Les Dix Premiers Livres de l’Iliade d’Homère/Texte entier

La bibliothèque libre.
Traduction par Hugues Salel.
Iehan Loys (p. ii-ccclii).


Les dix premiers
LIVRES DE L’ILIADE D’HOMERE,
PRINCE DES POETES :
Traduictz en vers Francois,
par M. Hugues Salel, de
la chambre du Roy,
& Abbé de S.
Cheron.


AVEC PRIVILEGE
DV ROY.
On les vent à Paris, au Palais en la Gallerie, pres la
Chancellerie, en la boutique de Vincent Sertenas.
1545.



COPIE DES
LETRES PATENTES DV ROY,
contenant le Priuilege d’imprimer
la preſente Traduction.



FRANCOIS PAR LA grace de Dieu, Roy de France. Aux Preuost de Paris, Bailly de Rouen, Seneschaulx de Lyon, Thoulouse, & Bourdeaulx, -‘ 4 roui nox, autres Iujticiers, officiers,ou à leurs lieuxtenans, Salut. POVRCE QUE notre amé e feal Maifire Huges Salel, de nostre chambre, Abbé de sainct Cheron, nous a faict entendre que aucuns libraires & imprimeurs, plus auaricieux que scauans, ayans trouue moyen de recouurer des doubles,ou copies d’aucuns liures de l’Iliade d’Homere, Prince des poetes Grecs,que nous luy auons par çy deuant cômandé traduire, & mettre en vers Fracois se sont ingerez de les imprimer, ou faire imprimer, & exposer en vente auec une infinite de faultes, & changemens de dictions, qui alterent le sens des sentences : contre l’intention de l’autheur, la diligence du Translateur : lequel n’en peult receuoir, si non vne dereputation & calumnie, par l’ignorance, temerité & negligence d’aultruy. NOUS à celle causer voulans obuier, & pourueoir à telles folles, & vaines entreprinses desdictz libraires, imprimeurs : à ce que par eulx la dignité de l’autheur ne soit en aucun endroit prophanée : ne auffy le labeur dudict Translateur mal recogneu, au preiudice de l’utilité, richesse, & decoration que nostre langue Francoise recoit au iourduy ,par ceste Traduction, de laquelle nous ont ia esté presentez les neuf premiers liures : dont la lecture nous a esté si agreable, nous a tant delecté que nous desirons singulierement les cotinuation et paracheuement de l’oeuure. A iceluy Salel, auôns par ces presentes permis, & octroie, permetto’s & octroions, voulons & nous plaist de grace especiale, plaine puissance & auctorité Royale, qu’il puisse, & luy loisé, par tel imprimeur que bon luy semblera,faire imprimer les liures de la Traduction par luy faicte, & qu’il fera cy apres, des oeuures dudict Homere : Sans ce que pendant, & durant le teps, & terme de DIX ANS ensuyuans, & consecutifz, commenceans au jour & date de ces presentes :autre que ledict libraire & imprimeur qui aura charges & man dement exp res dudiCt salel,pour cefaire,lespuiJJ imprimer, mefzre,nc expo— fer en vente,en quelque lieu,” endroic’Fde ce Royiulme que cefoit : Sur peine d’amende arbitraire : a’ nous , Ci audiCt Salel4appl :cquer, e -de confifcation de roui lefdiélliures,qui ainfyfetroutcrontirnprime,fans charge ou corn. m1ion dud,ilf Salcl.Si ,‘oui mandons càmmettons,&’ enioknons, ang chafcun de -vous endroitfoy, —.ficomme 4 luy appaticndra :q :ie felon c en enfu.yu4ntnofdllzpermzflion,otho.y3c7’ —pouloir,-ousfaietes,o :afaiaesfai_ re expreJfes znhibitions,ey— deff�nfes,de par nous :fiir les peines cy deffits mdi— Ctes,(7 autres que verre cf ire 4 impofer :i roui impirneurs. libraires demoura’is en —vodeflrok’x iurfd :6lions : que parc, apres, liz,,, ne auciai d’eulx,aultre que celuy qui aura la ch.irge3 comm :j?ion expreffe dudil Sa kl,pour cefaie,ayent 4 irnprimer,ou frire imprimer,mettre ne exp ofer en peu te,durã lefdi(I. dix ns,les hures de ladic’l’e Traduthon,faiitefJ 4faire par iceluy Salcl.Etfi apres lefdia commandemens faiCk, pous trouuez,,,aucutis contreuenans 4 iceulx,procedez,, 4lencontre, par cô’demnatiôns deJd :éfrs peines,’ autrement,ain[y que verrez,,ejlre 4 fairc,feion (exigence des cas. Non obflan : obpofitions,ou appellations quelconques : .fans preiud :ce dicel.. lcs :pour lcfquellés ne -voulons efire dff ré. Car tel efinofire plaijir. De ce faire -vous auons,( 4-vng chaf can de votu,donné,r5— dôions plain pouoir3auCforithcoPnmiflion,..2—’ mandement efpecial. .Mandons cô’mã’dons 4 tous izoz,, Iufiiciers,officiers,ubge6l,quc 4vous, C2 d -vngchafcun de —roui, en cefaqfantfoir obey. Donné 4 Fontainebleau,le dixhuiéiiefme iour de Iiier. Ian de grace lviii cinq c’s quarare cjuatrc.Er de nojire Rcgnc,le tre’te.’niefme. .AmfiJgnb.. PARLEROY,MONSEIGNEVRLEDVC bORLEANS,PRESENT. E :aude[fou&. DE LAVBESPINE,

tfehles du,grandfecl,fiirfimple queuede cire iau1ne


EPISTRE
DE DAME POESIE, AV
Treſchreſtien Roy Francois, pre-
mier de ce nom : Sur la tra-
duction d’Homere,
par Salel.



VEV legiandfaix que fur
tes bras ioubftiens,
oy trëfpuiffant, leplu
grand des Chrefticns)
ant pour la gucrre, Iboii
droi commencée,
iC6treceluy quit’ala foy faulſée,
Oi, e.p.Our le bing ou ton efprit s’applique,
À gouuerner ce beau peuple Gallique,
Qw s’efiouyft & tient bien bon heur,
D’auoir de Dieu, tel Roy, tel Gonuerneur :
Si i’entreprens te faire la leure
De quelque baffe & leg ere efcripcure,
Te doubte fort de faillir grandement :
Bien cognoilThnt que ton entendement,
Touuiours repeu de celefte viande,
Ne peuk goufter choie qui ne foit grande.
Mais quand je voy apres, queie fuis celle,
En qui reluit fouuent quelque eftincelle
De ta faueur (me donnant priuaulté
De conferer auec ta royaulté)
le me refouiz : Saichant que qui s’auance
Trop hardyment, n’entend pas ta.puilThnce : -
Mais qui trop craini, & n’eft deuant toy leur,
Ignore au1i ta.clemence, & doulceûr.
, I’ay alai& & nourry, comme mere,
Plufieurs enfans, entre lefquelz, Homere
Fut lepremier, par qui dame Nature,
Feift aux humains liberale ouuerture
De fes fecretz : & fi trefbien l’apprit,
Oion na fceu veoir depuis pareil elprit
Reprefenter les myfteres du monde
Le mieülx au vif Car la chofe profonde
lila traiaoit haukement, & la baffe
Trcfproprernent, & non fans grande grace.
Si qu’on peult dire, en voyant Ion ouuraig;
Ql et hiy ieuI, de Nature l’imaige.
Dont i’ay acquis par tout louange telle,
Oe l’en demeure i lamais immortelle,
Et tous mes fliz iufqu’au ciel extollez.
Cet rocean, dou font ainfi coulez
Les clairs ruyffeaulx, pour l’efprit arroufer
De bon fcauoir, & puys le difpofer
À la vertu, le rendant fuIeptible
Du bien parfai, hau1t, & incorruptible.
D e la liqueur de cefte claire fource,
Grecs, & Latins, courans 1 plaine courbe,
Ont beu grans traith : dou font apres yflumes
Opinions, diuerfement receues :
Chafcun penfant la fienne plus nayfue,
Venant du fonds de cefte fource viue.
Celuy qui preuue, & montre euidemment
Lame immortelle, a pEins vng fondement
En cet Autheur :L’ autre qui admnonefte
Suyure vertu, & tout office honefte, -
À fon recours, comme par vng miracle,


A’ les l?eaulx yers, qui luy feruent d’oracle.

Ariftippus, de Ion lens tranfporté,
Lequel penfoit la feule volupté -
Eftre le bien, ou chafcun debuoit tendre,
Comme au vray but, s’eft efforcé d’y prendre
Pied, fur les motz couchez en vng pafTaige,
L’interpretant trop a fon aduantaige. - -
Celuy qui donne a la grand’ Prouidence
Du Souuerain, -la fuperintendence
De l’Vniuers, & croit la choie née
Eftrefubgee àvnedeftinée,
Ordre certain, qui ne be peult confondre,
Y trouue aflèz de raifons pour relpondre
A’ ces refueurs, qui, contre venté,
Afsignent tout . la Temerité,
Et i ne (cay quel rencontre de corps,
S’entreioignants, par difcordants accords.
Il n’eft paltiige en la Philofophie,
Tant boit diuers, qui ne le fortifie,
Par quelque di&, ou fentence notable,
De ce Po&e. Et qu’il boit veritable,
Thalés le faige entre les fept Gregeoys
Tant renommé, y lifant quelque foys,
Q l’Ocean donnoit eftre, & naiffance
A’ tous les corps :fans autre cognoiftance,
Soubdainernent il difcourt, & le fonde,
Q, e terre, ciel, & la machine ronde,
ladis par l’eau fut prodthe & forgée,
Et de la main humide ainfy rengée.
Xenophanés qui s’efforce d’enquerrc
Le vray principe : & di& I’eau, & la terre
Eftre prerniers.Puis d’autre opinion
Empedoclés, affermaiit l’Vnion,


Et le Debat, auoirfai& toute choie :


Vng chafcun d’eulx fa fentence clilpofe,
Selon qui! l’a dans Homere trouuée,
Et la maintient veritable & prouuée.
Les mouuementz, les maífons, les diftance&,
Des corps des cieulx, Ieurs afpe&z, leurs puiftances,
Tonnerre, efclair, grefle, vent, pluyes, nues,
Parles beaux vers font clairement cognues.
Il montre aufl3r qu’il a eu le fcauoir
D’Arithmetique.Encor y peult on veoir
Beaucoup de i’art, enfeignant la mefure.
Oiand Phidias feit la belle figure
De Iuppiter, des Grecs tant eftitne’e,
life venta l’auoir ainfy formée,
De quatre vers du Poëte gentil,
Ô luy fer u oient de pourtrait & d’outil.
Oultre cecy, tout l’eftat Politique,
L’Agriculrnre, & foing Oeconomique,
Tant necefThire I cefte vie humaine,
Le vray Mefpris de toute chofe vaine,
Et l’Honneur deu, par les hommes, aux dieux,
Y et defcript, & le prefente aux yeulx
De tout lifant, comnme viue painture.
O’ Noble efprit, O’ gente creature,
Bien heureux et qui tes oeuures contemple,
Et qui s’en fert de miroir & d’exemple.
Merueille n’eft doncques fi tant de villes
Dupais Grec, & des prochaines yfles,
Ont eltayé I trouuer le moyen,
Dele nommer leur natif Citoyen :
Comme feroient plufieurs grandes princeIThs,
Otj cognoifTans les vertu z, les richelfes
D’ung puilThnt Prince, & treshauk’Roy de France,
D efireroyent auoir Ion accoinance
Mettant chalcune en auant 1t valeur,
Po ur, I l’amour, donner quelque couleur.
Et de II vint, qu’vng trelgrandperfonnaig;
Voulant monftrèr clairement Ion lignaige,
Et le pais, dit que Ion origine
Eftoit du ciel, & la mere diuine
Calliopé, pnincipale des Mules :
Car en voyant tant de graces inhibes
En vng fubge&, il penloit imnpolsible,
Q’engendré feuft de quelque corps paisible.
Et toutesfois cefte perfe±ion,
Oncc.1ues ne fut d’aucune ambition
S ollicitée, onc l’efguillon de gloire
Ne le picqua, pourlaifferlamemoire
De Ion feul noin & moins de fa Patrie.
Tout au rebours d’vne grande partie
D autres autheurs, qui (mettans en lumiere
Qelques efcriptz) en la page premiere,
Couchent leurs noms, pour acquerir louange,
Q bien fouuent en deshonneur le change.
La peur que l’ay qu’on me tienne fÙ1ee,
Roy trelpuiffant, parlant de ce Po&te,
Me contraindra de paulèr en filence,
Tout le meilleur de fa grande excellence.
le m’abftiendray pour rheure a dèclairer,
Comme les dieux l’ont voulu decorer
Deprophetie, en ce qu’il apredit
L’autorité, le regne, & le credit,
Oe les Troiens , apres leurs grans dangers,
Auroyent vn iour, es pais eftrangers.
Ic-me tairay, des contrées diuerCes, -
Q’il voyageades perilz, des trauerfes,
Oil luy conuint plufieurs fois foubftenir,
Pour le defir ardant de paruenir,
A’ la notice, & fcience certaine
De toute chofe, & diuine & humaine.
Comme l’efprit d’À chilies l’agita
Diuineinent, & les yeulx Iuy ofta,
En luy rendant apres, fAme pourueue
De trop plus claire & plus fubtile veue :
Ne plus ne moins que Ion compte dufage
Tirefias, qui veit le nud corlaige
Pattas. De la deeflè, & prophete en deuint :
Etfi i’ofois le dire, ainfy qu’aduint
Au bon fain Poi, que lefti Chrift rauit,
Et aueugla, auant qu’il f’eri feruir,
Luy faifant veoir au ciel choies en fomme,
Q, i’il net permis de dire . langue d’hommes
le diray bien, & ne m’en fcaurois taire,
O, e le plus beau de tout l’art Militaire,
Et tellement en Ion ouuraige efpars,
Ion le peult cueillir de toutes pars.
Et fern bleroit, veu cefte aWe &ion,
Q, en efcripuant, il eut intention
Montrer en quoy l’heur ou malheur confite,
D’vng affaiilant, ou de cil qui refifte.
Car on y voit deux puiitantes armées,
Souuentesfois I combatre animées :
Et les deux chefz enhorter les bouldards,
A’ fe renger deul”oubz leurs eftendards :
Leur propofant pour la belle vi&oire,
Honneur, prouffi, & immortelle gloire.
Lon y apprent à villes afieger,
Et les fouldards camper, & diriger
Commodement : & pour n’etre forcez,
Se remparer de paliz, & foltez.
Mettant roufi ours en place plus patente,
Droit au rnylieu la grand Royale tente :
Confequemment les plus adroitz & fors
Sur les deux coings, p our feruir de renforts.
La peult on veoir, la prudence requife
À bien fournir quelque hàuke entreprife.
Comme il conuient que le chef le confeill -
Aux plus experts, & leur prefte loreille.
Comme il luy fault auec iceuix trai&er,
Puis eſtre prompt, quand à l’executer,
Meimes en chofe aduentureufe & grande,
Ou bien couuent la fortune commande,
Et ou peu vault fubtile inuention,
Si mile n’eft à execution
Qi1-fault punir inutins, fediciewc,
Et mefdifans :puis louer iulqu’aux cienlx,
Et guerdonner les plus forts & puiul’ans,
Qtj par effet font rrefobeilfans.
Qand aux fouldards, chafcun y peuk apprendre
Maint tour Cub til, pour l’ennemy furprendre.
Et rnefrnement qu’on ne doit f’esbayr
D’vng feu! malheur :mais touIours obeyr.
Et (‘il adulent qu’ilz le trouuent vaincqueurs,
Etre aduifez, de ne mettre leurs cueurs
Tant au butin, qu’ilz ne voyent fur l’heure,
Si la campaigne, & le camp leur demeure.
Encor y et la bacon de combatre
Seul, corps à corpS : & le moyen d’abbatrc
Aucunesfois la noyfe commencée. -
Courfe, Sai1lie, Efcarinoufhe dreIThe,
EmbuIhe aux chaps, Guet prins, Faulfes alarmes,
Tout y et clair : Brief cet vng miroir d’armes.
Dont a bon droi, le preux Roy Alexandre,
Oi defiroit fa renommée efpandre,
Trop plus auant que les grandes con queftes
Ne f’eftendoyent, entre tous les poetes,
Il fouhaioitvng feu! Homere auoir,
Bien cognoiflant ‘le prince de fcauoir,
Qil nya Mort, ne long temps qui confume
Ce que faiviure vne bien do6te plume.
Face qui veult en marbre, ou fer grauer
Sa pourtraiure, & la face efleuer
Surpyramide, ou bien haulte colomne :
À tout cel;le temps quelque fin donne.
Mais les beaulx vers d’ung clair efprit tilTuz,
Maul gré le temps, obtienxent le deffiis :
immorteiz foit, & lès rnortz font reuiure,
Car plume vole, ou mta1 ne peuk fuyure.
CeieuneRoy, voyant donc que Nature
Ne monftroit plus fi digne creature,
Il prop ofa en lieu du perfonnaige,
Auoir aurnoins pres de îoy Ion ouuraige :
Vfant touliours du poete Royal;
(Telle nommoit) comme d’vng ferf loyaL
Ong-ne reuint d’afl’rnk ou d’efcarrnouche,


Tant feuil il las, qu’auant le mettre en couche
Il n’en apprint quelque vers fingulier :
Puis l’en feruoit comme d’vng orilier.
Et bien fouuent difoit que cet Autheur
Luy tenoitliu de Guyde, & Condueur :
Et qu’il deuoit plus à fa poéfie,
Qa les fouldards, la conquefte d’Afie.
Difoit encor, que fur lucz & violesÇ
On pouuoit bien chanter choies friuoles :
Mais il faloit les beaulx vers heroiques
Chanter au ion des trompetes belliques.
Pareil vouloir eut le Roy Ptolomée,
I’entens cekiy duquel la renommée
Florift encor, pour la folicitude
Oil eut toufiours enuers les gens d’eftude :
Faifant recueil de tant de librairie.
Car il punit l’audace & bauerie
Durnefdilanr, & fuperbe ZoI’le :
Qui tant ofa que d’aguyfer Ion ilile
Encontre Homere : & pour Ion faulx libel!;
Apres tourmentz luy donna mort cruçle.
Croire conuient auff’y, que les Romains
Reueremment l’ont tenu en leurs mains :
Car Scipion le vainqueur de Carthage,
Prilant vng iour l’heur & grand aduantage
D’Achilles Grec, chante dedans les vers,
Cria tout hault (Ayant les yeulx ouuers
Tournez au ciel) Or pleut I Dieu, que Rome
Fut maintenant ornée dung tel homme :--
Certainement les mnarciaulx efpritz,
Et leurs beaulx faiz, feroient en plus grand pris.
Mais dequoy fert, Prince trefredoubté,
Dire cecy deuantta mai efté -
Dequoy te fert, fi je te ramentoy
Tout ce defThsQi le fcait mieulx que toy
OuJ et l’efprit, ayant plus en referue -
De bon fcauoiryeulx je enfeigner Minerue
b
Certes lienny, vne aultre choIe, Sire,
M’a mis en main laL plume pour t’efcrire.
Voyant par toy les arts croiftre & fiourir,
Qi ont cuydé au parauant perir :
Ét que delia deux deeffès courtoifes,
Litterature, & les Armes Francoifes,
Par ton moyen tele amour ont enfemble,
Q, impofsibIe et que Ion les defafTemble :
Tant reluyfans, que leur claire fplendeur
FaiCt du beau lis cognoiftre la grandeur.
reftois rnarrye, & non pas fans raifon, -
Qen fi heureufe & dorée faifon,
Ta France fut d’ung Homere priuée.
Si de Ion nom, la gloire et arniuée,
(Comme Ion &) aux plus loingrains Barbares,
Indois, Perfans, Borifthenois, Tartares,
Et fi les mers & defers n’ont peu faire
Oeulx el’loignez du prefent hemyfphere, -
Priuez encorde veoir le Pol Ar9ique,
N’ayent entendu cet oeuure poétique,
Saichans au vray la perte, & les regretz
Des bons Troiens, & la ioye des Grecs.
Il m’a femblé que ta France prifée
Tant de Pallas, & Mars fauorifée,
Deuoit auoir pour fa perfeion,
De cet Aurheur propre traduction.
Et pour ce faire, Ô prince trefpuif’fant,
lay detiné vng tien obeifrant
Humble fubge& Salel, que tu recois
Et mez au renc des poetes Francois :
Auquel defia ta Royale faneur,
À fait goufter du frui6 de Ion labeur.
Par iceluy, qui n’a aukre delir,
OI faire choie ou tu prennes plaifir :
Tu pourras veoir en brief l’oeuure auancée
De l’Iliade, & puis de l’Ody1Te :
Non vers pour vers :Carperfone viuante
Tant elle bit doue & bien efcriuante,
Ne Icauroitfaire entrer les Epitheres
Du tout en ryth me. Il fouffift des Postes cc
La volunté eftre bien entendue, cc
Et la fentence, auec grace rendue.
Les anciens diîoient dIre imp ofsible
Tirer des mains d’Herculés inuincible
La grand ni alFue : Encore plus d’ofter
L’horrible fouidre au grand dieu luppiter;
Et pour le tiers, à Homere rauir
Vng vers entier, pour apres l’en feruir.
Or 1i Salel l’efforce de le rendre
En ton vulgaire, en et il à reprendre
Je croy que non. Ains fault que ion le p rife :
Sinon du fai, aumoins de l’entreprile.
Veti mefmement, que par I ion peuk veoir,
Qe celle langue et duifante au fcauoir :
- Et qu’il n’eft rien trop dur au Tranflateur,
Ayant vng Roy, à Maitre & Prote&eur.
Ce neantmoins, conibien que ta fentence
Roy trefchreftien, luy ferue de defence,
Comme venant du trefThin iugement
De ton diuin, & noble entendement :
Et que celuy, du confeil duquel vies,
Ton Caftellan, le bien aimé des Mules,
Luy fauorife, & Itous fesIemblables, -
Qand il cognoift qu’ilz te font agreables.
- - bij
On trouuer’a vne grand compaignie
D’aukres efpritz, promptz à la Calumnie :
, , Qii retindroyent dedans leur bouche foie
Vng charbon vif, pluftoft qu’vne parole
Iniurieufe :& en lifant ces vers,
Soubdainement donneront à trauers,
En les blafmant : Puis (reffemblans la moufche)
S’enuoieront, Iaiufans la dure touche,
Et l’efguillon, de leur langue mauuaife.
A’ tous ceulx la (Sire, mais qu’il te plaife)
Te relpondray :non pour feul excufer
Ce traduifant, ne pour eulx acculer :
Mais foubftenant la publique querele
Des Tranflateurs, nourriz de ma mammelle.
En premier lieu, c’eft vng inique fain,
Vituperer le lab eur, lequel fai&
Ome plufieurs artz, qui n’eftoient en Iumniere
Sont ia renduz en leur clarté premiere :
Et le Icauoir, aultresfois tant couuert,
Et maintenant à chafcun defcouuert.
Secondement, puis que c’dft vne peine,
Q grand trauail, & peu d’honeur ameine,
(Car quoy que face vngparfai traduteur,
Toufiours l’honeur retourne à l’inuenteur)
Deuroit on pas leur vouloir accepter
En bonne part, fans point les mo1efter
Confiderant quilz n’ont entente aucune
Fors d’augmenter l’vtilité commune.
le vouldrois bien que ces beaulx repreneurs
Fuilènt vng iour fi bons entrepreneurs,
Qe ion veut d’eulx, & leur veine gentile,
Qelque argument plus honefte, & vtile.
Certainement en lieu d’eftre Cenieurs,
Il leur fauidroit Patrons, & Defenfeurs.
Car on verroit, de leurs traiz, la plus part
Prife d’ailleurs : & qui niettroit à part
Le larrecin (laifrant leur Mule franche)
On trouuerojt la charte toute bÎanch.
Et quant à ceuix qui font petite eftime
De tranulater, ou faire vers en rhythm;
Su leur plailoit vng petit elprouuer
Cell exercice, ilz pourroyent lors trottuer
Leurs bons cerueaulx fi confuz du defordre,
Qon le verroit fouuertt les ongles mordre,
RecognoilThns qu’il y a difference,
Entre penfer, & me&re en apparence.
l’anieneroys encor quelque raifon
Pour cell effe :mais que vaultl’Oraifon, cc
Tant elle foit do9e & bien terminée,
Ayant affaire à ceruele obftin6e
Vng feul confort que je prens en ceci
(Roy trelpuifflint) amoindrit mon foucy :
C’eff qu’il ne fault defence preparer,
Ou ion fe peult d’vng grand Roy remparer : «
D’vng Roy Francois, qui en vertu Royale,
Tous aultres Roys, ou lurpafTe, ou efgale :
‘C
Le nom duquel fera mourir! enule,
Donnant à 1 oeuurevne durable vie.
A’ toy l’adreflè, à toy feul et vouc :
11 Iuffira que de toy (oit louée.
A’ tout le moins que tes clair voyans yeulx
Palfent deffus :ie ne requiers pas myeulx.
A’ tant fain fin ton humble chambriere


Faifant à Dieu trefdeuote priere,

Qu’en longue vie, & ſaine te maintiene,
Et les Fleurons de la Fleur Treſchreſtiene.



FIN DE L’EPISTRE.


LE PREMIER
LIVRE DE L’ILIADE D’HOMERE
PRINCE DES POETES.



Propoſition de l’Autheur, auec invocation de la Muſe.


JE TE Supply Deeſſe Gracieuſe,

Vouloir chanter l’Ire pernicieuſe,
Dont Achillés fut tellement eſpris,
Que par icelle, ung grãd nombre d’eſpritz

Des princes Grecs, par dangereux encombres,
Feit lors deſcente aux infernales vmbres :
Et leurs beaulx Corps, priuez de ſepulture,
Furent aux chiens, & aux oiſeaulx paſture.
    Certainement c’eſtoit la volunté
De Iuppiter, grandement irrité :
Des qu’il cogneut Agamemnon contendre
Contre Achillés, & ſur luy entreprendre.
Enſeigne moy, qui fut celuy des Dieux,
Qui leur cauſa debat tant odieux ?

Narration.

    Ce fut Phœbus, le clair Filz de Latone,

Et du grand Dieu qui Greſle, Eſclaire, & Tone.
Lequel eſtant griefuement courroucé
D’Agamemnon, qui auoit repoulſé
Chryſés ſon Prebſtre, vſant de violence,
Soudain tranſmiſt mortele peſtilence
En l’oſt des Grecs : dont grand malheur ſuruint.

La venue de Chryſés au Camp des Grecs.

    Or en ce temps Chryſés le Prebſtre vint

Droit aux vaiſſeaux, qui au port de Sigée
Eſtoient ancrez, deuant Troie aſsiegée :
Orné du Sceptre, & verdoyant Corone,
Dont Apollo ſon beau Chef enuironne :
Portant auſsi dons de riche facon,
Pour rachepter ſa Fille par rancon :
Qui lors eſtoit des Gregeois priſoniere :
Si leur dreſſa humblement ſa priere,
Et meſmement au grand Agamemnon,
Menelaus, & aultres Roys de nom.

Chryſés à Agamemnõ, Menelaus, & aultres Grecs.

Diſant ainſi : Ô Princes honorez,

Les Dieux haultains en terre reuerez,
Vous facent grace, avec felicité,
De mectre à ſac de Priam la Cité,

Et puis charges de Troienne richeſſe,
Hors de danger aller reueoir la Grece :
Si onc pitié en vos cueurs trouua lieu,
Si bon vouloir de reuerer le Dieu,
Lequel ie ſers, & ſi foible vieilleſſe
Peult eſmouuoir vne franche nobleſſe :
Ie vous ſupply que ma triſte ſouffrance,
Gaigne enuers vous, que i’aye deliurance
De Chryſeis, ma fille bien aymée :
Prenans en gré (Ô princes de l’armée)
Pour ſa rancon, les beaulx dons que i’apporte.
    Son oraiſon fut receue, de ſorte,
Que tous les Grecs dirent communement,
Qu’on le debuoit traicter reueremment
La fille rendre, & les dons accepter.
    Agamemnon ſeul voulut conteſter :
Le cueur duquel bruſloit de l’ardent flamme
Du feu d’amour, pour la gentile dame.
Et non content d’ouyr telle requeſte,
Dit à Chryſés, crouſlant ſa fiere teſte.

Agamemnon reſpond à Chryſés, & le menace.

    Plus ne t’aduiene, Ô vieillard ennuyeux,

Que ie te trouue, attendant en ces lieux,
Ou reuenant : Car il ny aura ſceptre,
Sceptre Apollin, qui me garde de mettre
La main ſur toy. Ne penſe plus rauoir
Ta Chryſeis : car ie la veulx auoir
En ma maiſon de ton pais loingtaine,
Faiſant mon lict, & là filant ma laine :
Iuſques à tant que ſa beaulté faillie.
Sera vng iour par vieilleſſe aſſaillie.
Fuy t’en d’icy, garde de m’irriter
Doreſnauant par ton ſolliciter,

Et n’vſe plus de ſemblable oraiſon,
Si tu veux ſain, retrouuer ta maiſon.
    Le bon vieillard oyant tele menace,
Soudainement habandonna la place,
Et ſ’en alloit, celant ſon dueil amer.
En coſtoyant la riue de la mer.
Mais quand il veit bien auant ſa Galere,
Lors commenca deſcharger ſa colere,
Faiſant tout hault ſes prieres, & veux
À Apollo, le dieu aux beaulx cheueulx.

Oraiſon de Chryſés à Apollo.

    Entends mes crys Apollo, qui domines

Cylla, Chryſa, belles iſles diuines :
Entends mes plainctz Phœbus à l’arc d’argent,
De Tenedos & de Sminthe regent.
Si i’ay ſouuent ton temple coroné
De verd laurier, ſi i’ay enuironé
Ton ſainct autel de mainte digne hoſtie,
De thoreau gras, & de chieure roſtie :
Venge à preſent ſur les Grecs l’impropere,
Qu’ilz font ſouffrir à ce deſolé pere,
Ton ſeruiteur : & pour punir l’iniure,
Fay leur ſentir de tes traictz la poincture.

Apollo deſcend au camp, et leur donne la peſte.

    Ainſy prioit, & Phœbus l’entendit :

Puis tout ſoubdain en terre deſcendit,
Portant ſon arc, & ſa dorée trouſſe,
Qui reſona par l’horrible ſecouſſe
Qu’il donna lors, laiſſant ſa maiſon claire,
Tout tenebreux, & enclin à mal faire.
    Incontinent des vaiſſeaulx ſ’aprocha,
Et quant & quant ſur le camp deſcocha
Vne ſagette : & en la deſcochant
L’arc feit vng bruyt merueilleux, & trenchant.

Deſcription de la peſtilẽce des Grecs.

De ce dur traict furent ſoubdain mourans

Les gras muletz, & les bons chiens courans.
Mais en apres la ſagette mortele
Qu’il deſlacha, feit peſtilence tele
Entre les Grecs, qu’on veit corps infiniz,
De griefue peſte affoibliz & terniz.
Ô quel’ horreur de veoir pres des vaiſſeaulx,
Bruſler les corps des Grecs à grans monceaulx :
Car de neuf iour, Apollo ne ceſſa
De bender l’arc, dont grand nombre en bleſſa.
    Adonc Iuno la puiſſante deeſſe,
Qui de tout temps favoriſoit la Grece
En ceſte guerre, ayant compaſsion
De ſi piteuſe, & grande affliction,
Meit en l’eſprit d’Achillés d’appeller
Tout le conſeil, pour de ce faict parler :

Achillés aſſemble le conſeil des Grecs.

À fin qu’entre eux fuſt quelque voye ouverte,

Pour euiter tant dommageable perte.
    Ce qui fut faict : & lors eſtans les Grecs,
Aſsiz ſelon leurs eſtatz & degrez :
Par Achillés, fut dit à haulte voix,

Oraiſon d’Achillés au cõſeil.

Eſtant debout, Ô treſilluſtres Roys,

Ie veoy tresbien que ſans plus ſeiourner,
Il nous fauldra en Grece retourner,
N’ayans iamais, tant ſoit peu d’eſperance,
De ruiner la Troiene puiſſance.
Encor ie crains qu’il ne nous ſoit permis,
De nous ſauluer ſans mort, des ennemis.
Vous auez veu par ceſte dure guerre
Vne grand part de noz gens mis par terre,
Et maintenant ceſte mortele peſte,
Le reſidu cruelement moleſte.

À quoy Seigneurs, eſt beſoing de pourveoir
En ſ’efforcant d’enquerir, & ſcavoir,
D’ung Devineur, d’ung Preſtre, ou d’ung Augure,
Certainement, ou bien par conjecture,
D’où vient cecy. Quelcun qui ſcait les ſonges
Interpreter, ſans uſer de menſonges,
Nous pourra bien le tout manifeſter :
Car ſonges ſont venans de Iuppiter.
    Il nous dira. ſi tant dure vengeance
Du dieu Phœbus, vient pour la negligence
Du ſacrifice ou bien ſ’il nous demande
Chievres, brebis, ou autre digne offrande
En ſon ſainct temple : affin qu’en ce faiſant,
Il ſoit apres ceſte peſte appaiſant.
    Ces motz finiz, Achillés droit ſ’en va
Choyſir ſon ſiege, & Calchas ſe leva :
Calchas à qui Phœbus, des ſon enfance,
Avoit donné ſcavoir à ſuffiſance :
Tant qu’il avoit, en parfaict ſouvenir,
Le temps paſſé, preſent, & advenir.
C’eſtoit celuy qui par le ſens exquis
De prophetie, avoit eſté requis
De tous les Grecs, pour guyde en leur voyage.
Si dict alors en ſon prudent langage.
    Amy des dieux Achillés, tu conſeilles
Que je rempliſſe à preſent les oreilles
Des eſcoutans, faiſant entendre à tous,
D’où peult ſortir d’Apollo le courroux.
Je le diray : mais il fault que tu jures,
De me garder, d’outrageuſes injures
Encontre tous. Car je ne fais nul doubte,
Qu’ung des plus grans, qui ce propos eſcoute,

Voire & qui eſt de tout l’oſt obey,
Se trouvera par mon dire esbahy.
Et bien ſouvent, l’homme d’authorité
Se cognoiſſant d’ung petit irrité,
Bien que par temps il cache ſa triſteſſe,
Ce neantmoins l’ire jamais ne ceſſe,
Juſques à tant, qu’il ſe trouve vengé
De ce petit qui l’aura oultragé.
Aſſeure moy donc, ſi me deffendras
Pour l’advenir. Dy ce que tu vouldras :
(Dict Achillés) Car par le Dieu puiſſant,
Duquel tu es les ſecretz cognoiſſant,
Jamais aulcun des Grecs, en ma preſence,
Ne te ſera injure ou violence :
Non, quand ſeroit le grant Agamemnon,
Qui de tous eſt le plus grand par renom.
    Adonc Calchas, de parole aſſeurée,
Dict devant tous : Ceſte peſte endurée,
Qui ſur les Grecs ſi tres fort continue,
Certainement n’eſt pas au camp venue,
Pour n’avoir faict ſacrifice certain
Au clair Phœbus, en ce pays loingtain.
Tout ce malheur, ſeurement eſt yſſu,
Pour ce qu’on n’a reveremment receu
Le vieil Chryſes : duquel on debuoit prendre
Les beaulx preſens, & ſa fille luy rendre.
Et croy pour vray, que point ne ceſſera,
Juſques à tant qu’on recompenſera
L’erreur commis : menant en ſes manoirs
Diligemment la pucelle aux yeux noirs,
Sans rancon prendre : & lors le ſacrifice
Qu’on dreſſera, pourra rendre propice,


Et appaiſer le Dieu tres courroucé.


