilles fondations, soit se raccorder avec une façade déjà élevée de quelques mètres, soit enfin, admettant qu’ils n’eussent ni fondations anciennes à conserver, ni façade à respecter, se tenir entre des lignes de bâtiments presque toujours accolés aux murs de l’église, tels que cloîtres, salles capitulaires, logis, que l’on voulait conserver parce qu’on ne pouvait s’en passer, même temporairement. Ces constructions que nous admirons gênaient fort les chanoines ou les moines, et il fallait la ferme volonté des abbés, au XIIe siècle, et des évêques, au XIIIe, et leur souveraine puissance, pour vaincre des oppositions nombreuses dont nous retrouvons les traces même encore aujourd’hui. Or tous ceux qui sont appelés à diriger des constructions savent quelles sont les difficultés incessantes que soulèvent ces oppositions de chaque jour, quelles que soient la fermeté et la volonté du maître. Il n’est pas surprenant que les architectes des XIIe et XIIIe siècles n’aient pas eu leurs coudées franches et aient été conduits souvent, par des motifs bien misérables, à des erreurs ou des irrégularités qui nous paraissent inexplicables aujourd’hui.

  1. Rational, lib. I, cap. 1.
  2. « Sacerdos et Levita ante altare communicent, in choro Clerus, extra chorum populus. » Concil. Toletan. IV, cap. XVIII.
  3. Rational, lib. I, cap. III.
  4. Donc il n’y avait pas de dossiers fixes.
  5. Lib VI, cap. LXXXX.
  6. Donc il n’en existait pas à demeure.
  7. Voy. le Dictionnaire du Mobilier, au mot Herse.
  8. Poutre posée en travers du chœur, supportant des flambeaux, Voy. Trabes.
  9. « Le long de la clôture du chœur de Notre-Dame de Paris allant vers l’orient, » dit Du Breul, « on voit la figure d’un homme d’église, orné d’une dalmatique, à côté duquel ce qui suit est gravé :

    « Maistre Pierre de Fayel, chanoine de Paris, a donné deux cents livres pour ayder à faire ces histoires (qui décorent la clôture), et pour les nouvelles verrières qui sont sur le chœur de ceans. »

    Le don du digne chanoine indique assez que les chapitres tenaient à être bien clos.

  10. Voyez Autel.
  11. Histoire de l’abbaye de Saint-Denys en France, par D. Doublet. 1625.
  12. Il faut observer toutefois que le jubé avait dû être rebâti sous le règne de saint Louis, avec la nef, la croisée et une partie du sanctuaire. Il faut donc supposer que ces images dont parle D. Doublet auraient été reposées sur le jubé du XIIIe siècle. Le fait n’a rien d’ailleurs de contraire aux habitudes de cette époque, souvent les constructeurs du XIIIe siècle replacèrent dans leurs monuments des bas-reliefs d’une époque antérieure.