    Agamemnon adonc ſ’eſt avancé,
Tout enflammé de deſpit furieux,
Et à le veoir, on euſt dict que ſes yeux
Eſtincelloient, comme un brandon ardant,
Si dict alors (en Calchas regardant)
Plein de fureur : Malheureux devineur,
Oncques par toy ne fut predict bon heur,
Ains as touſjours de penſée perverſe
Prognoſticqué quelque fortune adverſe :
Et qu’il ſoit vray, ores pour me faſcher,
Tu viens icy haranguer & preſcher.
Que ceſte peſte eſt au camp ſurvenue
Pour ce que j’ay Chryſeis retenue,
Que j’ayme tant : Sa beauté tres exquiſe
À tellement ma volunté conquiſe,
En la voyant, que j’avois eſperance,
Qu’elle ſeroit à jamais demourance
En ma maiſon, avec mon eſpouſée
Clytemneſtra, à qui j’ay prepoſée
Et à bon droict car elle ne la paſſe
En corps, eſprit, beauté, ne bonne grace,
Mais puis qu’il fault, pour la peſte chaſſer,
Que je la rende : ha je la veux laiſſer,
Aymant trop mieux eſtre d’elle delivre,
Et que le peuple en ſanté puiſſe vivre.
Prenez la donc : & pour me reparer,
Deliberez de toſt me preparer
Ung autre don : car pas ne ſera veu,
Que ie demeure entre tous deſpourveu.
    Lors Achillés le plus fort des Gregeois,
Luy repliqua, en preſence des Roys :
Filz d’Atreus, prince avaricieux,
Entreprenant, & trop ambitieux,
Ou penſeſ-tu que les Grecs treuvent don,
Pour te bailler maintenant en guerdon ?
Ne ſcaiſ-tu pas que la proye ſortie
De ceſte guerre, a eſté departie
Long temps y a ; Donc faudroit raſſembler
Tout le butin : ce qui pourroit troubler,
Et mutiner le peuple grandement.
Oſte cela de ton entendement :
Rends ta pucelle (obeiſſant aux Dieux)
Et tu auras quatre fois beaucoup mieux :
Si quelque jour Iuppiter nous octroye
De mettre à bas les murailles de Troye,
    Agamemnon tout ſoudain reſpondit :
Ne penſe point avoir tant de credit
Ô Achillés encor’ que ta puiſſance
Te face eſgal aux Dieux en contenance.
Ne penſe point qu’à ton vueil j’obtempere,
Ne que j’endure un ſi grand vitupere.
Eſt-ce raiſon que chacun ait du bien,
Du beau pillage, & que je n’aye rien ?
Trouves tu bon que je rende la belle,
Sans recevoir aucun don, en lieu d’elle ?
Ie la rendray, puis qu’il eſt raiſonnable,
Mais propoſez, par moyen convenable,
De me pourveoir d’honneſte recompenſe :
Ou autrement, maulgre ta reſiſtence,
I’auray le tien, ſi condigne me ſembles
Ou cil d’Ajax, & d’Uliſſés enſemble :
Sans me chaloir, combien dolent ſera,
Qui ſon butin pour lors me laiſſera.
Et au ſurplus laiſſant tout ce langage,
Ie ſuis d’avis qu’on dreſſe l’equipage
D’une grand nef, de bons patrons garnie,
Et que la Dame, ayant pour compagnie
L’un d’entre vous, ſoit honorablement
Menée au pere : & la devotement
Dreſſes autelz, & offert ſacrifice,
Pour Apollo vers nous rendre propice.
    Quand Achillés eut tres bien entendu
Agamemnon, fut par luy reſpondu,
Le regardant (en fureur) de travers :
Ô impudent, Ô deceveur pervers,
Qui eſt le Grec, qui prompt ſe monſtrera
De t’obeir, & qui ſ’acouſtrera
Pour batailler, ſouſtenant ton party ?
Certainement je ne ſuis pas ſorty
De mon pays, pour venir outrager
Les fors Troyens, ne pour d’eux me venger :
Car onc ilz n’ont par tumulte de guerre,
Prins le beſtail, ne les fruictz de ma terre :
Il y a trop entre-deux de montagnes,
Trop large mer, trop deſertz, & campaignes.
Tant ſeulement moy, & toute ma ſuite
Sommes venus icy ſous ta conduire,
Paſſans la mer, non point pour noſtre affaire,
Mais pour venger Menelaus ton frere :
Et maintenant ſans adviſer le bien,
Que l’on te faict (Ô viſage de chien)
Lors que devrois me rendre quelques graces,
De me priver de mon bien me menaces.
Ie dy mon bien : mien eſt il vrayement,
L’aiant gaigné, combatant vaillamment.
Lequel les Grecs, pour ample teſmoignage
De ma vertu, m’ont donne du pillage.
I’ay bien raiſon mieux que toy de me plaindre,
Touſjours ma part du butin eſt la moindre,
Bien que je ſoye aux aſſaultz le premier,
Et en bataille à vaincre couſtumier :
Ce neantmoins mon eſprit ſe contente
De ce qu’alors on me baille, ou preſente.
Et pour-autant qu’il eſt meilleur de vivre
En paix chez ſoy, qu’icy la guerre ſuyure
Sous tel Tyran, je veux monter ſur mer
Demain matin : faire voyle, & ramer,
Pour retourner en mon pais de Phthie,
Et toy perdant la plus grande partie
De ton honneur, icy demeureras,
Et tes grans biens en vain conſumeras.
    Si ton eſprit (dict Agamemnon lors)
Le veult ainſi, va t’en, va t’en dehors,
Ou te plaira : Car en nulle maniere
Ne te feray pour t’arreſter priere.
D’autres y a qui voudront demourer
Avecques moy, deſirans m’honorer.
Et meſmement Iuppiter le hault dieu,
Ne me lairra deſpourveu en ce lieu.
Tu es celuy entre les Roys & Princes,
Ô Achillés, qui plus me mords & pinces,
Tu es celuy qui prends tous tes eſbatz,
D’entretenir querelles & debatz,
Te confiant en ceſte force extreſme,
Qui vient des dieux, & non pas de toy meſme.
Va hardiment avec ta belle bande
De Myrmidons, & deſſus eux commande :
Car je ne prens faſcherie ou ſoucy
De ton depart, ne de ton ire auſſi.
Et ce pendant pour dompter ton audace,
Eſcoute bien ce dont je te menace.
Puis que Phœbus le dieu veult & ordonne,
Que maintenant Chryſeis i’abandonne :
Elle ſera ſans tarder renvoyée
Au vieil Chryſes, de mes gens convoyée :
Mais quant & quant dedans ta grande Tente,
I’iray querir Briſeida la gente,
Ta bien-aymée ; afin qu’on puiſſe veoir
De combien eſt plus haultain mon pouvoir
Que n’eſt ta force, & que doreſnavant,
Nul tant hardy, ne ſe mette en avant,
De ſe vouloir à moy equiparer.
    Aigre douleur ſe vint lors remparer
Aupres du cœur d’Achillés, qui batoit
Dans ſa poictrine, & tres fort debatoit,
S’il devoit lors de ſa grand Cymeterre,
Getter tout mort Agamemnon par terre
Et deſpartir toute celle aſſemblée,
Ou appaiſer ſa penſée troublée.
Mais la fureur ci fort le domina
Maulgré raiſon, que adonc il deſguaina.
    Surquoy Iuno qui ce cruel debat
Oyoit du Ciel, & voyoit le combat
Qui ſ’appreſtoit,voulant les deux defendre,
Feit promptement Pallas en bas deſcendre.
Qui ſ’approchant d’Achillés, doucement
Prins ces cheveux, lequel ſoudainement
Se retira, cognoiſſant la Déeſſe,
À qui les yeux eſtinceloient ſans ceſſe :
Qui touteſfois ne fut d’autre cognue
Que de luy ſeul. Si luy dict : Ta venue,
Dame Pallas divine geniture,
Eſt-elle icy pour cognoiſtre l’injure
Qu’Agamemnon me faict : apertement ?
Laiſſe moy faire, & tout ſubitement
Tu le verras, par ſa grande ſuperbe,
Eſtre ſans teſte, & tomber deſſus l’herbe.
    Venue ſuis icy (dict lors Pallas)
Pour à ton dueil donner quelque foulas,
Si ainſi eſt, qu’il ne te ſoit moleſte,
De te regir par le conſcil celeſte.
Dame Iuno, qui vous ayme tous deux,
Appercevant le combat haſardeux,
Qui ſe dreſſoit, m’a faict cy bas venir.
Tant ſeulement pour te faire abſtenir
De le fraper. Or donc je t’admonneſte
De renguainer : car ce n’eſt point honneſte
Revenge toy, luy diſant mainte injure :
Et tien toy ſeur, que ſa grand forfaicture
Sera moyen, que pour les tortz ſouffers,
Il te ſera de tres beaux dons offers
À l’advenir, ſi ton entendement
Veut obeir à mon commandement.
    C’eſt bien raiſon, & plus que neceſſaire,
Dict Achillés, d’entierement parfaire
Ce que les Dieux mettent en la penſée
D’une perſonne : encor que courroucée
Soit à bon droit car leur haulte puiſſance
Ayme ſur tout l’entiere obeiſſance.
Et cil qui n’a leur mandement paſſé,
Sera touſjours en ſes veux exaucé.
Diſant ces motz meit ſon glaive peſant
Dans le fourreau argentin & luyſant :
Et la Déeſſe abandonna ces lieux,
Et ſ’en monta au Ciel avec les Dieux.
    Ce temps pendant la fureur ne ceſſoit
Au vaillant Grec, ains plus ſe renforcoit :
Et derechef, regardant au viſage
Agamemnon, uſa de tel langage.
    Ô grand yvrogne en maintien reſſemblant
Ung chien mutint : mais de cœur plus tremblant
Que n’eſt ung Cerf, eſtant mis aux abboys :
Laſche couard, meſchant, entre les Roys
Qui onc n’oſa t’acouſtrer de tes armes,
Hanter aſſaulx, eſcarmouches, alarmes :
Encores moins adreſſer quelque embuſche :
Craignant touſjours qu’on y meure, ou treſbuche
Cruel Tyran qui le peuple devores,
Et prens plaiſir quand quelcun deſhonores,
Grand oppreſſeur, & rongeur des petitz
Contrarians à tes faulx appetitz,
Si j’eus le creu n’aguetes mon courage :
Tu n’euſſes faict jamais à nul dommage,
Car tout ſoudain, ſans nul eſpoir de grace,
Ie t’euſſe mort eſtendu ſur la place.
Or à preſent, eſcoute le Serment
Que je feray : Par ce digne ornement
Sceptre Royal, que je tiens en ma dextre,
Sur qui jamais fueilles ne pourront naiſtre
Ayant perdu la verdeur de ſon bois :
Vray ornement des juges qui les loix
De Iuppiter practiquent aux humains :
Vng iour viendra, que pour fuyr des mains
Du grand meutrier Hector, qui deffera
Grand part des Grecs, on me deſirera.
Et toy, ſurpris d’aigre melancolie,
Recognoiſtras ta meſchance & folie,
D’avoir ainſi laſchement deſpriſé,
Cil qui devoit eſtre le plus priſé.
    Ces motz finis, il gecta par grand ire
Son Sceptre en terre, & apres ſe retire.
Puis va ſ’aſſeoir : Et de l’autre coſté
Agamemnon de courroux tranſporté,
Continua la faſcheuſe querelle :
Voulant avoir Briſeis la tres belle.
    Sur quoy Neſtor le doux & beau parleur,
Qui des haultz cieux avoit receu tel heur,
Que plus que miel, douce eſtoit la harangue,
Qui decouloit de ſa diſerte langue :
Ayant auſſi par divin advantage,
Deſja veſcu juſques au troiſieſme eage :
Se mit debout, & devant l’aſſiſtence,
Mit en avant ſon ſcavoir & ſa prudence.
    Ô quel malheur, Ô quelle perte expreſſe,
Ie voy tomber ſur le pays de Grece :
Ô quel plaiſir. Ô quel eſpoir auront
Priam, ſes filz, & ſubjectz, quand ſcauront
En noſtre camp, par colere enflammée,
Eſtre en debat les plus grands de l’armée.
Laiſſez, laiſſez ce diſcord & courroux,
Et me croyes, qui ſuis plus vieil que vous,
I’ay converſé ſouvent avec pluſieurs,
Plus grands de force, & de conſeil meilleurs
Que nul de vous, leſquelz m’ayans ouy,
À mon conſeil ont touſjours obey,
Ie ne vey onc, & ne penſe encor veoir,
Morcelz pourveus de l’audace & pouvoir,
Qu’eſtoient jadis Pirithoüs, Theſée,
Dryas remply de prudence priſée,
Exadius, Ceneis, Polypheme,
Eſgaux aux dieux, qui par puiſſance extreme
Mirent à mort les Geans, & Lapithes :
Dont juſqu’au Ciel en volent leurs merites.
Ceux-là ſouvent m’appelloient avec eux,
Pour batailler en combatz perilleux :
Contre leſquelz, homme qui ſoit vivant
N’euſt hazardé de ſe mettre en avant.
Et tellement ſ’arreſtoient à mon dire,
Que je n’en veis oncques un contredire.
Si vous voulez ainſi vous gouverner
Par le conſeil que je vous veux donner,
Vous ferez bien. Or à toy je m’adreſſe
Agamemnon, Ne prens la hardieſſe,
(Bien que tu ſois le premier en degré)
De le vouloir priver outre ſon gré,
De Briſeis dont les Grecs par enſemble
L’ont guerdonné. Quant à toy il me ſemble
Ô Achillés, que tu te devrois taire,
Sans conteſter de parole au contraire.
Car tous les Roys,qui ſceptres ont portes,
Oncques ne ſont en ſi hault lieu montes,
Comme ceſtuy à qui Iuppiter donne
Sur les plus grands les ſceptre & la courone.
Si ta force eſt plus grande que la ſienne,
C’eſt par Thetis, qui eſt la mere tienne :
Ce nonobſtant, il a plus de puiſſance.
Car plus de gens luy ſont obeiſſance,
Et toy auſſi (Agamemnon) appaiſe
Doreſnavant ceſte fureur mauvaiſe,
Sans abuſer de ton authorite.
    Semblablement ſi j’ay dict verité :
Ie te ſupply que pour l’amour de moy
(Ô Achillés) tu chaſſes ceſt eſmoy,
Te demonſtrant (ainſi que tu ſoulois)
Ferme rempart de tout le camp Gregeois.
Ce que tu dis, Ô vieillart honorable,
(Dict le grand Grec) n’eſt que trop raiſonnable :
Mais ceſtuy-cy, par ſa fierté de coeur,
Veult eſtre dict, le ſeigneur, le vaincqueur :
Tout veult regir, tout commander auſſi :
Mais ſi je puis, ne ſera pas ainſi.
Car, eſt il dict, ſi la divine eſſence
L’a faict ; tres fort, qu’il ait auſſi licence
D’injurier chacun à tous propos ?
    Lors Achillés qui n’eſtoit en repos,
Print la parole, & diſt : Certainement
Couard ſeroye, & meſchant plainement,
Si tout ainſi qu’il te vient à plaiſir,
I’obeiſſoye à ton propre deſir.
Commande ailleur : & quand à moy n’eſpere
Doreſnavant, qu’en rien je t’obtempere.
Encor te veux d’une choſe aſſeurer,
Que tu dois bien crainte, & conſiderer,
C’eit à ſcavoir, que je n’auray querelle
En contre toy, pour l’amour de la belle,
Ny contre autruy te voyant obſtiné
À me priver du bien qu’on rn’a donné :
Mais garde toy ſur peine de ta vie,
Qu’il ne te preigne à l’advenir envie
De vouloir prendre, outre le mien vouloir,
Les autres biens qui ſont en mon pouvoir,
Dans mes vaiſſeaux : car ce ſeroit en vain.
Et ſi tu es tant brave, & inhumain,
Advance toy, pour monſtrer ta vaillance :
Et l’on verra tout ſoudain, par ma lance
Couſler ton ſang, & toy mort abatu.
    Ayant ainſi longuement debatu,
Comme deſſus, le conſeil ſe leva
Sur ce propos  : & Achillés ſ’en va
Gaigner ſa tente, avec ſa compagnie.
    Agamemnon une nef bien garnie
Feit mettre en mer, & vingt rameurs exquis,
Sans oublier ce qui eſtoit requis
Au ſacrifice. Apres miſt en icelle
Honneſtement : Chryſeis la pucelle :
En luy baillant, pour patron Uliſſés :
Duquel les Grecs eſtoient tous ſurpaſſes
En bon conſeil, & en douce faconde.
S’y vont nageans tout à gré parmy l’onde :
Ayans eſpoir, avec le vent proſpere,
De retrouver bien toſt Chryſes ſon pere.
    D’autre coſté pour mieux ſacrifier,
Agamemnon feit tout purifier ;
Le camp des Grecs : & l’ordure jeter
Dedans la mer, apres feit apporter
Sur grans autelz, au beau bord de la rive,
Toreaux, brebis, & la chievre laſcive :
En les offrant à Phœbus, pour l’armée,
Devotement : dont l’eſpeſſe fumée
Avec l’odeur, ainſi qu’on les bruſloit,
À veue d’œil aux cieux droict ſ’en alloit
Le peuple auſſi, en diverſes manieres,
Feit lors aux dieux requeſtes & prieres.
    Mais pour cela l’ire ne delaiſſoit
Agamemnon, ains plus fort le preſſoit,
Iuſques à tant qu’il euſt Briſeis eue
À ſon vouloir, pour Chryſeis perdue.
Soudainement appella deux heraux,
Qu’il eſtimoit du camp les plus feaux :
L’un dict Talthybe, & l’autre Eurybates,
Auſquelz il diſt. Ô heraulx, eſcoutez,
Allez trouver Achillés en ſa tente,
Et m’amenes toſt à l’heure preſente,
Sa Briſeis, ou ſ’il ne m’envoye,
Ie me mettray incontinent en voye
Pour l’aller querre : & maulgre ſon vouloir
L’ameneray, dont ſe pourra douloir.
Ainſi parla diſant pluſieurs paroles,
Encores plus outrageuſes, & foles.
    Or ſont venus les heraux, en peu d’heure
Au pavillon ou faiſoit ſa demeure
Le vaillant Grec. Mais apres l’avoir veu,
Chacun d’eux fut de grand frayeur pourveu :
Craignans deſplaire à Prince tant puiſſant.
Lequel ſi toſt, qu’il fut les cognoiſſant,
(Combien qu’il euſt triſteſſe en ſon courage)
Les ſalua, & leur feit bon viſaige.
    Approches vous Ô divins rneſſagers,
Approchez vous, ſans craindre nulz dangers.
Ce n’eſt pas vous, à qui faire je doy
Tort de cecy, c’eſt à voſtre fol Roy
Agamemnon qui par ſa tyrannie
Me veult oſter la douce compaignie
De Briſeis, que je tiens ſi tres chere.
Or Patroclus, vray compagnon & frere.
Mene la belle, & la baille en leurs mains.
Et vous heraux, devant tous les humains,
Devant les dieux, & devant ce Tyrant,
Qui de ſon ſens va touſjours empirant,
Soyes teſmoingz, ſi au temps advenir,
Pour au danger de ce camp ſubvenir,
Les Grecs avoient beſoin de mon ſecours,
Ce fol reſueur eſt hors de bon diſcours,
Loing de conſeil, & ne ſcait pas entendre,
Qui eſt celuy qui a peu l’oſt defendre
juſques icy, & qui a la puiſſance
De le tenir toujours en aſſeurance.
    Sur ces propos, Patroclus amena
La damoyſelle : & aux mains la donna
Des deux heraulx : qui ſans plus ſejourner,
Ont pris chemin, pour aux nefz retourner
D’Agamemnon, & luy rendre la belle :
Qui ſ’en alloit, contre le vouloir d’elle.
    Par ce depart, furent adnichiles
Tous les plaiſirs du vaillant Achillés.
Car la douleur ſi fort le martyra,
Qu’en larmoyant, du tout ſe retira
Loing de ſes gens : & pour ſon dueil amer
Mieux ſupporter, ſur le bord de la mer
Se contenoit : dreſſant ſa plaindre amere
Souventes fois, envers Thetis ſa mere.
    Puis qu’en naiſſant, la dure Deſtinée,
(Ce diſoit il) m’a la vie ordonnée
De bien peu d’ans, Iuppiter qui tout voir,
Vng peu d’honneur departir me deuoit
Avant la mort : ſans vouloir, ne permettre
Qu’Agamemnon me peuſt ainſi deſmettre
De mon foulas : prenant d’authorité
Le noble don que j’avois merité.
    Du plus profond de la mer large & creuſe
Ouyt Thetis la complaincte piteuſe
De ſon cher filz : & laiſſant le vieil pere
Oceanus en ſon marin repaire,
Diligemment, en ſemblance de nue,
Vers le dolent Achillés eſt venue.
    Maint doux acueil, mainte belle careſſe
Luy feit, diſant : Mon cher filz, helas qu’eſt-ce ?
D’où vient cecy ? las qui a ta penſée
Si rudement aſſaillie & bleſſée ?
Compte le moy, afin que ie cognoiſſe
Avecques toy ta douloureuſe angoiſſe.
    Eſt-il beſoin (diſt-il, en ſouſpirant)
Que la douleur qui me va martyrant,
Ie te declaire, ayant cogneu aſſez
Le tort à moy faict par ces jours paſſez ?
    Tu ſcais tres bien que pour faire dommage
Au Roy Priam, & tout ſon parentage,
Mainte cité, ſa ſubjecte & voiſine,
À eſté miſe en totale ruine
Meſmes la ville au grand Roy Aetion,
Par mon effort fut à deſtruction :
Et le butin, de la priſe ſorty,
Eſgalement aux ſoudars departy.
Dont Chryſeis d’excellente beauté
Fut delivrée au choix, & volunté
D’Agamemnon, qui pour ſoy la garda.
Le vieil Chryſes guere apres ne tarda
De ſ’en venir en ce camp, pour ravoir
Sa belle fille, offrant pour le devoir
De ſa rancon, maint beau preſent honeſte.
Faiſant à tous humblement ſa requeſte,
Et meſmement à cil qui dominoit,
Et la pucelle en ſon vaiſſeau tenoit.
Sur ſoy portoit le digne acouſtrement
Du clair Phœbus : afin que promptement
On l’entendiſt. Et lors fut arreſté,
Qu’on la devoit remettre en liberté,
Et recevoir les beaux dons par eſchange.
Mais noſtre chef trouva l’advis eſtrange :
Et maulgré tous, au vieillard ſ’adreſſa,
Plein de colere, & tres fort le tenſa.
Qui fut marry, ce fut le bon Chryſés,
Voyant ainſi ſes preſentz refuſéz,
Par quoy dreſſa ſa devote priere
Au clair Phœbus, qui ne la mit arriere :
Car en bref temps on veit corps infiniz
De dure peſte affoiblis & terniz,
Lors cognoiſſant le miſerable cas
Des Grecs mourans : que le prudent Calchas
Diſoit venir d’Apollo mal content,
Ie fus celuy qui au peuple aſſiſtant
Perſuaday le Dieu pacifier.
Ce qui deſpleut à l’orgueilleux & fier
Agamemnon : qui ſoudain commenca
À m’outrager, voire & me menaca,
Diſant tout hault : que eſt le ſienne perte,
Seroit en bref deſſus moy recouverte.
Si n’a failly à l’execution.
De ſa perverſe & faulſe intention.
Car ſur le poinct qu’on montoit Chryſeis
Sur la galere, on a pris Briſeis
Dedans ma tente, & voulſiſt elle ou non,
On la conduire au Roy Agamemnon :
Qui m’a privé par ſa voye de faict,
Du beau preſent, que le camp m’avoit faict.
Or ſi tu peux (comme je ſuis certain
Que ton pouvoir eu tres grand & haultain)
Donne ſecours, à ton douloureux filz,
Duquel les ſens ſont en douleur confictz,
Monte a hault, & pour la recompenſe
Que Iuppiter te doit de la defenſe
Que tu luy fis, le tirant de danger,
Obtiens de luy conge de me venger.
Il me ſouvient t’avoir ſouvent ouye
Glorifier, qu’il tient honneur & vie
Par ton moyen & que ſans toy, Neptune
Accompagne de Iuno l’importune
Et de Pallas, avoit la entrepris
De le ſurprendre, & apres l’avoir pris
Les bras liés, le faire cheoir des cieulx.
Mais leur deſſeing dur & malicieux,
Fut prevenu : Car deſcendant en terre
Tu fis venir ſur l’Olympe grand erre
Briarëùs, le Geant à cent mains
Dict Egëon, le plus fier des humains,
Qui eſtonna ſi fort par ſa fierté
Le Dieu Marin, & l’autre Deité :
Que Iuppiter ſouverain demoura,
Et contre luy plus on ne murmura.
Va t’en ma mere, & remetz en memoire
À deux genoux devant luy ceſte hiſtoire :
Luy requerant en faveur du ſervice,
Que ſon vouloir vers les Troyerns flechiſſe :
En leur donnant deſormais le courage,
De repouſſer les Grecs iuſqu’au rivage,
Mortz, ou bruſlez, en cruel deſarroy
Souffrans ce mal, à cauſe de leur Roy.
Qui pourra lors avoir la cognoiſſance
De ſon meſchef, & fiere oultrecuydance :
D’avoir ſi peu la proueſſe eſtimée
Du plus vaillant, & meilleur de l’armée.
    Helas mon filz, à quoy t’ay je nourry ?
(Reſpond Thetis ayant le coeur marry,
Et l’œil en pleur) helas que n’eſt ta vie,
(Puis qu’en brefs jours te doit eſtre ravie)
Pleine de joye, & vuide de douleur.
T’ay-ie conceu, cher filz à ce malheur
Ta Deſtinee eſt elle ſi tres griefue,
De te donner vie dolente, & brieſue ?
Puis qu’ainſi va, je feray mon devoir
De te complaire, & le feray ſcavoir
À Iuppiter, en luy perſuadant
Doreſnavant qu’il ſoit ton los gardant.
Mais pour autant qu’il partie avant hier
Avec les Dieux, pour aller au quartier
De l’Ocean, ou les Aethiopiens
L’ont invite & les Dieux anciens
Il reſtera encor à revenir
Par onze jours : Mais j’auray ſouvenir
À ſon retour, de luy faire requeſte.
Or ce pendant, mon filz, je t’admonneſte
De ne vouloir aucunement combatre,
Ains t’efiouir ſur la mer, & eſbatre
Dans tes vaiſſeaux afin de faire entendre
Aux Grecs le dueil qui t’eſt venu ſurprendre.
    Apres ces motz de ſon filz ſe partit,
Et Achillés des vaiſſeaux ne ſortit,
Ayant ſon âme oultrée, & tranſportée,
Pour Briſeis, qu’on luy avoit oſtée.
    En meſme temps Uliſſés navigua
De vent propice, & en fin tant vogua,
Qu’il aborda, & la dame gentile
Au tres beau port de Chryſa la fertile.
    Soudainement feit les voiles deſcendre,
Cordes ſerrer, & le grand maſt deſcendre
Dans la Courſie, à la poupe attacher
Ancres crochuz, & en terre ficher.
Puis feit jetter hors la munition,
Qu’il apportoit pour ſon oblation.
Finablement conduyſant la pucelle
Honneſtement par deſſous ſon eſſelle,
S’en va tout droict au temple ſpacieux
Du Dieu Phœbus : ou de cœur gracieux
La delivra entre les mains du pere,
En luy diſant, Chryſes preſtre proſpere,
Agamemnon qui ſur les Grecs commande,
Preſentement par devers toy me mande
Pour t’amener ta fille, & pour offrir
Les veux au Dieu Apollo, qui ſouffrir
À faict aux Grecs maint dangereux malaiſe :
À celle fin que ſa. fureur ſ’appaiſe.
    Le bon vieillard joyeux de l’aventure
De recouvrer ainſi ſa geniture,
Soudainement commande d’appreſter
Le ſacrifice : & quant & quant porter
Fouaſſes d’orge. Apres ſes mains lavées,
À droict aux cieux joinctz & efleurées :
Criant tout hault, Ô Apollo puiſſant,
Qui de tes dards es le tout tranſpercant,
Clair Apollo, Phœbus à l’arc d’argent,
De Tenedos, Cille & Chryſe regent :
Si quelque fois il t’a pleu, de ta grace,
Ouïr mes plainctz, & monſtrer l’efficace
De ton courroux ſur les Grecs affligez,
Puis qu’il ſe ſont à ton vouloir rengez,
Ie te ſupply de ton vouloir changer :
Et de leur camp l’aigre peſte eſtranger.
Ainſi prioit, & Phœbus l’exauca :
Puis tout ſoudain cette peſte ceſſa.
    Les oraiſons, & prieres finies,
Furent illec les offrandes fournies.
Maincte brebis fut morte, & eſcorchée,
Maint beau gigot & cuiſſe detranchée,
Miſes au feu : puis avec rouge vin,
Le bon Chryſes au ſervice divin
Tres ententif tout l’autel perfuma,
Et un gros feu au deſſus alluma.
    Quand les gigotz des occiſes hoſties,
Et autres chairs, furent tres bien roſties,
Tant ſur le gril, qu’avecques cinq grans broches
Incontinent chacun feit les approches,
Pour en menger. La faiſoit il beau veoyr
Ces mariniers faiſans bien leur devoir :
Car en mengeant, il y fut beu d’autant,
Tant & ſi bien que chacun fut content.
    Ayans repeu, ne fut paſſé ce jour,
Par Vliſſés, & les Grecs en ſejour :
Ains à chanter hymnes, & chantz eſtranges,
Pour decorer Apollo de louanges :
Dont le doux chant venant à ſes oreilles,
Luy miniſtroit un plaiſir à merveilles.
    La nuict venue, Vlyſſés ſe coucha
Dans ſa Galere. Et quand l’aube approcha,
Chacun ſ’appreſte à voguer & ramer,
Dreſſans le maſt ſinglant en haulte mer :
Si qu’en bref temps avec l’ayde de Dieu,
Qui leur donna le vent par le milieu
De la grand, voile, ilz vindrent prendre terre,
Droict au beau port, ou ſe faiſoit la guerre.
Luy arrivé, on jecta le vaiſſeau
Diligemment, deſſus le bord de l’eau.
Et cela faict, un chacun ſe retire
Deſſous ſa tente, ou dedans ſon navire.
    Durant cecy Achillés ſe tenoit
Au pavillon, & n’alloit ny venoit,
Fuſt en combat ou bien en aſſemblée,
Tant il avoit ſa penſée troublée,
La conſumoit ſon vaillant perſonnage,
Produict au monde à trop plus digne ouvrage
Ne deſirant, que de voir quelque alarme
Au camp des Grecs, que le Troyen gendarme
Leur vint donner, pour faire un vray diſcours,
Quand, & combien leur valoit ſon ſecours.
    Eſtant deſja le jour prefix venu,
Que Iuppiter ſ’en eſtoit revenu
De l’Occan, du ſolennel feſtin :
Thetis ſortit de la mer un matin,
Monta aux cieux & veit en une part
Aſsis le Dieu Iuppiter à l’eſcart.
Si ſ’approcha & ſes genoux embraſſe
Du bras ſeneſtre, & d’une bonne grace,
(Tenant la dextre au menton doulcement)
Ouvrit ſa bouche, & luy diſt humblement.
    Si quelquefois, Pere tres redoubté,
I’ay ſecouru ta haulte Maieſte
De mon pouvoir, ores je te ſuply,
Que mon deſir ſoit par toy accomply.
Rends à mon filz, puis qu’il fault qu’il ne vive
Qu’un peu de temps, l’honneur dont on le prive.
Fay que l’injure à grand tort ſouſtenue,
Soit en brefz jours d’Agamemnon cogneue
Donnant aux Grecs une craincte indicible,
Et aux Troyens une force invincible :
juſques à tant que du camp tourmenté
Luy ſoit l’honneur rendu & augmenté.
    Au doux parler de Thetis, le grand Dieu
Ne feit reſponſe : ains ſans partir du lieu
Se tint tout quoy, bien avant en penſée.
Dont la Deeſſe eſtant deſja laſſée
Du long ſilence encor d’humble maniere
À deux genoux luy dreſſa ſa priere.
    Accorde moy, Iuppiter, ou refuſe
Ce que ie veux ſans me tenir confuſe,
Veu meſmement que craincte n’a ſur toy
Aulcun pouvoir : donc declaire le moy,
À celle fin que je ſoye adviſée,
Combien je ſuis aymée, ou meſpriſée.
    Ô grief danger (reſpondit Iuppiter,
En ſouſpirant) ſ’il me fault irriter
Iuno ma femme, & la rendre adverſaire.
C’eſt celle la, que j’ay touſjours contraire
Entre les Dieux, diſant que je ſupporte
Ceux de Priam, & leur tiens la main forte.
Pour garder donc, qu’elle ne puſſe entendre
Noſtre deſſeing il t’en convient deſcendre,
En t’aſſeurant avant qu’il ſoit longtemps.
D’executer tout ce que tu pretends.
Et pour oſter la deffiance vaine
De ma promeſſe aſſeurée & certaine,
Ie te ſeray des maintenant un ſigne,
En inclinant bas ma teſte divine :
Signe infallible, & certain en tous lieux
Quand je prometz quelque grand choſe aux Dieux
Soudainement feit ſa teſte branſler,
Et les ſourcilz telement eſbranſler :
Qu’au ſeul mouvoir de ſa perruque ſaincte.
Le grand Olympe en trembla tout de craincte.
    Apres cecy, Thetis ſ’en deſcendit
En mer profonde, & le Dieu ſe rendit
En ſa maiſon, & celeſte contrée :
Ou fut par luy la tourbe rencontrée
Des autres Dieux : qui ſans nul exempter,
Se vindrent tous au devant preſenter
Tres humblernent. Si ſ’aſſiſt parmy eux
Deſſus ſon troſne, inſigne & glorieux.
    Adonc Iuno de grand colere eſpriſe,
Qui la ſcavoit la ſecrete entrepriſe
De Iuppiter, faicte au deſadvantage
Du camp Gregeois, qu’elle avoit au courage :
Incontinent de cœur audacieux,
Luy dict ainſi. Ô Dieu malicieux,
Quelz bons propoz, par ſubtile maniere,
As tu tenus avec la Mariniere ?
D’où vient cela que tu ne communiques
Avecques moy tes conſeilz & pratiques ?
Prenant plaiſir, que tes choſes couvertes,
Aux autres ſoient, non à moy deſcouvertes.
    N’eſpere point (reſpondit il adonc)
Scavoir ainſi tous mes ſecretz du long :
Ce te ſeroit choſe treſ-mal-aiſée :
Bien que tu ſois ma ſeur & eſpouſée.
Mais des conſeilz que tu pourras ſcavoir
Touſjours ſeray envers toy mon devoir.
Et n’y aura Dieu de ſi haute affaire,
À qui plus toſt qu’à toy je les declaire.
Doncques ſi j’ay tel advis propoſé,
Que ie ne veux à nul eſtre expoſé,
Tu ne dois point plus avant me preſſer,
Pour le cognoiſtre : ains en paix me laiſſer.
    Las qu’aſ-tu dict, reſpondit la Deeſſe,
Ô Iuppiter, faſcheux, plein de rudeſſe :
Quand ay je eſte ſi fole & indiſcrete,
Taſchant ſcavoir quelque choſe ſecrete.
Mais toy maling concluds & deliberes
Toujours ſans moy, tes plus prives affaires,
Ce qui me faict à preſent ſoucieuſe,
Ayant cogneu Thetis malicieuſe,
À ce matin aſſiſe aupres de toy.
Si crains tres fort, qu’elle ait eu quelque octroy
En ta faveur pour ſon filz revenger :
Et les Grecs mettre en perilleux danger.
    À quoy le Dieu reſpondit : Ô felonne,
Impoſſible eſt que jamais rien j’ordonne
Que ton faux cœur plein de ſuſpicion,
N’entende à plain la mienne intention.
Mais d’autant plus que m’en cuydes diſtraire,
D’autant, ou plus, je fais tout le contraire :
Tant ſeulement pour mieux te moleſter,
En te voyant à mon vueil conteſter.
S’il eſt ainſi que j’aye faict promeſſe
De quelque choſe à Thetis la Deeſſe,
Et tu cognois que ce m’eſt agreable,
Que n’eſt adonc ta volunté ſemblable
Or va t’aſſeoir, que je n’oye parole
Doreſnavant ſi temeraire & fole :
Dont quelque fois tranſporté de courroux,
De mes deux mains, je te baille telz coups,
Que tous les dieux qui ſont en l’aſſiſtence,
Ne puiſſent rien pour ton ayde & deſfence.
    Ceſte menace ainſi rude & terrible,
Rendit Iuno plus craintive & paiſible :
Et ſ’en alla, en enclinant ſa face,
Avec les dieux, ſe remettre en ſa place.
Mais ce pendant la divine aſſemblée,
De tel debat, fut dolente & troublée.
    Surquoy Vulcan tout eſmeu de pitié
Envers Iuno, craignant l’inimitié
Paſſer plus outre, avec un doux parler,
Feit ſon devoir de bien la conſoler.
    Si ce deſpit, Ô ma tres chere mere,
(Diſoit Vulcan) entre vous perſevere,
Et que les Dieux celeſtes immortelz,
Prennent querele à cauſe des mortelz,
Certainement je voy une ruine
Deſja venir ſur ceſte gent divine :
Et les bancquete dont nous ſommes repeuz
Finablement troublez & corrompuz,
Non ſans raiſon : Car en pareil malheur
Touſjours le pis ſurmonte le meilleur.
Il eſt beſoin, Ô ma mere honorable.
De te monſtrer plus douce & amiable
Envers mon pere, ainſi que tu l’entens :
Ou autrement tes rigoreux contendz,
Seront moyen que les dieux toy, & moy,
Nous trouverons un jour en grand eſmoy.
Il eſt puiſſant & ſe courroucera :
À pres des cieux tous nous dechaſſera,
Ainſi ſera le plaiſir des bancquetz,
Le paſſetemps les amoureux caquetz,
Et le deduict de la haulte maiſon
Extermine ſans aucune raiſon.
Pour eviter doncques ſi grand danger
Ie te ſuply, à ton vueil te renger,
Parlant tout doux, & lors tu ne faudras
D’avoir de luy tout ce que tu voudras.
Sur ce propos Vulcan print une taſſe
De Nectar pleine, & de bien bonne grace
La preſenta à ſa mere, & luy dict.
Endure mere, & ne fais contredict
D’obtemperer (bien que dueil te ſurmonte)
À Iuppiter afin que plus grand’honte
Ne t’en advienne en te voyant batue,
Dont ie ne puiſſe (encor’ que m’eſvertue)
À ta defence aucunement pourveoir,
Ne reſiſter à ſon divin pouvoir.
Ne ſcais tu pas, que pour te ſecourir,
Ie fus jadis en peril de mourir ?
Quand ſa fureur ſi tres fort l’agita,
Que par un pied hors du Ciel me jecta,
Et fus en l’air rouant, & treſbuchant,
Vng iour entier juſqu’au Soleil couchant.
En fin tumbay, froiſſez membre & os,
Preſque ſans vie en l’Iſle de Lemnos :
Ou toutes fois par l’extreſme bonté
Des habitans je fus tres bien traicté.
    Oyant Iuno Vulcan ainſi luy dire.
Fut appaiſee, & ſe mit à ſoubzrire :
Puis print la coupe, arrouſant bouche & cœur
Du doux Nectar & celeſte liqueur.
    Beau veoir feit lors la plaiſante facon
Du dieu Vulcan qui ſervoit d’Eſchancon
À tous les dieux pource qu’à ſon marcher
On le voyoit des deux hanches clocher,
Cela cauſoit à la haulte aſſemblée,
Vng ris ſans fin, & lyeſſe doublée.
    Lors fut dreſſé le celeſte feſtin,
Lequel dura depuis le clair matin,
Iuſques au ſoir, d’appareil magnifique,
Et ſumptueux : Apres vint la muſique.
Phœbus joua de la harpe & les Muſes
Dirent chanſons ſans ſe monſtrer confuſes :
Ains accordans de plaiſante harmonie,
Pour reſjouir la digne compagnie.
    Finablement, eſtant le clair Soleil
Deſja couche, chacun plain de ſommeil,
Se retira en ſa maiſon à part,
Que le boiteux par ſon tres ſubtil art
D’architecture, avoit conſtruicte & faicte,


Et Iuppiter auſſy feit ſa retraite

Dedans ſa chambre, & puis il ſe coucha
Deſſus ſon lict, ou Iuno ſ’approcha.



FIN DV PREMIER LIVRE.


LE SECOND
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




LES DIEVX haultains, & les hommes auſsi,

Iuppiter ne peult dormir, pour le ſoing qu’il a d’Achillés.

Toute la nuyct dormirent ſans ſoucy.

Iuppiter ſeul, records de la promeſſe
Qu’il auoit faicte à Thetis la Deeſſe,

Fut ſans repos, ne ceſſant de penſer
Quelque moyen, pour Achillés haulſer
En grand honneur : & mouuoir quelque noiſe,
Au grief danger de l’armée Gregeoiſe.

Iuppiter parle au Dieu du ſonge.

    Si feit venir vers ſoy le Dieu des ſonges

Pernicieux, & porteur de menſonges :
Auquel il dict. Songe malicieux
Laiſſe ſoubdain le manoir des haultz cieux,
Et t’en deſcends promptement au nauire
D’Agamemnon, auquel tu pourras dire
Que de par moy bien exprés luy commandes,
Qu’il face armer toutes les Grecques bandes.
Car à preſent conuient que ſon empriſe
Soit acheuée, & que Troie ſoit priſe :
Veu que les Dieux diuiſez & partiz
(Quand à ce poinct) ores ſont conuertiz,
Perſuadez de Iuno, qui ſouhaite
De veoir en brief ceſte Cité deffaicte.

Le Songe vient trouuer Agamẽnon, & parle à luy.

    Le Dieu du ſonge (oyant le mandement

De Iuppiter) partit diligemment,
Et vint trouuer Agamemnon, ſurpris
De doulx ſommeil, recreant ſes eſpritz.
De luy ſ’approche : & ſe rendant ſemblable
Au bon Neſtor le vieillard honorable,
Luy diſt ainſy. Filz d’Atreus vaillant,
Dors tu icy ? ou ſi tu es veillant ?

Vng prince en guerre ne doibt dormir la nuyct entiere.

» Pas n’eſt raiſon qu’vng Prince ayant la charge

» De tant de gens, d’oyſiueté ſe charge :
» Car le ſoucy luy doibt donner matiere,
» De ne dormir ainſy la nuyct entiere.
Or entens donc ce que Iuppiter veult,
Qui tant t’honore, & de ton mal ſe deult,


Il te commande, & veult que tu ne failles,


Demain matin à renger tes batailles :
Car c’eſt le jour que la Cité de Troye,
Sera des Grecs entierement la proye.
Les dieux ne ſont ores plus diſcordans
Pour ceſt effect, ains à meſme tendans :
Voulans complaire à Iuno l’embraſée,
De grand ardeur de veoir Troye raſée :
À quoy auſſi Iuppiter ſ’eſt rengé,
Se cognoiſſant des Troyens outragé.
Or garde toy, & feras comme ſage,
À ton reſveil d’oublier mon meſſage.
    Lors ſ’envola laiſſant l’entendement
D’Agamemnon moleſté grandement :
Qui diſcouroit, comment pourroit parfaire
Choſe pour lors, tres mal ayſée à faire.
Certainement il luy doit à ce jour
Deſtruire Troye, & ſe mettre en ſejour :
Mais le grand fol eſtoit loing de ſon compte,
Car Iuppiter preparoit une honte
Et grand malheur (par ſes divins moyens)
À tous les deux, & Gregeois, & Troyens.
    Il ſe leva : & ſur ſa couche belle
Eſtant aſſis, & veſtit robe nouvelle :
Puis ſ’affubla d’un manteau grand & large,
Et quant & quant ſes piedz delicatz charge
De beaux ſouliers. Apres ceint une eſpée
De clouz d’argent ornée & diaprée.
Ainſy veſtu, & tenant en ſa dextre
Son paternel & non corrompu ſceptre,
Sort de ſa tente, & aux neſz ſ’eſt rendu,
Pour adviſer ſur le faict entendu.
    Sus le droict poinct qu’Aurora ſ’en montoit
Au hault Olympe, & la clarté portoit
Aux immortelz, avant le clair Souleil :
Agamemnon feit ſemondre en conſeil,
(Par ſes Heraulx, crians à haulte voix)
Grans, & petitz, de tout le camp Gregeois.
    Chaſcun y vint : mais avant reveler
Le tout au peuple, il voulut appeller
Ung peu à part les plus vieulx de l’armée.
Dont la prudence eſtoit mieulx eſtimée :
Auſquelz, eſtans dans le vaiſſeau aſſis
Du bon Neſtor il dict de ſens raſſis.
    Oyez, amys, ce que la nuict paſſée
Le divin Songe a mis en ma penſée.
Il eſt venu reſſemblant proprement
À ce vieillard, & m’a dict clairement :
Filz d’Atreus, fault il que tu repoſes
Lors qu’il convient penſer à autres choſes ?
L’homme prudent, ſubgect : a tant d’ennuys,
Ne doibt dormir ainſy toutes les nuictz.
Eſcoute donc ce que je te veulx dire
De par le Dieu Iuppiter qui deſire
L’advancement de ta grand renommée
Il te commande à renger ton armée
Demain matin, en ordre de combatre :
Car c’eſt le jour que tu pourras abatre
L’orgueil Troien, & prendre leur Cité
Les dieux ne ſont plus en diverſité
Pour les ſaulver Iuno leur ennemye,
Leur à ſi bien la penſée endormie,
Qu’ilz ſont d’accord : & meſmes Iuppiter
Contre Priam ſ’eſt voulu deſpiter.
    Ces mots finiz, le ſonge ma laiſſé
Et ie me ſuis devers vous adreſſé,
À celle fin, amys, que l’on adviſe,
Comme on pourra fournir ceſte entrepriſe.
En premier lieu, avant ſe mettre en armes,
I’eſprouveray le cueur de noz Gendarmes,
(Si bon vous ſemble) & ſouz ung doulx parler
Conſeilleray à tous de ſ’en aller,
En leurs maiſon : mais vous d’aultre coſté
Contredirez à ceſte volonté,
Les contraignant de parole, & de faict,
De ſ’arreſter, tant que tout ſoit parfaict.
    Adonc Neſtor, qui tres bien eſcouta
Agamemnon, debout ſe preſenta,
Diſant ainſy. Ô princes de renom,
Si l’un de nous autre qu’Agamemnon,
Nous racontoit avoir veu pareil ſonge,
Nous penſerions, pour vray, que fuſt menſonge :
Et quant & quand ſeroit à grand riſée
En nous mocquant, ſa fable refuſée.
Mais pour-autant que ſ’il qui le recite,
Eſt le plus grand de tout noſtre exercite,
Croire le fault. Parquoy ſans plus attendre
Ie ſuis d’advis que nous devons entendre
À ce qu’il dict, enhortant noz ſouldars,
De mettre au vent les Gregeois eſtendars.
    L’opinion de Neſtor fut trouvée
Alors treſbonne, & de tous approuvée,
Et ſur ce poinct, Agamemnon ſe part,
Suivy des Roys, pour tirer celle part.
Ou tout le peuple acouroit de grand zele,
Cuydant ouir quelque choſe nouvelle.
    Qui, aura veu mouſches à miel ſoigneuſes,
Sur le printemps ſortir des roches creuſes,
Et voletans à troupes & monceaux,
Sentir les fleurs des petitz arbriſſeaux :
Penſe qu’ainſy ſortoient de routes pars,
Grands & petitz, en divers lieux eſpars,
Suyvans leurs Chefz, & d’un ardant courage
S’aſſembloient tous ſur le bord du rivage.
    La Renommée à ſon aeſle legiere,
De Iuppiter tres prompte Meſſagiere,
Voloict par tout : & à voix redoublée,
Les incitoit d’aller à l’aſſemblée
Dont au grand bruit du peuple qui venoit,
Trembloit la terre, & l’air en reſonnoit.
Heureux eſtoit qui pouvoit d’aventure
Place trouver entre tant de murmure,
L’un preſſoit l’autre : & avec ce preſſer,
Taſchoit touſjours de plus pres ſ’avancer.
Mais les heraux par neuf fois tant crierent,
Qu’on feit ſilence, & les Grecs tant prierent
D’ouïr leur Roys, que chacun ſ’appareille
À leur preſter & l’eſprit & l’aureille.
    Agamemnon ce pendant ſ’appreſta,
Et ſur un lieu bien eminent monta,
Tenant en main le beau ſceptre doré,
Du dieu Vulcan jadis elaboré :
Qui le bailla par tres ſoigneuſe cure,
À Iuppiter, Iuppiter à Mercure,
Mercure apres en preſent le donna
Au grand Pelops : Pelops l’abandonna
À Atreus : & Atreus mourant.
Au fort Thieſte, avec le demourant.
Ce Sceptre apres vint en poſſeſſion
D’Agamemnon, par la ſucceſſion,
Du bon pays d’Argos, & autres villes,
En terre ferme avec ques belles iſles.
Se contenant donc ſur ce Royal ſceptre,
Iadis porté par Pelops ſon anceſtre,
Premierement ſon regard addreſſa
Deſſus le camp, puis ainſy commenca.
    De grieſve playe, & mal inſupportable,
(Ô peuple Grec, par armes indomptable)
M’a Iuppiter grandement affligé :
Et noſtre affaire en tout mal dirigé.
Avant qu’on vint icy faire la guerre,
Il me promit que nous mettrions par terre
Ceſte cité : & que ſans ſejourner,
Chaſcun pourroit en Grece retourner.
Mais à preſent, dont je ſuis eſbahy,
De luy me voy, & deceu & trahy.
Car en changeant ceſte volunté bonne,
Preſentement il conſeille, & ordonne,
Que l’on ſ’en voiſe, ayant ſi grieſve perte,
Par ſi longtemps, en ce ſiege ſoufferte.
Ainſy le veult ce grand dieu, qui abaiſſe,
Quant il luy plaiſt, toute force & haulteſſe :
Qui les Citez plus grandes extermine
De fondz en comble, & met tout en ruine.
Ô quel malheur, deveoir ſur mer flottans
Tant de vaiſſeaulx, tant de bons combatans
Icy par terre, & n’avoir onc ſceu prendre
Troie, qui n’a moyen de ce defendre.
Et qu’il ſoit vray, quand il ſeroit permis,
Que les Troiens comme noz bons amys,
Fuſſent nombrez, & les Grecs d’aultre part,
De dix en dix diviſez à l’eſcart,
En diſpoſant apres à cheſque troupe,
Ung ſeul Troien pour les ſervir de coupe :
On trouveroit encor pluſieurs milliers
De noz Gregeois, eſtre ſans Sommelliers :
Tant ſommes nous plus grande quantité
Que ne ſont ceulx, qui de nativité
Sont dictz Troiens. Il eſt bien veritable,
Qui eſt venu ung nombre innumerable
De nations, en volonté profonde
De les defendre, encontre tout le monde.
Cela me trouble, & ne ſcay que penſer,
Ne povant plus icy rien advancer.
Si par neuf ans, que nous avons tenu
Troie aſſiegée, ilz ont tant ſouſtenu
Tous noz efforts, que fault-il qu’on eſpere
Gaigner ſur eulx, fors honte, & vitupere ?
La les vaiſſeaux, & toute leur matiere
Sont corrompuz : il n’y a voile entiere :
Les Maſtz pourriz, Antennes, & Cordage
Tres mal en point pour faire long voyage.
D’aultre coſté noz femmes douloureuſes,
Sont par longtemps de nous veoir deſireuſes :
Oyans les criz des enfans à l’entour,
Tous ſouhaitans en bref noſtre retour.
Et nous dolens, fruſtrez de noſtre entente,
Perdons icy & l’honeur, & l’attente ;
Bien cognoiſſans, qu’il ne nous eſt poſſible,
De ruiner ceſte ville invincible.
Parquoy, amys, on ne ſcauroit eſlire
Meilleur conſeil, ſinon qu’on ſe retire,
Obeiſſant aux dieux, comme eſt raiſon :
Et que chaſcun ſ’en voiſe en ſa maiſon.
    Ceſte oraiſon prononcée à plaiſir,
Meit en l’eſprit des Gregeois ung deſir
Du partement : tant qu’on les veid mouvoir,
Faiſans grand bruys : ainſy que l’on peult veoir
Aucunes fois la grand mer agitée
Du vent Auſtral, lors que l’onde eſt jectée
Contre ung rocher, & faict horrible ſon.
Ou tout ainſy, qu’au temps de la moiſſon,
Le vent Zephyre, en trouvant par la plaine
Ung champ de blé, ſouffle de telle alaine,
Que les eſpiz des coups que ſ’entredonnent,
Sont ſi grand bruit, que les champs en reſonnent.
    Chacun couroit aux vaiſſeaux, de maniere
Qu’outre le bruit, ſe levoit la poulſiere
Bien hault en l’air, qui fort les moleſtoit :
Mais d’une ardeur l’un l’autre admonneſtoit,
De ſ’appreſter dreſſans maſtz, tendans voiles.
Tant que le cry montoit iuſqu’aux eſtoilles.
    Certainement à celle matinée,
Leur brief retour maugré la deſtinée
Eſtoit conclu, ſans Iuno la Déeſſe,
Qui tout ſoudain, vers Pallas print addreſſe,
En luy diſant : Ô tres indigne choſe,
Qu’au camp des Grecs, maintenant on propoſe.
Souffrirons nous, Ô Minerve ma mie,
Devant noz yeux ceſte laide infamie ?
Souffrirons nous les Grecs prendre la ſuite
Honteuſement, ſans veoir Troye deſtruicte ?
Heleine donc cauſe de ſi grand perte,
Demourera ſans eſtre recouuerte,
Au grand honneur, & louange immortelle
Du Roy Priam, & toute ſa ſequelle.
Si bien ſouvent ta divine éloquence
À faict : aux cœurs humains changer ſentence,
Il la convient maintenant employer,
Pour tel vouloir des Gregeois deſvoyer.
Deſcends là bas, & les retiens, de ſorte
Que nul vaiſſeau du port Troy en ne ſorte,
Iuſques à tant que la Grece outragée,
Soit par un feu entierement vengée.
    Quand la Déeſſe aux yeux verds entendit
Iuno parler, tout ſoudain deſcendit ;
Et vint trouver le ſubtil Vlyſſés,
Lequel avoit les autres Grecz laiſſez
Chargé de dueil, & angoiſſe infinie,
Voyant ſi mal ceſte guerre finie :
Qui toutes fois nul ſemblant ne faiſoit
De ſ’equiper tant fort luy deſplaiſoit.
    Eſt-il conclu, Ô Vlyſſés tres ſage ?
(Diſt lors Pallas) que ſi honteux paſſage,
Se parfeira, & qu’on verra fouir
Ainſy les Grecz, & les Troyens jouir
De la beauté, pour laquelle ravoir
Toute la Grece aſſembla ſon pouvoir ?
Souffrirez vous doncques telz raviſſeurs
Injuſtemenr en eſtre poſſeſſeurs ?
Va t’en aux Grecz, & par ton doux langage
Enhorte les de changer de courage,
En demourant icy tant que l’on voye
Ars Ilion, & la Cité de Troie.
    Le ſubtil Grec oyant la voix divine,
Sans faire arreſt, vers le camp ſ’achemine,
Et pour aller un peu plus promptement,
Il deſpouilla ſon grand accouſtrement,
Qui le preſſoit : lequel leva de terre
Ung des heraux qui le fuyvoit grand erre.
    Lors en courant, ainſi que par rencontre
Agamemnon luy vint droict à l’encontre,
Duquel il print le beau Sceptre doré,
Afin qu’il fuſt plus crainct & honoré.
    Si d’aventure en ce grand deſarroy,
Il rencontroit quelque grand Prince, ou Roy
Il l’arreſtoit par parole amiable,
En luy diſant : Il n’eſt pas convenable
Mon compagnon que toy, & moy qui ſommes
Icy les chefz, ſoyons comme ces hommes
De bas eſtat, couars, & pareſſeux :
Car nous devons remonſtrer à iceulx
Leur laſcheté, & touſjours les induire
À ce qu’on veoit plus proprement leur duire.
Tu n’encens pas la fineſſe ſubtile
D’Agamemnon qui par facon gentille
Sonde les cueurs des Grecs, afin qu’il ſaiche
Lequel d’entre eulx aura le cueur plus laſche,
Ou plus hardy, pour apres ordonner
De les punir, ou de les guerdonner.
Chaſcun n’a pas entendu ſon ſecret,
Il eſt par trop adviſé & diſcret :
Par quoy nous fault enſemble procurer,
Qu’il n’ait moyen contre nous murmurer.
L’ire d’ung Roy eſt grande, & redoutable,
Et ſa fureur du tout inſupportable :
Car le pouvoir, par lequel il domine,
Vient droictement de la faveur divine :
Et eſt un Roy touſjours aymé de Dieu :
Veu qu’il commande icy bas en ſon lieu.
    Ainſi diſoit Vlyſſés, parlant doulx
À ſes pareilz ſans uſer de courroux :
Mais ni trouvoit quelque ſouldard mutin
Quelque criart, & ſoigneux du butin,
Qui feiſt ſemblant de retourner en Grece,
Il le frappoit du Sceptre par rudeſſe.
Il faict beau yeoir, diſoit il, un poureux
Vng grand cauſeur, un laſche malheureux,
Aymant repos, & touſjours fuyant peine,
Faire le grand, trancher du Capitaine.
Retire toy ſouldard, je le commande,
Et va t’aſſeoir avec ceux de ta bande,
Pour eſcouter les Roys, qui ſcavent faire,
Et conſeiller ce qui t’eſt neceſſaire.
Pas n’eſt raiſon que nous ayons honeurs,
Tous ſoyons Roys, tous ſoyons Gouverneurs.
Toute Police eſt plus recommandée,
Quand elle n’eſt que par un ſeul guydée
Donc ſoit un Roy (lequel Iuppiter donne)
Tres obey en tout ce qu’il ordonne.
    De ces beaux motz, Vlyſſés les preſcha,
Et leur retour tellement empeſcha,
Que tout ſoubdain en laiſſant les vaiſſeaux,
Prindrent chemin à troupes & monceaulx
Droict au conſeil : faiſans ſemblable bruit,
Que l’Ocean, quand par tormente bruit,
Et qu’au grand ſon & furieux orage,
On oit gemir tout le prochain rivage.
    Chacun ſ’aſſiſt le mieux qu’il peut choiſir
Lieu condecent pour entendre à plaiſir.
Therſites ſeul, entre tous conteſtoit,
Sans prendre place. Or Therſites eſtoit
Vng meſdiſant un faſcheux blaſonneur,
Qui ne ſcavoit aucun bien ny honneur,
Prenant plaiſir à prononcer paroles
De mocquerie outrageuſes & foles :
Meſmes aux Roys, cuydant touſjours bien faire,
S’il ſe monſtroit à leur vouloir contraire.
Et qui pis eſt, c’eſtoit le plus infaict,
Le plus vilain, & le plus contrefaict,
De tout le camp : car ſembloit que Nature
Euſt travaillé à forger la laidure.
Il eſtoit Louſche, & Boiteux, &Boſſu
La teſte ague, & le corps mal oſſu,
Bien peu de poil, tres longue & large oreille,
En ſomme laid, tant que c’eſtoit merveille.
Ce nonobſtant il reputoit tout un,
Qu’on le penſaſt faſcheux & importun.
Tout ſon eſbat tout ſon contentement
Eſtoit, pouvoir meſdire apertement
Contre Achillés, Vlyſſés : & ſouvent
D’Agamemnon mettoit propos au vent.
Et pour autant qu’il ſcavoit que l’armée,
Ou la pluſpart eſtoit lors animée
Encontre luy pour la folle querelle
De retenir Briſeis la tres belle,
À luy ſ’adreſſe, & faiſant du mocqueur,
Il le picqua juſques au fondz du cœur.
    Que te fault-il, de quoy aſ-tu envie ?
Agamemnon, pour plus rendre aſſouvie
Ta volonté ? Qu’eſt-ce qui faict douloir
Ainſi ton cœur ? que peult-il plus vouloir ?
En premier lieu tes Coffres ſont comblez
D’or & d’argent, & joyaux aſſemblez,
Tu as apres les vaiſſeaulx, & les Tentes
Tres bien garnyz de dames excellentes,
Que nous Gregeois en preſent te donnons,
Quand par aſſault quelque ville prenons.
Puis ſ’il advient qu’un riche Priſonnier
Soit en noz mains, on ne te peult nier,
Que promptement & d’eſtrange facon,
Il ne te faille apporter ſa rancon.
Et toutes fois ayant ſi belles choſes
À ton ſouhait, encor tu ne repoſes :
Car ſi tu vois quelque gentil viſage
De priſonniere il te vient au courage
D’en abuſer, & quoy qu’on ſache dire
Tu la detiens par force en ton navire.
Eſt-il raiſon qu’à un Chef de ta ſorte
Soit obeys & qu’honneur on luy porte ?
Ô nous meſchans, Ô nous Gregeois infames,
Non hommes Grecz :mais pluſtoſt Grecques femmes
Qu’attendons nous ? laiſſons cy l’avarice :
Laiſſons l’orgueil, faiſons qu’icy periſſe.
Allons nous en afin qu’il puiſſe entendre,
Que l’on ne doit folement entreprendre,
Ainſi ſurtous, & qu’il ſente le tort,
Qu’il tient, auſſi à Achillés le fort.
Certainement ce fut grand advantage,
Agamemnon, pour toy, quand tel outrage
Fut ſupporté : car ſ’il euſt entendu
À ſe venger, il t’euſt mort eſtendu.
    Lors Vlyſſés voyant ceſte arrogance
De Therſites bien pres de luy ſ’avance,
Et d’un maintien enflambé, & plain d’ire,
Le regardant de travers, luy va dire.
Meſchant Cauſeur, infame babillard,
Bien que tu ſois de nature raillard,
Ne dis plus mot, & ne te formalize
Contre celuy que chacun de nous priſe.
Il n’appartient à aucun d’en meſdire :
Encores moins à toy qui es le pire
De tout le camp. Ô quel bon conſeiller,
Qui maintenant vient icy babiller
Du partement, ſans faire coniecture,
S’il nous redonde à honneur, ou injure,
Et pour monſtrer ſon eſprit tres pervers
S’en vient meſdire à tort & à travers
D’Agamemnon, luy reprochant le don
Qu’on luy depart injuſtement en guerdon
De ſon honneur. Or donc Cauſeur, eſcoute
Ce que diray, & ny fais aucun doubte.
Si je te trouve une autre fois parlant
Contre les Roys, & leur honneur fouſlant,
Ie ſuis content que mon chef ne demeure
Deſſus mon corps, & que mon ſeul Filz meure
Telemachus, que j’ayme cherement :
Si tout ſoudain le plus amerement
Que je pourray, ta perſonne n’eſt miſe
Nue du tout, voire ſans la chemiſe.
Et quant & quant la main de verges pleine,
Ie ne te feſſe aigrement par la plaine,
Devant les Grecs, qui n’en ſeront nul compte :
Si t’en iras cacher aux nefz de honte.
Diſant ces motz, le frappa de ſon ſceptre
Cinq ou ſix coupz, à dextre & à ſeneſtre :
Tant que l’on veid deſſus ſes lourdes boſſes,
Bien toſt apres marques de ſang tres groſſes.
Dont Therſites, dolent de la vergongne,
En larmoyant tenoit mauvaiſe trongne :
Et tout crainctif d’avoir plus grands alarmes,
Se contenoit en ſ’abbreuvant de larmes.
    Cela fut cauſe à toute l’aſſemblée
(Bien qu’elle fuſt au paravant troublée)
De ſ’eſjouir : rians à pleine bouche
De Therſites, & de ſon eſcarmouche :
Louans entr’eux Vlyſſés grandement.
Ô quel bon zele, Ô quel entendement,
(Ce diſoient ilz) ô quelle vigilance,
Long temps y a que l’on voit ſa vaillance
Chacun ſcait bien que c’eſt le nompareil :
Hardy en guerre, & prudent en conſeil.
Mais il n’a faict encor choſe plus belle,
Que de chaſſer ce cauſeur & rebelle
Qui deſormais n’aura aucun pouvoir
De dire plus que ne veuille devoir.
    Pallas faiſoit ce pendant du herault
Parmy le camp : criant ſouvent tout hault,
Que l’on ſe teuſt, pour ouyr la ſaconde
Du ſubtil Grec, à nulle autre ſeconde.
Lequel apres qu’il veict le peuple quoy,
Diſt devant tous. Ô tres illuſtre Roy
Agamemnon grand injure te font
Tous les Gregeois, qui ſouz ta charge ſont,
Entreprenans de retourner en Grece
À ce jourd’huy : ſans tenir la promeſſe
Que l’on te feit de ne bouger d’icy,
Qu’on n’euſt Priam du tout à ta mercy,
Semblans garcons, ou veſnes femmelettes
Pleines d’ennuy de ſe trouver ſeulettes :
Ayans touſjours un extreſme deſir,
De retourner au lieu de leur plaiſir :
Et toutes fois leur devroit plus deſplaire
De ſ’en aller, ſans avoir ſceu rien faire.
Il eſt bien vray qu’ainſy que le Pilotte
(Voyant la nef, qui en haulte mer flotte
Vng moys entier ſouffrant divers orages)
Eſt tres marry, & n’a autre courage
Que de reveoit ſa femme & ſa maiſon
Semblablement ilz ont quelque raiſon,
De ſe douloir : voyans la terminées,
À guerroyer neuf entieres années.
Et en cecy, je treuve que la plainſte
De tous les Grecs, eſt raiſonnable & ſaincte.
Mais ſi l’on veult de plus pres regarder
À noſtre faict, qui nous ſcauroit garder
De vitupere, apres longue demeure
Perdre l’honneur dont tant prochaine eſt l’heure
Par quoy, Amis, je vous prie & enhorte
Pour voſtre bien, que l’on ſe reconforte.
Souffrez encore une année, pour veoir
Si de Calchas la prudence, & ſcavoir
Eſt veritable, ou ſ’il nous a menty.
Chacun de vous, je croy eſt adverty
De ce qu’il dict, par vray prophetie,
En la Cité d’Aulis en Bœotie,
Ou tous les Grecs ſ’aſſembloient pour conclure,
Contre Priam revenger leur injure.
Il advint lors en faiſant ſacrifice,
À Iuppiter pour le rendre propice,
Soubz un Platain, d’ombre recreative,
Ioignant lequel une fontaine vive
Source prenoit, qu’un Dragon tres horrible
Sortit du pied de l’autel, ſi terrible,
Qu’il n’y eut cœur de Grec ſi hazardeux,
Qui ne tremblaſt à le veoir ſi hydeux :
Car grand eſtoit, & d’admirable taille,
Painct de couleur vermeille ſur l’eſcaille.
Or ce Dragon de l’arbre ſ’approcha,
Et au plus hault des branches ſe jucha :
Ou il trouva, entres les fueilles vertes,
Huit paſſereaux crians à voix ouvertes :
Leſquelz ſoudain il mit dedans ſa gueule.
Et les mengea : Apres la mere ſeule,
Qui lamentoit, ſans petitz demourée,
Fut quant & quant du Dragon devorée.
Mais auſſi toſt que la mere mengea,
Tout auſſi toſt ſa figure changea :
Car de Dragon horrible à approcher,
Fut tranſformé (voyans tous) en rocher.
Adoncques nous fuſmes de ſi grand cas
Tous eſtonnez. Si nous dict lors Calchas :
Ô peuple Grec, Qui te rend taciturne,
Et eſbahy ? Le grand fils de Saturne,
T’a demonſtré maintenant un clair ſigne
De ta louange, & gloire tres inſigne.
L’heure t’attend (bien que longue & tardive)
Mais qui rendra ta Renommée vive.
Car tout ainſy que ces oyſeaux petitz.
Par le Dragon ont eſté tranſgloutiz,
Avec la mere eſtans neuf, en vray nombre :
Pareillement le dangereux encombre
Que nous aurons, par neuf ans devant Troy
Nous tournera en redoublée joye :
Car l’on verra ſur la dixieſme année
Priam occis, & Troye ruinée.
Ainſi nous fut par Calchas declairé
Ce grand ſecret, qui eſt la averé.
Voicy le bout, nous ſommes ſur la fin :
Donc attendons encor un peu, afin
Que tous chargez de memorable gloire,
Nous rapportions des Troy ns la victoire.
    Ceſte oraiſon par Vlyſſés tiſſue,
Fut ſi tres bien des aſſiſtans receue,
Que les vaiſſeaux, les tentes, & rivage,
Incontinent en firent teſmoignage :
Tous reſonans du bruit que l’aſſiſtence
Feit, approuvant ſa louable ſentence.
Et auſſi toſt que ce grand cry ceſſa,
Le vieil Neſtor pour parler ſ’avanca,
    Ô choſe indigne, à jamais reprochable,
(Dit-il alors) Ô peuple variable :
En quel malheur hommes nous devenuz ?
Tous les conſeilz que nous avons tenuz
Par cy devant toute la braverie,
Comme je voy, n’eſtoit que mocquerie,
Et jeu d’enfans : l’eſprit deſquelz travaille
Plus pour neant, que pour choſe qui vaille.
Où ſont les veux, les promeſſes jurées ?
Les grans ſermens, voluntez conjurées ?
Ou eſt la haine, & menace cruelle
Contre Priam, en eſt-il plus nouvelle ?
Certes nenny, tout eſt eſvanouy,
Tout oublié, & loing de nous fouy.
L’oyſiveté en tel poinct : nous a mis,
Que ſans grever en rien noz ennemis,
Nous contendons entre nous de paroles,
D’inventions, & cautelles frivoles :
Et n’y a nul tant ſage, qui adviſe
De mettre à fin ceſte guerre entrepriſe.
Agamemnon cecy ſ’addreſſe à toy,
Pardonne moy ſi je te ramentoy
Le tien devoir : il fault que tu t’efforces
À raſſembler doreſnavant tes forces :
Metz les aux champs, ainſy qu’il t’eſt licite,
Comme au ſeul chef de tout ceſt exercice.
Et ſ’il y a un ou deux qui ſ’excuſent
De batailler & tes edictz refuſent,
Laiſſe les là, metz les à nonchaloir.
Qui eſt le Grec qui aura le vouloir,
Ayant icy tant de peine endurée,
De ſ’en aller, ſans cognoiſtre averée
De Iuppiter la promeſſe infaillible ?
Certainement par le fouldre terrible
Qu’il feit tomber pres de nous, à main dextre
Venant icy : il nous feit lors cognoiſtre
Qu’il donneroit quelque jour le moyen,
De mettre à mort tout le peuple Troyen.
Courage donc, compagnons tenons ferme,
Nous ſommes la pres de la fin du terme.
Ne haſtons plus ainſy noſtre retour,
Que nous n’ayons chacun à noſtre tour
Dormy à l’aiſe avec quelque Troyenne,
Fille à Priam, ou autre Citoyenne :
Le tout voyant leurs parens & maris,
Pour nous venger du malheureux Paris :
Qui bien oſa, d’entrepriſe vilaine,
Aller ravir en Grece Dame Helaine.
Et ce pendant, Si quelque malheureux,
Quelque Remys, & peu adventureux,
Trouve mauvaiſe icy noſtre demeure,
Et veult fouir je conſeille qu’il meure,
Quand eſt à toy Agamemnon tu dois
Bien adviſer à tou ce que tu vois.
Prendre conſeil, quelque ſois en donner,
Et par le bon touſjours te gouverner.
Ie ſuis d’advis, que ton Camp tu departes
Par Nations : & qu’un peu les eſcartes
L’une de l’autre, en les faiſant marcher
Chacune à part car ſ’il fault approcher,
Tu la verras mieux combatre apar elle,
Que de les mettre enſemble peſle-meſle,
En ce faiſant tu pourras à l’œil veoir,
Leſquelz d’iceux feront mieux leur devoir :
Et ſ’il tiendra aux Dieux, ou à l’armée,
De ne veoir toſt la guerre conſommée.
    Au bon conſeil de Neſtor, reſpondit
Agamemnon doucement, & luy dict
Certainement il eſt aiſé à voir
Digne Vieillard, qu’en Prudence & ſcavoir
Tu paſſes tous les Grecs qui ont eſté.
Las, & que n’ay-je ores à volunté,
(Ô Iuppiter, Ô Phœbus, Ô Pallas)
Dix telz Neſtors pour me donner ſoulas :
L’on verroit toſt, par leur bonne conduicte
Priam captif & ſa Cité deſtruicte.
C’eſt mon malheur, & le plaiſir des Dieux,
Qui m’ont plongé en debatz odieux
Contre Achillés, pour l’amour d’une dame
Don ta moy ſeul, en demeure le blaſme.
Mais ſ’il advient par leur divine grace,
Que bon accord entre nous deux ſe face,
Il n’y aura rien qui puiſſe defendre,
De veoir bien toſt Ilion mis en cendre.
Or maintenant afin d’eſtre plus forts,
Allons diſner : penſons de noſtre corps,
Pour tos apres noz ennemis combatre
Plus hardiment & vueillez vous eſbatre
À bien polir voz harnois beaux & clairs,
À mettre en poinct voz Eſcuz & Boucliers,
Voz chariotz droictement ateſler
Qu’on ne les puiſſe en rien voir eſbranſler.
Et deſſus tout bien penſer voz chevaux,
Auſquelz faudra ſupporter grands travaux :
Car la bataille & mortelle eſcarmouche,
Ne ceſſera que le Soleil ne couche.
Dont on verra ſouz le Baudrier ſuer
Maint bon ſoldat pour trop ſ’eſvertuer :
En ſouſtenant le Pavois pour deffence,
Et en frappant du glaive par offenſe :
Et les chevaux à force de tirer,
À peine auront povoir de reſpirer.
Au demeurant ſi en rien j’apercoy
Quelque Grégeois tant malheureux de ſoy.
Qui pour fuir le combat, ſe retire
Hors de la troupe, & ſe cache au navire :
Il n’y a riens qui le peuſt ſecourir,
Que ne le face incontinent mourir :
Et puis ſon corps privé de ſepulture,
Iecter aux chiens, & oyſeaux pour paſture.
    Les Grecs joyeux d’ouir ainſi parler
Agamemnon, firent retentir l’air
À l’environ de bruit preſque ſemblable
Que faict la mer, lors que l’onde muable
Des vents pouſſée en fremiſſant approche
Pres d’un eſcueil ou dangereuſe roche.
Si va chacun droictement à ſa tente
Se rafreſchir, la diſne, & ſe contente
De ce qu’il a. Apres dreſſe une offrande
Aux dieux hautains, & ſur tout leur demande
Que leur plaiſir ſoit, que ceſte journée
Soit ſans danger de ſon corps terminée.
Agamemnon auſſi faiſant office
De chef de guerre appreſte un ſacrifice
À Iuppiter d’un gras beuf de cinq ans,
Et veult avoir avec luy aſſiſtans
À ſon diner, les plus recommandez
De tout le camp, leſquelz par luy mandez
Vindrent avant : Neſtor premier ſ’appreſte,
Idomenée, auſſi le Roy de Crete
Les deux Aiax, Diomedes cinquieſme,
Et le ſubtil Vlyſſés pour ſixieſme.
Avec leſquelz ſe vint conioindre auſſi
Menelaus : bien certain du ſoucy,
Et du travail que ſon frere prenoit,
Pour le debat qui de luy ſeul venoir.
Eux aſſemblez, quand on eut en la place ;
Mené l’hoſtie, & porté la fouaſſe
Deſſus l’autel par devote maniere,
Agamemnon feit alors ſa priere.
Ô Iuppiter ſouverain Dieu des Dieux,
Seigneur du Ciel, de l’air, & ces bas lieux :
Qui fais tonner & greſler & plouvoir,
Octroye moy aujourd’huy le pouvoir
De mettre en feu, avant la nuict venue,
Ceſte Cité, qui tant ſ’eſt maintenue
Encontre nous : Fay que de mon eſpée
Soit à ce jour la chemiſe coupée
Du preux Hector ſur ſa forte poictrine :
Et que d’un coup de ma main propre il fine,
Voyans les ſiens, qui pour faire devoir
De le ſauver puiſſent mort recevoir.
Ainſy prioit. Mais à l’oraiſon lourde
Feit Iuppiter pour lors l’oreille ſourde.
Car nonobſtant ſes grands oblations,
Il le chargea de tribulations.
    Apres cela fut occiſe oſtie :
Puis eſcorchée, & miſe une partie
Deſſus le gril, les entrailles petites,
Foye & poulmons, tres diligemment cuictes.
Quant aux gigotz, & toute l’autre chair,
On la fiſt toſt par pieces embrocher :
Et le tout cuict, ilz ſe mirent à table,
Beuvans du vin ſouef & délectable.
    Ayans ainſy repeu tout à plaiſir,
Et ſatiſfaict : partie à leur deſir,
Le vieil Neſtor, qui n’eſtoit en repos,
Recommenca en table le propos.
Il n’eſt pas temps ores de ſ’amuſer,
Agamemnon, à rire & deviſer,
Executer fault l’entrepriſe belle,
Ou Iuppiter nous invite & appelle.
Commande donc aux heraux tous enſemble
D’aller crier que tout le camp ſ’aſſemble
Droict en ce lieu : & nous de meſme ſorte
Irons renger chacun noſtre cohorte :
Les incitant par beau & doux langage
À faire exploict : de Martial ouvrage.
    Suyvant l’advis, Agamemnon commande
Aux bons heraux d’aller de bande en bande,
Appeller tous les Grecs, qui obéirent,
Auſſi ſoudain que les heraux ouyrent.
    Beau veoir faiſoit l’appareil, & arroy
Des Grecs ſoudars, chacun ſuyvant ſon Roy,
Encor’ plus beau, veoir le ſoigneux eſtude
D’iceux grands Roys, rengeans la multitude.
Parmy leſquelz (ſans eſtre recogneue)
Eſtoit Pallas du hault des cieux venue :
Porcant ſur ſoy, l’eſcu grand & horrible
De Iuppiter, immortel, invincible,
Autour duquel, cent brodures dorées
Eſtoient pendans tant bien élaborées,
Que la valeur de chacune montoit
Plus de cent beufz, tant bien faicte elle eſtoit.
Ainſy armée elle enflammoit les coeurs
Des forts Gregeois à eſtre belliqueurs :
Tant & ſi bien qu’ilz n’avoient autre envie,
Que de combatte & hazarder leur vie.
    La reſplendeur des armures luyſantes
Des grans pavoys, & des targes peſantes,
Eſtoit pareille, alors par la campaigne,
À celle la qui eſt ſur la montaigne,
Lors que le feu ſ’allume en quelque coing
De la foreſt, & qu’on le voit de loing,
Car tout ainſi leurs harnoys & eſpées,
Reſplendiſſoient du clair Soleil frappées.
Semblablement comme un beau vol de Grues,
De Cygnes blancs, ou d’Oyes plus menues,
Sont tres grand bruit avec leurs chantz divers,
Pres de la rive, & ſouz les arbres verds
De Cayſter, fleuve delicieux :
Dont de leur ſon en reſonnent les lieux
Circonvoiſins : de ſemblable maniere
Les Grecz armez aupres de la riviere
De Scamander, faiſoient telle crierie,
Qu’on entendoit retentir la prairie.
La terre auſſi par les chevaux foulée,
En gemiſſoit du long de la valée ;
Car n’y avoit moins des Grégeois marchans
Pour batailler, que de fleurs par les champs.
S’il vous ſouvient d’un grand nombre de mouches
Qu’on voit ſouvent ſortir des creuſes ſouches,
Et ſ’envoler à troupes dans la loge,
Ou le berger ſur le printemps ſe loge,
Cueillant le laict que des brebis aſſemble :
Penſez qu’ainſi les Grecz venaient enſemble
Deſordonnez : mais leurs bons Conducteurs,
Les diſpoſoient, ainſy que les paſteurs
Ont de couſtume, advenant la veſprée,
À departir les troupeaux en la prée.
Sur tous leſquelz le prince Agamemnon
Se monſtroit chef, & de faict, & de nom.
Car tout ainſi qu’un Toreau brave & fier,
Entre les beufz ſe veult glorifier,
Et les gouverne : ainſi en telz endroictz,
Agamemnon commandoit aux grands Roys,
Il reſſembloit ce jour là, par fortune,
À Iuppiter de teſte : & à Neptune
De ſa poitrine : & quant aux autres pars,
On l’euſt jugé proprement le Dieu Mars :
Tant voulut lors Iuppiter decorer
Agamemnon, pour le faire honorer.
    En ceſt endroict : Muſes qui reſidez
Là hault au Ciel, Muſes qui preſidez
À tout beau faict, enſeignez moy à dire
Ce qu’à preſent je ne ſcaurois deſcrire,
Vous ſcavez tout, doncques nommez les Princes
(Sans oublier leurs vaiſſeaux & Provinces)
Venuz à Troye, avec la Grecque armée,
Car l’on n’en ſcait rien que par renommée.
Il ſuffira ſeulement de monſtrer
Le nom des Chefz, ſans plus avant entrer,
Car de nombrer la troupe & multitude,
Cela eſt hors de tout humain eſtude :
Non quand j’aurois dix langues tres diſertes,
Bouches autant à bien parler ouvertes,
Voix perdurable, & l’eſtomach de cuivre,
Ie n’en pourrais jamais eſtre delivre
Sans la faveur des Déeſſes gentilles.


Enſeignez moy doncques : Ô dignes filles

De Iuppiter, afin que ie recite
Princes, & neſz du Gregeois exercite.



FIN DV SECOND LIVRE.


LE TROISIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




APRES QVE L’OST des Troiens fut ſorty
Hors la Cité, rengé & departy
Par eſquadrons, furieux au rencontre,
Soubdainement marcherent à l’encontre


Du camp des Grecs, haulſant juſques aux nues


Leur voix & criz : ainſy que ſont les Grues,
Qui prevoyans la pluye, & la froidure,
Laiſſent les montz, & vont cercher paſture
Pres de la mer, dreſſans grottes armées
Contre les Nains, autrement dictz Pygmées :
Auſquelz ſouvent ſont guerre tres cruele,
À coups de bec, à coups de griffe, & d’eſle.
    Mais les Gregeois d’aultre coſté marchoient
Sans faire bruyt, & touſjours ſ’approchoient,
Pleins de fureur, & animez de rage
Pour ſe venger, avec ardent courage
D’eſtre vaincqueurs, & ſ’entreſecourir :
Quand ilz devroient l’ung pour l’aultre mourir.
    Et tout ainſi qu’on voit au temps d’hyver
Souventeſfois la brouée arryver.
Que le froid vent ſoufflant par la campaigne,
Porte ſoubdain au hault de la montaigne,
Choſe qui eſt aux Bergers tres nuyſante,
Et aux larrons, plus que la nuyct duiſante.
Car l’oeil humain ne ſcauroit veoir par terre
Gueres plus loing, qu’eſt ung ſeul ject de pierre.
De meſme ſorte à l’approcher des bandes,
Se leva tant de pouldre par les landes,
Qu’elle oſta lors aux Troiens le povoir,
Et aux Gregeois enſemble de ſe veoir.
    Et auſſy toſt que les camps ſurent preſtz
Pour batailler ſ’entrevoyants de prés :
Le beau Paris les rengz Troiens paiſa,
Et vers les Grecs, à grans pas ſ’advanca,
En provoquant fierement les plus forts,
De ſ’eſprouver contre luy corps à corps.
    Sur ſoy portoit, entre ceulx de ſa part,
Pour ce jour la, la peau d’ung Liepart :
L’Arc bien tendu, la Trouſſe bien peſante.
Pleine de traictz, ſon Eſpée luyſante :
Et deux beaulx dardz ſerréz, qu’il eſbranloit,
Quand les Gregeois au combat appelloit.
    Menelaus appercevant l’audace
De l’ennemy, qu’il recogneut en face :
Fut tout ſoubdain remply d’extreme joye :
Comme ung Lion, qui deſirant ſa proye,
Rencontre ung Cerf, ou Chevreul, dans les bois,
Mis par les chiens, & veneurs, aux Abois,
Si le devore, & en prend ſa paſture :
S’eſjouyſſant de tant bonne adventure,
Ainſi le Grec ayant Paris choiſy,
Sut en ſon cueur de lieſſe ſaiſy :
Voyant à ſoy l’occaſion offerte
De ſe venger de l’injure ſoufferte.
Et tout armé, comme il eſloit grand erre
Du Chariot feit ung ſault bas en terre.
    Adonc Paris qui bien cogneut venir
Menelaus, ne ſe peut contenir,
Et faire feſte, ayant ſon ame attaincte
Incontinent de merveilleuſe crainte,
Si recula : & craignant le danger,
Entre les ſiens retourna ſe renger.
Ne plus ne moins que faict l’homme paſſant,
Qui quelque fois les haulx montz tranſverſant,
(Sans y penſer) trouve ung Dragon en voye,
Dont tout craintif, ſe retire & deſvoye,
Paſle en couleur, de ſes membres tremblant :
Mieulx ung corps mort, qu’homme vif reſſemblant.
    De la Retraicte ainſi laſche & ſubite,
Fut enſlammé de colere deſpite
Le preux Hector : lequel voyant l’eſclandre,
Se courouſſa à ſon frere Alexandre,
Diſaint ainſi. Ô Paris malheureux,
Portant maintien d’ung homme valeureux,
Mais par effect : laſche & effeminé,
Tout de luxure orde contaminé.
Or euſt voulu la divine puiſſance,
Meſchant couart, que n’euſſes prins naiſſance,
Pour n’apporter ſi honteux vitupere
À ta Patrie, & ton doloureux Pere.
Ne voys tu pas quel plaiſir ont receu
Tous ces Gregeois, quand ilz ont apperceu
Ta laſcheté ? qui te penſoient de taille
Pour ſoubſtenir le faix d’une bataille.
Et maintenant chaſcun dire l’efforce,
Qu’en ſi beau corps, n’y a eſprit, ne force
Tu as bien eu autreſfois le courage
D’armer Vaiſſeaux, & dreſſer Equipage,
Pour naviguer droict en terre eſtrangere :
Et puis eſmeu de volunte legiere,
(Eſtant receu en Royale maiſon)
En amener, contre toute raiſon,
D’ung vaillant Roy l’eſpouſée tres chere,
Qui te traictoit, & faiſoit bonne chere.
Au deſhoneur & trop grand infamie
Du nom Troien, & de la Preudhomie
Du Roy Priam, Argument & Couleur
Aux Grecs de joye, & à toy de douleur.
Et neantmoins tu n’as oſé attendre
Menelaus, ne contre luy contendre.
Cela ne vient que d’une crainte extreme
Qui t’a ſurprins diſcourant en toy meſme,
Que celuy la te priveroit de vie,
Duquel tu as la Compaigne ravie
Certainement la Beaulté du viſage
Le bien Chanter, le Gracieux langage,
Le Corps trouſſé, les Cheveulx ordonnez,
Et aultres biens, que Venus t’a donnez,
Serviront peu à ta vie ſaulver :
S’il te convient au Combat eſprouver.
Ta Couardiſe à mené juſque au poinct
Tous les Troiens de ne combatre point :
N’appercevans en toy choſe qui vaille.
Parquoy fuy t’en, cherce quelque muraille
Pour te cacher, & plus de moy n’approche :
Trop eſt ton faict digne de grand reproche.
    Le beau Paris ſe voyant oultrager
Si durement, reſpondit ſans ſonger.
Hector mon frere, à bien bonne raiſon,
Tu as dreſſé ſur moy ceſte oraiſon :
Car de ton cueur la Force redoubtable
Eſt ſi tres grande, & ſi tres indomptable
Qu’on ne la voit de vigueur eſloignée
Pour le travail, non plus que la Coignée
Qu’ung Charpentier à employer ne fine :
Et plus en frappe, & plus elle ſ’aſffine.
Tu ne devrois touteſfois me faſcher :
Ne les beaux dons de Venus reprocher.
Car les Bienfaictz, dont les Dieux nous guerdonnent
Sont à priſer, veu meſmes qu’ilz les donnent,
Non pas ainſi que l’homme en a deſir,
Mais tout ainſi qu’il leur vient à plaiſir.
    Or ſi tu veulx, pour finir ce débat
Preſentement, que j’attende au Combat
Menelaus, fais aſſigner le lieu,
Et que nous deux ſoyons mis au mylieu :
Tous les Troiens & les Gregeois, eſtans
Aſſis au tour, pour nous voir combatans.
Soit au vainqueur en guerdon de ſa peine,
Incontinent rendue dame Heleine
Pour en jouyr, & de toute la proye.
Que les Troiens ſe retirent à Troie,
Et les Gregeois en leur pays de Grece :
Iurans tenir convenance & promette.
    Hector voyant Paris appareillé
Pour batailler, fut tout eſmerveillé
Et reſjouy : Lors tenant une Lance
Par le mylieu, devant les ſiens ſ’avance,
Leur defendant de plus oultre paſſer :
Ce qui fut faict. Mais les Grecs ſans ceſſer,
En approchant, à coupz perduz jectoient
Pierres & traictz, & Troiens moleſloient :
Iuſques à tant qu’Agamemnon ſortit
Hors de la Troupe, & ſes gens advertit
De ſ’arreſter : criant à haulte voix :
Ceſſez, ceſſez de plus tirer Gregeois,
Contenez vous jeunes Souldardz inſignes,
Ie voy Hector, qui nous faict quelques ſigneſ :
Comme voulant avecques nous parler.
    Soubdainement on ne veit plus voler
Les coups de Fleſche : & fut le Camp paiſible
En vug moment, autant qu’il eſt poſſible.
Sur quoy Hector, voyant ſi grand ſilence
Entre deux oſtz, ainſi parler commence.
    Oyez de moy peuple Grec & Troien,
Preſentement l’ouverture & moyen,
Que vous propoſe Alexandre mon frere :
Luy qui eſt ſeul motif de ceſt affaire.
Pour donner fin aux cruelles alarmes,
Il eſt d’advis, qu’on mecte ius les armes)
Et que par luy, & par Menelaus,
Soit debatu, à beaux fers eſmoluz,
Lequel des deux a plus juſte querele.
Au vainqueur ſoit Heleine la tres belle
Soubdain rendue, avec tout le Butin :
Et que ſur l’heure, ou lendemain matin,
Chaſcun ſ’en voyſe, ayant faict, aſſeurance
Par grand Serment, garder la Convenance.
    À peine avoit achevé ce propos
Le preux Hector, que le Fort & Diſpos
Menelaus, ſe vint la preſenter,
Diſant ainſi Or vueillez eſcouter
Grecs & Troiens, ce que dira ma bouche,
Repreſentant la douleur qui me touche
Dedans l’eſprit : je veulx & fuis d’accord
Pour mectre à bout ce dangereux Diſcord,
(Conſiderant les grandz calamitez,
Et les travaulx par les Camps ſupportez
Pour l’adultere, & la juſte douleur
Qui m’a induit à venger ce malheur)
Que tout ce peuple à preſent ſe repoſe,
Et que Paris encontre moy ſ’expoſe,
Afin qu’on voye à qui la Deſtinée
Aura la vie, ou la mort aſſignée.
Au demourant, afin qu’on accompliſſe
Le tout à poinct, meſmes le Sacrifice
Qu’on doit aux Dieux en affaire ſemblable,
Qui veult le pacte eſtre ferme & vallable.
Il eſt beſoing à vous Troiens pourveoir
De d’eux Aigneaulx l’ung blanc & l’aultre noir,
Maſle & femelle : fault le maſle blanc,
Le ſecond noir, pour reſpandre leur ſang
Au clair Souleil, & à la Terre digne,
De tous humains mere antique & benigne.
Le tiers Aigneau, que ſerons apporter,
Offert ſera au grand Roy Iuppiter.
Ie veulx auſſy pour ſeureté plus grande,
Que tout ſoubdain au vieil Priam l’on mande
De ſ’en venir, Afin qu’il fortifie
La Convenance, & le tout ratifie :
Car ſes Enfans (comme bien ſcait la Grece)
Sont gens ſans foy, & Faulſeurs de promeſſe.
Touſjours l’eſprit des jeunes eſt legier,
Mais le vieillard ſe ſentant obliger
N’endurera, ſ’il advient qu’il le jure,
Qu’il y ſoit faict ; Trahyſon ou injure.
    De ceſt accord les Gregeois & Troiens
Tant Eſtrangiers Souldards, que Cytoiens
Surent joyeux, eſperans toſt l’yſſue
De cede Guerre, en miſere tyſſue.
Lors à renger leurs Chevaulx entendirent,
Des Chariotz puis apres deſcendirent
Gardans leur ordre, & poſerent en terre
Lances, Eſcuz, & tous Harnoys de guerre,
Laiſſant eſpace entre deux bien eſtroict :
Comme lieu propre,auquel l’on combatroit.
    Ce temps pendant, le preux Hector envoye
Deux Heraulx ſiens en la cite de Troie,
Pour apporter les deux Aigneaux, & faire
Venir Priam, approuver tout l’affaire.
Taltibius auſſy du mandement
D’Agamemnon, alla diligemment
Iuſques aux nefz, pour en la Compaignie
Porter L’aigneau de la Cerimonie.
    Durant cecy, Iris ſ’en deſcendit
Du hault Olympe, & bientoſt ſe rendit
En la Cité, pour compter ces nouvelles
De poinct en poinct à la Belle des belles.
La Forme print d’une ſa bien aimée
Et belle Seur Laodicés nommée,
Qu’Elicaon filz d’Antenor le ſaige
Entretenoit, par loyal mariage.
    Point ne trouva pour lors la Belle oyſive,
Mais en beſoigne à ouvrer ententive.
Elle faiſoit en ſa Chambre une piece
De haulte lice, ou les beaulx faictz de Grece,
Et des Troiens à figures polyes,
Eſtoient pourtraictz, leurs Courſes, leurs Saillies,
L’aſpre Combat, & Rencontre cruelle,
Que les deux Camps faiſoient pour l’amour d’elle.
    Sus lieue toy, viens avec moy Heleine
(Dit lors Iris) tu verras en la plaine,
Pres la Cité, choſe bien merveilleuſe.
Ceulx qui ſouloient en Guerre perilleuſe
De jour en jour, au danger ſ’expoſer,
Tu les verras à preſent repoſer :
Les ungs aſſis, les aultres appuyez
Sur leurs Eſcuz, du travail ennuyez
Menelaus pour finir ces diſcordz
Contre Paris, combatra corps à corps :
Et a celuy qui aura la victoire,
Seras donnée en guerdon de ſa gloire.
    Ceſte nouvelle à la Dame annoncée,
Soubdainement luy meit en la penſée,
Ung doulx deſir de ſon premier Mary,
De la Cité ou premier fut nourry,
Et ſes Parens, deſirant quelque jour
Avecques luy faire dernier ſejour.
    Si ſe leva debout, & ſe veſtit
De beaulx habitz, puis quant & quant ſortit
Hors ſon logis, jectant la larme tendre,
Quel l’on voyoit par ſes joues deſcendre.
Pas ne fut ſeule, avec elle amena
Pour compaignie, Aethra, & Clymena :
Et le beau pas ſe conduyct & tranſporte
Iuſques au lieu ou eſtoit la grand porte
Scea nommée, ou par le Boulevert
On povoit veoir tous les champs à couvert.
    Le Roy Priam, & avec luy bon nombre
De grandz Seigneurs, eſtoient illec à l’ombre
Sur les Creneaulx, Tymœtés, & Panthtus,
Lampus, Clytus, excellentz en vertus,
Hicetaon renommé en bataille,
Ucalegon jadis de forte taille,
Et Antenor aux armes nom pareil,
Mais pour alors ne ſervantz qu’en conſeil.
La, ces Vieillardz aſſis de peur du haſle,
Cauſoyent enſemble, ainſi que la Cigalle
Ou deux ou trois, entre les vertes fueilles,
En temps d’Eſte, gazoillent à merveilles.
Leſquelz voyans la divine Gregeoiſe,
Diſoient entre eulx, que ſi la grande noiſe
De ces deux camps duroit longue ſaiſon,
Certainement ce n’eſtoit ſans raiſon :
Veu la Beaulté, & plus que humain ouvraige,
Qui reluyſoit en ſon divin viſaige.
Ce neantmoins il vauldroit mieulx la rendre,
(Ce diſoyent ilz) ſans gueres plus attendre,
Pour eviter le mal qui peult venir,
Qui la vouldra encores retenir.
À l’arriver le Roy Priam l’appelle,
En luy diſans : Ô vien ma Fille belle,
Vien ca t’aſſeoir icy au pres de moy,
Laiſſe tes pleurs, de chaſſe ceſt eſmoy,
Ne te conſume ainſi en telz regretz :
Vien contempler ton Mary, & les Grecs,
Tes chers Couſins. Las Iuppiter ne vueille
Que contre toy, de mon mal je me dueille.
Ce ſont les Dieux, qui pour mieulx ſe venger,
Moy & les miens deſirent affliger,
Par ceſte Guerre ainſi calamiteuſe.
Approche toy, ſans faire la honteuſe,
Et monſtre moy les Grecs plus apparentz
Et plus adroiſtz, tes Voyſins & Parens.
Qui eſt celuy qui devant tous ſ’avance
De corps moyen, mais grave en contenance ?
Ie n’ay point veu, dont je ſoys ſouvenant,
En mon vivant, homme plus advenant
Et pour certain, à bien voir ſon arroy,
Il a le port, & maintien d’ung grand Roy.
    Alors Heleine, à voix humblette & baſſe,
Luy reſpondit. Mon cher Seigneur, ta face
En mon endroict, à tant de reverence,
Que i’ay grand crainte, approchant ta preſence.
Or euſt la mort (avant que ces diſcords
Feuſſent venuz) ſaiſy mon foible corps :
Et meſmement alors que j’euz ravys
Si fort mes ſens, que ton Filz je fuyuis,
Habandonnant Eſpoux, Freres, & Fille,
Et mainte Dame, & Compaigne gentille.
Las, nous ſerions hors de toute douleur
Et toy & moy : Mais il plaiſt au Malheur
Qu’il ſoit ainſi. Or quant à ta demande,
Puis que ta grace ainſi le me commande :
Cil que tu dis, eſt en ſon propre nom
Filz d’Atreus, le Prince Agamemnon :
Roy tres prudent, & en armes puiſſant,
À qui le Camp eſt tout obeyſſant,
Qui aultreſfois, en temps paiſible & ſeur,
Fut mon beau Frere, & moy ſa belle Seur.
    Atant ſe teut la Beaulté nom pareille :
Sur quoy Priam tout remply de merveille,
Oyant l’honeur d’Agamemnon compter,
Ne ſe peuſt taire, & vint à l’exalter.
Ô Fortuné, & plus que bien heureux
Agamemnon, Prince chevalereux,
Doncques tu as des grans Dieux ce bon heur
D’eſtre le Chef des Gregeois en honeur :
Doncques par toy eſt conduire & regie
Si grande armée, arrivée en Phrygie.
Il me ſouvient, au temps de ma jeuneſſe,
Lors que j’avoys & vaillance, & proueſſe,
Qu’en ce Pays vindrent les Amazones,
Femmes de ſexe, & en guerre Perſones
De grand exploict : pour reſiſter auſquelles
Fut neceſſaire aſſembler forces teles,
Qu’on n’en veit oncq de pareilles aux champs.
Adonc Migdon, & Otreus marchans
Droict à l’encontre, aſſirent en ung val,
Toute leur gent à pied, & à cheval,
Pres de Sangar la Riviere au long cours :
Auquel endroict : je vins à leurs ſecours,
Et fus faict Chef, mais quelques belles Bandes
Que nous euſſions, les Grecques ſont plus grandes.
    Apres ces motz, il jecta ſon regard
Sur Vlyſſés, puis dict. Si Dieu te gard
Ma chere Fille, encor ung coup d’y moy
Qui eſt celuy des Gregeois que je voy
De l’Eſtomach, d’Eſpaulles, & Ceinture,
Si bien taillé, non ſi grand de Stature
Qu’Agamemnon : Et qui de grace bonne
Sans eſtre armé, maintenant environne
Tous les Gregeois. Comme faict le Bellier
Grand & velu, qui pour mieulx ralier
Les beaux Troupeaux, faict : maint tour, & contour,
Pres des Brebis, ſans départir d’autour ?
    C’eſt Vlyſſés, reſpondit lors la Dame,
Bien faict : de corps, mais de plus ſubtile ame :
Lequel, combien qu’il ayt prins nourriture
En Pays Rude, & hors d’agriculture,
Ce neantmoins en Prudence & Fineſſe,
Il a paſſe tous les Princes de Grece.
    Tu as dict vray, Ô Princeſſe de pris,
Dict Antenor. Iadis bien je l’apris.
Car lors que luy, & Menelaus furent
Icy tranſmis Ambaſſadeurs, ilz n’eurent
Aultre logis que le mien, & leur feiz
Autant d’acueil qu’euſſe faict à mes Filz.
La je cogneuz, au moins par Conjecure,
Leur grand Eſprit, leur Conſeil, leur Nature :
Et meſmement quand ilz furent meſlez
Avecques nous, au Conſeil appellez,
Pour remonſtrer en public leur meſſaige.
Menelaus monſtroit plus grand Corſage,
Eſtant debout, mais eulx eſtans aſſis,
Ceſt Vlyſſés nous ſembloit plus raſſis :
Et au maintien plus remply de valeur.
Menelaus ne fut pas grand parleur,
Ce qu’il diſoit eſtoit Brief & Subtil,
Rien ſuperflu, tout propre, tout gentil,
Et bien qu’il fut plus jeune que Vlyſſés,
En ſon parler ne feit aulcun excez.
Quand vint au poinct que Vlyſſés deut parler,
Sans, tant ſoit peu, haulſer la teſte en l’air,
Ung bien long temps il tint en bas ſa veue,
Comme perſone & lourde & deſpourveue
D’entendement homme qui par Colere
Eſt hors de ſoy, & point ne ſe modere :
Ce que ſon Sceptre encores demonſtroit,
Duquel tres mal pour alors ſ’accouſtroit.
Mais auſſy toſt qu’il rompit le ſilence,
On cogneut bien ſa divine éloquence.
Il prononca ſes motz à l’arriver,
Du tout pareilz aux Neiges de L’hyver.
Si copieux, qu’on n’oſa entreprendre,
L’ayant ouy, d’atiecqueſltiy contendre.
Et ne feit on apres cas de ſa mine,
Eſtimans mieulx ſa parolle divine.
Le Roy Priam encores curieux
De ſcavoir plus, avoit jeſté ſes yeulx
Deſſus Ajax, ſ’enquerant plus avant
Avec Heleine. Ores ſay moy ſcavant,
(Dit le vieillard) Qui eſt ce beau Seigneur
Que je voy la, lequel eſt le greigneur
De Corpulence, & preſque de la teſte,
De tous les Grecs. Quant à ceſte requeſte,
Dict elle alors, Ceſt Ajax le tres fort,
Le grand eſpoir, le Rampart & Renfort
Du camp Gregeois : Et celuy qui ſ’arreſte
Au pres de luy, eſt le bon Roy de Crete
Idomenée, entre les biens ſervy
Comme ung grand Dieu honoré & ſuivy.
Lequel j’ay veu en diverſe ſaiſon
(Paſſant pays) loger en la maiſon
De mon mary. I’en voy auſſy venuz
Pluſieurs, deſquelz les noms me ſont cognuz
Mais je ne puis (dont j’ay grand deſplaiſir)
Avecques eulx mes deux freres choiſir :
Le preux Caſtor excellent Chevalier,
Avec Pollux Combatant ſingulier.
Hélas je crains qu’il n’ont daigné venir
Pour le débat entreprins ſoubſtenir,
Ou bien eſtans venuz juſques icy,
Le Deſplaiſir, Faſcherie, & Soucy
Qui les a prins, voyans la poure vie
Et la meſchance ou je ſuis aſſervye,
Les a contraindz, dolentz & eſbays
De ſ’en aller regaigner leur pays.
    Ainſi diſoit la belle, mais ſes freres
Ung bien long temps, avant tous ces affaires
Eſtoient par mort enſemble deſſailliz,
En la Cite de Sparte enſeveliz.
    Pendant cecy, les deux heraulx avoient
La preparé les choſes qui ſervoient,
Deux bons Aigneaulx, choſiz en ung troupeau,
Et d’une Chievre une bien grande peau,
Pleine de vin, liqueur recommandée.
Encor portoit le Hérault dict Idée,
Ung grand Baſſin, & deux Coupes exquiſes,
Faites d’or fin, au myſtere requiſes.
    Ainſy chargez, au Roy Priam recitent
Leur Ambaſſade, & de venir l’incitent,
En luy diſant. Roy ſur tous honore,
Nous craignons fort d’avoir trop demouré :
Les principaulx de tes ſubjectz t’attendent
Dehors au camp, & les Grecs qui prétendent
À ce jourdhuy faire une convenance,
Dont on aura à jamais ſouvenance.
Ton filz Paris, pour mieulx ſon droict debatre,
Veult corps à corps Menelaus combatre :
Et le vainqueur, doibt avoir en guerdon
La belle Heleine, avec maint aultre don.
Par ce moyen tous debatz finiront :
Car les Gregeois en Grece ſ’en iront,
Et les Troiens pour la guerre endurée,
Auront la paix, qu’ilz ont tant deſirée.
Or rien ſans toy ne ſe pourroit conclure :
Car il convient, que ta Majeſté jure,
(Ce diſent ilz) pour ferme ſeureté
De ce cornbat, entre eulx deux arreſté.
    Le bon vieillard fut de crainte ſurpris,
Bien cognoiſſant, que c’eſtoit entrepris
Trop follement : touteſfois il demande
Son chariot : Et quant & quant commande
Ses Chevaulx joindre, & que tout fut en poinct
Ce qui fut faiſt. Adonc n’arreſte point,
Avec ques luy prend Antenor le vieulx,
Sortent aux champs, frapent à qui mieulx mieulx,
Si qu’en brief temps droict au Camp arriverent :
Et au mylieu des troupes ſe trouverent.
    Eulx deſcenduz ſe meirent en avant
Agamemnon, & l’aultre Grec ſcavant :
Les troys Heraulx auſſi ſe feirent voir
Ornez d’habitz requis à leur devoir :
Et ſans delay, voyant la compaignie,
Fut procédé à la Cerimonie.
En premier lieu de bon vin on verſa
Dans les hanapz : Apres on ſ’adreſſa
Vers les plus grandz : Auſquelz pour approuver
La Convenance, on feit les mains laver.
Puis le grand Grec tira de ſon coſté
Certain couſteau, par luy toujours porté :
Avec lequel du front des Aigneaux coupe
Beaucoup de poil, qu’il feit emmy la troupe
Par les Heraulx aux Princes deſpartir,
Qui ne pourraient apres ſe repentir.
    Le poil receu, les mains ainſi lavées,
Agamemnon les ſiennes eſlevées,
Prioit les Dieux, diſant. Ô Iuppiter,
Dieu tres puiſſant, qui daignes habiter,
Et preſider ſur Ida la montaigne.
Ô clair Souleil, qui voys ceſte campaigne,
Et entens tout : Ô Terre, Ô vous Rivieres
Ie vous ſupply entendez mes prieres,
Et vous auſſi puiſſans Dieux Infernaulx,
Qui puniſſez ſi aigrement les maulx
Des ſolz humains,qui voz Deitez jurent,
Et puis apres faulſement ſe parjurent :
Soyez teſmoings faictes je vous ſupplye
Cette promeſſe, & faincte, & accomplye
S’il eſt ainſi que Paris mecte à mort
Menelaus, nous voulons ſans remort,
Qu’il garde Heleine, & ſoit vray poſſeſſeur
De tous les biens, dont il fut raviſſeur :
Et promettons, ſans icy ſejourner
Levant le ſiege, en Grece retourner.
Pareillement ſi mon Frere germain
Menelaus, peult vaincre de ſa main
Le dict Paris, que ſoubdain on nous rende
La belle Grecque, avec condigne amende
Des maulx ſoufferts : & que chaſcune année
Soit à noz Hoirs, apres nous, ordonnée,
Certaine Rente, ou Tribut, qui teſmoigne
Noſtre victoire, & leur faulte & vergoigne.
Et au contraire eſtant ainſi vainqueur,
S’il advenoit que par faulte de cueur
Le Roy Priam, & ſes Filz refuſaſſent
Garder la Foy & des Dieux abuſaſſent :
Ie jure icy de jamais ne partir
De ceſte terre, & ne me divertir
À aultre faict : ſans la voir deſolée :
Les Troiens mortz, & leur Cité bruſlée.
    Diſant ces motz, de ſon couſteau oſta
Aux deux Aigneaux la vie, & les jecta
Sanglantz en terre, Adoncques ſe trouverent
Illec pluſieurs, qui comme luy vouerent
En reſpandant avecques une Taſſe,
Deuotement le bon vin en la place.
Entre leſquelz, aulcun des Grecs gendarmes
Ou des Troiens laſſé de porter armes,
Prioit ainſi. Ô tres ſouverains Dieux
Qui voyez tout ce qu’on faiſt en ces lieux.
Las, permectez que celuy qui ſera
Premier motif dont l’accord ceſſera,
(En ſe monſtram à voſtre vueil rebelle)
Que pour la faulte on voye ſa Cervelle
Et de ſes Filz ſur la terre eſpandue,
Et puis ſa Femme à ung aultre rendue.
Ainſi prioient mais leur juſte priere
Fut pour ce coup des Dieux miſe en arriere.
    D’aultre coſté, Priam appercevant
Que tout l’aſfaire eſtoit la bien avant :
Dit aux Gregeois, & Troiens tous enſemble.
Ie m’en iray, Seigneurs, ſi bon vous ſemble :
Ie ne pourrois de douleur me garder,
S’il me faloit de mes yeulx regarder
Mon filz Paris combatant ſa Partie.
Les Dieux haultains, ont la mort departie
À l’ung, ou l’aultre : Et ſi ont ordonné,
Auquel des deux ſera l’honeur donné.
    Ces motz finiz au Chariot monta,
Et les Aigneaulx avec foy emporta.
Print Antenor, & tant ſes Chevaulx preſſe,
Qu’en ung moment il fut hors de la preſſe :
Et toſt apres à Troie ſe rendit.
    Le preux Hector, cependant entendit
Et Vlyſſés à meſurer le lieu
Propre au combat, aſſis droict au mylieu
Entre les camps. Conſequemment pour voir
Lequel des deux devoit l’honeur auoir
Du premier coup, aſſaillant l’adverſaire,
Feirent les ſortz, comme eſtoit neceſſaire
En cas pareil, dans ung Armet mectans
Deux Bulletins, pour les deux combatans :
Et cil à qui le Sort premier viendroit,
Premierement l’ennemy aſſauldroit.
    Tous les Souldardz, de ſcavoir curieux,
Tenoient ſans ceſſe & l’eſprit, & les yeulx,
Sur ceſt Armet ; & quelqu’un deulx prioient
Les Dieux haultains en leurs cueurs, & diſoient.
Ô Iuppiter, Dieu des dieux, & grand Roy
De tous humains, fay nous huy ceſt octroy,
Que cil des deux qui cauſe ces encombres,
Face deſcente aux infernales vmbres :
Et que Gregeois & Troiens de ce faix
Lors deſchargez, vivent en bonne paix.
    Ayant Hector ſon regard deſtourné
De ſon Armet, tourné & contourné
Par pluſieurs foys, pour mieulx meſler les ſortz,
Il meit la main dedans, & tira hors
Cil de Paris. Quoy faict, en brief eſpace
Chaſcun ſe meit à part, laiſſant la Place
Du combat vuyde, & de maintien raſſis,
Tout à l’entour furent en terre aſſis.
    Paris voyant qu’il devoit aſſaillir
Menelaus, ne voulut pas ſaillir
À bien ſ’armer. Si print pour le premier
Son beau harnois de jambes couſtumier,
Et ſes Cuyſſotz, attachez par art gent
À beaux boutons & grandz Boucles dargent
Secondement print la Cuyraſſe forte
De Lycaon ſ’accommodant de ſorte
Qu’on euſt jugé eſtre pour luy trempée.
Apres ceignit une peſante Eſpée,
Pendant à doux d’argent poly & clair.
Puis ſe chargea d’ung dur & fort Boucler
Sur ſon eſpaule : Et pour couvrir ſa teſte
D’ung riche Armet, ayant une grand creſte
Faicte du poil, qu’on voit pendre en la queue
Dung grand Cheval tant horrible à la veue
Que auſſi ſouvent que ſa teſte il haulſoit,
On euſt penſé, que cela menacoit.
Finablement il print en ſa main dextre
Ung Dard ſerré, puis ſoubdain ſe vint mettre
Emmy le camp, ſe monſtrant fierement.
    Menelaus ſ’arma tres ſeurement
D’aultre coſté, & comparut en place,
Plein de colere, & amere menace.
    La ne ſut lors ſi courageux Souldard
Qui n’euſt frayeur, contemplant ce hazard.
Meſmes voyant leurs geſtes, leur marcher,
Et l’eſbranler des Dardz à l’approcher.
    Entre au camp, Paris de beau prinſault,
Fort ſur ſes piedz, feit le premier aſſault.
Lancea ſon dard, de bien grande roideur,
Et vint ſrapper droict : parmy la rondeur
Du fort Eſcu du Grec : mais il n’eut force
De tranſpercer tant ſeulement l’eſcorce.
Et fut la poincte au faulſer empeſchée,
Par la durté de l’Eſcu rebouchée.
    Menelaus ſans ſeſbahyr, ſoubſtint
Tres bien le coup, Puis debout ſe maintint,
Priant ainſi. Ô Iuppiter puiſſant,
Qui es le droict : clairement cognoiſſant,
Octroye moy ores que je puniſſe
Mon ennemy, de ſon grand malefice.
Las ſay qu’il meure, ainſi qu’a mérité.
À celle fin que la Poſterité,
Saichant ſa mort, & la faulte punie,
Craigne touſjours de faire villenie
Dans le Logis, ou par honeſteté
Eſt l’eſtranger receu, & bien traicté.
    Apres ces motz, il feit ſon Dard branſler,
Et tout ſoubdain ſi rudement voler
Contre Paris,que l’Eſcu luy perca.
Puys la Cuyraſſe entierement faulſa,
Et tous les draps juſques à la Chemiſe.
Et euſt eſte, encor la poincte miſe
Dans l’eſtomach, ſi Paris n’euſt tourné
Ung peu à gauche, & le coup deſtoumé.
    Menelaus apres ce coup, deſguayne
Sa belle eſpée, à l’argentine guayne
Et ſe haulſant, ſur l’Armet aſſenna
Son ennemy, ſi fort qu’il l’eſtonna.
Mais au tiers coup ſon eſpée rompit :
Dont il cuyda forſener de deſpit.
Ô Iuppiter meſchant Dieu, je voy bien
(Ce diſoit il) que tu ne vaulx plus rien :
Ou que tu es le plus malicieux
De tous les Dieux, qui repairent es cieulx :
Las, je penſois que l’heure fuſt venue,
Que l’ennemy n’auroit plus de tenue.
Et maintenant je n’ay rien avancé
Du javelot, & mon Glayve eſt froiſſé
Ce nonobſtant tout enflammé de rage,
Il luy court ſus : & le prend au Pennage
De ſon armet l’efforcant de grant cueur,
Le mectre hors du Camp, comme vainqueur.
Ce quil euſt faict, d’autant que la Courroye
Soubz le Menton luy empeſchoit la voye
De reſpirer, & pour vray l’eſtrangloit.
Adonc Venus, qui ſaulver le vouloyt,
La feit toſt rompre, & n’eut aultre conqueſte
Menelaus, que le Harnoys de teſte :
Qu’il jecta loing entre les ſiens. Puis cuyde
Venir frapper deſſus la teſte vuyde :
Mais la Deeſſe avoit en ung inſtant
Mis en lieu ſeur, le laſche combatant.
    Si l’emporta en une Nue obſcure,
Dans la Cité, puys luy oſta l’armure,
Et le remeit, pour repoſer ſes membres,
Tout doulcement, en l’une de ſes Chambres
Plus perfumée : Apres de luy ſe part,
Pour amener Heleine celle part.
Laquelle eſtoit alors en une tour
Parlant le temps, non ſans avoir autour
Mainte Troiene, & gente damoiſelle,
Qui deviſoient enſemble avecques elle.
    Venus avoit, pour eſtre deſcognue,
Prins ung habit humain à ſa venue,
C’eſt de Grea la bonne chambriere,
Bien vieille d’ans : mais excellente ouvriere
En Broderie, & a filer la Laine.
Si vint tirer tout gentement Heleine
Par ſes habitz, en luy diſant. Maiſtreſſe,
Le tien Paris ma donné charge expreſſe
De te prier t’en venir promptement
Iuſque au logis, ou à l’accoutrement
Qu’il à veſtu : tu penſeras ſans faille,
Qu’il n’a eſté ce jourdhuy en bataille :
Tant il eſt frais. Et à ſa contenance,
Tu jugeras qu’il vienne de la dance.
    Ainſi diſoit la Deeſe amoureuſe,
Luy remectant la flamme vigoreuſe
En ſon eſprit : Laquelle cognoiſſant
La belle gorge, & l’oeil reſplendiſſant
Du Corps divin, fut de craincte ſurpriſe :
En luy diſant. Quelle faulſe entrepriſe,
Fais tu ſur moy ? Me vouldrois tu mener
Encore ung coup, pour mary me donner,
Par les Citez de Phrygie prochaines,
En Meonie, ou aultres plus loingtaines :
Pour guerdonner quelqu’un qui ta ſervie :
Puis que tu voys que cil qui ma ravie
Eſt la vaincu, & qu’il fault que je voiſe
Une aultre fois, en la marche Gregeoiſe ?
Pourquoy viens tu ſoubz ce faintif langaige
Me decevoir, celant ton perſonage ?
Ie croy que c’eſt pour l’aveugle deſir
De ſon amour, qui t’eſt venu ſaiſir.
Laiſſant les cieulx, & la Troupe divine :
    Pour eſtre icy Eſclave & Concubine
De ton Paris. Or puis qu’il eſt ainſi,
Garde le bien, & ne bouge dicy.
Il ne m’en chault : jamais dedans ſon lict
N’aura de moy compaignie ou delict.
Et à bon droiſt. Qu’en diroient les Troienes
Dames d’eſtat, & aultres Cytoienes ?
Trop ſe pourroient de moy mocquer & rire :
Dont j’en mourrois de faſcherie, & d’ire.
    Quand la Deeſſe entendit ſa parole,
Soubdainement & d’une chaulde cole,
Luy dit ainſi. Miſerable chetive,
Ne dy plus mot, & contre moy n’eſtrive,
À celle fin que ſi je me courrouſſe,
Trop rudement ne te chaſſe ou repouſſe.
Et que d’autant que t’ay eſté amye
D’autant ou plus, je ſoys ton ennemye,
En concitant par mes divins moyens,
Encontre toy, & Gregeois & Troienſ :
Qui (ſans eſpoir qu’on te peuſt ſecourir)
De male mort te facent toſt mourir.
    De ce courroux ſut la Belle eſtonnée.
Si ſe partit ſimplement attournée,
Couvrant ſa face avec ſa riche robe,
Et peu à peu de la tour ſe deſrobe,
Suyvant Venus, qui l’eut bien toſt conduicte
En ſon logis. Apres toute la ſuytte
S’en retourna, les unes à filler,
Aultres à tixtre, & pluſieurs à parler.
    Eſtans dedans la chambre bien parée,
Fut par Venus, la Chaire préparée,
Ou fut aſſiſe Heleine, vis à vis
De ſon eſpoux. Laquelle bien enuys
Le regardoit : Et lors tres courroucée,
Luy deſcouvrit le fondz de ſa penſée
Doncques tu viens (Ô laſche malheureux)
De ce Combat, rude & avantureux ?
Que pleut aux Dieux qu’y fuſſes tu pery,
Occiz des mains de mon premier Mary.
Tu te ſouloys aultreſfois tant venter,
Qu’il n’oſeroit à toy ſe preſenter :
Tu le voulois vaincre legierement,
Et maintenant t’en fuys ſi laſchement.
Laiſſe le donc, & plus ne t’eſvertue
De l’aſſaillir, ſi ne veulx qu’il te tue.
    Ainſi diſoit la Grecque par courroux.
Mais Alexandre avec ung parler doulx,
Se parforcoit de l’appaiſer. M’amye
(Ce diſoit il) ne te courrouce mye,
Si le Gregeois (ſecouru de Minerve)
M’a ſurmonte, encores je reſerve,
Que quelque ſois par moy vaincu ſera :
Alors qu’ung Dieu me favoriſera.
Car je ne ſuis de leur faveur ſi loing,
Que je ny treuve ayde, à mon grand beſoing.
Or je te pry maintenant ma tres chere,
De me monſtrer plus agreable chere
Reſjouys toy, & couchons nous enſemble,
Car je ne fus (au moins comme il me ſemble)
Onc enflammé de ſi ardent deſir :
Non quand je vins premierement geſir
Avecques toy, dedans l’iſle Cranée.
    Apres ces motz, ſut la belle amenée
Sur le beau Lict :, ou ſans plus de propos,
Les deux Amans ſe meirent en repos.
    Menelaus ce pendant plein de rage,
Plus furieux qu’une beſte ſaulvage,
Parmy le Camp ne faiſoit que chercher
Son ennemy, pour toſt ſ’en deſpeſcher.
Mais les Troiens n’y leurs gens ne povoient
Le deſcouvrir, pour ce qu’ilz ne ſcavoient
Ou il eſtoit. Et ſ’ilz l’euſſent cogneu,
    La l’amytie n’euſt aulcun retenu
Que ſur le Champ, n’euſt eſté deſcouvert.
Car l’Adultere, à tous clair & ouvert,
Luy concitoit une ſi grande hayne,
Qu’on deſiroit ſa fin & mort ſoubdaine.
    Agamemnon voyant eſtre notoire
À tout le Camp, que l’honeur, & Victoire,
Appartenoit à ſon Frere par droit,
Quand la raiſon entendre l’on vouldroit :
Se meit avant, diſant. Troiens Souldards,
St vous auſſi qui ſoubz leurs eſtandards
Eſtes venuz, ſouſtenant leur querele.
De voſtre foy je vous Somme & appelle.
Vous avez veu Menelaus le fort,
Avoir vaincu par Martial effort,
Voſtre Paris qui à laiſſé la Place :
Or faictes donc que l’on nous ſatifface.
Rendez la Grecque, avec le bien ravy :
Et neantmoins pour l’honeur deſſervy,
Soit aux Gregeois, deſſus Troie, aſſignée


Certaine Rente, & à noſtre Lignée

    Ainſi parla, dont les ſiens le louerent :
Et ſa ſentence en criant auouerent.



FIN DV TROISIESME LIVRE.


LE QVATRIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




LES DIEVX eſtoient au Palais nompareil
De Iuppiter, aſſemblez en conſeil :

Hebé, ſert de Couppe.

Auſquelz Hebé la gentille ſeruoit

Du doulx Nectar, dont chaſcun d’eulx beuuoit


Tant & ſi bien, que la dorée Coupe,


De l’ung à l’aultre alloit parmy la troupe,
Ayans touſjours la veue & la penſée,
Sur la Cité du long Siege laſſée.
    Lors Iuppiter eſpris d’ardent deſir
De ſe mocquer de ſa Femme à plaiſir :
Pour l’irriter meit avant ung propos,
Qui la priva bien ſoubdain de repos.
    En ce combat (dict : il) qu’avez peu voir,
Dieux immortelz, je vous fais aſcavoir,
Qu’il ya deux Deeſſes qui ſoubſtienent
Menelaus, leſquelles ſe contienent
Preſentement en plaiſir & ſoulas,
Rians à part : C’eſt la forte Pallas,
Avec Iuno mais Venus gratieuſe,
D’aultre coſté eſt triſte & ſoucieuſe,
Pour ſon Paris, ayant faict grand effort
De le tirer du danger de la mort.
Bien cognoiſſant qu’il n’a force ne cueur
De reſiſter au Grec qui eſt vainqueur.
Or maintenant il convient adviſer,
Auquel des deux vouldrons favoriſer :
S’il ſera bon rengreger le diſcord
Entre les camps, ou les mectre d’accord.
Certainement une concorde ſtable,
Ne pourroit eſtre à tous deux que ſortable :
Car le Gregeois en recouvrant Heleine,
Delivreroit les ſiens de bien grand peine.
Puis la Cité de Priam, tant ventée,
Seroit touſjours de beau peuple habitée.
    Ce fainct parler les Deeſſes troubla
Trop vivement, dont leur ire doubla :
Pallas retint touteſfois ſon courroux,
Contre le Pere, & le porta tout doulx :
(Bien qu’elle fuſt enflambée, & deſpite
Tres grieſvement) Mais Iuno la ſubite
(Quoy qu’il en deuſt eſtre pour l’advenir)
Ne peut jamais ſa fureur contenir,
Et dict ainſi. Ô Mary trop moleſte,
D’ou vient cela, que ton vouloir conteſte
Contre le mien ? As tu quelque raiſon
D’uſer ainſi vers moy de Trahyſon ?
Vouldrois tu bien, la Sueur, les travaulx
Que j’ay ſouffertz, & mes divins Chevaulx,
Pour aſſembler tant de Souldardz en place,
Eſtre perduz, & de nulle efficace ?
As tu deſja trouvé quelques moyens,
Pour garantir Priam, & les Troiens ?
Or fais du tout ce que tu pourras faire :
Il adviendra touteſfois le contraire.
Moy, & les Dieux, ſi bien y entendrons,
Qu’il n’en ſera, que ce que nous vouldrons.
    Quand Iuppiter ce deſſus entendit,
Ung grand Souſpir de l’Eſtomach rendit :
Diſant ainſi. Malheureuſe Deeſſe,
Quel deſplaiſir, quel mal, quelle rudeſſe,
T’a faict Priam, & ſes Filz, que tu vueilles
Ainſi leur fin ? & ſans ceſſer te dueilles
Si tu ne vois la Troiene Cité,
Par les Gregeois, miſe en neceſſité ?
Certainement je croy que ſans la honte
Qui te retient, & ta Fureur ſurmonte,
Long temps ya que tu feuſſes en voye,
Pour t’en aller en la Cité de Troie :
Et la, par toy comme fole enragée,
À belles dentz ſeroit la chair mengée
Du Roy Priam : Cela pourroit ſuffire
Tant ſeulement à refrener ton ire.
Puis qu’ainſi va, Entreprens, Fais, Abuſe
De ton vouloir, & ſur moy ne t’excuſe.
La ne ſeras en cecy eſcondite,
Ne contre toy une parole dicte.
Mais entens bien, & mets en tes eſpritz
Ma volunté. Quand j’auray entrepris
À l’advenir pour mon ire appaiſer,
De tes Citez la plus belle raſer,
Ne penſe pas alors contrevenir
À mon décret, mal t’en pourroit venir.
Veu meſmement qu’a ton intention,
Ie me conſens à la deſtruction
De la Cité la plus riche & inſigne
Deſſoubz le Ciel, & du Roy le plus digne,
Que j’ayme mieulx, & plus doibs honorer,
Pour le devoir qu’il faict de reverer
Ma Deité, par les belles Hoſties,
À mes autelz nuyct : & jour deſparties.
    Adonc Iuno ſatiſfaiſte & contente,
Voyant venir le fruict de ſon attente
Luy reſpondit. Iuppiter j’ay trois Villes
Pleines de gens, uſans de loix civiles,
Que j’ayme bien : C’eſt Argos l’opulente,
La forte Sparte, & Mycene excellente.
Quand te plaira en faire raſer l’une,
Ou toutes troys, la reſiſtence aulcune
Ne trouveras ; Auſſi quand je vouldroye
Contrarier, certes je ne pourroye.
    Tu es trop fort : il fault qu’à ta puiſſance,
Dieux & humains preſtent obeiſſance.
Semblablement grand tort me ſeroit faict,
Si mon deſſeing demouroit ſans effect
Ie ſuis Deeſſe auſſi bien que toy Dieu :
Fille à Saturne, & née en premier lieu :
Puis c’eſt raiſon, comme ton Eſpouſée,
Que ſur tous ſoye honorée & priſée.
Vivons en paix, & ne debatons point.
Tenons les cueurs uniz, quant à ce poinct.
Et ce faiſant, la divine aſſemblée,
Souventeſfois de noz debatz troublée,
S’eſjouyra voyant ceſte union,
Et deſcendront à noſtre opinion.
Commande donc à Minerve d’aller
Diligemment au Camp renouveler
L’horrible noiſe : & que ſi bien avance,
Que les Troiens rompent la convenance.
    Adonc le Dieu, accordant ſa requeſte,
Dict à Pallas. Ma fille point n’arreſte,
Va promptement devant Troie, & ſuſcite
Couvertement le Troien exercite,
À violer l’accord deſja promis,
En aſſaillant les Grecs leurs ennemys.
    Apres ces motz, encore ung coup l’enhorte
À ſ’en aller ſoubdainement : De ſorte
Que la Deeſſe en deſcendant grand erre,
Eſpouventa ceulx qui eſtoient en terre.
Car tout ainſi, que Iuppiter envoye
Le Fouldre ardent, qui reluyt & flamboye,
Dont bien ſouvent les peuples combatans,
Ou ceulx qui ſont en la mer frequentans,
Ont grand frayeur, penſans en leur courage,
Que ce leur ſoit quelque maulvais preſage.
De meſme ſorte, ardente & enflammée
Comme une Eſtoille, au mylieu de l’armée
S’en deſcendit, dont les camps ſ’eſbahyrent.
Et lors entre eulx furent quelqu’uns qui dirent
S’eſmerveillans. Ce prodige nous monſtre
Quelque bonheur, ou malheur à l’encontre.
Ou nous aurons toſt la Paix bien heurée,
Ou ceſte guerre aura longue durée.
    Eſtant Pallas deſcendue en la plaine,
Subitement print la ſemblance humaine,
D’ung des enfans d’Antenor le vieillard,
Laodocus belliqueux & gaillard.
Puis ſans arreſt, parmy Troiens ſe meſle :
Ayant deſir ſcavoir quelque nouvelle
De Pandarus le valeureux Archer.
Tant exploita, qu’apres le long chercher,
Elle le veid garny de belles armes,
Environé d’ung nombre de Genſdarmes
Tous ſes ſubjectz, & nourriz pres du Fleuve
Dict Aſopus : leſquelz pour faire eſpreuve
De leur vertu, reputoient à grand heur,
D’avoir ſuivy ſi vaillant conducteur.
Lors ſ’approcha la Deeſſe aux vers yeulx,
En luy diſant Prince victorieux,
De Lycaon prudente geniture,
Si tu voulois accepter l’avanture
Qui ſe preſente, on te pourroit clamer,
Le plus heureux qui ſoit deca la mer.
Il eſt beſoing maintenant que tu jectes
De grand roydeur, une de tes Sagettes,
Pour tranſpercer Menelaus le fort.
Et ſi tu fais ce Martial effort,
Ô quel honeur, helas quelle grand gloire
Rapporteras, de ſi belle victoire.
Et meſmement de Paris Alexandre,
Lequel voyant ainſi le ſang eſpandre
De l’ennemy, ſi joyeux en ſera,
Que de beaulx dons te recompenſera.
Prens donc courage, & apreſte ton Arc :
Faiſant ung veu à Phœbus, que du parc
De tes brebis luy ſera faict offrande,
S’il veult permettre accomplir ta demande :
Et ſ’il te donne apres temps & povoir
De ta Cité de Zelie revoir.
À ces beaulx mots. Pandarus conſentit
Trop folement, dont puis ſe repentit.
Alors tira ſon Arc, grand & poly
Hors du fourreau, garny de cuyr boully.
Or c eſt Arc cy, par merveilleux ouvrage,
Fut faict des Cors d’une Chievre ſauvage :
Que Pandarus avoit ſi bien chaſſée,
Que ſur ung roc l’avoit aux flans bleſſée,
Et puis des Cors, par ung ouvrier ſubtil,
Feit faire l’Arc tant propre & tant gentil.
Ces Cors avoient ſeize pas en longueur,
Qui ne povoient fléchir qu’à grand rigueur :
Mais l’Artillier tellement y poſa
L’entendement, que l’arc en compoſa.
Et pour le rendre encores plus duiſant,
Feit les deux boutz d’or fin & reluiſant.
Pandarus donc, ſans vouloir guere attendre,
Tira ceſt Arc, & ſe meit à le tendre,
Et pour garder qu’on ne peuſt deſcouvrir
Son entrepriſe, il ſe feit lors couvrir
À ſes Souldardz de leurs Boucliers, afin
Que le Gregeois, trop cauteleux & fin,
Ne ſ’adviſaſt, & l’eſmeute ſoudaine,
Ne luy rendiſt ſon entrepriſe vaine.
L’arc mis en poinct, de ſon carquois il jecte
Une ferrée & piquante Sagette,
Bien empennée, & toute convenable
À donner mort, cruelle & miſerable.
Deſſus la met, & puis ſes veux adreſſe
Au Dieu Phœbus, en luy faiſant promeſſe
De beaulx Aigneaux, ſ’il luy veult octroier,
Qu’il puiſſe bien la Sagette employer.
Le veu finy, ſon Arc de force tele
Il enfonca, qu’à la droicte mammelle
Mena la Corde, & quant & quant la poincte
De la Sagette eſtoit unie & joincte
Bien pres de l’arc. Puis comme bon archer
Soubdainement ſe meit à deſcocher :
Dont le fort nerf, & l’arc en deſlachant
Feirent ung bruyt merveilleux & trenchant
Les Dieux alors ne furent de toy loing
Menelaus, il t’en fut grand beſoing.
Meſmes Pallas aux armes furieuſe,
De ton ſalut ſe monſtra curieuſe.
Car tout ainſi que la Mere regarde
Son Petit Filz endormy, & le garde
Songneuſement, que l’ennuyeuſe Mouſche
La tendre chair du viſage ne touche :
De pareil ſoing Minerve deſtourna
Le traict mortel, qui touteſfois donna
Droict au Bauldrier, & feit telle poincture,
Que la grand Boucle attachant la Ceincture,
Laquelle eſtoit d’or maſſif, fut percée :
Pareillement la Cuyraſſe faulſée,
Avec la lame, & ſi bien ſ’acrocha,
Que dans la chair du fort Gregeois toucha.
Dont toſt apres on veid yſſir le Sang.
Et tout ainſi que ſur l’yvoire blanc,
Souventeſfois les dames de Carie
Mettent la Pourpre, & font en Broderie
Pour les Chevaulx belles Rennes exquiſes,
Des Chevaliers tant aymées & quiſes :
Qui touteſfois ſont de ſi riche arroy,
Que c’eſt ung propre ornement pour ung Roy :
De tainct pareil, voire de plus beau luſtre
Fut lors la chair de ce Gregeois illuſtre,
Du ſang vermeil qui tout ſoubdain coula,
Et par la cuyſſe aux talons devala.
De ce dur coup, ſubit & violent,
Fut le grand Grec Agamemnon dolent,
Et le bleſſé ſouffrit grande douleur,
Voyant ſa playe, & changea de couleur.
Lors ſ’approcha ſon bon Frere germain,
En ſoupirant, & le print par la main.
Puis aſſiſtans la plus grand part des Grecs,
Piteuſement commencea ſes regretz.
Las (diſoit il) Ô ma ſeule eſperance
Mon Frere cher, fault il que l’aſſeurance,
Qu’on te donna aſſaillant le Troien,
Soit maintenant de ta mort le moyen ?
Te devoit on meurdrir couvertement,
Apres l’accord paſſé ſi ſainctement ?
Ou eſt la Foy devant les Dieux jurée,
De ceſte Gent meſchante & parjurée.
Helas pourra la divine Iuſtice
Diſſimuler ceſte ſaincte malice ?
Ie croy que non. Car combien que les Dieux
Facent ſemblant de ſe rendre oublieux
Par quelque temps, du forfaict des humains,
Finablement ilz y mectent les mains
Si aſprement, que la grande longueur,
Eſt convertie en cruelle rigueur.
Ainſi ſera de ces Trayſtres infames.
Car quelque jour eulx, leurs Filz, et leurs Femmes,
Seront punyz : & verront ſur leur teſte,
Tumber du ciel tres horrible tempeſte.
Ie ſcay tres bien que Troie perira
Avant long temps, & que l’on occira
Le Roy Priarn : Car la fureur divine,
Qui tous les faictz des mortelz examine,
Eſt tellement contre luy provoquée,
Qu’elle ne peult eſtre plus revoquée.
Mais quel meſchef, helas quelle triſteſſe
Ce me ſera, ſ’il fault que je te laiſſe :
Et que ton corps de la mort aſſailly,
Soit en pays eſtrange enſevely.
Las, que dira la Grece à mon retour,
Tous ceulx d’Argos, & du pays d’entour,
Sachans ta mort : Et ceulx qui ſont icy,
Auront il pas fantaſie & ſoucy
De ſ’en aller ? Laiſſans gloire proſpere,
Aux faulx Troiens, & à nous vitupere :
Laiſſans Heleine, & dont je ſuis marry
Plus griefvement, laiſſans ton corps pourry
En ce pays. Dont apres adviendra,
Que bien ſouvent quelque Troien viendra
À ton Sepulchre, & couché deſſus l’herbe,
S’eſcriera tout enflé de ſuperbe.
Or plaiſe aux Dieux, que les aultres empriſes
D’Agamemnon, ſoient à telle fin miſes,
Que ceſte cy, ou les Grecs ſejournerent
Par ſi long temps, & puis ſ’en retournerent
Honteuſement. Ainſi le pourra dire,
Le fier Troien : mais pluſtoſt je deſire,
(Dieux immortelz) que par mort je periſſe,
Et que la terre en ſ’ouvrant m’engloutiſſe.
    Menelaus (combien que la bleſſure
Le tourmentait) de contenance ſeure,
Print la parole, & ſoubdain reſpondit
Virilement à ſon Frere, & luy dict.
Rejouys toy mon Frere, & prens courage :
Car tu pourrais par ce triſte language,
Dedans l’eſprit des Grecs telle peur mectre,
Qu’on ne pourroit bonnement les remectre.
Puis je ſens bien, que le coup n’eſt pas tel,
Qu’il m’ait bleſſé juſqu’au peril mortel.
La Boucle dor de ma Ceincture belle,
Et la Cuyraſſe eſprouvée & fidele,
Deſquelz je ſuys armé tout au devant,
Ont empeſché de percer plus avant.
Or vouluſt Dieu (dict ; Agamemnon lors)
Frere & amy, que tu fuſſes dehors
De ce danger, & que le coup ſouffert,
Fuſt gueriſſable. Ung Médecin expert
Que je cognois, ſi bien te penſeroit,
Que tes douleurs noires appaiſeroit.
Diſant ces motz, à ſon Hérault commande
Taltibius, d’aller de bande en bande,
Chercher le Filz d’Eſculape le Dieu,
Dict Machaon : Luy priant qu’en ce lieu
Se vueille rendre, afin de viſiter
Menelaus, & ſa playe taſter,
Qu’ung de Lycie ou de Troie à bleſſé
En trahyſon, cuydant avoir laiſſé
À tous les Grecs infamie notoire :
Et aux Troiens trop joyeuſe victoire.
Taltibius diligemment ſ’en va
Parmy le Camp, & feit tant qu’il trouva
Le medecin, pour lors environné
D’ung Bataillon, qu’il avoit amené
Avec ques luy, de Trice ſa grand ville,
Riche en herbage, & de Chevaulx fertile.
Adonc luy feit entendre ſon meſſage,
Luy ſuppliant vouloir faire ung partage
Devers le Roy Agamemnon, pour voir
Menelaus : & à ſon mal pourvoir
Fidelement. Lequel prompt d’obeyr
Y conſentit, non ſans fort ſ’eſbahyr
De l’accident. Si ſ’en part & arrive,
Ou il trouva une troupe entendue
De princes Grecs, attendans ſa venue,
Qui bien vouloient la playe eſtre cognue.
    Incontinent ce divin perſonage.
Feit les appreſtz duyſans à ſon ouvrage.
En premier lieu, tout doulcement luy tire
La fleſche hors, ſans luy faire martire,
Et la tirant ſut l’oreille rompue


De la Sagette, & piquante, & fourchue.

De ſon Bauldrier, & ſa Cuyraſſe forte
Le deſarma tout gentement : de ſorte
Qu’il veit à l’oeil, ſi la bleſſure entroit
En lieu mortel, & combien penetroit.
    Apres qu’il eut la playe regardée,
Oſté le ſang, nettoyée, ſondée,
Y appliqua oignementz de valeur,
Ayans vertu d’appaiſer la douleur.
Leſquelz jadis, le bon Chiron apprit
À Eſculape : & Machaon en prit
Autant de luy : puis de ceſte ſcience,
Souventeſfois feit vraye experience.
    Ce temps pendant, les Troiens ſ’accoutrerent
De leurs harnoys, & aux champs ſe monſtrerent
Pour batailler. Les Grecs d’aultre coſté,
(Trop irritez de ceſte cruaulté)
Furent ſoudain en ordre bien armez :
À ſe venger ardentz & animez.
    Lors ne fut veu Agamemnon dormir,
Ne ſ’en fouyr, ou par crainte bleſmir ;
Mais comme Chef, & Roy chevalereux
Voulant combatre, & la mourir comme eulx.
Si deſcendit du Chariot Royal :
Lequel laiſſa à ſon ſervant loyal
Eurymedon, luy commandant tenir
Ses Chevaulx preſtz, & apres luy venir
Pour remonter, ſ’il ſe trouvoit laſſé,
Quand il aurait parmy les Rencz paſſé.
    Tout à beau pied il regarde, il viſite,
Les Eſcadrons de ſon bel exercite.
Et ceulx qu’il voit marcher de bon viſages,
Il les conforte, & accroiſt leur courage.

    Mes bons amys, fleurs de toute la Grece,
N’oubliez pas voſtre force & proueſſe
À ce jourdhuy : Souviene vous auſſy,
Que Iuppiter n’aura point de mercy
Des faulx Troiens, qui ont injuſtement
Ainſi faulſé leur promeſſe, & ſerment.
Voicy le jour que nous ſerons vengez :
Et que leurs corps ſeront des Chiens mengez,
Et des Vaultours : leurs maiſons ruynées,
Leur bien pillé, Filz & Femmes menées
Dans noz vaiſſeaux puis comme triumphans,
Irons reveoir noz pays & Enſans.
    Ainſi diſoit le bon Roy ; Mais à ceulx
Qu’il cognoiſſoit à marcher pareſſeux,
Il les tancoit, & uſoit de menace.
Ô deſhoneur de la Gregeoiſe race,
(Ce diſoit il) tiendrez vous quelque compte
De voſtre honeur ? N’aurez vous point de honte
De demourer ainſi craintifz & mornes,
Comme les Cerfz chargez de grandes cornes :
Qui bien ſouvent mal menez & preſſez
Par les Veneurs, ſ’arreſtent court laſſez
Emmy les champs, & la ſurpris de crainte,
Sont attrapez : car leur force eſt eſtaincte.
Attendrez vous ſans plus avant marcher,
Iuſques à tant que verrez approcher
Les ennemyz, pour voz navires prendre,
Et vous meurdrir ? Penſez vous veoir deſcendre
Quelqu’ung des Dieux, pour de mort vous ſaulver,
Sans qu’il vous faille au Combat eſprouver ?
    Apres ces motz, paſſant oultre, il s arreſte
Droict en la place ou les Souldardz de Crete

Se preparoient à l’entour de leurRoy,
Qui les rengeoyt en bel ordre & arroy.
Et ſon amy Merionés eſtoit,
Aux plus loingtains, qui tres fort les haſtoit
De ſ’avancer. Adonc le grand Gregeois
Luy dict ainſi, avec ſemblant courtois.
Idomenée entre les Roys & Princes,
Qui m’ont ſuivi des Gregeoiſes Provinces,
Ie t’ay porté honeur plus ſingulier,
Fuſt en public, ou en particulier,
Fuſt en la Guerre, ou bien quand on ſ’aſſemble
Dedans ma tente à banqueter enſemble.
Et qu’il ſoit vray je n’ay ſi grand amy,
Qui puiſſe avoir ſa Coupe que à demy
Pleine de Vin, & à toy eſt donnée
Entierement comblée, & couronée :
Voulant monſtrer, que tes faveurs ſont grandes,
Ayant de moy tout ce que tu demandes.
Monſtre toy donc au jourdhuy meriter
Ceſte faveur : Et pour bien t’acquicter,
Fay qu’on te voye, entre les plus hardiz,
Prompt au combat, comme ſouvent tu dis.
    Tu me verras au mylieu de la preſſe,
(Dict : il alors) pour tenir ma promeſſe :
Faiſant cognoiſtre à chaſcun clairement,
Que je t’honore & t’ayme cherement.
Mais toy va toſt, & fay que l’on combate
Diligemment, afin que l’on abbate
L’orgueil Troien : qui par ſon arrogance,
À violé ainſi la convenance.
    Trop fut joyeux Agamemnon de veoir
Idomenée en ſi loyal devoir.

Sur quoy le laiſſe, & vint droict rencontrer
Les deux Ajax ſe faiſans acouſtrer
De leurs harnoys. Leſquelz vue grand bande
De gens de pied, eſtenduz par la lande,
Suivoyent en ordre, & à les veoir uniz
De leurs Bouclers, & de beaulx Dardz muniz,
On euſt jugé de loinz eſtre une Nue
Pleine de greſle, ou de pluye menue :
Que le Berger voit arriver ſouvent
Devers la Mer pouſſée par le vent,
Dont tout craintif eſt contraint ſe cacher
Et ſes troupeaux, deſſoubz quelque Rocher.
    Adonc leur dict (voyant ceſte Cohorte)
La n’eſt beſoing qu’ores je vous enhorte
Mes Compaignons, vous eſtes diligens
Plus que nul aultre à ordonner voz gens.
Que pleuſt aux Dieux, qu’en ſi bel equipage,
Fuſt tout le reſte, & de pareil courage :
Noz ennemyz ſeroient toſt mis en fuyte,
Et leur Cité Sacagée & deſtruicte.
    Ces motz finiz, il paſſe plus avant,
Et vint trouver Neſtor le tres ſcavant,
Et bon Vieillard, qui mectoit ſoing & peine
À diſpoſer ſes Souldardz en la plaine.
Or avec luy avoit ce bon Neſtor,
Cinq vaillantz Ducz, Pelagon, Alaſtor,
Emon, Brias, & Chromius, pour mectre
Ses gens en ordre, & pour ne leur permettre
Son ordonnance en rien oultrepaſſer.
Premierement, il faiſoit avancer
Ses Chariotz au front, pour ſoubſtenir
Le plus grand faix, Apres faiſoit tenir

Les plus eſleuz des gens de pied Derriere :
Et au mylieu les Foibles, De maniere
Qu’eſtans encloz, tant euſſent ilz grand crainte,
Il leur faloit combatte par contrainte.
Aux Chevaliers, il enſeignoit comment
Ung homme ſeul, ne doibt aucunement
Laiſſer ſon Renc, pour l’Ennemy choquer ;
Soit pour defendre, ou pour le provoquer.
Et qu’il ne fault avoir tant defiance
En ſes Chevaulx, & moins en ſa vaillance :
Car en laiſſant ſi folement ſon ordre,
On ſ’affoibliſt, dont vient le grand deſordre.
Diſoit encor, que venant à ſe joindre
Aux Chariotz, il eſt meilleur de poindre
De coup de Lance, ou de Traict, que d’Eſpée.
Mainte Cité, fut jadis occupée
En ce faiſant, des anciens Gendarmes :
(Ce diſoit il) Maintz valeureux faiſtz d’Armes,
Ont eſté mis à execution :
Ayans ſuivy la miene intention.
    Ainſy parloit le Vieillard honorable :
Deſirant fort ſe monſtrer ſecourable
En la Bataille. Et lors Agamemnon
Luy dict ainſi. Prince de grand renom,
Or pleuſt aux Dieux, que pour ceſte journée,
Te fuſt du Ciel à mon ſouhait donnée,
Dedans ton corps, tant de force & povoir,
Comme tu as en l’Eſprit de ſcavoir.
Helas que n’eſt ta vieilleſſe laſſée
En quelque corps d’ung plus jeune paſſée.
Que ne voit on pour ce Camp ſecourir,
Ce bon Vieillard rajeunir, reflourir.

    Ie le vouldrois (dict : il) & qu’orendroit
Ie me trouvaſſe & puiſſant, & adroict :
Comme le jour qu’Ereuthalion fort,
Fut par mes mains delivré à la mort.
Mais quoy, ceſt faict jamais les Dieux ne donnent
Le tout enſemble aux hommes : mais ordonnent
Que apres jeuneſſe en tout mal adviſée,
Soit la vieilleſſe & prudente, & ruſée.
Ieune me veis, ores vieil je me treuve,
Et inutile à faire grande eſpreuve
Quant à la main : Touteſfois je ſeray
Pour le conſeil tout ce que je pourray.
L’honeur du vieil eſt à bien conſeiller :
Et du plus jeune à tres fort batailler.
Combate donc qui peult, & qu’on ſ’aſſeure,
Que de ma partie m’en vois de ceſte heure
Entre les gens de Cheval me renger,
Pour les inſtruire à leur faict diriger.
    Agamemnon ayant Neſtor ouy,
Fut en ſon cueur grandement reſjouy.
Puis, ſans aller le long de la portée
D’une grand traict d’arc, rencontra Meneſthée
Le courageux, entre les Capitaines
Et bons Souldardz de la Cité d’Athenes.
Au pres de luy en grande compaignie
Fut Vlyſſés Roy de Cephalonie,
Tous de pied coy, ſans aultrement marcher :
Mais attendans de voir eſcarmoucher
Quelques Souldardz, recommenceans la noiſe.
    Alors le Chef de l’armée Gregeoiſe,
Les accuſent comme de negligence,
Leur dict ainſi. Ou eſt ta diligence

Ô Meneſthée, & de toy Vlyſſés ?
Avez vous peur ? Qu’eſt ce que vous penſez
Qu’attendez vous ? que n’eſtes vous premiers ?
En mes banquetz, vous eſtes couſtumiers
D’eſtre au plus hault, La chair la mieulx roſtie
Vous eſt touſjours à ſoubhait deſpartie.
Et ſi de boire aſſez quelque deſir,
Le vin ſouef on vous baille à plaiſir.
Or tant ſ’en fault, que vous monſtrez haſtiſz
À batailler, que faictes les reſtifz.
Et laiſſeriez voluntiers ſans bouger,
De vos amyz dix Bandes en danger.
    Le Grec ſubtil oyant ceſte parole
Fut tres dolent, & d’une chaulde cole
Le regardant de travers, reſpondit
Filz d’Atreus qu’eſt ce que tu as dict ?
Nous penſes tu ſi Laſches & Remiz,
Pour n’approcher des Troiens ennemys ?
Ne cauſe plus mais vien, ſ’il te plaict voir
Cil qui ſera au jourdhuy ſon devoir.
Et ſi le Pere au gent Telemachus
Enfondrera Cuyraſſes & Eſcus :
Donnant premier dans la Troiene preſſe,
Autant ou mieulx que nul Prince de Grece.
    Agamemnon cognoiſſant ſon courroux,
Luy repliqua avec ung parler doulx.
Illuſtre Roy, Filz au bon Laërtés,
Tes vaillans faictz ſont experimentez
De longue main, accuſer ne te veulx :
I’aurois grand tort, tu es trop valeureux.
Le bon conſeil de ton ame prudente,
Et ta Proueſſe eſt à tous euidente.

Appaiſe toy, ſans plus te ſouvenir
De mon parler, tout au temps advenir
S’amendera. Ce pendant je te prie,
Te monſtrer tel comme chaſcun te crie :
Et que les motz que je t’ay proferez,
Sont par trop vains, & inconſiderez.
    Diſant cecy, il le laiſſe & ſ’en va
Ung peu plus oultre, auquel endroit trouva
Diomedés le Prince magnanime,
Deſſus ſon Char : non qu’il feiſt aultre eſtime
De ſ’avancer, mais illec deviſoit
Avec celuy, qui le Char conduyſoit,
Dict Stenelus, le Filz de Capanée,
Ne penſant rien faire celle journée.
    Agamemnon voyant ſa contenance,
Tout rudement à luy dire l’avance.
Filz de Tidée, hélas & que crains tu ?
Attens tu point que l’on ayt combatu
Ung bien long temps ? veultx tu que l’on te face
Premierement, par les Troiens la trace ?
Las, ton feu Pere eſtoit bien plus hardy,
Rien ne craignoit, onc ne fut eſtourdy,
Pour gref danger ou mortele Rencontre :
Ains bien ſouvent alloit ſeul à l’encontre
Des Ennemys. Ie l’ay ouy compter
À pluſieurs gens, qui l’ont voulu hanter.
Onc ne le vey, bien qu’il ayt viſité
(Comme l’on dict) Micenés ma Cité.
Meſmes au temps qu’il demenoit la guerre
Aux fortz Thebains : il y vint lors requerre
Quelque ſecours avec Polynicés,
Pour refreſchir leurs Gendarmes laſſéz.

Et vouloir on de bon cucur ſubvenir
À leur armée, & leur party tenir :
Si Iuppiter par ſignes apparentz,
N’euſt deſtourné mes Subjeſtz & Parentz.
Dont ſut contrainct, apres long ſejourner,
Sans nul ſecours, en ſon Camp retourner.
Lequel eſtoit aſſis ſur le rivage
D’Aſopus, Fleuve abondant en herbage
Illec ne feit Tidée long ſejour
Comme l’on dict : Car des le meſme jour,
De par les Grecs il fut luy ſeul tranſmis
Ambaſſadeur aux Thebains ennemys,
Et à leur Roy Eteocles nommé
Dedans la ville entra tres bien armé :
Ou il trouva devant le Roy, grand nombre
De fortz Thebains, qui deviſoient à l’ombre
Et quand il eut declairé ſon meſſage,
Il leur monſtra ſa puiſſance & courage,
Les provoquant par maniere d’eſbat
À ſ’eprouver contre luy au Combat :
Si les vainquit : Car Pallas la Deeſſe
Luy augmenta ſa force & hardieſſe.
Dont les Thebains ſe voyans oultragez,
Iurerent lors qu’ilz en ſeraient vengez
Cruellement. Et pour ce faire, meirent
Embuſche aux champs, à laquelle commirent
Le preux Meon, avec Meneptoleme
Tueur de Loupz qu’il eſtrangloit luy meſme.
Par ces deux Chefz furent adonc conduictz
Secretement Cinquante hommes tous duiſtz
À la menée, & ſ’allerent cacher
En lieu couvert penſans le depeſcher.

Qu’en advint il ? Si bien ſe defendit,
Que de ſa main tous mortz les eſtendit
Tant ſeulement de ceſte Trahyſon,
Il renvoya Meon en ſa maiſon :
À celle fin que l’on veut quelque ſigne
De leur meſchance, & de ſa force inſigne.
Tel eſtoit donc le bon Roy d’Aetolie,
Mais en ſon Filz eſt la race faillie :
Engendré l’a de trop plus belle taille,
Et mieulx parlant, mais moindre à la bataille
De pareilz motz Agamemnon piqua
Diomedés, qui point ne repliqua :
Mais ſe contint tout honteux en ſilence,
Craignant faſcher la Royale excellence.
    Son compaignon qui bien ouyt cecy,
Print la parole, & reſpondit ainſi.
Agamemnon, puis que tu ſcais les choſes
Eſtre aultrement que tu ne les propoſes,
Ie te ſupply ne vouloir deſguiſer
La verité, ne tant nous meſpriſer.
Car quant à nous je puis dire en ta face,
Que noſtre Force & vaillance ſurpaſſe
Trop grandement celle de noz vieulx Peres :
Comme plus duictz aux exploictz militaires.
La la Cité de Thebes à ſept portes
N’eut reſiſté, ne ſes murailles fortes :
(Ayant eſté de nous deux aſſiegée)
Qu’on ne l’euſt veue en brief temps ſacagée.
Ou noz Parens, pour l’avoir aſſaillie,
Y ſont tous mortz, par leur grande folie.
Parquoy tays toy, ou tes paroles change,
Donnant aux Filz plus qu’aux Peres louange.

    Diomedés fut mal content d’entendre
Son compaignon ſi durement contendre
Et le reprint avec ſemblant plein d’ire
Parlant ainſi. Mais qui te meut de dire
Tous ces propoz ? Ne pourroit on ſe taire
Sans conteſter en ſi urgent affaire ?
Agamemnon n’a pas tort de ſe plaindre,
De ceulx qu’il voit à la Guerre ſe faindre :
Car tout ainſi qu’il aura grand honeur
Eſtant vainqueur, il auroit deſhoneur
D’eſtre vaincu, La gloire ou le meſchef
De ce Combat retourne ſur ſon chef.
Et quant a nous, il fault devant les hommes
Monſtrer de faict : quelz gendarmes nous ſommes.
    Diſant cela, il deſcend en ſurſaut
Du Chariot, & en faiſant le ſault,
Son beau harnois faict de riche facon,
S’entre frappant feit ſi horrible ſon,
Qu’il n’eſt Souldard tant remply de fierté,
Qui ne ſe fuſt ſur l’heure eſpoventé.
    Lors peult on veoir les Batailles rengées
Des fortz Gregeois par ordre dirigées,
S’entreſuyvir de pres, comme les Vndes
Dedans la Mer eſpeſſes & profondes,
Sont par les ventz pouſſées au rivage :
Non ſans grand bruyt, & dangereux Orage.
    Les conducteurs ne ceſſoient d’enhorter
Les bons Souldardz, & les admoneſter :
Leſquelz voulans à leurs chefz obeyr
Marchoyent touſjours ſans de rien ſ’eſbahyr :

<poem>

Ne diſans mot, eſcoutans leur harangue : Si qu’on euſt dict quil n’avoyent point de langue.     Mais les Troiens au contraire marchans, De leur grand bruy, rempliſſoyent tous les Champs. Et les voyant ainſi ſe preparer, On les pourrait droictement comparer, Aux beaulx troupeaulx, que le Berger aſſemble : Mectant Brebiz & Aigneaux tous enſemble Dedans le Parc de ſon maiſtre ou ſ’efforce Tirer le laict dicelles à grand force. Dont les Brebiz crians haultement beſlent, Et leurs Aigneaux deſirent & appellent : Faiſans grand bruyt. Semblable crierie, Feirent Troiens parmy la grand prairie, De divers ſons, & de motz incognuz, Comme ilz eſtoient de divers lieux venuz.     Les Grecs eſtoyent à combatre animez De par Minerve, Et Troiens enflammez Du cruel Mars : Terreur, Crainte, tenoient Pour tous les deux, & leurs faictz ordonnoient. Et qui plus eſt Contention, Compaigne Et Seur de Mars, ſe monſtroit en campaigne.     Ceſte Deeſſe encor qu’à ſa naiſſance Soit bien petite, & de peu de puiſſance : Touſjours ſe haulſe & jamais ne ſ’arreſte, Qu’elle ne touche au Ciel avec la teſte : Sans touteſfois bouger les piedz de Terre. Or eſtoit elle arrivée à grand erre Expreſſement, pour ſemer des Quereles, Noyſes, Debatz, Diſſentions morteles. <poem> <poem> Dont par apres il en pourroit ſortir Pleurs, & ſouſpirs, & ung tard repentir.     Quand les deux Camps commencerent ſe veoir En lieu patent, lors ſe v nt eſmouvoir Maintz coupz de Fleſche, & de Dardes ruerent À l’approcher, & fort ſ’entretuerent. Mais quand on vint à frapper coupz de main, Le meurtre fut plus grand & inhumain. Car on n’oioyt que Regretz des mourans, Et joyeux cryz des vainqueurs demourans : Faulſer Harnoyz, percer & rompre Eſcuz : Telz ſe braver, qui puis eſtoient vaincuz : Et du Chaplis & meurtre nompareil, Inceſlamment couler le ſang vermeil.     Et tout ainſi que les Eaux qui deſcendent     De la Montaigne, & par le val ſ’eſpandent, Sont tres grand bruyt, dont le Paſteur qui loge Bien loing de la, de ſa petite Loge Entend le ſon :Ne plus ne moins eſtoient Ouyz de loing, ceulx qui lors combatoient.     Antilochus entre les Grecs Gendarmes Tres renommé, feit le premier faict d’Armes : Car il occit Echepolus, eſtant Au premier Renc des Troiens combatant. Il le frappa au plus hault du Pennage De ſon Heaulme & puis de grand courage Doubla le coup, tant que la Poincte dure De ſon Baſton, feit au Front ouverture, Et penetra juſques dedans la Bouche, Dont de ce coup mort eſtendu le couche.

<poem>

Lequel tumba, comme faict une Tour
Quand on la Mine, ou la Sappe à l’entour.
Elephenor le voyant abbatu,
Penſoit bien faire exploit de grand vertu,
En ſ’efforcant le Corps mort deſpouiller :
Mais Agenor feit tout ſoubdain ſouiller
Son javelot en ſes Flans deſcouvers :
Dont il mourut, & cheut tout à l’envers.
    Sur ces deux mortz rengregea le debat,
Et fut plus aſpre & mortel le Combat :
Se courantz ſus, comrne Loupz raviſſans,
Pour ſe tuer, l’ung l’aultre choyſiſſans.
    Le Preux Ajax la deſſus arriva,
Qui de la vie incontinent priva
Simoſius. Simoſius eſtoit
Ung jouvenceau, qui Troie frequentoit :
Ainſi nommé entre ſes amyz, Pource
Qu’il eſtoit né pres de la claire Source
De Simois, & la, ſa Mere enceincte
À l’enfanter avoit eſté contraincte :
Eſtant venue à voir le paſturage
De ſes troupeaux, deſſus le verd Rivage
Or n’eut jamais ce jeune homme puiſſance,
De faire honeur, ou bien recognoiſſance
De vraye amour, envers ſes Pere & Mere,
Obſtant la mort, trop haſtiſve & amere,
Qu’il receut lors, par la Lance cruelle
Du fort Ajax, ſoubz la droite Mammelle :
Dont il tumba, ainſi qu’ung Peuplier verd
Droict & haultain, de grans branches couuert,

Creu pres de l’eau, que le fort Charpentier
De ſa Coignée abbat à Terre entier :
Pour en apres en faire belles Roues
De Chariot, boys propre pour les boues :
Et puis long temps le laiſſe deſſecher
Pres de la Rive, ou ſur quelque Plancher.
    Voyant cecy le puiſſant Antiphus
Filz à Priam, tout de douleur confus
Pour le venger ſon beau Dard eſbranla,
Cuydant frapper Ajax : mais il vola
Sans le toucher, & vint bleſſer au Ventre
Leucus amy d’Vlyſſés, & luy entre
Si tres avant dans les boyaulx, & Leine,
Que de ce coup il reccut mort ſoubdaine.
    Quand Vlyſſés veit occis ſon amy,
Plein de fureur il ſe jecte parmy
Les premiers Rengz des Troiens, & adviſe
Sur qui pourroit faire plus belle empriſe.
Les ennemys luy feirent bien toſt place :
Et ſ’eſcartoy ent voyans ſa fiere audace.
Ce nonobſtant, ſon javelot envoye
Trop rudement, & trouvepar la voye
Democoon du Roy Priam Baſtard,
Qui ſ’en fuyoit, mais c’eſtoit ung peu tard :
Car de ce coup les Temples luy percea
De part en part, dont la vie laiſſa.
Le Roy Priam l’avoit long temps tenu
En Abidos : dont il eſtoit venu,
(Y delaiſlſant les Chevaulx & montures
Dudict Priam) pour cercher aduentures.

    Lors que Troiens veirent ainſi le filz
De leur Roy mort, comme tous deconfitz
Se retiroient, prenans quaſi la fuyte :
Meſmes Hector, qui avoit la conduycte
De leur Armée, eut alors, quelque envie
De ſ’en aller, pour n’y perdre la vie.
    Certainement la Guerre eſtoit finée,
Si Apollo n’euſt la Chance tournée,
Lequel voyant des ſacrées murailles
Troiens rompuz, & laiſſer leurs batailles,
En ſ’eſcriant, ſoubdain les arreſta,
Et à combatre encor les enhorta.
    Reprenez cueur, fortz Troiens je vous prie,
Sans craindre tant l’Audace & Braverie
De ces Gregeois, les penſez vous de Pierre
Ou bien de Fer, que voſtre Cymeterre,
Ne voz grans Dardz, ne les puiſſent percer :
Et de voz mains à la mort les bleſſer.
Pouſſez, pouſſez, & que chaſcun ſe fie
D’eſtre vainqueur. Car je vous certifie
Que le puiſſant Achillés qui ſouloit
Vous ennuyer ſi ſouvent qu’il vouloit,
Ne combat plus : ains eſt en ſon Navire
Ou il ſe deult, & digere ſon ire.
    Au cry Divin fut la dure Meſlée
Par les Troiens encor renouvellée.
Minerve auſſy les Gregeois anima
De ſon coſté, & les laſches blaſma.
    En ce conflict demoura mort en place
Dioreus, que le Prince de Thrace

Nommé Pirtus ſur la jambe bleſſa
D’ung grand Caillou, & les os luy froiſſa
Avec les nerfz. Apres de ſon Eſpée
Luy fut encor la poitrine coupée,
Et les Boyaux deſſus l’herbe eſpanduzt
Dont il mourut, ayant les bras tenduz
Devers les Grecs comme querant ſecours :
Surquoy Thoas y courut à grand cours
Et d’ung grand coup de ſa Darde mortele
Naura Pirus, & fut la playe tele
Soubz le Tetin, que le fer ſ’arreſta
Dans le Poulmon.Pas ne ſe contenta
De ce coup la, mais ſans nulle pitié
Il luy tailla le Ventre par moitié
De ſon Eſpée : Et cela faict ſ’efforce
À le trayner hors de la preſſe à force,
Pour conquérir ſon harnois & veſture.
    Les Thraciens marriz de l’adventure
De leur Seigneur, ſe meirent en defence :
Deliberez de faire reſiſtence
Au preux Thoas : Ce qu’ils feirent ſi bien,
Tant fuſt il fort, qu’il n’en emporta rien.
Ainſi les corps de ces deux vaillans Ducz,
L’ung pres de l’aultre en la terre eſtenduz,
Et avec eux de gendarmes grand nombre,
Receurent mort par dangereux encombre.
    Et quand Minerve euſt lors permis parler
Parmy les Camps (ſans le laiſſer bleſſer)
Ung vieil Souldard, tant ſeulement pour voir
Leſquelz faiſoient adonc mieulx leur devoir,

Il eut iuré (tout remply de merueille)
N’auoir onc veu Occiſion pareille.



FIN DV QVATRIESME LIVRE.


LE CINQVIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




PALLAS VOVLANT ſur tous faire apparoiſtre
Diomedés, & ſa louange accroiſtre
Entre les Grecs par quelque bel ouurage :
Diuinement luy meit pluſgrand courage

Dedans l’eſprit : plus de Force & Roydeur
En ſa perſone, & plus claire Splendeur
Deſſus l’Armet, & en l’Eſcu peſant.
Car ſon Harnoys ſut auſſy reluyſant
Comme l’eſtoille Autonnale eſlevée
La hault au Ciel, lors qu’en Mer eſt lavée.
Et le mena la puiſſante Déeſſe
Tout à beau pied, au plus fort de la preſſe.
    Or en ce temps, entre les Citoyens
Du Roy Priam, L’ung des riches Troiens
Eſtoit Darés le Preſtre, qui ſervoit
Au Dieu Vulcan : & deux enfans avoit :
L’ung Phegëus, le ſecond dict Idée,
Dont la vaillance eſtoit recommandée
Au Camp Troien ſur tous aultres gendarmes.
Ces deux voyans ainſi luyre les armes
Du fort Gregeois, ne voulurent faillir
Du Chariot rudement l’aſſaillir.
Si le vont joindre, & Phegëus ſ’avance
À luy jecter ung rude coup de Lance :
Qui ne feit rien : car la poincte gliſſa
Deſſus l’Eſpaulle, & point ne le bleſſa.
Diomedés ne rua pas en vain
Le Dard mortel, il en frappa ſoubdain
Son ennemy droict parmy la Mamelle :
Dont il receut mort ſubite & cruelle :
Et trebuſcha du Chariot en terre.
    Le Frere occis, Ideus à grand erre
Laiſſa le Char, ſans faire reſiſtence
Aulcunement. Et certes ſa defence
Ne l’euſt gardé, qu’il ne fuſt mort en place.
Mais Vulcanus par ſa divine grace

Le preſerva, le couvrant d’une Nue
Ayant pitié de la deſconvenue
Du bon Darés, Lequel en grand triſteſſe
(Privé d’Enfans) eut finy ſa Vieilleſſe.
Voyant ainſi ceſte honteuſe fuyte,
Diomedés n’en feit aultre pourſuyte :
Tant ſeulement les beaux Chevaulx donna
À ung des ſiens, qui aux Nefz les mena.
    Quand les Troiens ces Freres apperceurent,
L’ung Deſconſit, l’aultre mort, ilz conceurent
En leurs eſpritz une peur merveilleuſe :
Ingeans pour eulx la Guerre perilleuſe.
Sur quoy Pallas du Dieu Mars ſ’approcha :
Et en la main doulcement le toucha,
Diſant ainſi. Ô Mars ſanguinolent,
Mars Furieux, Terrible, & Violent,
Qui demolis ainſi que bon te ſemble
Villes, Chaſteaux, & les hommes enſemble
Eſt il conclud, que toy & moy ſerons
Touſjours bandez, & que ne laiſſerons
Grecs & Troiens enſemble batailler,
Sans plus avant contendre, & travailler
Pour leur debat : afin qu’il ſoit notoire
Ou Iuppiter donnera la victoire ?
Quant eſt à moy, je Conſeille & adviſe,
Qu’il eſt meilleur laiſſer ceſte entrepriſe.
Allons nous en, & gardons d’irriter
Encontre nous L’ire de Iuppiter.
    Diſant ces motz la prudente Déeſſe
Le tira hors, peu à peu de la preſſe :
Et le mena repoſer au Rivage
De Scamander, ſoubz ung plaiſant vmbrage.

    Apres cecy l’Oſt Troien perdit cueur :
Et ſ’enfuyoit, dont le Gregeois vainqueur
Les pourſuyuoit. Et lors les Capitaines
Monſtrerent bien leur proveſſes haultaines.
    Agamemnon principal chef de Guerre,
Meit ung grand Duc des Alizons par terre
Dict Odius, luy donnant en l’Eſchine
Si rude coup, que parmy la Poitrine
Paſſa le Dard : dont il luy feit laſcher
Son Chariot, & en bas treſbuſcher.
Et ouyt lon clerement le murmure
Du corps tremblant, & de ſa riche Armure.
    Idomenée occiſt auſſy Pheſtus
Filz de Meon, excellent en vertus.
Ce diſt Pheſtus perſone tres gentile,
Avoit laiſſé ſa Province fertile
Dicte Tarné, pour honeur acquérir,
Mais contrainct : fut ſubitement mourir,
Car le Cretois luy vint donner tout droict
Du javelot dedans le coſté droict.
Si cheut en bas, de tenebres ſurpris
De noyre mort, duquel le corps fut pris
Par les Souldards, & ſoubdain deſpoillé :
Et puis laiſſe tres ſanglant & ſoillé.
    Menelaus monſtra bien ſa vaillance
D’aultre coſté, car de ſa rude Lance
Il meit à mort Camandre le Veneur :
Auquel Diane avoit faict tant d’honeur
De luy bailler l’induſtrie & courage,
Pour aſſaillir mainte Beſte ſaulvage.
Mais la Déeſſe & ſon bel exercice,
D’Arc & Carquois luy fut lors mal propice :

Car en fuyant bleſſé ſut par derriere :
Dont il tumba tout mort en la poulſiere.
    Merionés tua le Charpentier
Dict Phereclus, ſi duict en ſon meſtier,
Qu’il n’eſt ouvrage excellent ou ſubtil,
Qu’il ne taillaſt avecques ſon ouſtil :
Tant il eſtoit de Minerve la Saige
Favorizé, par divin avantage.
C’eſtoit celuy qui à Paris Troien
Dreſſa les Nefz, inſtrument, & moyen
De tant de maulx : & qui à ſa Cité
Forgea malheur, & dure adverſité :
À ſoy auſſy pour n’avoir entendu
Le vueil des dieux, qui lavoyent defendu
Or mourut il ſans en avoir revanche
D’ung coup de Dard, rcecu dedans la Hanche
Qui luy paſſa tout oultre en la Veſſie,
Dont il ſentit ſoubdain l’Ame tranſſie :
Et cheut en bas ſur ſes Genoux, pleurant
Amerement quand il ſe veit mourant.
    Megés auſſy vaillamment combatif :
Car Phegeus à la mort abbatit.
Ce Phegeus eſtoit preux & gaillard,
Et Filz baſtard d’Antenor le Vieillard,
Lequel jadis Theano belle Mere
Avoit nourry, pour complaire à ſon Pere,
Treſcherement, & en ſi grand eſtime,
Comme ung des liens Aiſné & légitime.
La receut mort, par douloureux meſchef,
D’ung coup de Dard, qui entra dans ſon Chef
Iuſques aux dentz, dont cheut emmy la Plaine :
La Bouche ayant de Fer & de Sang pleine.

    Bien pres du corps du Baſtard d’Antenor,
Qui eſtoit Preſtre, & ſervoit au ſainct Temple
De Scamander lequel pour ſon exemple
Et bonnes meurs, ſe faiſoit honorer.
Si fuſt contrainct ſur le Champ demeurer :
Car il receut ung ſi grand coup d’Eſpée,
Qu’il eut la main dextre tout net coupée.
Dont noire mort ſubitement le prit,
Et l’aveugla luy raviſſant l’Eſprit.
    Durant le temps que ces Roys batailloient,
Et les Troiens la rompuz detailloient :
À peine euſt l’on Diomedés cognu,
Ne pour Gregeois, ou pour Troien tenu.
Parmy le Camp paiſſoit ſans arreſter,
Ne trouvant rien qui luy peuſt reſiſter.
Car ainſi que parmy la Campaigne,
Ung Fleuve grand tumbant de la montaigne,
Diſſipe tout : & ne trouve Cloſture,
Levée, ou Pont, qu’il n’en face rompture,
En eſtendant ſon cours impetueux
Sur Vignes, Prez, & Iardins fructueux :
Sont bien ſouvent les Champs gras & fertiles,
Sont pleins de Sable, & renduz inutiles.
Semblamement la vaillance & audace
De ce Gregeois, ſe faiſoit faire place,
Rompant Troiens ſans trouver reſiſtence,
Ne Bataillon qui ſe meiſt en defence.
    Lors Pandarus voyant ainſi chaſſée
La gent Troiene & : toute diſperſée,
Benda ſon Arc, propoſant embrocher
Diomedés, & tout mort le coucher.

Si luy jecta ung de ſes traictz de paſſe,
Qui luy faulſa le bort de la Cuyraſſe
Deſſus l’eſpaule, & dans la chair entra
Aſſez profond, comme le ſang monſtra
Qui en ſortit bien toſt abondamment.
Sur quoy l’Archer commença bravement
À ſ’eſcrier. Ô Troiens valeureux,
Venez cy veoir le coup adventureux
De ma Sagette : Approchez vous amys,
Et prenez cueur ung des grans ennemys
Eſt la bleſſé : & croy qu’il ne pourra
Guere durer, mais bien toſt ſe mourra
S’il eſt ainſi qu’Apollo ne me fruſtre
De mon deſir, & ma victoire illuſtre.
    Ainſi diſoit Pandarus glorieux
Penfant avoir eſte victorieux
Du valllant Grec : lequel ſentant la playe,
Soubdain recule, & de rien ne ſ’eſmaye :
Mais ſon amy Sthenelus feit deſcendre
Du Chariot, luy priant vouloir prendre
Tout doulcement le traict, & le tirer
Ains que le mal peuſt croiſtre & empirer.
Ce qui fut faict, Si deſcend &c luy jecte
Le mieulx qu’il peult la piquante Sagette :
Et la tirant fut la Boucle dorée
De ſon harnois, de noir ſang coulourée.
    Diomedés ſe trouvant allegé
Ung peu du mal qui l’avoit affligé,
À haulte voix dreſſant au ciel la teſte,
Feit à Pallas ſa devote requeſte :
Diſant ainſi. Ô Deeſſe indomptable,
Fille au grand Dieu Iuppiter redoubtable,

Entens à moy. Octroye la demande,
Que de bon cueur ton ſervant te demande.
S’il eſt ainſi qu’à Tidëus mon Pere,
Et à ſon Filz, tu as eſte proſpere
Souventeſfois aux belliques effortz,
Contre ennemys dommageables & ſortz :
Ie te ſupply me vouloir ſecourir
À ceſte fois que je face mourir
Ce grand venteur, qui tant ſe glorifie
M’avoir bleſſé, & qui defia ſe fie
(Appercevant couler mon ſang vermeil)
Que jamais plus ne verray le Souleil.
    Ceſte oraiſon par le Grec prononcée,
Fut de Minerve ouye & exaulcée :
Si vint à luy, & ſoubdain le renforce,
En luy donant aux membres double force.
Apres luy dict. Va maintenant combatre
Plus hardiment, & ne te fains d’abbatre
Tes ennemys : Car la vaillance extreme
De ton feu Pere, eſt ores en toy meſme.
Oultre cela je t’ay oſté la Nue
Devant tes yeulx ſi longuement tenue :
À celle fin que tu cognoiſſes mieulx
En bataillant les Hommes & les Dieux.
Mais garde toy ſi nul Dieu ſe preſente
Encontre toy, que ta main ne conſente
De l’oultrager Si ce n’eſt que la belle
Venus y vint : lors monſtre toy rebelle,
Faiſant ſentir, ſi tu peux la rudeſſe
De ton fort bras à la molle Deeſſe.
    Diſant ces motz, Minerve le laiſſa
Tout courageux : Adonc il ſ’avanca

Vers les Troiens, en ſe jectant ſur eulx.
Et bien qu’il fuſt Rude & adventureux,
Et prompt en guerre, avant qu’eſtre bleſſé,
Il ſe trouva pour l’heure renforcé
De plus d’ung tiers : deſirant ſe venger,
Comme ung Lion, que le ſimple Berger
Aura bleſſé d’une Sagette ou Darde
Dedans le parc, pour faire bonne garde
De ſon troupeau : dont la beſte irritée
Du coup receu ſera plus deſpitée :
Et le Berger craintif ſ’eſtonnera,
Parc & brebis lors habandonnera
Du tout au vueil de ce Lion ſauvage,
Qui luy ſera ung merveilleux dommage :
Et ſortira du Parc comme vainqueur :
De meſme ſorte, & d’auſſi royal cueur,
Le ſort Gregeois aux Troiens ſe meſla
Tremblantz de peur eſgarez ça & la.
    Aſtynous, & Hypenor grandz Ducz,
Surent adonc par luy mortz eſtenduz :
L’ung de ſa lance à travers la Mammelle,
L’aultre du coup de ſa large Allumelle,
Qu’il luy donna, ou l’Eſpaule eſt conjoincte
Avec le col, ſans poinct faillir la joincte :
Si rudement que ſon Eſpaule oſtée
D’avec le Corps fut en terre portée.
    Apres cela il meit à mort Abante,
Et Polydus enfans d’Eurydamante
Le Devineur, qui ſcavoit ſans menſonges
Interpréter propheties, & ſonges.
Mais du vieillard ne fut pas devinée,
De ſes enfans la dure Deſtinée.

    Encor par luy furent mortz abbatuz,
En meſme reng Thoon, avec Xanthus
Uniques Filz de Phenops perſonnage
Tres opulent : Mais qui par ſon vieil eage
Eſtoit privé d’aultres enfans avoir.
Or luy convint ſes grandz biens & Avoir
Laiſſer aillieurs, Choſequi eſt en ſomme
Dure à porter à ung Pere vieil homme.
    Diomedés paſſant oultre rencontre
Vng chariot luy venant à l’encontre eſtoient
Preux & vaillantz, leſquelz bien combatoient;
Dictz Echemon & Chromyus, qui furent
Occiz par luy, & bas en terre cheurent.
Car tout ainſi que le Lion ſuperbe
Tres affamé vient trouver deſſus l’herbe,
Quelle troupeau de Beufz, deſquelz ſ’efforce
En tirer ung hors de la troupe à force,
Et luy mectant ſa griffe dure & forte
Deſſus le Col, il le trayne ou l’emporte.
Ne plus ne moins le Gregeois hazardeux,
Vint à les joindre, & les tira tous deux
Du Chariot, & de leur ſang ſouilla
La forte main : Apres les deſpouilla :
Puis le harnois & Chevaulx feit conduire
Par ſes amys en ſa Tente ou Navire.
    Quand Eneas veit Troiens mal menez
Si rudement, Bleſſez, Occiz, Traynez :
Tout par l’effort d’ung ſeul qui les fouloit,
Et diſſipoit tout ainſi qu’il vouloit :
Soubdain partit & ſe meit en la Preſſe,
Ou il la veit la plus forte & eſpeſſe :

Cerchant par tout, & demandant aux ſiens
De Pandarus le Duc des Liciens.
Si le trouva. Et lors de grand courage
Luy dict ainſi. Ô gentil perſonage,
Ou eſt ton Arc, & Sagettes poinſtues
Dont te ventois ? ſont elles point rompues ?
Ceſte grand gloire & louange eſclarcie,
Qui par ce Camp, & par toute Licie
T’a faict : priſer donnant aux Gregeois craincte,
Eſt elle point obſcurcie ou extaincte ?
Las, prens ton Arc, mectz deſſus la Sagette
La plus mortelle, & droictement la jecte
(Priant les Dieux, que ce ne ſoit en vain)
Contre ce Grec tant rude & inhumain :
Qui deſtruit tout, tout occiſt, & decoupe,
Mettant à mort les plus fortz de la troupe,
I’ay tres grand peur que ce ſoit quelque Dieu
Trop courrouſſé, deſcendu en ce lieu
Pour corriger noſtre faulte ou malice,
Eſtant frauldé du divin ſacrifice.
S’il eſt ainſi, porter le fault tout doulxt
Car des grands Dieux trop dur eſt le courroux.
    Noble Troien, à veoir ſa contenance,
(Dict Pandarus) ce Grec a la ſemblance
Du prudent Filz de Tidëuſ : il porte
Pareil Eſcu, Armet de meſme ſorte :
Ung grand Pannache, & ſes Chevaulx auſſi
Me ſont penſer, qu’il peult bien eſtre ainſi.
Ie n’oſerois touteſfois l’affermer
Certainement, ne mortel eſtimer
Celuy qui faict ſi valeureux faictz d’armes,
Ou c’eſt ung Dieu couvert d’humaines armes,

Ou ung mortel, auquel les Dieux aſſiſtent
Secretement : & pour luy ſeul reſiſtent,
En deſtournant les coupz à luy tranſmis.
Et qu’il ſoit vray, je penſois l’avoir mis
De ma Sagette au plus profond d’Enfer :
Mais je le voy au combat ſ’eſchauffer
Plus que devant. Et quant j’ay bien penſé,
Quelque grand Dieu eſt ores courrouſſé
Encontre moy, je n’ay rien qui me faille
Pour m’eſquipper, & renger en bataille :
Mes Chariotz fortz & reſplendiſſantz,
Et mes Chevaulx tant légers & puiſſantz,
Ne ſont icy ; Helas contre raiſon
Laiſſez les ay bien loing en ma maiſon.
Vnze j’en ay armez, & bien uniz
D’Orfeverie, & Brodure garniz :
Chaſcun ayant de meſme deux Chevaulx
Promptz & adroictz pour endurer travaulx,
Qui tous les jours mengent à Greſche pleine
De l’Orge blanc, du Seigle & de l’Aveine.
Le bon vieillard Lycaon au depart
Me conſeilla & dict qu’en ceſte epart
Ie les menaſſe, afin de faire entendre
Comme j’en ſcay aſſaillir ou defendre.
Si ne vouluz (dont me doibs eſbahyr)
Au bon conſeil du vieil Pere obeyr :
Tant ſeulement pour ce que j’avois craincte
(Voyant ainſi ceſte Cité contrainte)
Que mes Chevaulx n’euſſent la nourriture
Acouſtumée. Et par male adventure,
Men ſuis venu tout à pied, les laiſſant,
Me confiant de l’Arc rude & puiſſant,

Auquel je n’ay aulcun ſecours trouvé,
L’ayant deſja bien ſouvent eſprouvé.
Deux de mes traictz, ont juſqu’au vis dardez
Menelaus, & puis Diomedés :
Mais les cuydant a mort precipiter
Ie n’ay rien faict, ſinon les irriter.
Dont puis nommer à bon droit la journée
Que je prins l’Arc, aſſez mal fortunée.
Et que je vins aveques mes Souldardz,
Combatre icy, ſoubz Troiens eſtendardz :
Pour ſecourir Hector le noble Prince,
Et les ſubjectz de ſa belle Province.
Mais Si les Dieux me donnent le povoir
De quelque jour Femme &Pays reveoir,
Ie ſuis content que par triſte meſchef
Quelque eſtranger puiſſe couper mon chef :
Si je ne mets Arc, Sagette, Carquois,
Dedans le feu, puis qu’ilz m’ont ceſte fois
Ainſi trompé, & que la peine priſe
Ne m’a ſervy en ſi bonne entrepriſe.
    Ainſi diſoit Pandarus de Licie :
    Dont Eneas luy diſt, Ne te ſoucye
    Ô Pandarus, mais ung peu te conſole,
Mectant à part ceſte volunté fole.
Allons pluſtoſt, aſſaillir par enſemble
Ce fort Gendarme, au moins ſi bon te ſemble.
Monte deſſus mon Chariot, pour veoir
Si mes Chevaulx ſeraient bien leur devoir :
S’ilz ſont legers, & ſ’ilz ont bonne bouche
Pour obeyr à celuy qui les touche.
    Soit pour courir, ou ſoit pour Arreſter,
Pour Approcher, Galopper, ou Volter :

Et ſ’ilz pourroient à la neceſſité
Nous ramener tous ſains en la Cité.
Fay l’vng des deux, ou bien ſers moy de Guyde,
Et de Carton, pour leur regir la bride :
Ce temps pendant que je m’efforceray
De le combatre, ou bien je le ſeray.
    Il eſt meilleur que tu faces l’office,
(Dict Pandarus) car ilz ſeront ſervice
Au Conducteur qui leur donne à menger,
Plus voluntiers qu’à ung aultre eſtranger.
Puis ſ’il faloit nous retirer, je crains
Que les Chevaulx prenans aux dentz les frains,
Feuſſent reſtifz : deſirans la voix claire,
De celuy la qui touſjours les modere :
Dont adviendroit que le Grec aggreſſeur,
Pourrait apres en eſtre poſſeſſeur.
Gouverne donc tes Chevaulx, & me laiſſe
Faire l’eſſay de ma force & proueſſe.
    Diſant ces motz, les deux gentilz Souldards
Faiſans branſler bien fierement leurs Dards,
Marchent avant leſquelz furent cognuz
Par Sthenelus qui dict, Voicy venuz
Deux ennemys, contre nous (Amy cher)
Fort deſirans nous joindre & approcher.
Tous deux ſont fors, l’ung experimenté
De tirer droict, l’aultre touſjours venté
Entre Troiens pour preux & magnanime,
Filz d’Anchiſés, qui ſe love & eſtime
D’eſtre conceu de Venus l’amoureuſe :
Doncques voyans l’attente dangereuſe,
Ie te ſupply reculons ung petit,
Et ne te preigne ainſi grand appetit

De t’avancer, de peur que ceſte envie
De batailler, ne nous couſte la vie.
Diomedés trop mal content d’ouyr
Son compaignon luy parler de fouyr.
Reſpondit lors en Colere ſoubdaine.
Ne penſe pointpar ta parole vaine
Meſpoventer, ou mettre en mes eſpritz
Aulcune peur, je ne l’ay point apris.
Grand deſhoneur me ſeroit qu’on me viſt
Ainſi fouyr, ſans que nul me ſuiviſt.
Ie ſuis encor aſſez puiſſant & fort,
Pour reſiſter à trop plus grand effort
Et qu’il ſoit vray à preſent je ne veulx
Prendre Chevaulx, ne Chariot pour eults.
Trouver les voys : La Deeſſe Minerve
Ceſte Viſtoire à moy tout ſeul reſerve :
Et penſe bien, que l’ung deulx y mourra :
À tout le moins que leur Char demourra.
Parquoy, Amy, bien pres de moy te tien,
Et tous mes dictz en memoire retien.
S’il eſt ainſi que ces deux Troiens meurent,
Ou que bleſſez deſſus le Camp demeurent,
Adviſe lors de mener ſans attente,
Leur chariot, & Chevaulx en ma Tente.
Ces beaulx Chevaulx ſont yſſuz de la Race
Des grandz Courſiers, dont Iuppiter feit grace
Au prince Tros, quand il voulut ravir
Ganymedés, pour au ciel le ſervir.
Et n’en eſt point de courage pareil,
Soubz la belle Aulbe, & ſoubz le clair Souleil.
Iadis Anchiſe y ſceut tres bien ouvrer
Pour la ſemence & race en recouvrer :

Car prevoyant que de Laomedon,
Il n’en pourroit jamais finer en don,
Secretement il meit ſes jumentz belles
Dans les Haraz, & furent les femelles
Des fortz Rouſſins couvertes dont il eut
Six beaulx Poulains. Et des ſix il voulut
Quatre en nourrir pres de ſoy par grand ſoing,
Pour luy ſervir quelque jour au beſoing.
Deſquelz il a à Eneas donnez
Ces deux icy tant richement aornez,
Que tu vois la. Ô quelle belle proye,
Si Iuppiter la victoire m’oſtroye.
    Ainſi parloit le Gregeois, qui cuydoit
Qu’il adviendroit ainſi qu’il l’entendoit.
Et ce pendant les Troiens ſont couruz
Droict contre luy. Si dict lors Pandarus
Ô Grec cruel, puis que la faulte eſt telle
Que ma Sagette oultrageuſe, & mortelle
Ne t’a peu faire aulcune violence :
Eſſayer veulx derechef ſi ma lance,
Pourra trouver par ton Harnois la voye.
Diſant ces motz ſi rudement l’envoye,
Qu’il luy faulſa le Boucler venant joindre
À la Cuyraſſe : & ne peut oultre poindre.
Ce neantmoins penſant l’avoir deſfaict,
Cria bien hault Certef il en eſt faict :
Diomedés ce coup ta penetré
Iuſques au Ventre, & tellement entré,
Que tu ne peulx deſja te ſouſtenir :
Dont je me doibs pour bien heureux tenir.
    Diomedés ayant ce coup receu,
Sans ſ’eſfrayer luy diſt Tu es deceu

Comme je voy, car tu n’as eu puiſſance
De m’apporter Encombrier ou nuyſance :
Mais de ma part tout aultrement ſera,
Car ceſte Lance à mort te bleſſera :
Et la n’aurez de moy aulcune Treſve,
Qu’au ſang de l’ung de vous deux ne l’abreuve.
Diſantces motz, rudement la jecta
Vers Pandarus. Lors Pallas la porta,
Et dirigea droiſtement en la face
Du Licien, qui tout oultre luy paiſſe :
Et luy coupa les Yeulx, le Nez, les Dens,
Avec la Langue, & demoura dedens
Une grand part du Fer & du Baſton,
Eſtant la poincte au dehors du Menton.
Si tumba mort : dont les Chevaulx tremblerent,
Oyans le ſon des armes qui branſlerent.
Armes luyſans, & bien elabourées,
Mais de clair ſang tainctes & coulourées.
    Quand Eneas veit la deſconfiture :
Comme ung Lion,ſe meit à l’adventure :
Bien ſort ſ’eſcrie, & ſoubdain ſe hazarde :
Tenant l’Eſcu en ſa main & ſa Darde :
Deliberant donner mortel rencontre,
Au premier Grec qui viendroit à l’encontre.
Mais le Gregeois adviſé print alors
Ung grand Caillou, lequel deux hommes forts
Du temps preſent ne pourraient ſoublever,
Et d’iceluy vint Eneas grever
Deſſus la Cuyſſe, & ſi fort le bleſſa,
Que tous les Nerfz & Muſcles luy froiſſa :
Dont fut contrainct demy mort treſbuſcher
Sur les genoulx, & la terre toucher

Avec les mains, preſt d’avoir mort amere,
Sans le ſecours que luy donna ſa Mere :
Qui prevoyant le perilleux danger
De ſon cher Filz, vint pour le deſcharger
De ce grand faix. Et pour plus ſeure garde,
(En l’embraſſant) l’envelope, & le garde
De ſon manteau comme d’ung Boulevert.
Car aultrement il euſt eſte couvert
De mille dardz. Cela faict, la Deeſſe
Feit ſon effort, le tirer de la Preſſe.
    Lors Sthenelus, qui n’avoit oublié
Ce dont l’Amy l’avoit tant ſupplié,
Retire à part ces Chevaulx, & vint prendre
Ceulx d’Eneas pour aux Tentes les rendre.
Si les bailla au bon Deiphilus
Son compaignon, & l’ung des bien vouluz
De tout le camp, pour le loz ſingulier
Qu’on luy donnoit d’eſtre bon Chevalier.
    Apres cela, ſur ſes Chevaulx remonte
Diligemment, & faict tant qu’il affronte
Diomedés, lequel ſuivoit grand erre
Dame Venus pour la mectre par terre :
Bien cognoiſſant qu’elle n’eſt pas de celles
Qui ont povoir, comme les deux pucelles
Dame Minerve, & la fiere Bellone :
Ains eſt laſcive, impuiſſante, & felone.
    Tant la ſuivit qu’en fin il la trouva
Parmy la troupe, & lorſ’il eſprouva
Si l’on pourrait les immortelz bleſſer :
Car il luy vint de ſon Dard tranſpercer
Le beau manteau des Charités tyſſu :
Et fut le coup incontinent receu

Dedans la main delicate, & divine,
De la Deeſſe Amoureuſe & Benigne.
Dont affligée & dolente en ſon cueur,
Sentit couler la celeſte liqueur,
Et le clair Sang, qui povoit eſtre tel,
Comme eſt le ſang yſſu d’ung immortel.
Car pour autant que les Dieux point ne mengent
Des fruictz de terre, & que du vin ſ’eſtrangent,
N’ont point d’humeur pareil au ſang de l’homme :
Et pour cela Immortelz on les nomme.
    Trop fut Venus dolente & courroucée :
En ſe voyant par ung mortel bleſſée.
Si ſ’eſcria en plourant, & par craincte
D’habandonner Eneas fut contrainte.
Lequel Phœbus en ſes bras voulut prendre
Subitement, & des Grecs le déefendre :
L’envelopant, & couvrant d’une Nue,
Qui ſe monſtra ſoubdain à ſa venue.
Diomedés ce pendant provoquoit
Venus à ire, & d’elle ſe moquoit.
Va t’en va t’en, & plus ne te travaille,
(Ce diſoit il) de venir en bataille.
Suffiſe toy ſeulement de ſcavoir,
Par tes fins tours les Femmes decevoir :
Sans te meſler avecques les Gendarmes :
Car ſi tu veulx ainſi hanter les armes,
Ung jour viendra que tu le ſentiras
Si aſprement, que t’en repentiras.
    Ainſi diſoit le Grec à la Deeſſe :
Qui ſupportoit grand douleur, & triſteſſe,
Tant pour le mal de la playe receue,
Que du Courroux & de l’ire conceue,

Dont ſon beau Tainct, jadis tant eſclarcy
La commencoit à ſe monſtrer noircy.
Surquoy Iris eſmeue de pitié
La vint ſaiſir, & par bonne amytié
La tire hors, & la porte en ung lieu
À main ſeneſtre, ou eſtoit Mars le Dieu
Qui regardoit par maniere d’eſbat
L’aſpre bataille, & le mortel combat :
Eſtant aſſis dans une Nue obſcure :
Aupres de luy ſa celeſte monture :
Se contenant ſur la Lance appuyé,
Comme ſ’il fuſt de travail ennuyé.
    Adonc Venus, ſe mettant à Genoux,
Luy dict ainſi : Ô Mars mon Frere doulx,
Que j’ayme tant, je te pry me preſter
Ton Chariot, afin de m’en monter
Deſlus l’Olympe & celeſte maiſon.
Ie ſens grand mal. Hélas en trahyſon
Diomedés cruel, & inhumain,
Trop rudement ma bleſlée en la main.
Et croy pour vray, qu’il en ſeroit autant
À Iuppiter, tant eſt Fort combatant.
    Mars accorda voluntiers ſa requeſte :
    Son chariot & ſes Chevaulx luy preſte :
Adonc monta. Et Iris print la bride,
Pour luy ſervir juſques au ciel de Guyde.
Soubdain ſ’en vont, ſoubdain tranſpercent l’air
Les bons Chevaulx deſirans de voler.
Finablement en ung brief moment d’heure,
Trouvent au ciel la celeſte demeure :
Leſquelz Iris promptement deſatele
Et les repaiſt de paſture immortele.

    Deſque Venus trouva ſa Mere aymée,
Soubdainement tumba comme paſmée
En ſon giron, dont Dioné marrye,
Entre ſes bras la prend, & puis la prie :
En luy diſant. Ma Fille gratieuſe,
Qui eſt la main ſi tres audacieuſe
De tous les Dieux, qui a oſé toucher,
Et dommager ta Délicate chair ?
Feroit on pis à quelque deteſtable,
Qu’on trouveroit en faulte trop notable ?
    Bleſſée m’a, reſpondit lors la belle,
Diomedés oultrageux, & rebelle.
Quand j’ay voulu mon cher Filz ſecourir,
Mon Eneas qui ſ’en alloit mourir,
Sans mon ſecours : Et voy bien clairement,
Que les Gregeois ne ſont pas ſeulement
Guerre aux Troiens : mais à preſent combatent
    Contre les Dieux, les bleſſent & abbatent.
    Lors Dioné la Deeſſe excellente,
Pour appaiſer ceſte ire violente,
Luy reſpondit. Venus ma Fille doulce
Endure ung peu, & plus ne te courrouce
De ce forfaict il ya pluſieurs Dieux
Qui ont ſouffert de tourmentz ennuyeux,
Par les mortelz, Auſſi en recompenſe,
Ilz ont eſté bien uniz de l’offenſe
Ephialtés & Otus Filz du Fort
Aloeus, jadis feirent effort
Encontre Mars, & tant le malmenerent,
Qu’il fut lié, & puis l’empriſonnerent
Par treize moys, en maiſon ſeure & ferme :
Ou fuſt pery à cauſe du long terme,

Mais leur maraſtre Euribea print cure
Du pouvre Dieu & ſupplia Mercure
En ſa faueur : lequel ſecretement
Le deſroba. Lors manifeſtement
Sans tel ſecours, les Fers & la Cloſture,
La conſumoient ſa divine nature.
Daine Iuno ſouffrit mal importable
Par Herculés, qui ſon traict redoubtable
À triple poincte, encontre elle dreſſa
Au tetin droict, dont tres fort la bleſſa.
Que dirons nous de Pluton le Dieu noir,
Lequel commande en l’infernal manoir ?
N’a il jadis le ſort Dard eſprouvé
D’Herculés meſme, alors qu’il fut trouvé
Entre les mortz au pays de Pilie ?
Sa Deité fuſt alors deſſaillie,
(Si poſſible eſt qu’une Deité fine)
Du coup receu ſur l’Eſpaule divine.
Mais il monta pour avoir gueriſon
Subitement en la claire maiſon
De Iuppiter, ou Peon abilla
Sa griefve playe, & Santé luy bailla.
Trop malheureux imprudent & folaſtre
Fut Herculés, qui ne craignit de batre,
Et offenſer ainſi les Dieux haultains,
Qui de leurs maulx ſont vengeurs tres certains
Quant eſt à toy ma Fille, il fault penſer,
Que le Gregeois n’euſt oſe te bleſſer :
Sans la faveur de Minerve, qui veult
Te faire mal en tout ce qu’elle peult.
Ô poure ſot, qui ne ſcait pas entendre,
Que le mortel qui ſ’efforce contendre


Contre les Dieux, par Orgueil ou Enuye,


Finiſt tres mal, & abrege ſa vie.
Ce Péché ſeul, certes le privera
De voir ung jour (quand il arrivera
En ſa maiſon) des petitz enfans doulx
Le nommer Pere, & baiſer ſes Genoux.
Certainement il devroit à part ſoy
Conſiderer ſi nul plus ſort que toy
Le combatra, pour venger ton Injure :
Ou bien devroit penſer à l’aventure
Qui maintenant luy pourra ſurvenir
En ſon pays, pour trop plus le punir.
Ceſt aſſavoir ſa Femme Egialée,
De grief ſommeil à preſent eſveillée,
(Sentant l’ardeur de l’amoureux deſir)
Appellera pour avoir ſon plaiſir.
Quelque Valet, qui jouyra du bien
De ce Gregeois, ſans qu’il en ſache rien.
    Ainſi parloit pour conſoler ſa Fille.
Puis doulcement luy nectoye, & abille
La main bleſſée, & tellement appaiſe
Ceſte douleur, que Venus en fut aiſe.
    Mais quand Iuno, & Minerve la veirent,
En s en moquant, au Dieu Iuppiter dirent;
Pere tres ſainct ſeras tu point marry,
(Dict lors Pallas) de ce dont je me ry ?
Venus cuydant une Grecque amener
Au camp Troien, pour illec la donner
À l’ung d’iceulx qu’elle ayme grandement,
En la flattant, elle à mis rudement
Sa tendre main ſur ſa Boucle, ou Ceincture :
Dont l’Ardillon luy à faict la poincture :
Et n’a pas tort ſi maintenant demande
Ung prompt ſecours, car la bleſſure eſt grande.
    De ce propos, ſe meiſt lors à ſoubzrire
Le Dieu des Dieux, & puis vint à luy dire
Tout doulcement : Venus ma Fille aymée,
Point n’eſt à toy de regir une Armée,
Ou manier les belliques ouvrages.
Faire l’Amour, dreſſes des Mariages
Eſt mieulx ton cas : doncques de ce te meſle
Laiſſe la Guerre importante, & cruelle
À Mars ton Frere, & à ta Seur Minerve :
Et les Amours à toy ſeule reſerve.
Ainſi diſoit Iuppiter deviſant :
Et ſur le faict de chaſcun aduiſant.
    Ce temps pendant Diomedés vouloit
Tuer Enée, & bien peu luy chaloit
Qu’il fuſt gardé d’Apollo : car l’Envie
Qu’il avoit lors de luy oſter la vie,
Et d’emporter ſon riche acouſtrement,
Luy corrumpoit du tout le jugement.
Trois fois le Grec ſur luy ſe hazarda :
Et par trois fois Apollo le garda :
En repoulſant ſa Lance & ſon Eſcu.
Sur la quatrieſme il l’euſt mort ou vaincu :
Mais Apollo, monſtrant horrible face,
Luy commenca uſer de grand menace.
    Retire toy ſoubdain ſi tu es ſage,
Sans te monſtrer ſi ſelon, & volage :
En te cuydant aux Dieux equiparer :
    Et deſormais vueilles conſiderer,
Que le povoir des humains qui demeurent
Cy bas en terre, & qui tous les jours meurent,
Eſt différent en toute qualité
De cil des Dieux plains d’immortalité.
Ainſi parla : Dont le Grec trop haſtis,
L’ayant ouy recula tout craintis.
    Adonc Phœbus porta hors la Bataille
Le beau Troien, par deſſus la Muraille
De la Cité, droictement au beau Temple
À luy ſacré, ſumptueux, & tres ample.
Le mectant la, comme en lieu ſainct & ſeur,
À celle fin que Diane ſa Seur,
Et Latona, fuſſent plus curieuſes,
À luy guérir ſes playes douloureuſes.
Et quant & quant pour les Camps abuſer,
Subitement il voulut compoſer
Ung Simulachre à Eneas pareil :
Au pres duquel y eut du ſang vermeil
Fort reſpandu, & pluſieurs beaulx faictz d’armes
Entre les Grecs, & les Troiens Gendarmes :
Les ungz voulans defendre ceſte Image,
Aultres taſchans à luy faire dommage.
    Quand Apollo eut Enée reduict :
À ſaulveté, il faict tant qu’il conduict
Encor ung coup, par ſes divins moyens,
Le puiſſant Mars, en faveur des Troiens :
En luy diſant.Ô Mars Dieu invincible,
Mars Furieux, Sanguinolent, Terrible,
Contre lequel bien peu reſiſte, ou dure,
Forte muraille, & bien trempée armure.
Souffriras tu ce Gregeois tant braver
Parmy le Camp, & ainſi eſlever
Puniras tu l’audace temeraire
De celuy la qui ſeroit adverſaire
À Iuppiter, & le vouldroit oultrer :
Qui à cuydé ainſi mal acouſtrer
Venus ta Seur : Et qui ſ’eſt adreſſé,
Contre moy meſme ainſi qu’ung inſenſé ?
    Apres ces motz Apollo ſe poſa
Sur la muraille : & Mars ſe diſpoſa
Pour le cornbat : Si print alors la face,
Et les habitz d’ung grand prince de Thrace
Dict Acamas : puis ſoubdain ſe tranſporte
Au camp Troien. La conforte, & enhorte
Les Bataillons, meſmes les Filz du Roy
Du Roy Priam, eſtans en deſarroy :
Criant bien hault. Ô valeureux Enfans,
Que je penſois tant fortz & triumphans,
Iuſques à quand laiſſerez vous mourir
Ainſi voz gens, ſans point les ſecourir ?
Attendez vous que voſtre gent ſoit morte
Et qu’on combatte au plus pres de la Porte
De voſtre ville ? Ô quelle grand douleur.
Voyla giſant le Troien de valeur
Voſtre Eneas, que l’on tient en eſtime,
Comme ung Hector vaillant & magnanime :
Et n’eſt aulcun qui ſe mecte en devoir,
De tel Amy ſecourir & ravoir.
    Ces motz de Mars feirent monſtrer viſaige
À maintz Troiens, accroiſſant leur courage.
Dont Sarpedon Chevalier renommé
Dict à Hector (de Colere enflammé)
Ô preux Hector ou eſt ores allée,
Ceſte proueſſe aultreſfois extollée,
Quand te ventois aveques tes ſeulz Freres
Et Alliez donner mortelz affaires
À ces Gregeois, & garder de Danger
Ceſte Cité, ſans que nul Eſtranger
Vint au ſecours ? Ou ſont tant de Parens,
Freres, Couſins, & aultres Adherens ?
Ie n’en voy nul, Certes ilz ſont fouyz,
Comme ſont Chiens, du Lion envahyz :
En te laiſſant en perilleux encombre,
Et nous auſſi, qui ſommes ſoubz ton vmbre
Icy vemiz, faiſans comme peux voir,
À batailler tout poſſible devoir.
Ie ne ſuis point Couſin, ou Citoien,
Ny aultrement ſubject : du Roy Troien :
Et ſi ne tiens au prés Terre, qu’il faille
Pour la ſaulver, qu’en rien je me travaille.
Venu je ſuis de Licie loingtaine,
Tiré d’amour de ta vertu haultaine :
Qui par tous lieux accroiſt ta Renommée.
La, j’ay laiſſe enfant, & femme aymée :
Pluſieurs treſors & richeſſes, qui ſont
Se delirer de ceulx qui ne les ont ;
Meſtant pour toy en danger ma perſone.
Et maintenant (dont trop ſort je m’eſtonne)
Encor que moy & les miens monſtrons face,
Ie voy les tiens habandonner la place,
Tu n’en dis mot, qui les devroys preſſer,
Voire forcer, de plus ne te laiſſer :
Leur propoſant les dangereux perilz,
Ou ſe verroient Femmes & leurs Mariz :
Leſquelz ſeroient Raviz & Attrapez,
Comme Animaulx, aux Retz envelopez :
Et ta Cité ſumptueuſe & inſigne
Soubdain pillée, & puis miſe en ruine.
Il convient donc plus avant y penſer,
Et quant & quant aux plus grands t’adreſſer :
Leur ſuppliant d’avoir bonne eſperance,
D’eſtre vainqueurs, par la perſeverance :
Faiſant ainſi, tu ſeras eſtimé :
Ne le faiſant, meſpriſé & blaſmé.
    De pareilz motz, Sarpedon lors piqua
Le prince Hector, qui point ne répliqua.
Mais tout armé comme il eſtoir, grand erre
Du Chariot feit ung ſault bas en terre :
Tenant en main deux Dardz qu’il eſbranſla,
Trop fierement, & ſoubdain ſe meſla
Entre les liens. La commande, Supplie,
Et Crie tant qu’encor il les ralie,
Dont prennent cueur, & la Teſte baiſſée,
Tournent gaigner la place delaiſlée.
    Quand les Gregeois apperceurent venir
Les Rengz Troiens, pour mieulx les ſouſtenir,
Se vont ſerrer enſemble l’appreſtans
De les attendre, en vaillans combatans.
    Et tout ainſi, qu’en la ſaiſon qu’on Vanne
Le beau Froment hors la Granche ou Cabanne,
Souventeſfois à cauſe du grand vent
Qui va la Bale & la Paille enlevant,
Les grandz Gerbiers blanchiſient de l’ordure
Qui ſort du bled, & de la terre dure.
Semblablement la pouldre fut ſi grande
À l’approcher de la Troiene bande,
Que les Harnois, & les habitz divers
Des combatans en furent tous couvers.
    Lors renforça la cruelle bataille,
Plus que devant là ſe rompt, & detaille,
Maint bel Eſcu : car le Dieu Mars couroit
Parmy le Camp, & Troiens ſecouroit :
Sans eſtre veu, les confortant en termes
Qui les rendoient plus courageux, & fermes.
Il leur diſoit, que Phoebus combatoit
De leur coſté, & que Pallas eſtoit
De l’aultre part : Parquoy devoient monſtrer
Quelque beau faict d’Armes au rencontrer.
    En meſme inſtant, Eneas retourna
Tout frais au Camp Apollo l’amena.
Dont les Troiens, luy voyans faire effort,
Non de bleſſé, ains de vaillant & fort,
S’eſjouyſſoient, ne ſe povans ſaouler
De ſon regard, & deſiroient parler
Aveques luy : Mais la griefve meſlée
Eſtoit deſja par trop renouvellée.
    Apollo, Mars, & la folle Deeſſe
Contention, ſervoient pour lors d’adreſſe
Aux bons Troiens, leur enflammant les cueurs.
Les deux Ajax excellente belliqueurs,
Diomedés, & Vlyſſés eſtoient
À l’oppoſite, & les Grecs enhortoient
De tenir bon : leſquelz obeiſſantz
Se contenoient en Souldards tres puiſſantz,
Sans reculer : Car ainſi que les Nues
Sont bien ſouvent ſur les Montz retenues
Maulgre les Ventz, par le Dieu Iuppiter,
Qui ne pourroient aultrement reſiſter
Au ſoufflement, & Tourbillon divers
Du vent de Nort, qui leur donne à travers :
Semblablementles Gregeois bien Armez,
Les attendoient hardiz & animez ;
Prenans conſort de veoir parmy la preſſe
Aveques eulx les plus fortz de la Grece.
    Agamemnon ce pendant ne ceſſoit
De commander, aux lieux qu’il cognoiſſoit
Eſtre beſoing, & mectoit ſon eſtude
À diſpoſer toute la multitude
Diſant ainſi : Ô Gregeois valeureux,
Si l’on a veu voz faictz chevaleureux
Par cy devant, Faictes que la louange,
Preſentement ne diminue ou change.
Prenez courage, & par ung meſme accord
Donnez dedans, aveques ce Record,
Que le Souldard qui ſon honeur revere,
    Et pour celuy combatant perſevere,
Eſchappera pluſtoſt d’ung grand danger,
Que ne ſera le couard, & leger.
L’on voit pluſtoſt mourir les Eſtourdiz,
Et les Craintifz, qu’on ne faict les hardiz.
Car ou l’eſprit n’eſt d’honeur agité,
Le corps languit, & meurt par laſcheté.
    Ainſi parlant, & leur monſtrant la voye
Subitement ſon javelot envoye
Aux ennemys : Si vint tout droict : frapper
Deicoon, qui ne peut eſchapper
Le coup mortel. Il eſtoit grand amy
Du fort Enée, & honoré parmy
Le camp Troien, comme les Filz du Roy :
Tant pour ſa force, & triumphant arroy,
Que pour autant qu’il eſtoit couſtumier
De ſe trouver au combat le premier.
Or mourut il, car le Dard luy faulſa
Son grand Eſcu, & le Bauldrier perſa,
Puis deſcendit en la partie extreme
Du petit Ventre : & lors il tumba bleſme.
    En meſme inſtant furent auſſy vaincuz
Par Eneas Crethon, Orſilochus :
Leſquelz avoient Dioclëus à Pere,
Qui habitoit en la Cité de Phere :
Riche, puiſſant, & de Race venu
Du noble Fleuve Alphée, tant cognu
Dans le Pays de Pyle,ou il derive,
En eſtendant ſa belle & large Rive.
Ceſt Alpheus, eut jadis pour Enfant
Orlilochus, qui fut Roy triumphant
Lequel apres eut à Filz legitime
Dioclëus le Prince magnanime :
Duquel eſtoient ces deux Filz deſcenduz,
Orſilochus, & Crethon, entenduz
Au faict de Guerre, autant que Perſonages
Du Camp Gregeois, au moins ſelon leurs cageſ :
Quipour ſe faire encor plus renommer,
Avoy eut ſuivy Agamemnon par Mer,
Iuſques à Troie, eſtimans grand honeur
De batailler ſoubz ung tel Gouverneur.
Mais tout ainſi qu’il advient quelque fois,
Que deux Lions nourriz au coing d’ung Boys
Par la Lionne, ayans faict grand dommage
Aux plus grans Parcz de tout le voiſinage,
Ores prenans ung Beuf, une jument,
Ou ung Mouton, ſeront finablement
Circonvenuz des Bergers, qui regretent
Leur bien perdu, & pour cela les guettent
Semblablement le courageux Enée,
Donna la mort & derniere iournée
À ces deux Grecs, qui luy cheurent devant
Comme deux Pins abbatuz par le Vent.
    Menelaus dolent de voir mourir
Ainſi les ſiens, vint pour les ſecourir
Tres bien armé, portant en ſa main dextre
Ung Dard luyſant : Mars vouloit bien permectre
Qu’il ſ’advanceaſt, afin qu’il fuſt attainct
Par Eneas, & la tout roide extainct.
    Antilochus en le voyant partir,
Le ſuyt de pres, & ne veult conſentir
À ce hazard, bien ſachant qu’il n’eſtoit
Pour reſiſter, ſi ſeul le combatoit.
Voyant cela Eneas ſe diſpoſe
Quicter le lieu, ſans y faire aultre choſe.
Car bien qu’il fuſt Remuant & Léger,
Deux en combatre il eſtimoit danger.
    Quand on le veid ainſi ſe retirer
Alors chaſcun voulut les corps tirer
Des Freres mortz, & aux ſiens les baillerent,
Puis quant & quant enſemble bataillerent,
En ce conflict le Roy Pylemenée
Des Paphlagons, eut la vie finée :
Avec Mydon le conducteur loyal
De ſes Chevaulx, & Chariot Royal.
Menelaus en l’Eſpaule donna
Au Roy ſuſdict, & Mydon ſ’eſtonna,
Voyant venir le coup d’une grand Pierre
Qu’Antilochus ſur le Bras luy defferre :
Le contraignant la Bride habandonner.
Oultre ce coup, luy vint encor donner
De ſon Eſpée à travers de la Face :
Dont il tumba roide mort en la place.
Non pas ſoubdain, car par quelque moment
Les deux Chevaulx le traynoient rudement
Iuſques à tant qu’Antilochus les priſt,
Et les mena ainſi qu’il l’entrepriſt.
    Le preux Hector qui paſſoit d’adventure
En ceſt endroict, veid la deſconfiture
De ce bon Roy, dont il fut courroucé
Tres grievement : ſurquoy ſ’eſt advancé,
Criant ſi hault, que Troiens qui l’ouyrent,
De bon courage enſemble le ſuyvirent.
    Mars furieux, & Bellone la forte,
Marchoient devant la Troiene Cohorte.
Elles faiſoient ung bruyt eſpouventable,
Et Mars branſloit ſa Lance redoubtable,
N’abandonnant en aulcune maniere
Le Prince Hector : Ores eſtoit derriere,
Tantoſt devant : Bref c’eſtoit ung grand heur,
Avoir ung Dieu pour Guyde, & Directeur.
    Diomedés cognoiſſant Mars venir,
Eut grand frayeur, & ne ſe peut tenir
De reculer, comme l’homme eſtranger,
Qui deſirant paſſer & voyager
En loing Pays, advient ſi mal qu’il trouve
En ſon Chemin ung grand horrible Fleuve
Impétueux, eſcumant de roideur,
Dont il ſ’eſtonne, en voyant ſa grandeur :
Puis ſ’en retourne, empeſché de parfaire
Ce qu’il avoit déliberé de faire.
Ne plus ne moins feit le Gregeois puiſſant,
Qui reculades ſiens advertiſſant
Ô mes amyz ne prenez à merveille,
Dict il alors, ſi Hector ſ’appareille
Pour vous combatre : & ſ’il a bien l’audace
De vous venir chaſſer de ceſte place.
Il a touſjours ung Dieu qui l’acompaigne,
Et le conduict parmy ceſte Campaigne.
I’ay maintenant ſoubz humaine ſemblance
Recognu Mars, qui luy faict aſſiſtance.
Parquoy amyz je vous veulx adviſer,
Qu’il vauldra mieulx ung peu temporiſer,
Et ſans tourner aultrement le viſage
Se retirer, de crainte du dommage
Qui nous pourroit ſurvenir, irritant
Ces puiſſans Dieux, ainſi les combatant.
    Pendant cecy les Troiens l’approcherent,
Et les Gregeois ung petit deſmarcherent.
Hector jecta premierement ſes Dardz,
Dont il occiſt deux courageux Souldardſ :
Anchialus, & le fort Meneſthés,
Du Chariot bas en Terre portez.
    Le fort Ajax eut pitié de les voir
Ainſi tumber par quoy ſe va mouvoir,
Et feit voler ſa Lance tres poinctue
Sur Amphius, & de ce coup le tue :
Car le harnois ne le peut tant garder,
Qu’il ne luy vint droiſt le Ventre darder.
Ceſt Amphius eſtoit Filz de Selage,
Seigneur de Peſe, ayant grand heritage,
Venu de loing à Troie ſecourir
Le Roy Priam, ou luy convint mourir.
Eſtant tumbé, le ſort Ajax ſ’efforce
Luy deſpouiller ſes Armures à force :
Mais les Troiens tant de Traictz luy jecterent
En ſon Eſcu, que le corps luy oſterent.
Et bien qu’il fuſt homme de grand vaillance,
Il n’en eut rien, fors ſeulement ſa Lance
Qu’il arracha, en mectant ſur le corps
Ses deux Tallons, pour la tirer dehors.
Et cela faict, des Troiens repoulſé,
Se retira eſtant preſque laſſé.
    D’aultre coſté la dure Deſtinée
La preparoit la derniere journée,
Au vaillant Filz d’Hercules Tlepoleme :
En l’incitant par hardieſſe extreme
S’adventurer, & mectre à l’habandon,
Contre le ſort & Divin Sarpedon.
Si le va joindre, & lors eulx deux eſtans
Preſtz à tirer en vaillantz combatans,
Tlepolemus avant faire voler
Son javelot, voulut ainſi parler.
    Quel grand beſoing, quelle neceſſité.
Ta cy conduict devant ceſte Cite
Homme Couard, & de nulle valeur,
Pour recevoir la mort par ton malheur ?
Certainement bien t’ont voulu flatter
Les faulx menteurs, diſans que Iuppiter
T’a engendré car ton laſche courage
Eſt trop divers, de ſi divin Lignaige.
Penſerois tu en vaillance approcher
À Herculés qui fut mon Pere cher
Fort & hardy, ayant cueur de Lion :
Lequel jadis print d’aſſault Ilion,
Avec ſix Nefz amenées de Grece :
Pour ſe venger de la faulſe promeſſe
Que luy feit lors le Roy Laomedon,
De luy donner ſes Chevaulx en guerdon ?
Tu es bien loing de ſa Force & vertu :
Et qui ſoit vray, ton peuple eſt abbatu
Devant tes yeulx, tes Souldards de Licie
Sont deſconfitz, & l’on ne ſ’enſoucie.
Si ne voy pas, quel ſecours tu peuz faire
À ces Troiens laiſſant les tiens deffaire.
Mais c’eſt tout ung, car auſſy de mon Fer
Tranſmis ſeras bas aux portes d’Enfer.
    Sarpedon lors de la Menace fole
Ne ſ’eſtonna, mais reprint la parole,
Et reſpondit il eſt tres veritable,
Que pour la Faulte & injure notable
Qu’on feit adonc à ton Pere Herculés,
Troie fut priſe, & ſes Palays brullez.
Mais quant à toy pas ainſi n’adviendra,
Car mon ſort bras ores mort t’eſtendra :
Dont l’Ame ira en la region noire :
Et j’acquerray grand renommée & gloire.
    À tant ſont fin à leur contention,
Branſlent leurs Dardz, avec intention
S’entretuer, & ſi bien les adreſſent,
Que de ce coup cruellement ſe bleſſent.
Le javelot de Sarpedon paſſa
Parmy le corps du Grec, qui treſpaſſa
Deſſus le Champ. Quant au ſien il penetre
Bien rudement en la Cuyſſe ſeneſtre
De Sarpedon, ſi avant que la Poincte
Fut dedans l’Os attachée, & conjoinctre :
    Et n’euſt eſté le vouloir du grand Dieu,
Il eſtoit mort, ſans bouger de ce lieu.
    Quand les Souldards voirent couchez en terre
Ces deux grans Ducz, chaſcun vint à grand erre
Pour ſecourir, ou emporter le ſien.
Premierement le Prince Licien
Fut relevé, & mis hors de la Foule :
Non ſans grand mal, Car le ſang qui découle
L’affoybliſſoit, & en l’en amenant
Alloit touſjours le javelot traynant
Dedans ſa Cuyſſe, On n’avoit loiſir lors
De le tirer tout gentement dehors
Tlepolemus auſſy fut emporté
Par les Gregeois, en ung aultre coſté.
    Lors Vlyſſés qui bien veid la Deſfaicte
De Tlepoleme, & la belle Retraite
De Sarpedon, fut dolent en ſon cueur :
Et diſcouroit ſ’il faloit au vainqueur
Courir ſoubdain, ou ſ’il devoit fraper
Les Liciens, & mortz les decouper.
Finablement encontre iceulx ſ’adreſſe
Suyvant l’advis de Pallas la Deeſſe.
Car auſſy bieſt la mort predeſtinée
De Sarpedon, n’eſtoit pas aſſignée
À Vlyſſés : la prudence divine
La reſervoit, pour quelque aultre plus digne.
    Il occiſt lors Ceranus, Chromuis,
Et Alaſlor, Alcander, Halius,
Puis Noemon, Prytanés, & de faict :
Il euſt encor plus grand nombre deffaict :
Sans le vaillant Hector, qui a grand cours
Vint ſur les Rencz, pour leur donner ſecours :
Donnant frayeur, avec ſes claires Armes
Aux plus hardiz de tous les Grecs gendarmes.
Trop fut joyeux Sarpedon le voyant,
Et puis luy dict tendrement larmoyant;
Filz de Priam, je te pry ne me laiſſe
Au vueil des Grecs, meſmes en la Foibleſſe
Ou tu me voys : Fay moy toſt amener
En ta Cité ſans point m’habandonner :
La je mourray, jamais n’auray puiſſance
De retourner au lieu de ma naiſſance :
Pour conſoler mon Enfant, & ma Femme,
Sentant prochain le deſpart de mon ame.
    Le preux Hector point ne luy reſpondit :
Mais à chaſſer les Gregeois entendit :
Deliberant de la vie priver,
Ceulx qui vouldroient à l’encontre eſtriver.
    Apres cecy les Liciens aſſirent
Soubz ung fouſteau Sarpedon, & luy feirent
Tirer dehors le Dard, par ſon mignon
Dict Pelagon fidele Compaignon.
En le tirant, l’Eſprit preſque ſouyt
Du foible corps, dont il ſ’eſvanouyt :
Puis on le veid (peu à peu reſpirant)
Se revenir tendrement ſoulpirant :
À quoy ſervoit beaucoup le frais vmbrage,
Et le doulx vent luy ſouflant au viſage.
    Adonc l’effort d’Hector, & du Dieu Mars,
Eſtonna tant les Grecs de toutes pars,
Qu’il ne ſ’oſoyent nullement avancer
Encores moins les Eſcadrons laiſſer :
Mais peu à peu monſtrans contraire face,
Se retiroyent habandonnant la place.
    Or diſons donc icy, quelz Gregeois furent
Vaincuz d’Hector, & qui la mort receurent
En ce conflict Theutras fut le premier
Homme vaillant, de vaincre couſtumier :
Puis Oreſte de grans Chevaulx dompteur;
Trecus le tiers, excellent combateur,
Oenomaus, & le fort Helenus,
Pour valeureux entre les Grecs tenuz :
Et le dernier Oreſbius, Perſone
D’authorité, portant Sceptre & Corone
En la Cité d’Hila qu’il poſſedoit,
Et ſes voiſins en richeſſe excedoit :
Ayant ſes biens pres du Lac dict Gephiſe,
En Beotie, ou ſa Ville eſt aſſiſe.
    Iuno voyant la malheureuſe yſſue
De ſes Gregeois, ſe trouvoit bien deceue
De ſon deſſeing. Si vint devers Pallas
Tres courrouſſée, en luy diſant. Helas
Fille au grand Dieu Iuppiter, Qu’eſt cecys ?
Eſt il conclud que tous mourront ainſi ?
Si nous ſouffrons folier longuement
Ce cruel Mars, je voy certainement
Que la promette à Menelaus faicte
D’avoir Heleine aprés Troie deſfaicte,
Sera du tout une Menſonge vaine :
Et qu’il ne pert que l’attente & la peine.
Allons M’amye, & donnons cognoiſſance
À ce grand Fol, quelle eſt noſtre puiſſance.
    À ſon vouloir preſta conſentement
Dame Pallas : & lors ſubitement
Iuno ſen va ſes Chevaulx mettre en poinct :
Et les atteſle : Hebé ne faillit point
D’aultre coſté le grand Char appreſter,
Auquel devoit la Déeſſe monter.
    Lors affuſta les Roues bien forgées,
Faict les d’Or fin liées & rengées
À cloux de Fer, & d’Arain reluyſant,
Et huict : Roullons, de meſme Arain duyſant :
Dont les Moyaulz entaillez par art gent,
Eſtoient auſſy maſſifz de fin Argent :
L’Eſſieu d’Acier, le Timon de Métal
Clair Argentin, auſſy beau que Criſtal.
Et quant au ſiege, il fut environné
D’orfaverie, & ſi bien atourné
Qu’on ne ſcauroit donner raiſon entiere,
Qui valoit mieux, l’Ouvrage ou la Matiere.
    Ce temps pendant que l’on diligentoit
Au Chariot, Minerve ſ’appreſtoit :
Si deſpoilla ſon riche Acouſtrement,
Qu’elle avoit faict, & tyſſu proprement.
Et puis ſ’arma de la Cuyraſſe forte,
Que Iuppiter en la bataille porte.
Conſequemment ſur les Eſpaules charge
Le grand Eſcu, pelant, horrible & large,
Environné de Crainte, & de terreur,
Contention, Noyſe, Audace & Horreur,
Fureur, Clameur, & Menace terrible,
Auquel eſtoit paincte la Teſte horrible
De la Gorgone, epoventable Monſtre,
Eſtonnant tout ce qui vient à l’encontre.
Encores plus, elle couvrit ſa Teſte
D’ung grand Armet, d’Or fin, à triple Creſte,
Qui ſuffiroit aux chefz des habitans
De cent Citez, lors qu’ilz ſont combatans.
Ainſi armée, au Chariot monta
Legerement, & la Lance porta :
Avec laquelle, elle abbat & repouſſe
Les Demydieux, quand elle ſe courrouſſe.
Dame Iuno d’aultre part tint la Bride
Des bons Chevaulx, voulant ſervir de Guide.
    Tant ont couru, quelles vindrent aux Portes
Du Ciel haultain, bien fermées & fortes.
Les Heures ont touſjours la charge entiere
De ces beaulx Huys, chaſcune en eſt Portiere,
Ayans auſſy la ſupeſintendence
De tous les Cieulx, aueques la Regence
Du hault Olympe, & d’amener les Nues
Ou ramener, quand elles ſont venues.
    Les Heures donc aux Deeſſes ouvrirent
Diligemment, & hors leurs Chevaulx miſrent;
Qui tranſverſans la Celeſte Campaigne,
Vindrent bien toſt ſur la haulte Montaigne
Du clair Olympe, ou eſtoit Iuppiter
Qui preſidoit ſi ſe vont arreſter
Devant ſon Throſne. Et Iuno ſans deſcendre,
Du Chariot, luy feit ſa plaincte entendre :
Frere & Mary (dict elle) Quelle joye
Prens tu de voir Mars ton Filz devant Troie,
Meurtrir ainſi les Grecs cruelement
Contre raiſon pour plaire ſeulement
Au ſol deſir de Venus l’envieuſe,
Et d’Apollo ? Ceſt oeuvre injurieuſe
Doibt elle ainſi eſtre diſſimulée,
Et la Iuſtice & la Foy violée ?
Or je te pry ne te vouloir faſcher :
Si je deſcens la bas pour empeſcher
Ce furieux, & ſi je me travaille
À le chaſſer dolent de la bataille.
    I’en ſuis content, reſpondit lors le Dieu :
Mais pour le mieulx il fauldroit qu’en ton lieu
Pallas vouluſt ceſte charge entreprendre :
Car Mars ne peult, comme elle ſe defendre,
Souventeſfois elle l’a ſurmonte,
Et le vaincra, ſ’elle en a volunté.
Iuno trouva ceſte reponſe bonne,
Parquoy deſloge, & le Frain habandonne
À ſes Chevaulx qui courans à grand erre,
Tiennent la voye entre le Ciel & Terre :
Volans bien hault, loing de nous, autant comme
Peult regarder en pleine Mer ung homme :
Qui bien ſouvent d’une haulte Eſchauguette
Les Mariniers & leurs Navires guette.
C’eſt le Chemin, que les Chevaulx des Dieux
Tiennent en L’air, venans en ces bas lieux.
    En peu de temps à Troie ſe rendirent,
Et promptement à Terre deſcendirent,
Droict en la place, ou ſe meſle l’Eau claire
De Scamander, à Simois ſon Frere.
    Illec Iuno ſes Montures laiſſa
À Simois, qui tres bien les penſa,
En leur donnant la divine Ambroiſe,
Sur le Rivage appreſtée & choiſie.
Partans de la, rapprocherent les belles
Du Camp Gregeois, ſemblans deux Coulobelles
À leur marcher, mais ayans au Courage
Ardant deſir de faire ung bel Ouvrage.
À l’arriver, ung grand nombre ont trouvez
De combatans, hardiz & eſprouvez,
Qui n’eſpargnoient non plus leurs Ennemyz,
Que ſont Sangliers, ou grans Lions famyz.
    À donc Iuno ſoubz l’Habit d’ung Gregeois
Nommé Stentor, duquel la ſeule Voix
Eſtoient autant Reſonante & Haultaine,
Que de Cinquante ayans bien grande alarnie,
Cria tout hault : Ô deſhoneur, Ô honte,
Ô Peuple Grec, qui tiens ſi peu de compte
De ton honeur ? Ô Princes malheureux
Princes de Nom, mais par effect paoureux
Plus que Valetz, povez vous bien ſouffrir
Ce que je voy devant voz yeulx ſ’offrir ?
Quand Achillés avec nous combatoit,
On nous fuyoit, chaſcun nous redoubtoit.
Les fortz Troiens n’oſoyent en quelque ſorte
Habandonner(au moins bien peu) leur Porte :
Tant fort craygnoient ſa Lance valeureuſe.
Et maintenant, Ô choſe malheureuſe,
Non ſeulement hors la Cité combatent,
Ains prés des Nefz nous tuent & abbatent.
Ainſi crioit la puiſſante Deeſſe :
Dont leur remiſt es cueurs la hardieſſe.
    D’aultre coſté la prudente Pallas
Vint rencontrer Diomedés tres las
Tant du travail tout le jour ſupporté
En combatant, que pour avoir porté
Le grand Eſcu qui le faiſoit ſuer,
En ſe voulant par trop eſvertuer.
Aquoy auſſy la Playe qu’il avoit
Le contraignoit, tant qu’à peine il povoit
Au Chariot ung petit ſ’appuyer,
Pour le ſang noir de la Playe eſſſuyer.
    Ce neantmoins Minerve ſ’approcha
Bien prés de luy, & le Collier toucha
De ſes Chevaulx, diſant. Il eſt bien vray
Et quant à moy touſjours je le croiray,
Que Tideus Combatant nom pareil,
N’euſt oncques Filz qui fuſt à luy pareil.
Petit eſtoit, mais ſi Preux & Vaillant,
Que maulgré moy, il alloit aſſaillant
Souventeſfois les plus fortz & puiſſantz,
Et les rendoit mortz ou Obeiſſantz.
Monſtra il pas de ſon cueur la grandeur
Aux fortz Thebains eſtant Ambaſſadeur
Par devers eulx, quand apres le Bancquet,
(En les voyant Oyſifz pleins de Cacquet)
Les provoqua, puis apres les vainquit :
Ou grand honeur, & grand Louange acquiſt ?
Pourquoy cela ? Ie le favoriſoye,
Et en ſes faictz touſjours le conduiſoye,
Comme tu vois que ſouvent je t’aſſiſte,
Et pour ta vie aulcunes fois reſiſte,
En te donnant les plus certains moyens,
De mectre à mort les plus fortz des Troiens.
Ce non obſtant tu es ores laſſé,
Tout de Pareſſe ou de Craincte oppreſſé,
Dont ſuis d’advis que jamais ne te nommes
Filz de Tidée, entre les vaillantz hommes.
    Diomedés reſpondit lors : Ô Dame
Ie te ſupply , ne m’imputera Blaſme,
Ou Laſcheté ceſte miene Retraicte.
Car puis que j’ay cognoiſſance parfaicte
De ta preſence, en rien ne vueil celer,
Ce qui m’a faict à preſent reculer.
Ce n’eſt point Craincte ou Laſcheté de Corps,
Mais ton Conſeil, du quel je ſuis records.
Ne m’as tu pas defendu d’entreprendre
Rien ſur les Dieux, fors ſur Venus la Tendre ?
Donc maintenant ayant veu le Dieu Mars
Encontre nous, ay je tort, ſi je pars
Hors du Combat, & ſi veulx advertir
Mes Compaignons, pour les en divertir ?
    Ne doubte plus Amy doreſnavant
De l’aſſaillir, ſ’il te vient au devant
(Dict lors Pallas) Ne fay difficulté
De le combatre, & l’aultre Deité
Qui ſe vouldra contre toy preſenter.
Va hardiment encontre luy jouſter.
C’eſt ung Cauſeur, ung Baveux, ung Vanteur,
Et qui pis eſt, variable & Menteur.
À ce matin il m’avoit faict promeſſe
De batailler en faveur de la Grece :
Et maintenant comme fol inconſtant
Il eſt contre eulx, pour Troiens combatant.
    Diſant ces motz, feit Sthenelus deſcendre
Du Chariot, & ſ’en va le Frain prendre
Des beaulx Chevaulx, deſirant les conduire
Et pour ce jour Diomedés inſtruire.
Le Chariot (pour la grand peſanteur
De la Deeſſe, & du fort Combateur)
Ployoit deſſoubz : & l’Eſſieu tres puiſſant
En fleſchiſſoit ſoubz le Char gemiſſant.
    Ainſi ſ’en vont, en propos de combatre
Mars furieux, le bleſſer ou l’abbatre.
Et pour garder de n’eſtre deſcouverte,
Pallas avoit lors ſa Face couverte
Du grand Armet de l’Infernal Pluton,
Faict à moitié de Fer & de Layton.
    Quand Mars le veid ainſi venir grand erre,
Il laiſſe ung Grec, qu’il avoit mis par terre,
Etolien nommé Periphantés,
Fort renommé entre les plus vantez,
Et delibere au fort Gregeois bailler
Le coup de mort, & puis le deſpouiller.
Eſtans la prés, Mars ſoubdain eſbranla
Son javelot, mais point ne l’affola :
Tant ſeulement il paſſa comme une Vmbre
Deſſus le Col des Chevaulx ſans encombre :
Car la Deeſſe adviſée & bien ſaige,
Le deſtourna, en luy donnant paſſage
Deſſubz le Char, le guydant de ſa main.
    Diomedés ne rua pas en vain
Ainſi ſon Dard car il feit ouverture
Dedans le corps de Mars ſoubz la Ceincture,
Faulſant la Lame, & ſi profond luy entre,
Qu’il le ſentit au plus bas de ſon Ventre.
En ceſt endroict Pallas le coup guyda,
Et au Gregeois divinement aida :
Lequel ſceut bien dextrement y ouvrer,
Et quant & quant ſa Lance recouvrer.
    De ce grand coup, & Bleſſure notable,
Mars feit ung Cry autant eſpoventable,
Et plus hideux, que ne ſeroient dix mille
Vaillans Souldards aſſaillans une Ville,
Dont les Troiens & Gregeois attentifz,
Soubdainement devindrent tous craintifz.
Le triſte Dieu ſurpris de dueil & honte,
Aprés ce Cry deſſus l’Olympe monte :
Et ſ’en allant ſembloit l’eſpeſſe Nue,
Qui en temps clair peu à peu diminue
Par le doulx Vent, qui la faict departir,
Et la chaleur en ces bas lieux ſentir.
Eſtant venu en la maiſon Divine
(Faiſant piteuſe & bien dolente mine)
S’aſſeiſt au prés de Iuppiter, voulant
Monſtrer le ſang de ſa Playe coulant,
Puis dict ainſi. Pere tres redoubté
Ie ne ſcay pas ſi c’eſt ta volunté
De veoir ainſi les Deeſſes & Dieux
Se mutiner en debatz odieux,
Tant ſeulement pour la faveur des hommes,
Et non pour toy, de qui vrayz Subjetz ſommes.
Tu as conceu une Fille maulvaiſe,
Pernicieuſe, & qui n’eſt jamais aiſe,
Qu’elle ne face injure ou deſplaiſir
À l’ung de nous, ſ’il luy vient à plaiſir
Il n’y a Dieu tant ſoit fort & puiſſant,
Qui ne te ſoit en tout obeyſſant,
Sors ceſte cy, Oultrageuſe, Enragée,
Qui n’eſt jamais Punie ou Corrigée.
Elle a contraint ung Gregeois inhumain,
À ce jourdhuy de bleſſer en la Main
Venus ma Seur, & l’a faict advancer
Encontre moy, pour me nuyre & bleſſer,
Comme tu voys & ſans prendre la fuyte
Ma Deité eſtoit preſque deſtruite.
Car il m’euſt tant decoupé, & batu,
Et affoibly ma puiſſante Vertu,
Qu’ores je feuſſe entré les grans monceaulx
Des Troiens mortz, qu’il a mis à morceaux.
    Ainſi parla le Dieu Mars à ſon Pere,
Monſtrant au doy l’excés & vitupere
Par luy ſouffert. Auquel Iuppiter dict,
Ô variable, execrable, & mauldict,
Laiſſe tes plainctz, & ne raconte tant
De tes forfaiſtz, à ton Pere aſſiſtant.
Tu es le Dieu le plus malicieux
De tous les Dieux, qui repairent es Cieulx
Que j’ayme moins & non pas ſans raiſon,
Ton naturel eſt Noyſe, & Trahyſon.
Tenant en tout de Iuno la terrible,
Fole, Ialouſe, autant incorrigible
Comme tu es laquelle je t’augure
T’a preparé ceſte grande Bleſſure.
Mais pour autant que tu es de ma Race,
Et décile auſſy, tu receuras la grace
D’eſrte guery. Et penſe deſormais
Quittant ainſi dangereux & maulvais,
Sans la faveur qu’ung Pere doict porter
À ſon Enfant le voyant mal traicter :
Long temps y a que j’euſſe faiſt Iuſtice,
De ta cruele & damnable malice.
    Apres ces motz Iuppiter commanda
Qu’on le gueriſt. Lors Peon regarda
Dedans la Playe, & le penſa ſi bien
Qu’en peu de temps on n’y cognut plus rien.
Le Laict caillé, dont on faict le Fromage
En temps d’Eſté, demeure davantage
À ſe former. Auſſy les immortelz
Tiennent du Ciel. Ilz n’ont pas les corps telz
Que nous avons, & de cela procede
Qu’ilz ont touſjours plus ſoubdain le remede.
    Mars rendu ſain, Hebe luy prépara
Ung Baing ſouef : puis aprés le para
De beaulx Habitz : lequel vint aſſiſter
En plaine Court, au grand Dieu Iuppiter.
    D’aultre coſté, Pallas victrorieuſe,
Avec Iuno trop aiſe, & Glorieuſe
D’avoir chaſſé Mars du cruel
En ung moment feirent au Ciel retour.


LE SIXIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




LES DIEVX AYANS la bataille laiſſée,
La Noiſe fut ſoubdain recommencée
Entre Gregeois, & Troiens, plus cruele
Qu’auparauant. Mainte Darde mortele


De tous coſtéz fut lancée, & receue.


Si qu’on jugeoit tres doubteuſe l’yſſue
De ce jour la ; veu les mortz abbattuz
Parmy la Plaine : ou le Fleuve Xanthus,
Et Simöis eſtendent leurs Rivages,
Bien reveſtuz d’Arbriſſeaulx & d’Herbaiges.
    Le preux Ajax Telamon, ſeur Rempart
Du Camp des Grecs, fut celuy de ſa part,
Qui le premier rompiſt le Renc Troien :
Donnant aux ſiens l’ouverture & moyen
D’eſtre vainqueurs. Si jecta mort en place
Ung des meilleurs, & grandz Princes de Thrace,
Dict ; Acamas le frappant ſur la Teſte,
Au propre lieu ou le Pannache & Creſte
Sont en l’armet : tant que le Fer entra
Dans la Cervelle, & au Front penetra :
Dont la douleur de la bleſſure creuſe,
Couvrit ſes Yeulx d’une nuyct tenebreuſe.
    Diomedés meit à mort Axylus
Filz de Teuthras, l’ung des Souldards eſleuz,
Qui fut pour lors en la Troiene Armée.
Il habitoit en la Ville fermée
Dicte Ariſba, ou par honeſteté
Avoit ſouvent logé & bien traicté
Maint Eſtranger : Mais tout ce bon vouloir
Et traictement, ne luy peuſt tant valoir,
Qu’il rencontraſt en ce mortel effort
Hoſte ou Amy, pour luy donner confort.
Caleſius auſſy ſon Serviteur,
Et des Chevaulx fidele Conducteur,
Fut enferré luy tenant compaignie :
Et cheut en terre, à la Face ternie.
    Euryalus avoit la deſconfitz
Opheltius, Dreſus, quand les Filz
De l’Ancien Bucolion receurent
Le coup mortel de ſa main : & ne ſceurent
Se garantir, l’ung Pedaſus nommé,
L’aultre Eſepus Gendarme renommé,
Freres jumeaulx. La Nymphe Abarbarée
Dicte Naïs gentile & honorée,
Les enfanta au dict Bucolion
Secretement, lors qu’il vint d’Ilion
Sur la Montaigne, afin de ſ’eſjouyr
Et de l’amour de la belle jouyr :
Qui lors eſtoit vue ſimple Bergere
Gardant Brebiz, en la verte Fougere.
Il eſtoit Filz du Roy Laömedon :
Mais il quicta & meit à l’habandon
Pere, & Pays, eſpris de l’Eſtincelle
Du feu d’Amour, pour la gente Pucelle.
    En meſme Renc le fort Meneptoleme
Occiſt Aſtyle, & cheut en bas tout bleſme.
À Pidytés fut la Teſte coupée
Par Vlyſſés d’ung coup de ſon Eſpée.
Aretaön bleſſé fut par Teucer :
Tant qu’il le feit en Terre renverſer.
Antilochus le gentil Combatant
Filz de Neſtor, en ſceut bien faire autant,
Encontre Ablen : car ſa Lance luy paſſe
Tout à travers, dont ſoubdain il treipaſſe.
    Agamemnon les voyant abbatuz,
Pouſſe en avant, & deſfeit Elatus.
Ceſte Elatus avoit grand heritaige,
Et ſe tenoit au prés du beau Rivage
De Satnyon, dans Pedaſe la Ville,
Bien hault aſſiſe, opulente & Civile.
Puis Phylacus fut occis en fuyant
Par Leïtus. Eurypylus voyant
De tous les ſiens le vaillant portement,
Il eſbranſla ſon Dard ſubitement,
Et d’ung ſeul coup Melanthius toucha
Si rudement, que bas mort le coucha.
    Menelaus qui avoit bonne envie
De ſe monſtrer, priſt Adreſtus en vie,
Il ſ’en fuyoit : Mais de male adventure
Son Chariot & ſa belle Monture
À ung grand tronc de Tamarin, hurterent
Si lourdement, qu’en terre le jecterent.
Dont le Timon ſut ſoubdain eſclatté,
Et les Chevaulx ſentans la liberté,
Prindrent leurs cours vers la Cité de Troie,
Laiſſant leur Maiſtre eſtendu par la voye.
Menelaus donc ques qui le ſuyvoit,
S’arreſte court, auſſy toſt qu’il le voit
Ainſi tumbé, & deſſus luy ſe lance
Pour le tuer, avec ſa longue Lance :
Mais le Troien uſant d’ung parler doulx,
De luy ſ’approche, en baiſant ſes Genoux.
Filz d’Atreus, ie te ſupplie Accorde
À ce dolent Vie & Miſericorde.
Si tu le fais comme je le demande,
Tu recevras pour moy Rançon tres grande.
Mon Pere eſt riche, ayant en ſa maiſon
Or, Fer, Arain, & Ioyaulx à foiſon,
Qui ſeront tiens, & tout ce qu’il aura
Pour me R’avoir, quand au vray il ſcaura
Que je ſuis vif, donc pour faire conqueſte
De tant de bien, accorde ma Requeſte.
Rien ne luy ſceut Menelaus nier :
Et ia vouloit le garder Priſonnier,
Et le bailler aux ſiens pour le conduire
Tres ſeurement en ſa Tente ou Navire.
Mais le rebours de ſon vouloir advint,
Car le grand Grec Agamemnon ſurvint
Sur le Marché, qui tres fort ſ’en faſcha,
Et à ſon Frere ainſi le reprocha.
Ô grand Couard, dont te vient le vouloir
D’avoir pitié, & ainſi te douloir
Des faulx Troiens ? T’ont ilz faict plaiſir tel,
Eſtans receuz jadis en ton Hoſtel ?
Ont’ilz de toy merité ſi grand bien
De les ſauluer ? Or il n’en ſera rien.
Ilz mourront tous, & Maſles & Femmelles :
Voire les Filz qui tettent les Mammelles,
Et ceulx qui ſont au Ventre de leur Mere,
Tous par noz Mains receuront Mort amere.
Eſtanc leur Ville en brïef temps occupée :
Et paſſeront par le fil de l’Eſpée.
    Par ce propos le grand Grec divertit
Menelaus, qui bien toſt conſentit
À ſon Conſeil. Et lors d’une Secouſſe
Son Priſonnier de luy chaſſe & repouſſe.
Deſſus lequel Agamemnon ſe rue,
Et d’ung ſeul coup par le Ventre le tue.
Mais pour tirer ſon javelot dehors,
Il fut contrain à luy monter ſur le corps.
    Ce temps pendant, Neſtor qui combatoit
D’aultre coſté, les Grecs admoneſtoit,
Diſant ainſi.Ô amys tres vaillans
Servans de Mars, Courageux aſſaillans,
Continuez, Pourſuyvez la victoire,
Qui ia vous eſt preſentée & notoire.
Chargez deſſus, & ne vous employez
À Butiner, que premier ne voyez
Que tous ſoient mortz, Faictes vos Dardz fouiller
Dedans leurs Corps, ains que les deſpouiller :
Pour en aprés la Victoire gaignée,
Tout à loyſir employer la journée
À les fouiller, pour charger ung matin
Noz grans Vaiſſeaulx, de ce riche Butin.
    Diſant ainſi, il enflamma leurs cueurs
Si tres avant, qu’ilz ſe veirent vainqueurs :
Et les Troiens mis en neceſſité
De ſ’enfouyr, & gaigner la Cité :
Laiſſans le Camp, Si le ſaige Helenus
Filz de Priam, ne les euſt retenuz.
Lequel voyant ceſte cruele Chaſſe,
Dict à Hector, & Eneas en Face.
Puis que la charge & l’entiere Conduycte
De noſtre Gent, eſt en voz deux reduycte,
Comme les deux Princes plus eſprouvez
De noſtre pars. Mes amyz vous devez
À ce jourdhuy faire tant que la perte
Ne ſoit airiſi dommageuſe, & aperte.
Tenez donc bon, monſtrez vous diligens
Devant la Porte, à raſſembler voz gens :
Les enhortant encore à la Bataille,
S’ilz n’ont vouloir, qu’on les tue & detaille
Entre les bras de leurs Femmes piteuſes :
Qui les voyans fouyr ſeront honteuſes.
Et ce pendant nous ſerons tout devoir
De ſouſtenir, bien que noſtre povoir
Soit affoibly : Mais il nous ſera force,
Car le beſoing nous y contrainct & force.
    Quant eſt à toy Ô Hector, tu iras,
Si tu m’en crois, dedans Troie, & diras
À Hecuba noſtre Mere benigne,
Qu’en aſſemblant la troupe féminine
De la Cité, plus chaſte & honorable,
Elle ſ’en voiſe au Temple venerable
De l’invincible & prudente Minerve :
Et des habitz qu’elle tient en reſerue
Dans ſon Palais, prenne le plus gentil,
De riche eſtoffe, & ouvrage ſubtil,
Pour l’aller mectre avec cueur ſimple & doulx,
Devotement ſur les divins Genoux
De la Deeſſe, & la d’humble maniere :
Faire ſes veux, & dreſſer ſa priere.
Luy promectant, pour la rendre propice,
Par chaſcun an ſolennel Sacrifice
De douze Beufz, ou Toreaux non domptez,
À pareil jour en ſon Temple portez.
Et qu’il luy plaiſe en ſa Tutele prendre
Femmes, Enfans, & ce peuple deffendre :
En eſloignant tant qu’il ſera poſſible
De la Cité, le Cruel & Terrible
Diomedés. Lequel eſt, ce me ſemble
Plus belliqueux, que tous les Grecs enſemble.
Ie n’ay point veu noz Gens abandonner
Ainſi leurs Rencz, ne tant fort ſ’eſtonner
Pour Achillés, qu’on dict de Thetis Filz :
Comme à preſent je les voy deſconfictz,
Par la fureur de ce Grec redoubtable,
Qui n’eſt à nul, qu’à ſoy meſmes ſemblable.
    Ainſi parla Helenus le prudent :
Bien cognoiſſant le peril evident
De tous les liens. Hector condeſcendit
À ſon vouloir, dont bien toſt deſcendit
Du Chariot. Et tenant deux beaulx Dards
Soubdain ſe meſle entre ſes fortz Souldards.
Puis comme Chef Hardy, & Magnanime,
Encor ung coup, au Combat les anime.
Et faiſt ſi bien qu’a ſa ſeule requeſte,
Les bons Troiens retournent faire Teſte.
    Adonc les Grecs, furent contrainctz ceſſer
De les pourſuyvre, & la Place laiſſer.
Car les voyans ſi tres audacieux,
Ilz eurent peur, que quelque Dieu des cieulx
Fut deſcendu, pour Secours leur donner,
En les faiſant au Combat retourner.
Surquoy, Hector confermant leur couraige,
Leur dict ainſi, de gracieux langaige.
Ô mes Amys, Ô valeureux Troiens,
(Tant Eſtrangiers Souldards, que Citoiens)
C’eſt maintenant, qu’il ſe fault trouver hommes.
Souvienne vous du danger ou nous ſommes,
Ie vous ſupplie : & monſtrez la Proueſſe,
Dont tant ſouvent vous m’avez faict promeſſe
Marchez avant avec hardy viſaige,
Iuſques à tant que je face ung voyage
Dans llion, pour enhorter nos Femmes,
La bonne Royne, & aultres vielles Dames,
D’aller prier les Dieux, & leur promettre
Veux ſolennelz ; & qu’ilz nous vueillent mettre.
Hors de danger. Le prince de Nobleſſe,
Ces motz ſiniz, ſoudainement les laiſſe :
Et ſ’en va droict, en la Cité de Troie,
Portant l’Eſcu, dont la noire Courroye
Qui l’environne, ainſi qu’il ſ’en alloit,
De ſon Eſpaule aux Talons devaloit.
    Ce temps pendant, ſe preſenta Glaucus,
Illuſtre Filz du bon Hippolochus,
Pour ſ’eſprouver en Combat ſingulier.
Contre lequel le puiſſant Chevalier
Diomedés fort avant, & ſe monſtre
Preſt aut combat. Mais avant la rencontre,
Eſtant la prés le Vaillant & Diſpos
Diomedés, uſa de ces propoz :
Ô Champion, entre tous les humains
Tres fort & Preux, qui veulx venir aux mains
Aueques moy, dy nous, ſ’il ne t’ennuye,
Quel eſt ton Nom. j’ay bien fort grand envie
De le ſcavoir. Car onc par cy devant
Ie ne t’ay veu en Guerre ſi avant :
Tu es hardy, & garny d’Eſperance,
Comme je voy : & qui prens aſſeurance
De ſouſtenir l’Effort impetueux,
Du coup venant de mon Bras vertueux.
Malheureux ſont des Peres ung grand nombre,
Dont les Enfans, par dangereux encombre,
Ont hazardé en Bataille m’attendre :
Leur ayant faict l’ame aux Enfers deſcendre.
Mais te voyant à preſent avancer
Si hardyment, contrainct : ſuis de penſer,
Qu’ung Dieu tu ſois de la hault deſcendu :
Ou ung mortel, Folaſtre, & Eſperdu.
S’il eſt ainſi que tu ſois quelque Dieu,
Des maintenant je te quitte le lieu.
Ie ne veulx pas encourir le danger
De Licurgus : lequel fut trop Léger
Encontre iceulx. Dont il eut, pour la peine,
Vie dolente, & puis la mort villaine.
Iadis advint, ſur le Mont de Nyſa,
Que Licurgus les Femmes adviſa,
Qui ſont ſervice à Bacchus en ſes feſtes,
Portante les Ceps de vigne ſur leurs Teſtes :
Si les ſuyvit, & leur feit tant de craincte,
Que ſans mercy, chaſcune fut contraincte
Laiſſer tumber la Corone ſacrée,
Dont le bon Dieu ſ’eſjouyſt, & recrée.
Car le Meurtrier durement les piquoit
D’ung Eſguillon, puis apres ſ’en moquoit.
Et qui pis eſt, il fut ſi Temeraire,
Qu’il propoſa le Dieu meſmes deſfaire :
Et luy donna tres rudement la Chaſſe,
Faiſant grand bruit, & uſant de Menace
Mais Bacchus lors à grand courſe eſchappa :
Et ſe garda que point ne l’attrapa.
Se venant joindre à Thetis mariniere,
Qui le receut d’amiable maniere
Dedans la Mer, encor tremblant de peur
De cheoir es mains de ce cruel Gripeur.
De ce Forfaict, les grans Dieux ſe faſcherent
Trop durement, & le venger taſcherent :
Privans des yeulx Licurgus quelque temps.
Finablement de cela non contens,
Comme j’ay diſt, pour du tout le punir,
Feirent ſa vie en miſere finir.
Or ſ’il te plaiſt, preſentement declaire,
Quel eſt ton Nom, auſſi qui fut ton Pere,
Sans me tromper : Et ſi tu n’es divin,
Mais des humains qui mangent Pain & Vin,
Approche toy, ſ’il te prend quelque envie,
Icy laiſſer ſoudainement ta vie.
    Adonc Glaucus, avec Grace & Audace,
Luy reſpondit. T’enquiers tu de ma Race ?
Le Genre humain eſt fragile, & Muable
Comme la Fueille, & auſſi peu durable.
Car tout ainſi qu’on voit les Branches vertes,
Sur le Printemps, de fueilles bien couvertes,
Qui par les ventz d’Autumne & la Froidure,
Tumbent de l’Arbre, & perdent leur verdure,
Puis derechef, la Gelée paſſée,
Il en revient en la place laiſſée :
Ne plus ne moins eſt du lignaige humain :
Tel eſt huy vis, qui ſera mort demain.
S’il en meurt ung, ung aultre vient à naiſtre :
Voila comment ſe conſerve leur eſtre.
Mais ſi tu as ſi grande volunté
D’entendre au vray mon Sang, &Parenté,
Ie la diray : combien qu’elle eſt cognue
Preſque de tous, & illuſtre tenue.
Au beau pays d’Arges la renommée
Pour ſes Paſtiz, eſt la Cité famée,
Dicte Ephyra : en laquelle habiterent
Mes bons Parens, & Sceptres y porterent.
Le premier fut Syſiphus tres puiſſant
Filz d’Eolus, de grandz biens joiſſant.
Qui engendra Glaucus duquel naſquit
Bellerophon, qui tant d’honeur acquit.
Auquel les Dieux par Singularité
Feirent la Grace & Libéralité,
(Oultre la Forme & Beaulte indicible)
De le pourveoir d’une force invincible.
    En ce temps la, en Grece dominoit
Ung Roy nommé Proëtus, qui tenoit
Beau coup de biens : Soubz le povoir duquel,
(Par le vouloir du grand Dieu immortel)
Bellerophon fut nourry en jeune cage,
Faiſant honeur touſjours à ſon Lignage.
Mais ce dict Roy, par apres conſpira
Encontre luy, & ſa mort procura :
Non de ſon gré. Ce fut à la requeſte
De ſon Eſpouſe Andya deſhoneſte.
Laquelle eſtant de Luxure enflammée
Faire ne ſceut qu’elle peuſt eſtre aymée
Du jouvenceau : Bien qu’elle le priaſt
Inceſſamment pleuraſt & ſ’eſcriaſt.
Parquoy voyant ne povoir proffiter
En ſon Ardeur, vint à ſe deſpiter :
Tant que l’Amour vehemente ſortie,
Fut promptement en Hayne convertie.
Si vint ung jour, à ſon Mary plourant,
Avec maintien d’ung corps quaſi mourant,
Et dict ainſi ; Il fault que te diſpoſes
D’executer l’une de ces deux choſes :
Mourir toy meſme, ou bien faire mourir
Bellerophon, qui a voulu courir
Sur ton Honeur : deſirant ſe meſler
Avecques moy, Voire & me violer,
Quand il a veu que par doulce parole
N’accompliſſois ſon Entreprinſe folle.
Ainſi parla la meſchante Trahyſtreſſe,
Sur quoy le Roy plein d’ire, & de Triſteſſe
Fut tout eſmeu : & propoſa ſur l’heure
De ſe venger ſans plus longue demeure.
Mais pour autant qu’il eſtoit Domeſtique,
Il adviſa que ce ſerait inique,
Le faire occire ainſi en ſa Maiſon ;
Et ay ma mieulx vſer de Trahyſon.
Lors compoſa Lettres pernicieuſes,
Pleines de Dol, faulſes, malicieuſes :
Qu’il adreſſa à Rheon ſon beau Pere
Roy de Lycie, en luy mandant l’affaire :
Et le priant, qu’il feit par mort finir
Le Meſſager, ſans le laiſſer venir.
Quand Proëtus euſt eſcript, il envoie
Le jouvenceau, lequel ſe meit en voye,
Guidé des Dieux, ſe faict tant qu’il arrive
En la Lycie, au lieu ou ſe derive
Xanthus le fleuve arrouſant la Province.
À l’arriver il fut receu du Prince
Humainement, & durant Neuf journées
Furent Banquetz, & Feſtes ordonnées :
Pour l’honorer, & mis ſur les Autelz
Neuf Beufz d’eſlite, aux grandz Dieux Immortelz.
Sur le Dixieſme, alors que l’aube claire
Monſtra le jour, le dict Roy delibere
Scavoir pourquoy Bellerophon eſtoit
Vers luy venu, & ſi Lettres portoit
De ſon beau Filz : lequel luy preſenta
Le faulx Paquet : Si leut tout, & nota
La trahyſon & Crime pretendu.
Aprés ſaignant n’avoir rien entendu,
Deliberant touteſfois de parfaire
Le Contenu, & le Porteur deſfaire :
Premierement il voulut eſſayer
Au vray ſa force, & le feit employer
À meſtre à mort la Beſte redoubtable,
Dicte Chimere ; autant eſpoventable
Qu’il en fut onc : Monſtre que les grandz Dieux,
Pour ſe venger des forfaictz odieux
Des faulx humains, avoient miſe en nature
De fort eſtrange & hideuſe figure.
Car le Devant de ſon corps, & la Teſte,
Eſtoit Lion : le Mylieu de la beſte
Sembloit à Chievre & le Derriere eſtoit
Comme ung Dragon. En oultre elle jectoit
Et vomiſſoit flammes de feu terrible :
Au demeurant Cruele le poſſible.
Bellerophon touteſfois l’aſſaillit
Soubz le vouloir des Dieux & ne faillit
À ſon Deſſeing : Car apres grande peine,
Il l’eſtendit roide morte en la plaine.
Cela parfaict, encore il combatit
Les Solymois : & mortz les abbatit.
Et m’a lon dit, qu il faiſoit grand eſtime,
D’avoir ainſi vaincu la gent Solyme.
Oultre cela, le Roy charge luy donne
De ſ’eſprouver contre mainte Amazone :
Mais il eſtoit pourveu de ſi grant cueur,
Qu’il les occiſt, & demoura vainqueur.
Finablement voulant l’en deſpeſcher,
Secretement feit ung nombre embuſcher
De Lyciens, au pres d’une Fontaine,
Pour l’aſſallir mais l’empriſe fut vaine.
Car pas ung ſeul de ceſte Trahyſon
Ne retourna jamais en la Maiſon
Tous les deffeit. Dont le Roy eſbahy,
Se repentiſt de l’avoir tant trahy :
Et cognut bien, que ceſte grand victoire
Venoit des Dieux : Auſquelz eſtoit notoire
Son Innocence. Adonc changea propoz,
Et adviſa pour ſon Aiſe, & Repoz
Le retenir, & luy faire Avantage :
En luy donnant ſa Fille en mariage
Et pour avoir de luy ferme Amitié,
De ſon pays luy donner la moictié.
Ce qui fut faict. La pucelle gentille
Luy fut baillée, & le Champ plus fertille
Pour habiter. De ceſte Dame belle,
Il euſt deux Filz, avec une Femelle.
Iſander fut le premier, le deuxieme
Hippolochus, plain de vaillance extreme :
La belle Fille euſt nom Laödomie :
Que Iuppiter vouluſt avoir Amye.
Et enflammé de l’Amoureux brandon,
Il l’engroiſſa du divin Sarpedon.
Bellerophon n’arreſta pas long temps,
Qu’il irrita, & rendit mal contens
Les Dieux haultains. Dont devint ſolitaire,
Et commença à ſoy meſme deſplaire :
Errant tout ſeul, ainſi qu’ung Phrenétique,
Parmy ſon Champ : qu’on nomma Erratique,
Pour c’eſt effect : Depuis par grief malheur,
Son filz Iſandre, homme de grand valeur,
En combatant, & d’Eſtoc, & de Taille
Les Solymois fut occis en bataille :
Par le Dieu Mars. Laodomie auſſi
Fut par Diane occiſe ſans mercy.
Et ne reſta des trois, qu’Hippolochus :
Qui m’engendra : & me nomma Glaucus.
Si ma tranſmis en la Troiene guerre
Avec beaucoup de Souldards de ſa Terre :
Me commandant d’emploier mes Eſpris
À la Vertu, acquerant Los & Pris
Entre les bons pour ne degenerer
De mes parens : qu’on à veu decorer
De renommée, en la Cité d’Ephyre,
Et en Lycie. Or je t’ay voulu dire
À ta priere, & mon Nom, & ma Race :
Et ce qui m’a conduit en ceſte place.
    Diomedés preſta long temps l’oreille
Au fort Glaucus. Puis remply de merveille,
Et reſjouy de ce qu’il luy compta,
Son javelot droict en terre planta.
Et d’ung parler bening & amyable,
Luy diſt ainſi Chevalier venerable,
I’ay entendu clairement par tes dictz
Qu’entre les tiens les miens, fut jadis
Amitié grande, & Hoſpitalité,
Qu’on doit garder en la Poſterité.
Oënëus mon grand Pere logea
Bellerophon chez ſoy, d’ou ne bougea
Durant vingt jours : le traitant en effect :
Comme ſon Hoſte, & vray Amy parfaict
Puis advenant le jour de ſon depart,
Par Amitié, chaſcun feit de ſa part
À ſon amy ung Preſent honorable,
Pour teſmoigner l’Alliance durable.
Oënëus bailla une Ceincture
Bien eſtoffée, & de riche Brodure :
Au Cabinet de ſes Harnois choiſie,
Taincte en couleur de Pourpre Cramoiſie.
Bellerophon donna ung Gobelet
D’or reluyſant, poly, & rondelet :
Que j’ay laiſſe en ma maiſon, venant
En ceſte Guerre ou ſommes maintenant.
    Quant à mon Pere, & au tien, je ne ſcay
S’il ont entr’eulx d’Amitié faict l’eſſay.
Ie le perdy, quand j’eſtois en Enfance :
Lors qu’il alla avec grande puiſſance
En la Cité de Thebes, ou fina :
Et pluſieurs Roys de Grece qu’il mena.
Or quant à nous, puis que l’amour inſigne
À mis ainſi de bien loing ſa racine,
Ie ſuis d’advis qu’on la doit maintenir.
Dont ſ’il advient qu’il te faille venir
Doreſnavant au beau pays de Grece,
Tu pourras prendre en mon logis adreſſe :
Ton bon Amy, ton Hoſte je ſeray,
À touſjours mais. Et quand je paſſeray
En ton pays, j’en ſeray tout autant,
T’ayant pour Hoſte, & pour Amy conſtant.
Et pour avoir ſouvenance parfaicte
De ceſt Accord, & Alliance faicte,
Si l’on ſe trouve au Combat par rencontre
Deſtournons nous ne venons à l’encontre.
Aſſez avons d’ennemys ce me ſemble,
Des deux coſtez, ſans batailler enſemble.
Et davantaige, aſm que l’aſſiſtance
Ait de cecy parfaicte cognoiſſance,
Et qu’on ne trouve à l’advenir eſtrange
Noſtre amytié, il convient faire ung Change :
Delivre moy ſ’il te plaiſt ton armure,
Et tu auras la mienne forte & dure.
    Diſant cela des Chevaulx deſcendirent :
Et puis la main l’ung à l’aultre tendirent.
Diomedés ſes armes deſpouilla,
Faictes d’Arain, & icelles bailla
Au dict : Glaucus, qui ſoubdain habandonne
Son bel Harnois d’or fin, & le luy donne.
Iuppiter lors oſta jiugement
Au Licien, faiſant ce changement :
Car ſon Harnois tant ſumptueux eſtoit
De grand valeur, & qui en pris montoit
Iuſque à cent Beufz. Mais cil qu’il avoit pris,
Povoit valoit neuf Beufz, de juſte pris.
    Le preux Hector, ce pendant arriva
En la Cité, ou de Femmes trouva
Ung tres grand nombre à l’entrée des Portes
L’interrogans de moult diverſes ſortes.
L’une vouloit ſcavoir de ſon cher Pere,
Ou de ſon Filz : & l’aultre de ſon Frere,
Ou du Mary. Pour ſatiſfaire auſquelles,
Il ne leur dict, ſur l’heure aultres nouvelles :
Leur remonſtrant qu elles devoient prier
Les Dieux haultains immoler & crier,
Pour le ſalut de toute la Cité.
Qui la eſtoit en grand neceſſité.
    Partant de la, le Prince vertueux
Vient arriver au Palais ſumptueux
Du Roy Priam. Ce grand Royal manoir,
Eſtoit baſty tout de beau Marbre noir :
Dedans lequel pour ſes Enfans loger,
Le Roy Priam avoit voulu renger
Chambres Cinquante, au mylieu diſpoſées :
Ou ilz couchoient avec leurs Eſpouſées.
Puis vis à vis en avoit faict baſtir
Iuſques à Douze, afin de les partir
Aux grands Seigncurs, qui ſes Filles prenoient
En mariage, & prés luy ſe tenoient.
    Sur le droict poinct qu’Hector le ans entra,
Sa vielle mere Hecuba rencontra :
Qui ſ’en alloit pour viſiter ſa Fille
Läodicés, de toutes plus gentille.
Si l’arreſta, & luy tenant la main,
Luy dict ainſi, avec viſaige humain.
Pourquoy as tu ta Gent ainſi laiſſée
Mon tres cher Filz, eſt ce choſe preſſée ?
Ie croy que ouy. Certes les Grecs deſfont
Tous les Troiens : & croy que deſja ſont
Bien pres des murs. Cela te faict haſter,
Venant prier le grand Dieu Iuppiter,
Pour leur ſalut. Mais mon cher Filz arreſte
Encor ung peu : afin que je t’appreſte
Du Vin ſouef, ains que Sacrifier :
Duquel boiras pour te fortifier,
Et recréer ce Corps deja faſché
Du long Travail ou tu es empeſché.
Car le Bon Vin a tres grande vertu,
De renforcer l’homme las, & batu.
    N ’apporte point du vin, & ne m’en donne
(Dict lors Hector) de peur que ma perſonne
Ne ſ’affoibliſſe : & que par trop en boire
Il ne m’aduienne à perdre la memoire
De mon deuoir. Puis ce ſeroit mal faict,
Qu’ung Chevalier polu, & tout infaict
De Sang humain, de Sueur & Poulſiere,
Sans ſe laver, feit aux Dieux ſa priere.
Mais toy ma Mere, aſſemble les Troienes
Dames d’eſtat, & aultres Cytoienes.
Puis la premiere (en leur monſtrant exemple)
Va ſupplier à Minerve, en ſon Temple.
Et pour la rendre envers toy favorable,
Preſente luy l’habit plus honorable
De tous les tiens, le mectant humblement
À ſes Genoux, & la devotement
Fay luy priere, & luy dreſſe tes Veux :
Luy promettant chaſcun an, douze Beufz
Gras, non domptez ; & qu’elle preigne en garde
Ce pouvre peuple, & que la Cité garde :
En eſloignant de tes Murailles ſacres,
Diomedés, qui faict tant de Maſſacres
De noz ſubjectz. Or quant à moy, j’yray
Trouver Paris mon Frere, & luy diray
Qu’il voiſe au Camp : Ne ſcay ſ’il le vouldra,
Ne quel propoz, ou Mine me tiendra.
Que pleuſt aux Dieux, que la Terre ſ’ouvriſt
Deſſoubz ſes piedz; l’engloutiſt, & couvriſt.
Certainement les Dieux l’ont mis au monde,
Pour la Ruine, ou triſteſſe profonde
Du Roy Priam, & de tous ſes Enfans,
Qui ſans luy ſeul ſeroient trop triumphans.
Ô que j’aurois maintenant de plaiſir,
Si j’entendois que mort le vint ſaiſir.
Ie dirois bien ma dolente Penſée,
Vuyde du mal qui la tient oppreſſée
Apres ces motz le noble Prince part,
Et Hecuba ſ’en va de l’autre part
Droict au logis & commande à ſes Femmes
D’aller prier toutes les nobles Dames
Pour ſ’en venir. Ce faict, Tres eſplourée
Entre dedans ſa Chambre bien parée,
Et bien ſentant : puis en ſes Garde robes,
Ou elle avoit ung grand nombre de Robes
De riche eſtoffe, à Figures exquiſes,
Que ſon beau Filz Paris avoit conquiſes
Dedans Sidon. leſquelles il donna
À Hecuba, deſlors qu’il admena
La belle Grecque. Entre toutes la Dame
En choiſiſt une odorant comme Baſme,
La mieulx tiſſue, & de Couleur duyſante,
Du plus beau luſtre, & autant reluyſante
Comme une Eſtoille : Auſſi la tenoit elle
Au fond du Coffre, ainſi que la plus belle.
Et puis ſ’en va de cueur devotieux,
Avec grant Troupe, au Temple ſpacieux
De la Deeſſe : aſſis droit au mylieu.
Du grand Palais. Venues en ce lieu,
Par Theano la Femme d’Antenor
Furent ouvertz les huys faictz de fin or :
Car elle avoit des Troiens charge expreſſe
De ce beau Temple, & en eſtoit Preſtreſſee.
    Eſtans illec, les Dames arrivées
À piteux criz, & les Mains eſlevées,
Feirent leurs veux Et Theano la digne
Meit doulcement la Robe tant inſigne
Sur les Genoux de Pallas, puis commence
Prier ainſi. Ô divine clemence,
Chaſte Minerve, Ô ſeure Gardiene,
De ce Chaſteau, & de la gent Troiene,
Ie te ſupply exaulce l’Oraiſon,
Que l’on te faict : icy en ta Maiſon.
Pour donner fin à noz Pleurs, & Regretz,
Nous te prions, que le plus fort des Grecs
Diomedés, devant la porte Scée
Soit abbatu, & ſa Lance froiſſée.
Et cela faict : nous ſacrifierons
Sur ton Autel douze Beufz, & ſerons
Par chaſcun an, ung ſervice ſemblable :
Si tu nous es au beſoing ſecourable.
Ainſi prioit Mais l’oraiſon dreſſée
Ne fut en rien de Pallas exaulcée.
    Pendant cecy, Hector d’aultre coſté
S’eſtoit deſja au Logis tranſporté
Du beau Paris : qui fut ung Edifice
Tres excellent, & de grand Artifice.
Lequel, Troiens Architectes exquis
Avoient baſty comme il eſtoit requis :
Garny de Court, Chambres, Cuyſine, Salle :
Ioignant au pres la Maiſon principale
Du Roy Priam. Ce Prince vertueux
Vint droit à l’huys du Logis ſumptueux,
Tenant en main une Lance Acérée
Longue dix piedz à la poinſte dorée.
Et veid dedans Alexandre ſon Frere,
Embeſoigné à ung honeſte affaire.
Il fourbiſſoit ſon Eſcu, ſon Armure,
Et de ſes Arcs luy meſme oſtoit l’ordure.
Aupres du quel avec ſes Chambrieres
Sëoit Heleine ; & pour les rendre ouvrieres,
Elle employoit ſon Eſprit & Couraige,
À leur monſtrer quelque ſubtil ouvraige.
    Adonc Hector, le voyant de la Porte,
(Tres courrouſſſé) parla de ceſte forte.
Ô malheureux, qui eſt ce qui te tient
Oyſis icy ? Quelle Ire te retient
En ta maiſon, Saichant par ton moyen,
Perir ainſi tout le peuple Troien,
Et la Cité, peu ſ’en fault eſtre priſe,
Qui a pour toy ceſte Guerre entrepriſe ?
Certainement tu prendrois bien l’Audace,
Voyant quelqu’ung habandonner la Place,
De l’accuſer. Touteſfois tu te caches
Preſentement comme le Chef des Laſches.
Va promptement va faire ton devoir :
Si tu ne veulx (ſans guere tarder) voir
Ceſte Cité ſurpriſe, & deſolée :
Et par le feu Grégeois ſoudain bruſlée.
    Le beau Paris, en ſe voyant tencer
Si rudement, reſpondit ſans penſer.
Ô frere Hector puis que l’intention
De ton courroux vient d’une affection
Bonne & honeſte, il te plaira m’entendre,
Et mon excuſe entres bonne part prendre.
Ce n’eſt Courroux, Offence, ne Rancune
Qui me detient : je n’en ay point aucune
Contre les miens. Ce n’eſt que mon malheur,
    Et pour cuyder appaiſer ma douleur
Avec le temps : Or la gentille Heleine
Que tu voys la, eſtoit ores en peine
De m’enhorter, avec ſes doulx Propoz
Les Armes prendre, & laiſſſer le Repos.
Ce que vueil faire : Et me dit bien le cueur,
Que je ſeray au jourdhuy le vainqueur.
Car la victoire eſt de telle maniere,
Qu’elle ſe monſtre aux hommes journaliere.
Parquoy attens, juſque à ce que je ſoye
Armé du tout, Ou ſi veulx, prens la voye,
Ie te fuyuray : & ſans eſtre trop loing,
Tu me verras prés de toy, au beſoing.
    De ſa reſponce Hector le Magnanime
Ne feit ſemblant d’en faire aulcune eſtime.
Sur quoy Heteine au pres de luy ſ’avance
Tres humblement, en doulce contenance,
Et puis luy dict. Ô beau Frere honorable,
(S’il eſt permjs femme miſerable
Telle que moy, qui ne ſuis qu’une Chienne,
Que ce beau nom de ta Seur je retienne)
Or euſt voulu Iuppiter, la journée
Que l’on me veit en ce vil monde née,
Qu’ung Torbillon de vent impétueux,
M’euſt tranſportée en ung lieu montueux,
Ou dans la Mer pour ma vie finir,
Sans me laiſſer à ce malheur venir.
Mais puis que c’eſt par le conſentement
Des Dieux haultains, que je ſoye Inſtrument
De tant de maulx, Au moins devoys je avoir
Meilleur Mary, & qui ſceuſt mieulx pourveoir
À ſon affaire : Homme qui entendit
Quand on l’accuſe ou quand on le mauldit.
Mais ceſtuy cy n’a ſens ne Cognoiſſance
De ce qui peult luy apporter Nuyſance.
Et cognois bien qu’a male fin viendra
Doreſnavant, ce qu’il entreprendra.
Or maintenant mon Frere noble, & cher,
Ie te ſupply d’entrer & t’approcher
En cette Chaire, Helas poure dolente,
Ie voy & ſens la peine violente,
Que tu ſoubſliens pour ces deux meſchans corps.
Auſquelz les Dieux (de noz forfaictz records)
Ont reſervé tres malheureuſe yſſue,
Qui en tous lieux ſera chantée, & ſceue.
    Au doulx parler d’Heleine reſpondit
Le preux Hecton Tout ce que tu m’as dict,
(Bien qu’il ne peult que d’amour proceder)
Ne me pourroit ores perſuader
Aulcun Sejour, j’ay bien choſe en ma Teſte
Qui me deffend que point je ne m’arreſte :
Mais que je voiſe au Camp, pour le Confort
Des bons Troiens, qui me deſirent fort.
Et quant à toy Dame, je te conſeille
Soliciter ceſtuy qu’il ſ’appareille
Pour me fuyuir. Il ſera ſagement,
Si de luy meſme il vient diligemment
Avecques moy :ou meprcnt au ſortir.
Car j’ay deſir, avant que de partir,
De viſiter ma maiſon, ma Famille,
Mon tres cher Filz, & ma Femme gentille,
Ie ne ſcay pas ſ’il ſera le plaiſir
Des Dieux haultains, me donner le loyſir
De les reveoir à l’aiſe quelque aultre heure :
Ou ſ’ilz vouldront qu’a ce jourdhuy je meure.
    Diſant ces motz, il adreſſe ſes pas
Vers ſon Logis : mais il n’y trouva pas
Andromacha la Princeſſe honorée.
Elle ſ’eſtoit en la Tour retirée
Et Ton Enfans n’ayant aueques elle
Qu’une Nourriſſe ou ſimple Damoiſelle :
Et la penſoi taux Combatz & Allarmes
De ſon Eſpoux, reſpandant maintes larmes.
    Adonc Hector aux Servantes ſ’adreſſe
En leur diſant. Ou eſt voſtre Maiſtreſſe ?
Eſt elle point allée viſiter
Ses belles Seurs, ou pour ſ’exerciter,
Et oublier ſes douloureuſes peines,
Allée voir mes bonnes Seurs germaines ?
Ou dictes moy, ſi eſtant advertie
Des veux qu’on faict, elle ſeroit partie,
Avec ma Mere, & ſa devote Bande
Pour à Pallas preſenter ſon Offrande ?
    Puis qu’il te Plaiſt la verité ſcavoir
(Reſpondit l’une) elle n’eſt allé voir
Ses belles Seurs, Ne tenir compaignie
À Hecuba :Las la Dame Ternye,
(De toy Hector ung peu trop curieuſe)
Portant maintien de Femme furieuſe,
S’en eſt courue, aveques ſon doulx Filz,
Droict en la Tour, croiant que deſconſitz
Soient les Troiens : & qu’en ceſte journée,
Ta vie ſoit du tout exterminée.
    Oyant ces motz, Hector plus ne ſejourne,
Mais en tenant meſme chemin retourne,
En traverſant les Rues, & Ruelles
De la Cité bien Amples, & tres belles,
Pour ſ’en venir à la Porte nommée,
Porte Scéa droict : ou eſtoit l’Armée.
    Lors d’avanture, Andromacha venoit
Par meſme Rue, & ſon Enfant tenoit
Entre ſes Bras, ſon cher Filz premier né.
Auquel Hector avoit Nom donné
Scamandrius : mais Troiens le nommoient
Aſtyanax, pour ce qu’ilz l’affermoient
Eſtre engendré de cil qui les gardoit :
À quoy le nom proprement ſ’accordoit.
    Ioyeux fut lors, plus qu’on ne ſcauroit dire,
Le preux Hector, & ſe meit à ſoubzrire :
Voyant l’Enfant, auſſi beau, & plaiſant
Comme une Eſtoille au clair Ciel reluyſant.
Maiſ’ſon Eſpouſe avec grand abondance
De pleurs & plainctz, au prés de luy ſ’avance
Tres humblement, & luy ſerrant la main,
Dict lors ainſi. Cruel & inhumain
Envers les tiens, l’Audacieux courage
Te deſtruira en la fleur de ton eage.
Que veulx tu faire : auras tu point pitié
De ceſt Enfant, & de mon Amytié ?
Penſes tu point à la fin douloureuſe,
Que ſouſffrira la poure malheureuſe
Demeurant Veuſue au jourdhuy, ſi tu ſors
Hors la Cité ſecourir tes Confortz ?
Il eſt certain que tous les Grecs conſpirent
Encontre toy, & rien plus ne deſirent,
Que te meurtrir Mais ains qu’il ſoit ainſi,
Ouvre toy Terre, & ſans nulle mercy,
Devore moy. Quel plaiſir, quel ſoulas,
Pourray je avoir ſi je te pers ? Helas
Eſt il Amour, ou Pitié conjugale,
Qu’on puiſſe dire à ceſte mienne eſgale ?
Prendray je en gré ung jour la compaignie
D’aultre Mary ? Non certes, je le nye :
Iamais Plaiſir ne me ſcauroit venir
Qui me privaſt de ton doulx ſouvenir.
Iray je donc pour conſolation
Chez mes parens ? Ô grieſve paſſion :
Ilz ſont tous mortz. Le divin Achillés
Apres qu’il euſt Buttinez & Pillez
Leurs grands treſors, & la ville raſée
Dicte Thebé de toutes gens priſée,
Cruellement ſouilla ſes fortes mains
Au ſang du Pere, & des Freres germains :
Leſquelz eſtoient fors & vaillans Genſdarmes.
Pas ne voulut deſpouiller de ſes armes
Le Roy mon Père : il le feit mectre en Cendre
Entierement, ſans les armes luy prendre :
Car ilz craignoit les grandz Dieux courrouſſer.
Et ſi luy feit ung Sepulchre dreſſer,
Au tour duquel Nymphes Oreſtiades
Prenant plaiſir ſoubz les vertes Fueillades,
Ont faict planter d’Ormeaulx ung tres grand nombre,
Pour y coucher plus doulcement à l’vmbre.
Le Pere occis, il tua de ſon Arc
Les ſept Enfans, qui lors gardoient le Parc
En Cilicie : & la Royne ma Mere,
Pleine d’angoiſſe & de triſteſſe amere,
Fut retenue, & faicte priſonniere :
Laquelle apres ſceut trouver la maniere
De ſe ravoir, en payant grand Rancon.
Mais depuis peu par eſtrange facon,
Eſtant Diane encontre elle irritée,
L’a de ſon Arc à mort précipitée.
Vela comment (Ô cher Hector) demeure
Andromacha : Tu luy ſers pour ceſte heure
De Pere, Mere, & de Frere, & d’Eſpoux :
Ton noble corps tient la place de tous
En mon endroiſt. Parquoy le t’admonneſte
De m’oſtroier une ſeule Requeſte.
Ayes pitié de ceſt Enfant bening
Qui par ta mort de mourroit Orphenin
Et te ſouvienne auſſi de la Cheſtive,
Qui ne pourroit demeurer Veuſve & Vive.
Arreſte toy icy en ceſte Tour,
Pour la garder : & aſſemble à l’entour
De ce figuier, ou la muraille eſt baſſe,
Quelzques Souldards, pour deffendre la Place.
Car on a veu deja par quatre fois,
Les deux Ajax, & mainctz aultres Grégeois,
Idomenée, avec le Preux & fort
Diomedés faire tous leur eſfort
Pour y monter, & croy quilz ont l’adreſſe
De quelque Augure, ou c’eſt grand hardieſſe.
    Ce que tu dis (Ô tres doulce Compaigne,
Dict lors Hector ; muet & jour m’acompaigne.
Long tempſ-ya que mon eſprit travaille
De meſme Soing, ſans trouver rien qui vaille.
Ie crains la Honte à jamais reprochable
Que me ſeroit ce Peuple miſerable
Me cognoiſſant de la Guerre eſloigner,
Ou l’on m’a veu ſt tres bien beſoigner.
Et puis le Cueur par ſon honeſteté
Ne ſe veult faire aultre qu’il à eſté :
Ains me prouoque aux Armes, pour la Gloire,
Dont il ſera en tous Siecles memoire.
Ie ſcay tres bien qu’ung jour le temps viendra,
Que le Gregeois ceſte Ville prendra :
Et que Priam, mes Couſins, mes Parens,
Freres germains, & aultres Adherens,
Seront occis. Mais mon affection
Ne peult avoir tant de compaſſion
De Pere, Mere, & Freres, & Amys,
(Eſtans ainſi à villaine mort mis)
Que j’ay de toy. C’eſt ce qui plus m’aggrave.
Meſmes penfant que tu ſeras Eſclave
De quelque Grec, qui t’en amenera
En ſon pays, & te condamnera
D’ourdir la toille & filer ſans ſejour :
Puis au matin, & au plus hault du jour
Aller quérir de l’eau en la fontaine :
Qui te ſera inſupportable peine :
Mais le beſoing alors t’y contraindra.
Et de cecy bien ſouvent adviendra,
Que les Paſſans diront : Voila la Femme
Du Preux Hector : qui acquiſt Los & Fame
Entre les ſiens, quand les Grecs aſſiegerent
Troie la Grand, & puis la ſaccagerent
Quelle douleur pourras tu lors avoir,
Oyant ainſi mon Nom ramentevoir,
Et te voyant de moy deſtituée,
Pour en Servaige eſtre conſtituée ?
Certes tres grand. Mais avant que ceſte oeuvre
Puiſſe advenir, je veulx que Terre coeuvre
Ce triſte corps : & que la Mort me prive
D’ouyr les plainſtz de ma Femme captive.
    Diſant ces motz, le Prince de valeur
Diſſimulant ſa Triſteſſe & Douleur,
Tendit les mains, pour avoir en ſes Bras
Son petit Filz, Popin, Doillet, & Gras,
Lequel voyant l’Armet & le Pannage
Horrible & fier ſoubdain tourne viſaige
Pleure, ſ’eſcrie, & ſa Nourrice appelle,
Baiſſant le Chef ſur ſa ronde Mammelle
Adonc le Pere & la Mere benigne
Rirent entre eulx, de la petite Mine
De leur Enfant. Sur quoy Hector laiſſa
Son grand Heaulme en terre & ſ’avanca
Prenant ſon Filz. Si l’accolle & le baiſe
Humainement, tout rauy de grand aiſe :
Et le tenant doulcement en ſes mains,
Prioyt ainſi : Ô grandz Dieux ſouverains,
Octroiez moy ung jour que ceſt Enfant
Entre les ſiens ſoit Preux & Triumphant
Comme je ſuis & luy faictes l’honeur
D’eſtre aprés moy des Troiens Gouverneur
Tant que l’on die (en le voyant proſpere)
Certes le Filz a ſurpaſſé le Pere.
Et ſ’il advient que ſa main rude & forte
Soit Vainquereſſe, & les Deſpouilles porte
Des Ennemyz, que ſa Mere le voye,
Pour luy remplir l’entendement de joye.
    Apres ces motz, il livre promptement
Son Enfancon, qui fut ſubitement
Prins de la Mere et le prenant ainſi,
Il la vit & : l’armoyer auſſy :
Dont eut pitié, pour la conſoler,
D’elle ſ’approche, & la vint Accoller,
En luy diſant : Ô ma Çompaigne aymable :
Laiſſe ce dueil, & facon lamentable :
Ne te ſoucye ainſi de mon Treſpas :
Mourir convient, tu ne l’ignores pas.
Et n’eſt humain, qui ſe puiſſe venter,
De ſe povoir de la Mort exempter.
Car des le jour de la Natavité
Sommes ſubjectz à la Mortalité.
Quant eſt de moy, bien cher l’acheptera,
Qui de ce corps la Vie m’oſtera.
Car ne peult eſtre aucunement finée,
Iuſques au temps mis à ma Deſtinée.
Donc je te prie (Ô Eſpouſce chere)
Doreſnavant faire joyeuſe chere,
Sans te douloi r : va ten à ton Meſnage,
Et la t’exerce à tixtre quelque ouvrage,
Ou à filler avec tes Chambrieres,
Leur commandant d’eſtre bonnes Ouvrieres
Au demourant les Hommes auront ſoing
De la Bataille : & ſeront au beſoing
Ce qu’il convient Moy meſme le premier
M’y trouveray : car j’en ſuis couſtumier.
    Diſant cecy, il reprend ſon Armet
Eſtant à terre, & ſur ſon Chef le mect.
Andromacha retourne en ſa maiſon :
Iectant ſouſpirs & larmes à foiſon.
    Tout auſſy toſt qu’en l’Hoſtel arriva,
Grand quantité de Servantes trouva
Qui la voyans dolente & Eſplorée,
(Iectans grandz Criz, à voix deſmeſurée)
Plouroient Hector, diſan t : Il en eſt faict,
Plus ne verrons le Chevalier parfaict
Car il mourra au jourdhuy par les mains
De ces Grégeois cruelz, & inhumains.
    D’aultre coſté Paris point n’arreſta,
Mais promptement ſ’arma & l’appreſta
Et de courir apres Hector ne ceſſe,
Se confiant de ſa Force & Viteſſe.
Car tout ainſi qu’on voit en beau plein jour,
Aulcuneſfois ung Cheval de ſejour,
Lequel aprés avoir faict la rompture
De ſon Licol, ſon Eſtable, ou Cloſture,
Gaigne les Champs, faiſant mille Alguerades,
Haulſe la Teſte, & jeſte des Ruades :
Puis ſ’en va droict au beau Ruyſſeau, ou Fleuve
Pour ſe laver, & d’avanture treuve
Quelques Iumentz deſſus le verd Rivage,
Ou il ſeſgaye, & appaiſe ſa Rage.
Tel ſe monſtra Paris beau & puiſſant,
Par la Cité courant & bondiſſant :
Duquel l’Armure & Boucler nom pareil
Reſplendiſloit comme le clair Souleil.
Si vint au poinct : qu’Hector vouloir ſortir,
Ayant ia faict : Andromacha partir.
Adonc luy dict : Ô mon bon Frere Aiſné,
I’ay tres grand tort d’avoir tant ſejourné,
N’eſtant venu ſi tres ſoubdainement,
Que j’en avoys de toy commandement.
    Ceſt tout à temps, reſpond le fort Troien :
Et n’eſt aulcun qui ſceuſt trouver moyen
Tant preux ſoit il, de te povoir reprendre,
Quand tu vouldras faictz d’Armes entreprendre.
Tu es Leger, & Fort à l’avantaige :
Mais trop ſouvent plein de laſche Courage,
Et qui ne veulx d’ung ſeul pas t’avancer,
Ne ton Plaiſir & Volupté laiſſer.
Cela me faſche, & meſmes quand j’entens


Souventeſfois les Troiens (mal contens

D’auoir ſouffert trauaulx intolerables)
Tenir de toy propos vituperables.
Or allons donc noz forces expoſer
Contre les Grecs. Nous pourrons appaiſer
Tous ces propoz, ſ’il eſt vng iour permis
Ayans chaſſe d’icy noz Ennemys,
Qu’on puiſſé mectre au deſſus des Autelz,
Condigne Offrande aux grãds Dieux immortelz.



FIN DV SIXIESME
LIVRE.



LE SEPTIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.



Hector retourne à la bataille auec Paris


LE PREVX HECTOR parlant de ceſte ſorte,

Incontinent ſortit hors de la Porte
Auec Paris : tous deux voulans monſtrer
Quelque beau faict d’Armes au rencontrer.


Et tout ainſi qu’aprés longue Tormente,


Qui bien ſouvent les Mariniers tormeme,
(Les contraignant à voguer & ramer
Contre le Vent, en la plus haulte Mer)
Dieu leur envoye ung Temps doulx & paiſible
Faiſant ceſſer ceſte Tempeſte horrible.
Ne plus ne moins, les Troiens la laſſez
Du long travail furent tous renforcez :
Appercevans ces deux Freres venir,
Qui bien pourraient le Combat ſoubſtenir.
    À l’arriver, deux Gregeois Ennemys
Furent par eulx à mort cruele mis.
Paris tua le vaillant combatant
Meneſthius, qui eſtoit habitant
De la Cité d’Arna, venant de Race
D’Arithöus le Roy, portant grand Maſſe,
Qui eut à Femme, en ſes plus jeunes ans,
Philomeduſe aux yeulx verdz & plaiſans.
    Hector frappa de ſa Lance poinctue
Lonëus ſi tres fort qu’il le tue :
Et fut le coup droictement en la place
Qui eſt au Col, entre Armet & Cuyraſſe.
    Glaucus auſſy ſi rudement hurta
Iphinous qu’a Terre le porta :
Le contraignant de la Bride laſcher
À ſes Cheuaulx, & bas mort trebuſcher.
    Adonc Pallas voyant l’occiſion
De ces trois Grecs, & la Confuſion
Qui ſ’appreſtoit au reſte de l’Armée,
Soubdainement( dolente & animée)
Du hault Olympe à Troie dcſcendit.
    D’aultre coſté Phœbus qui entendit
Son arrivée (eſtant ſur la muraille
Pour contempler la fin de la Bataille,
Quil deſiroit en Faveur des Troiens)
Vint droict à elle & par ſubtilz moyens
En l’invitant de prendre ſon repos
Soubz ung Fouſteau, commencea telz propos.
    Dy moy pourquoy, Ô Fille du grand Dieu,
    Es tu venue à preſent en ce lieu,
Si promptement ? Certes il fault bien dire
Qu’ung grand Deſir ou Aſfaire te tire.
Seroit ce pas pour la Victoire oſter
Aux bons Troiens, & pour la tranſporter
À tes Gregeois, avec intention
De voir bien toſt Troie à deſtruction ?
Il vauldroit mieulx (& ii tu me veulx croire
Nous le ſerons) differer la Victoire
Pour ce jourdhuy, & les faire ceſſer :
Une aultre fois pourront recommencer,
Continuans Batailles & Combatz,
Iuſques à tant que voye miſe à bas
Ceſte Ciré : puis qu’il vous plaiſt ainſi
À tous vous Dieux, ſans les prendre a mercy.
    Ie le veulx bien reſpondit la Déeſſe,
Soit ainſi faict : Auſſy la cauſe expreſſe
Qui m’amenée, eſtoit pour adviſer
Comme on pourrait les deux Camps diuiſer
Trouve moyen doncques, ſans plus debatre,
Que pour ce jour demeurent ſans combatre.
    On ne pourrait mieulx l’affaire dreſſer
(Dict Apollo) que de faire avancer
Le preux Hector, provoquant les plus fortz
Des Ennemyz ſ’eſprouver Corps à corps.
Encontre luy. Ceſte brave Demande
Eſtonnera les plus fortz de la Bande.
Leſquelz tirez en Admiration
De ſa Valeur, ſeront election
De l’ung d’entre eulx, pour venir au Combat
Voila comment finira le Débat.
    L’opinion d’Apollo fut trouvée
Bonne & Subtile, & ſoubdain approuvée.
Lors Helenus le Prudent & Diſcret,
Qui entendit en Eſprit leur Secret,
Vint à Hector, & d’ung langage humain
Luy dict ainſi. Ô cher Frere germain
Entens à moy, & ne prens à merveille,
Si maintenant je t’adviſe & Conſeille
Pour ton honeur : Car eſtant ton bon Frere
Ie ne le puis ny doibs aultrement faire.
Fay retirer les Troiens & Grégeois :
Et puis t’avance, & de ta haulte voix,
S’il y aura Grec, qui vueille entreprendre
Seul contre toy, leur Querele defendre :
Va hardiment, car par la Deſtinée
Ta mort n’eſt pas à ce jour aſſignée
Ie l’ay ainſi cognu des Dieux haultains,
Qui ſont touſjours en leurs conſeilz certains.
Hector à donc tout Reſjouy ſ’avance,
Et fort des Rencs, tenant ſa longue Lance
Par le mylieu, Si faict : tous retirer
Ses Eſquadrons, leur défendant tirer
Contre les Grecs : Leſquelz ſoubdain ſ’arreſtent,
Gardans leur ordre, & a l’ouyr ſ’appreſtent.
Agamemnon auſſy pour l’eſcouter,
Feit les Gregeois promptement arreſter.
Lors Apollo & Minerve qui veirent
Les Traictz ceſſer, ſur ung Fouſteau ſe meirent
Hault & branchu, ayans Forme & Image
De deux Vaultours. Et la en leur courage
Seſjouiſſoient, de veoir Troupes ſi grandes
Se tenir coy parmy les belles Landes.
    Les Bataillons eſtoient aſſis à Terre,
Bien fort ſerrez, & leurs harnoiz de Guerre
Tout au pres d’eulx : Semblables à les voir
Aux Flotz Marins, que le Vent faict mouvoir
Si tres eſpés, que la Mer Bleue ou Verte
Souventeſfois ſemble de noir couverte.
    Doncques Hector acouſtré de ſes Armes
Dict devant tous : Oyez Troiens Gendarmes
Et vous Grégeois, à preſent ung propos,
Qui peult ſervir à voſtre Aiſe & Repos
La Convenance & les Promeſſes faicts
Entre les Camps, demeurent imparfaictes,
Et ſans effect Iuppiter nous a mis
En ce danger, & n’a l’Accord permis,
Pource qu’il veult (tant eſt plein de malice)
Voir de nous tous ung cruel Sacrifice :
C’eſt aſſavoir, ou que Troie ſoit priſe
Par vous Gregeois, Ou que voſtre Entrepriſe
Soit inutile, & qu’en brief vous ſoyez
Par les Troiens tous occiz ou Noyez.
Or maintenant, pource que je ſcay bien
Qu’en voſtre Camp y a de gens de bien
Et Courageux, qui ne vouldroient faillir
De bien Defendre, & de mieulx Aſſaillir.
Faictes venir le plus Vaillant & Fort,
Pour me combatre & monſtrer ſon Effort
Contre moy ſeul. Certes je l’attendray,
Et ma Promeſſe & ma Foy luy tiendray.
Don j’en requier, ſ’il en eſtoit beſoing
À l’advenir Iuppiter à teſmoing.
S’il eſt vainqueur, & que ſa Lance ſouille
Dans mon Corps mort, il prendra ma Deſpouille,
Et la pourra en ſes vaiſſeaulx porter,
Sans aultrement ſur le corps attenter :
Ains permectra aux Troiens de le prendre,
Pour le bruſler & recueillir la Cendre.
Et ſ’il advient qu’Apollo me permette
Qu’il ſoit Oultré, & qu’a mort je le mette :
Tant ſeulement je me contenteray
De ſon Harnois lequelle porteray
Dans llion, le pendant en ſon Temple :
Qui ſervira de Trophée & d’Exemple.
Et quant au corps, je le ſeray mener
À ſes Gregeois, qui pourront ordonner
Son emiment ſur le bord de la Rive
De l’Helleſpont : Dont ſi quelqu’ung arrive
Par traict : de temps, juſque en ceſte Contrée,
Quand il aura la Tumbe recontrée,
Dire pourra. Cy giſt le Grec vaillant,
Au quel Hector (rudement l’aiſſaillant)
Donna la mort combien qu’il feiſt effort
De Chevalier, tres valeureux & fort.
Voila comment l’Homme Eſtranger dira :
Dont mon Renom jamais ne périra.
Ceſte Oraiſon ainſi Bruſque & Haſtiſve,
Rendit la Trouppe eſtonnée & craintive.
Chaſcun doublant le Combat accepter :
Et Rougiſſant de ne ſe preſenter.
    Menelaus qui entendit le tout
Et veid leur mine, adonc ſe meit debout,
Et d’ung maintien enflambé & plein d’ire,
(En ſouſpirant grieſvement) leur va dire.
Ô meſchans Grecs, en parole hardiz
Et Arrogans, mais de faict : eſtourdiz,
Et tres couardz. Ô Grecs par trop infames
Non hommes Grecs, mais pluſtoſt Grecques femmes
Quel deſhoneur. & reprochable Tache
Recevez vous d’avoir le cueur ſi laſche,
Sans vous oſer expoſer au danger
Encontre Hector ? Or ſans d’icy bouger,
Ie prie aux Dieux (pour voz faultes punir)
Que tous puiſſiez Terre & Eau devenir.
Quant eſt à moy, je vois mes Armes prendre,
Pour le Combat hardiment entreprendre.
Bien cognoiſſant que les haultz Dieux ordonnent
De la Victoire, & ou, leur paiſt la donnent.
De pareilz motz Menelaus blaſma
Ses Compaignons, & promptement ſ’arma.
    Certainement ta fin eſtoit prochaine
Menelaus, & la toute certaine
Es mains d’Hector : Il eſtoit trop puiſſant.
Et mieulx que toy les Armes cognoiſſant,
Sans les plus grands des Gregeois qui ſurvindrent,
Incontinent te prindrent & retindrent.
Agamemnon meſmes te vint ſaiſir
Par la main dextre, & du grand deſplaiſirs
Qu’il eut alors, te diſt tout courroucé.
Que veulx tu faire, Ô fol & inſenſé ?
Penſerois tu avoir force & moyen,
De reſiſter ce vaillant Troien ?
Contre lequel nul de la Grecque Race,
Tant ſoit il fort, n’oſe monſtrer la Face.
Non Achillés lequel bien fort doubtoit
Le rencontrer, alors qu’il combatoit
Retire toy, & va te repoſer,
Bien toſt verras entre nous diſpoſer
De ce Combat. Quelqu’ung ſe trouvera
Qui contre luy ſa force eſprouvera.
Et bien qu’il ſoit hardy & Redoubtable,
Homme ſans peur, en Guerre inſatiable :
I’ay bon eſpoir qu’il ſera bien fort aiſe,
Si ſans ſa mort, la Querele ſ’appaiſe.
Et fleſchira avec cueur humble & doulx
(S’il en eſchappé) au grand Dieu ſes Genoux.
    Agamemnon de telz motz enhorta
Menelaus, ſi bien qu’il deſiſta.
Dont ſes Valetz joyeux de veoir leur Maiſtre
Hors de danger, vindrent toſt comparoiſtre,
Prindrent l’Armet, ſon Eſcu, & ſes Armes,
Puis il ſ’aſſiſt avec ques ſes Genſdarmes.
    Sur qnoy Neſtor Venerable & Scavant,
Se va lever, & ſe meit en avant,
Diſant ainſi. Ô choſe trop indigne,
Et mal ſeant à Trouppe tant inſigne,
Ô quel Malheur, ſ’il advient qu’on revele
En noz Pays ceſte triſtr nouvele.
Certainement Peleus le vieil Prince
Des Myrmidons, & toute ſa Province
Enplourera. I’ay veu qu’il ſ’enqueroit
Par le menu de vous, & requeroit
Scavoir de moy, par grande affection,
Les Noms, la Race, & Génération.
Mais il ſera tres dolent & Confus,
Quand il ſcaura voſtre laſche Refus
Et croy pour vray que ſurpris de Triſteſſe
Il dreſſera aux Dieux Priere expreſſe :
Les requerant pluſtoſt par mort finir,
Que voir tel Blaſme aux Gregeois advenir.
Or pleuſt aux Dieux, Apollo, Iuppiter,
Et à Pallas, que je peuſſe porter
Si bien le faix, eſtant jeune & de taille,
Comme j’eſtois au temps de la Bataille
Des Pyliens, & Arcades belliques,
Qui deſpartoient leurs Quereles antiques,
Prés la Cité de Phée, ſur le Fleuve
Nommé Iardan, ou je feis clere Preuve
De ma Vertu. Pour lors vivoit entre eux,
Ung appelle Ereuthalion, Preux
Et Redoubté, accouſtré des Armures
D’Arithous, Acerées & dures.
I’entens de cil Anthöus portant
La grand Maſſue, & d’elle combatant :
Qui par ſa Force acquiſt tant de Renom,
Qu’on l’appella Maſſueur par Surnom.
Lequel aprés fut à mort abbatu
Par Licurgus, non par Force & Vertu,
Ains par Fineſſe, en une eſtroicte Rue,
Ou il ne peut remuer ſa Maſſue
Car Licurgus de ſi court le preſſa,
Que de ſa Darde à travers le perſa.
Et l’ayant mort, il print ſes belles Armes,
Pour ſ’en aider es Aſlaulz & Alarmes.
Ce qu’il a faict durant qu’il a veſcu :
Sans ſe trouver affoybly ou vaincu.
Puis les donna à Ereuthalion,
Qui ſ’en tenoit auſſy fier qu’ung Lion :
Et bien ſouvent Corps à corps provoquoit
Les Pyliens, & d’iceulx ſe mocquoit.
Par quoy voyant la Crainſte & Couardie
De tous les miens, & l’orgueil d’Arcadie :
Ie propoſay (nonobſtant ma jenneſſe)
Encontre luy eſſayer ma Proueſſe
Si l’aſſailly, & moyennant la Grace
Des Dieux haultains, je l’abbatis en place,
Tout roide mort : non ſans grande merveille,
Voyant ſon Corps de grandeur nom pareille,
Plat eſtendu. Ô ſi j’eſtois de l’eage
De ce temps la, & de meſme Courage,
Certainement le Troien cognoiſtroit
Ung Champion qui toſt le combatroit
Or maintenant voyant icy enſemble
Les plus hardy de la Grece : il me ſemble
Que ceſt grand honte, & mal faict ſon devoir
Si l’on ne va ce Combat recevoir.
    Le bon Vieillard juſques au vif poignit
Les Princes Grecs, tant qu’il en contraignit
Neuf des plus grans : qui ſe vont tous lever :
Chaſcun voulant au Combat ſ’eſprouver.
Agamemnon fut de tous le Premier :
Diomedés à vaincre couſtumier
Fut le Second les deux Ajax de meſme :
Idomenée aprés fut le Cinquieſme :
Merionés auſſy en voulut eſtre,
Eſtant pareil en Vaillance à ſon Maiſtre.
Avec leſquelz le bon Filz d’Euemon
Eurypylus, & celuy d’Andremon
Le fort Thoas, ſe leverent afin
D’eſtre receuz.Puis Vlyſſés le Sin
Ne voulant pas qu’on luy peuſt reprocher
D’eſtre Craintif, ou Remis de marcher.
    Sur quoy Neſtor les voyant animez
Leur dict encor. Ô Princes renommez,
Puiſqu’ainſi va, il ſera bien toſt ſceu,
Lequel doibt eſtre à Combatre receu.
Iectez ung Sort, & cil dont ſortira
Le Bulletin, encontre Hector ira.
En l’aſſeurant que ſ’il a la Victoire,
Ce luy ſera une immortelle gloire.
    Suyuant cela, chaſcun des Neuf adviſe
Faire ung Billet, de ſa Marque ou Deviſe.
Agamemnon leur preſta ſon Armet,
Dedans lequel tous les Bulletins mect.
Ce temps pendant les bons Souldars Gregeois,
Haulſans leurs mains, prioyent à baſſe voix.
Ô Iuppiter Dieu puiſſant, Fay de ſorte
Que le Billet du vaillant Ajax ſorte
Tout le premier, ou du Filz de Tidée,
Dont la Proueſſe eſt tant recommandée.
Ou ſ’il te plaiſt octroye ceſt honeur
À noſtre Chef & prudent Gouverneur
    Neſtor faiſoit remuer & branſler
Souvent l’Armet, pour mieulx les Sortz meſler.
Lors meit la main dedans, d’ou fut tiré
Le Bulletin d’Ajax tant deſiré.
Si commanda à ung Hérault le prendre,
Et l’apporter aux Roys, afin d’entendre
Lequel d’entre eulx eſtoit predeſtiné,
D’executer le Combat aſsigné.
Le Hérault donc prend le Billet, & paſſe
De Renc en Renc tout le long de la Place,
En le monſtrant. Mais point ne fut cognu,
Iuſques à tant qu’il eſt es mains venu
Du fort Ajax, qui liſant l’Eſcripture,
Fut tres joyeux de ſi bonne Advanture.
Pour ſien le prend, & puis le jette à terre :
Parlant aux Roys en vray Homme de Guerre.
    C’eſt donc a moy, ainſi que vous voyez
(Mes chers Amyz) je vous ſupply ſoyez
Tous reſjouyz. Ie ſens deſja mon cueur
Qui me promect : que je ſeray vainqueur.
Et ce pendant que je prens mon Armure,
Vous pourrez bien (tout bas & ſans Murmure)
En ma faveur les Dieux haultains prier,
Sans que Troiens vous entendent crier.
Mais qu’ay je dict ? Certes il ne m’en chault,
Priez tout bas, ou bien priez tout hault,
Ie ne crains rien. Car ſi la Nourriture
Faict eſtimer ſouvent la Creature :
Si la Patrie, & illuſtre Lignage,
Aux Hommes faict augmenter le Courage :
Eſtant ainſi, comme je ſuis pourveu
De ces trois dons, il ne ſera pas veu
Que je m’en fuye : ou bien que je delaiſſe,
Ce que doibt faire ung Prince de Nobleſſe.
    Ainſi parla le Grec Audacieux,
Dont ſes Amyz de cueur devotieux,
Pour ſon ſalut feirent Veux & Prieres
À Iuppiter, en diverſes manieres.
Entre leſquelz quelqu’ung mieulx cognoiſſant
Le grand hazard, diſoit. Ô Dieu puiſſant
Tres bon, Tres grand, qui ſur Ida reſides,
Et voys cecy, Iuppiter qui preſides
À tous Combatz, ſay au jourdhuy de ſorte,
Que le bon Grec la Victoire raporte.
Ou ſi tu as trop grande affection
Envers Hector, fay la Contention
Si bien finir, que l’honeur en demeure
À tous les deux ans que Perſone y meure.
    Le fort Ajax ſ’arma & ſ’accouſtra
D’Arain luyſant, puis apres ſe monſtra.
Emmy le Camp, d’auſſy hardie taille
Que le Dieu Mars, quand il marche en Bataille.
Il ſoubzrioyt : mais avec ce Soubzrire
Monſtroit Viſage enflambé & plein d’ire.
Faiſant cognoiſtre à tous ceulx de ſa part,
Que pour certain il eſtoit leur Rempart.
Leſquelz voyans ſa brave Contenance,
Son fier Marcher, & Brandir de ſa Lance,
Se ſouyſſoient. Mais quand Troiens Le virent
Preſt au Combat, grandement ſ’eſbahyrent :
Meſmes Hector en fut bien eſtonné,
Et voluntiers ſ’en fuſt lors retourné.
Mais on l’euſt dict Couard & Defaillant
Conſiderant qu’il eſtoit aſſaillant.
    Doncques Ajax portant au Col ſa Targe
Et grand Eſcu, peſant, horrible, & large
Comme une Tour (lequel jadis forgea
Hetychiu, & ſept Cuyrs y rengea
Subtilement faiſant la Couverture
De fin Acier, bien Acerée & Dure)
Vint à Hector & de tres grande Audace
Luy dict ainſi(en uſant de Menace)
    Hector ce jour tu auras cognoiſſance,
Qu’elle eſt de Grec la Force & la Puiſſance.
Tu cognoiſtras que nous ſommes grand nombre
De Chevaliers, pour te donner encombre.
(Sans y comprendre Achillés, qui ſe tient
En ſes Vaiſſeaulx & des Armes ſ’abſtient :
Pour ung Débat & malheureux meſchef,
Qu’il a conceu encontre noſtre Chef)
Entre leſquelz tu me voys avancer,
Commence donc, ſi tu veulx commencer.
    Adonc Hector, qui le Grec entendit
Ainſi parler, ſoubdain luy reſpondit.
Divin Ajax croys tu par ton Langage
(Qui eſt par trop arrogant & volage)
Comme une Femme, ou ung jeune Apprentis,
M’eſpouventer ? Certes je t’advertis,
Que de long temps je ſcay tous les Meſtiers
Duycltz à la Guerre, & les fais voluntiers.
Ie ſcay tres bien Aſſaillir, Reſiſter,
Mon grand Eſcu à toutes mains porter,
Eſtre à Cheval, fapper de prés, de loing,
Combatre à Pied, quand il en eſt beſoing.
Et quelque fois (par ſubtil cautele)
À l’Ennemy donner playe mortele.
Ce qu’a preſent je ne veulx à toy faire,
Te coghoiſſant Homme de grand affaire.
Ains te ferir apertement, ſans faindre
Mon Bras en rien, ſi je te puis attaindre.
    Diſant ces motz, Hector vers luy ſ’avance,
En brandiſſant ſa rude & longue Lance.
    Si le frappa de Force ſi extreme,
Qu’il tranſperça juſqucs au Cuyr ſeptieſme
Le fort Boucler, faiſant grande ouverture
Dedans l’Acier, & dure couverture.
    D’aultre coſté Ajax feit eſbranler
Sa forte Lance, & tout ſoubdain voler
Encontre Hector de ſi grande roydeur,
Qu’elle enfondra tout oultre la Rondeur
De ſon Eſcu. Et davantage paſſe
Iuſques au Ventre, en faulſant la Cuyraſſe.
Non ſans danger d’Hector, qui ſe tourna
Ung peu a Gaulche, & le coup deſtourna.
    Apres cela, chaſcun de ſa part raſche
Ravoir ſa Lance : & de l’Eſcu l’arrache.
Puis derechef, comme Sangliers terribles,
Ou fiers Lions cruelz & invincibles,
Se courent ſus. Hector ung coup rameine
Sur le Boucler, mais il perdit ſa peine :
La poindre fut à faulſer empeſchée,
Pour la durté de l’Eſcu rebouſchée.
Le coup d’Ajax pareillement gliſſa
Deſſus l’Eſcu d’Hector, & luy paſſa
Au prés du Col, prenant de la Chair tendre,
Dont on veid toſt le Sang vermeil deſcendre.
Mais le Troien de ſi legere Playe
Ne feit ſemblant, & de rien ne ſ’eſmaye
Ains reculant, emmy le Camp trouva
Ung grand Caillou Noir & Rond, qu’il leva,
Et d’iceluy vint à Ajax donner
Si tres grand coup, qu’il en feit reſonner
Le fort Boucler, le frappant au mylieu.
Ajax en prend ung aultre en meſme lieu,
Beaucoup plus grand, & d’iceluy le charge
Si rudement, que l’Eſcu grand & large
En fut froyſſe, & le Troien attainct
Sur les Genoux, parquoy il fut contrainct :
Se laiſſer cheoir à Terre, envelopé
De ſon Eſcu, dont ne fuſt eſchappé.
Mais Apollo qui ſoubdain arriva
Pour le ſaulver, bien toſt le releva.
    La ſe vouloient attacher aux Eſpées,
Dont on euſt veu leurs Armes decoupées,
Sans les heraulx, qui lors ſe vindrent mectre
Entre les deux, chaſcun tenant ung Sceptre.
    Alors Idée Hérault Saige & Scavant,
Leur dict ainſi. Ne paſſez plus avant
Mes tres chers Filz, laiſſez l’aſpre Debat ;
Et donnez fin à ce mortel Combat.
De Iuppiter eſtes tous deux aymez,
Et des humains Valeureux eſtimez.
Voicy la Nuict elle vous admoneſte
D’obtemperer à la miene Requeſte.
    Adonc Ajax reſpond. Tu dict tres bien
Ô Ideus mais je n’en ſeray rien,
Si ce Troien qui provoque nous a
Ne le me dict. Car puis qu’il propoſa
De m’aſſaillir, il ſe doibt avancer
À me prier, de ce Combat laiſſer.
Et ſ’il le faict, je ne contrediray,
Ains de bon cueur toſt luy obeiray.
    Hector adonc luy dict. Puis que les Dieux
T’ont honoré en ces terreſtres lieux,
Non ſeulement de grande Corpulence,
Mais de Vertu, de Force, & de Prudence,
Et que tu es comme bien je confeſſe)
Le plus expert Chevalier de la Grece.
Ie ſuis d’advis, qu’a preſent nous laiſſons
Noſtre Entreprinſe & que recommençons
(Quelque aultrefois, pour veoir à qui la Gloire
Demourera de ſi belle Victoire.
Veu meſmement que la fin du jour vient
Et qu’à la Nuict obeyr nous convient
Faiſant ainſi, tu rendras tres contens
Tes Compaignons, & les Grecs aſſiſtens
Quant eſt à moy, je rempliray de joye
Tous ceulx qui ſont dans la Cité de Troie.
Et meſmement les Dames, qui pour moy
Prians les Dieux, ſont en Peine & Eſmoy ;
Au demourant, Ô Ajax il me ſemble,
Qu’il nous convient entre donner enſemble
Quelque Preſent : afin que chaſcun die,
(Voyans ainſi la Hayne refroidie)
Ces deux eſtoient nagueres Ennemyz,
Et maintenant ſ’en vont tres grandz Amyz.
    Diſant ces motz, le Preux Hector luy donne
Sa belle Eſpée, Argentine & tres bonne :
Et quant & quant la Ceincture & Fourreau,
Qui fut auſſy bien reluyſant & beau.
D’aultre coſté, Ajax luy preſenta
Son grand Bauldrier, dont il ſe contenta
Adonc ſ’en vont, Ajax drolement tire
Vers ſes Amyz : & Heſtor ſe retire
À ſes Troiens, qui le voyans venir
Sain & entier, ne pouvoyent contenir
Leur joye extreme, ayans eu tant de Craindre,
Qu’il euſt receu quelque mortele attaincte.
Si l’ont mené à Troie. Et d’aultre part
Le fort Ajax avec ſes Gregeois part
Victorieux, en Martial arroy,
Et vient trouver Agamemnon le Roy
Dedans ſa Tente, ou le bon Chef ſ’appreſte
De les traicter) & leur faire grand feſte.
    Incontinent il dreſſe ung Sacriſice
À Iuppiter, pour le rendre propice,
D’ung gras Taureau de cinq ans, non dompté :
Qui fut ſoubdain amené ou porté.
On l’immola : puis apres l’eſcorcherent,
Et par Loppins ſes Membres detrencherent
En les mectant promptement à la Broche.
Quand tout fut preſt, ung chaſcun d’eulx ſ’approçhe
Pour en menger, & ſe traictent ſi bien,
Qu’au departir il ne leur falloit rien.
    Agamemnon grandement honora
Son Champion, & lors le decora
De beaulx preſens : pour Teſmoignage & Signe
De ſa Proueſſe, & Force tres inſigne.
    Ayans mangé, & bien beu à plaiſir,
Et ſatiffaict du tout à leur deſir,
Le vieul Neſtor, duquel la Providence
Et bon Conſeil, eſtoit de conſecjuence :
(Comme ilz avoient par ſon dernier advis
Tres bien cognu, dont ilz ſ’eſtoient ſervis)
Leur dict ainſi. Ô Roy Agamemnon,
Et vous Gregeois, Princes de grand Renom,
Chaſcun de vous a peu cognoiſtre aſſez
Combien de Grecs ſont mortz & treſpaſſez
À ce jourdhuy, dont les Corps eſtenduz
Giſent aux Champs, les Eſpritz ſont renduz
Aux bas Enfers. Si ne fault pas faillir
À donner ordre à les enſeuelir.
Et pour ce faire, il conviendra demain
Surſeoir la Guerre, & y mectre la main
En attellant les Muletz deux à deux
Aux Chariotz, & grand nombre de Beufz
Pour les porter icy prés des Vaiſſeaulx
Et puis en faire ung grand feu par monceaulx.
Ie ſuis d’advis auſſy que l’on regarde
De recueillir les Os, & qu’on les garde
Soigneuſement, afin que les donnons
À leurs Enfans, ſi nous en retournons.
Au demourant dreſſons ung Monument,
Qui ſervira pour tous communement.
Et qui plus eſt pour noz Vaiſſeaulx defendre,
Et que Troiens ne nous puiſſent ſurprendre,
(S’il advenoit quelque jour par malheur
Qu’en bataillant ilz euſſent le meilleur)
Il ſera bon que nous edifions
De haultes Tours, & les fortifions
De Boulevertz, en y faiſant des Portes
Amples aſſéſ : afin que les Cohortes
Et Chariotz puiſſent tout franchement
Entrer, ſortir, ſans nul empeſchemcnt
Et par dehors, nous ſerons ung Foſſé
Large & profond de Paliz renforcé
Qui gardera les Troiens d’approcher
Quand ilz viendroient juſque icy nous cercher.
Ainſi parla Neſtor, dont tous les Roys
Vont approuver ſon Conſeil d’une Voix.
D’aultre coſté les Troiens aſſemblez
Pour Conſulter, eſtoyent bien fort troublez :
Et diſcordans par la diverſité
D’opinions. Les grans de la Cité
Y aſſiſtoient, & de Peuple à foiſon :
Lors que Antenor leur feit ceſte oraiſon.
    Or entendez je vous prie Troiens,
(Tant eſtrangiers Souldards que Citoyens)
Ce que le Çueur me commande & ordonne,
Que je vous die, & Conſeil je vous donne
Ie ſuis d’advis que l’on doibt aller prendre
La belle Heleine, & quant & quant la rendre
À ſon Mary : & toute la Richeſſe
Qu’on apporta avec elle de Grece :
Pour accomplir l’Accord & le Serment
Que feit Paris. Car faiſant autrement,
Et bataillans contre la Convenance,
Certainement je n’ay point d’eſperance,
Que rien de bon nous puiſſe ſucceder :
Ie vous pry donc, vueillez y regarder.
    Ces motz finiz, Antenor droict ſ’en va
Choiſir ſon Siege, & Paris ſe leva :
Lequel ſurpris dire & de chaulde Cole,
Luy reſpondit en legere Parole.
Ce que tu dis grandement me deſplaiſt
Ô Antenor : Certes quand il te plaiſt
Tu ſcais trop mieulx parler & conſeiller,
Et pour l’honeur des Troiens travailler.
Mais en diſant ores ce que tu ſens,
En verité tu as perdu le Sens.
Et croy pour vray que les Dieux t’ont oſté
L’entendement, comme à ung Radoté.
Quant eſt a moy, maintenant je declaire.
Que mon vouloir eſt du tout au contraire.
Ie ne veulx point delaiſſer la Gregeoiſe :
Ceſt arreſté. Mais pour finir la Noyſe,
Ie rendray bien les Threſors & Ioyaulx
Que j’apportay de Grece, & les plus beaulx
De ma maiſon : ſ’ilz veullent accepter
Celle ouverture, & puis ſe contenter.
    Sur quoy Priam leur Roy, plein de Prudence
Et bon conſeil, Dict devant l’Aſſiſtence.
Oyez Troiens, & vous tous mes Amys,
Ce que l’Eſprit m’a dans la Bouche mis.
Puis qu’il eſt Nuict, allez vous en loger
En voz maiſons, pour repaiſtre & manger.
Aprés Soupper je vous pry qu’on regarde
Veiller par ordre, & faire bonne Garde.
Demain matin le Herault ſ’en ira
Devers les Grecs, & à plein leur dira
La voluté de mon Filz Alexandre :
Et ſcaura d’eulx ſ’ilz y veullent entendre.
Et d’avantage il leur propoſera,
Choſe qu’a peine on nous refuſera.
C’eſt aſſavoir une breſve Abſtinence
De Batailler afin que chaſcun penſe
D’enſevelir, & de bruſler Mors,
Qui ſont pour nous eſtenduz la dehors.
Et cela faict on recommencera,
Pour voir auſquelz la Victoire ſera.
    Ainſi parla, dont Troiens qui l’ouirent
Incontinent à ſon vueil obeirent.
Si vont ſoupper, puis apres ſe diſpoſent,
Les ungs au Guet, les aultres ſe repoſent.
    Sur le matin, le bon Hérault Idée,
Executant ſa charge commandée,
Vint aux Vaiſſeaulx, ou il trouva la Troupe
Des Princes Grecs en conſeil ſur la Pouppe
De la grand Nef d’Agamemrion & lors
Leur dict ainſi. Ô illuſtres & fortz
Filz d’Atrëus & aultre compaignie,
De Hardieſſe & Prudence garnie,
Le Roy Priam, & ſon Conſeil tres ſage,
    M’ont cy tranſmis, vous porter ce Meſſage.
Paris ſon Filz (qui eſt ſeul Inſtrument
De ceſte Guerre, & qui premierement
Devoit mourir que ſi mal entreprendre)
Vous faict offrir, qu’il eſt content de rendre
Tout le Butin de la Grece apporté :
Auquel ſera d’avantage adjouſté
Beaucoup du ſien. Quant à la belle Heleine
(Bien que Troiens ſe mettent en grand peine
Pour le cuider en ce perſuader)
Ilz perdent temps, car il la veult garder.
Or adviſez de me faire reſponce,
À celle fin qu’a Troie je l’annonce.
Mon Roy vous faict encores demander,
Si vous voulez une Treſve accorder,
Tant ſeulement pour donner Sepulture
Aux Corps giſans par la Deſconfiture
Du jour paſſé ; & qu’apres cela faict,
La Treſve ſoit rompue & ſans effect :
Et qu’on retourne à la Guerre pour voir
Qui doibt l’honeur de la Victoire avoir.
    Les Princes Grccs, ayans ces motz ouyz,
Se tenans coy, furent tous eſbahyz :
Iuſques à tant que le Grec d’excellence
Diomedés, va rompre le Silence.
Il ne fault point que l’offre preſentée
(Dict il alors) ſoit de nous acceptée.
Non quand Heleine, & tout le bien de Troie
Seroient baillez. Qui eſt cil qui ne voye
(S’il n’eſt Enfant, & hors de cognoiſſance)
Qu’ilz ſeront mis ſoubz noſtre obeiſſance
Ung de ces jours : & que le temps ſ’approche,
Qu’on punira ce tant villain reproche ?
Ainſi parla, dont il fut bien loué :
Et ſon advis de chaſcun advoué.
    Agamemnon adonc dict au Herault,
Tu as ouy preſentement tout hault,
L’intention des Gregeois je ne veulx
Et ne pourrais reſpondre, que comme eulx.
Quant à la Treſve elle t’eſt accordée,
Ne plus ne moins que tu l’as demandée.
Ie ne doibs pas a l’encontre eſtriver,
Pour les occis de ſepulchre priver.
La haine doibt touſjours eſtre effacée,
Quand la perſone eſt morte ou treſpaſſée,
Or faictes donc tous les Mortz aſſembler
De voſtre part, afin de les Bruſler,
Ou Enterrer; Nous ſerons les ſemblable.
Et pour teſmoing Certain & Véritable
De noſtre Foy, & Serment reciproque :
Ô Iuppiter à preſent je t’invoque.
Diſans ces motz, envers les haultz Cieulx dreſſe
Son Royal Sceptre, en ſigne de Promeſſe.
    Le bon Hérault ayant tout entendu,
Diligemment ſ’eſt à Troie rendu :
Ou il trouva les Troiens, qui eſtoient
Tenans Conſeil, & fort le ſouhaictoient.
Si leur compta la Reſolution,
Et vray Exploict de ſa Legation.
Laquelle ouye, incontinene ſe partent
De l’Aſſemblée, & par les Champs ſ’eſcartent
Une grand part ſe voulut occuper
Daller querir les Mortz : l’aultre à couper
Bois & Fagotz. Les Grecs d’aultre coſté,
Furent auſſi de meſme voluté.
Et peut on voir par ung jour tout entier,
Grecs & Troiens faiſans pareil Meſtier.
Se rencontrans ſouventeſfois, ſans faire
Aulcun ſemblant de ſe nuyre, ou deſplaire.
    C’eſtoit pitié de les voir par la Plaine
Embeſongnez, & ne povoir à peine
Congnoiſtre au vray les Formes & Semblantz
De leurs Parens tant ilz eſtoient Sanglantz.
Mais ilz prenoient de l’Eau & les lavoient.
Par ce moyen bien ſouvent les trouvoient.
Puis les mettoient ſur le Char, & leurs Armes,
Non ſans gemir, & plaindre à chauldes larmes.
    Le Roy Priam feit dans ung grand Feu mectre
Les Troiens mortz, & ne voulut permedre
À ſes ſubjectz, d’en faire aultres regretz.
    Agamemnon en feit autant des Grecs.
Et qui plus eſt, tout le long de la nuict :
Feit eſlever prompternent & ſans bruyt
Ung Monument, dedans lequel poſerent
Les Oſſementz. Pas ne ſe repoſerent
Apres cela. Ains vont tout a l’entour
Des Nefz baſtir mainte puiſſante Tour,
L’accompaiſnant de Boulevertz exquis,
Et de grans Huys comme il eſtoit requis,
Pour retirer les Souldardz qui viendroient
De la Bataille, ou aller y vouldroient.
Par le dehors feirent ung beau Foſſé
Large & Profond, lequel fut renforcé
Tout a l’entour, de Taluz & Paliz :
D’ou ne pourroient qu’a peine eſtre aſſailliz.
    Les Dieux aſſis au Palais nom pareil
De Iuppiter, voyans ceſt Appareil,
S’eſmerveilloient : Entre leſquelz Neptune
Ne peut celer la conceue Rancune,
Et dict ainſi. Iuppiter Dieu des Dieux,
On ne voit plus les hommes curieux
De faire Veux, ou dreſſer Sacrifices,
En commenceant quelzques grans Edifices.
Ilz n’ont plus ſoing d’entendre le vouloir
Des Immortelz : ilz l’ont à nonchaloir.
Ne voys tu pas ces Gregeois Perruquez,
Qui ne nous ont tant ſoit peu invoquez,
En baſtiſſant leurs Tours & grans Rempartz.
On parlera doncques en toutes partz
De leur ouvrage, & l’on verra deſtruictz
Les Murs par moy & Apollo conſlruiſtz,
Leur grand Renom donc par tour flourira,
Et noſtre peine & Sueur perira ?
Ainſi voulut le Dieu Marin parler,
Qui bien ſouvent faict la Terre trembler.
    Lors Iuppiter ſoubdain luy reſpondit,
Tout courrouce. Neptune qu’as tu dict ?
Quelque aultre Dieu aiant puiſſance moindre
Que toy, devroit ces Entrepriſes craindre :
Tu es trop fort : ta gloire ſ’eſtendra
Partout le monde, ou l’Aube ſ’eſpandra,
Quant aux Foſſez & belles Tours baſties,
Quant tu verras leurs grandes Nefz parties,
Pour au Pays de Grece retourner,
Fay tout ſoubdain abbatre & ruiner.
Pour au Pays de Grece retourner :
Fay tout ſoubdain abbatre & ruiner,
Leur Edifice, & de Sable le coeuvre,
Tant qu’on ny voye aulcune ſorme d’œuvre.
    Bien toſt apres le Souleil ſe coucha,
Tout ſut parfaict : & la Nuict ſ’approcha.
Adonc les Grecs en leurs Tentes ſ’aſſirent,
Prenans repos, & pluſieurs Beufz occirent
Pour le ſouper. Ceſte meſme journée
Grand quantité de Nefz fut amenée,
Portans du Vin, de Lemnos la Fertile.
Euneus Filz de la belle Hypſipyle,
Et de Iaſon l’avoit fait amener,
Pour Trafiquer, auſſi pour en donner.
Car d’iceulx Vins plus Frians & Nouveaulx,
Feiſt ung preſent, juſque à mille Tonneaulx,
Au Chef de guerre. Eſtant ce Vin au Port,
Les Grecs venoient faire Change & Tranſport
Pour en avoir, baillans Arain, Fer, Peaulx
Quelzques Captifz, & Beufz de leurs troupeaulx.
Dont beurent tant, que toute la nuictée
Fut ſans dormir, en Banquetz exploitée.
D’aultre coſté les Troiens ſe traiterent
Abondamment de ce qu’il ſouhaiterent.
Mais Iuppiter bien fort les eſtonna,
Car grandement Fouldroya & Tonna
Durant la Nuict : dont par devotion,
(Pour appaiſer ſon Indignation)
Beaucoup de Vin à terre reſpandirent,
L’offrans à Dieu. Cela faict, entendirent
(Voyans le temps, la tranquille & remis)
À ſe coucher, & ſe ſont endormis.


LE HVICTIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.



Deſcription de l’Aube du iour.


L’AVBE DV IOVR, de Vermeil acouſtrée,

Deſia eſtoit ſur la Terre monſtrée,
Quand Iuppiter des fouldres iouiſſant,
Feit aſſembler au Ciel reſplendiſſant,


L’eſtroict Conſeil des Dieux : Auſquelz eſtans


Aſſis par ordre, & tres bien l’eſcoutans,
Il dict ainſi. Oyez troupe Divine,
Ce que l’Eſprit caché dans ma Poictrine
Veult que je die : Et m’ayans entendu,
Ne ſoit aulcun de vous ſi Eſperdu
Maſle, ou Femmelle, à me cuyder diſtraire
De mon Deſſeing, ou faire le contraire.
Celuy de vous qui ſe departira
Hors de la Troupe, & du Ciel ſortira,
Pour aux Troiens, ou aux Gregeois ayder,
Si je le puis ſur l’heure apprehender,
Batu ſera, & ſoubdain renvoyé
En ſa Maiſon Honteux & Ennuyé.
Ou ſi je viens à trop me deſpiter,
Ie le ſeray ſoubdain precipiter
Dedans le Creux & horrible manoir
Nommé Tartare, ou eſt le Gouffre noir
Et le Baratre, ayant Portes de Fer :
Qui eſt ſi bas & profon en Enfer,
Comme il y a de diſtance & d’eſpace
Du Ciel haultain, juſque en la Terre baſſe :
Par ce moyen tous auront cognoiſſance,
Combien ſ’eſtend mon extreme puiſſance.
Et ſi voulez des maintenant ſcavoir
Ce que je puis, je le vous ſeray voir.
Il vous convient une Chaine d’or pendre
D’icy à Terre & tous vous en deſcendre,
Pour employer voſtre Divin povoir
À me tirer en bas, & me mouvoir.
Vous avez beau travailler, voſtre peine
En fin ſera une Entrepriſe vaine.
Mais ſi je veulx au Ciel vous eſlever,
Ie le feray, ſans en rien me grever :
Et tireray par une meſme charge
Avecques vous la Terre & la Mer large.
Aprés cela j’attacheray d’ung bout
La Chaine au Ciel, & ſuſpendray le tout :
À celle fin que l’on cognoiſſe mieulx,
Que je ſuis Chef des Hommes & des Dieux.
    Ceſte Menace & tant grave Harangue,
Rendit les Dieux eſtonnez & ſans Langue,
Par quelque temps : Mais en fin la Déeſſe
Pallas ſa Fille, à Iuppiter ſ’adreſſe :
En luy diſant. Ô Roy des Roys, grand Pere
De tous les Dieux, à qui tout obtempere,
Nous ſcavons bien par longue experience,
Qu’il y a grande & ample difference
De ton povoir au noſtre. Et maintenant
Si l’ung de nous eſt les Grecs ſouſtenant,
Ce n’eſt Deſdain, Ire, ou Inimitié
Que l’on te porte. Ains l’extreme Pitié
Que nous avons, en les voyant mourir.
Or ne povant de faict les ſecourir,
Te plaiſt il pas, au moins qu’on les conſole
De bon Conſeil, & utile Parole :
Et qu’on en ſaulve ung nombre, qui mourra
Par ton Courroux, qui ne les ſecourra ?
    Lors Iuppiter, monſtrant joyeuſe chere,
Luy reſpondit. Pallas ma Fille chere,
Donne Conſeil & Faneur aux Gregeois
À ton plaiſir : je te veulx ceſte fois
Gratifier. Fay ſelon ta penſée :
Tu n’en ſeras aucunement tancée.
    Iuppiter lors au Chariot ateſle
Ses grandz Courſiers, de nature immortelle
Puis ſe veſtit de ſes Robes dorées
Tres reluyſans, & bien Elabourées.
Print ſon Fouet d’or fin, & ſoubdain monte.
Ses Chevaulx bat, qui ont l’alleure prompte.
Si fendent l’Air, volans à bien grant erre
Tenans leur voye entre le Ciel & Terre.
    Tant les preſſa, & ſi droict les guyda,
Qu’il arriva ſur le hault mont Ida
Dict Gargarus, abondant en herbages,
En doulces Eaux & Grandz Beſtes ſauvaiges
En ce hault Mont Verd & Delicieux,
Eſtoit baſty ung Temple ſpacieux,
La conſacré, de toute Antiquité,
Par les Troiens à ſa Divinité.
Au pres duquel Iuppiter ſ’arreſta,
Et aux Chevaulx l’Ambroſie appreſta.
Puis ne voulant que l’on ſceut ſa venue,
Il les couvrit d’une bien groſſe Nue.
    Du hault Sommet de la haulte Montaigne,
Il contemploit à l’aile la Campaigne :
Prenant Plaiſir de voir les aſſiegez,
Et aſſiegeans, de meſmes affligez.
Car d’aultant plus qu’il les conſideroit,
D’aultant ou plus ſa Grandeur meſuroit.
    Les Grecs ce jour ayant prins leur repas
Deſſoubz la Tente, ilz n’oublierent pas
À bien ſ’armer : & de jeſter aux Camps
Leurs Bataillons, en bel ordre marchans.
D’aultre coſté tous les Troiens Genſdarmes
Apres diſner ſ’armerent de leurs Armes :
Deliberantz defendre leur Cité.
Ilz eſtoient peu, mais la Neceſſité
Les animoit, & rendoit plus Vaillans,
Pour reſiſter aux Gregeois aſſaillans.
Et meſmement pour la Protection
De leur Patrie, & Generation.
    Si ſont ouvrir entierement les Portes
De leur Cité : & toutes les Cohortes
Sortent dehors, tant la Chevalerie,
Que Gens de pied, non ſans grand crierie.
    Eſtans venuz au lieu propre à combatte,
Soubdainement commencent à ſe batre :
Dreſſans Eſcu contre Eſcu, Dard à Dard,
Roy contre Roy, Souldard contre Souldard.
Faiſans en tout, comme vrays Belliqueurs,
Ores vaincuz, incontinent Vainqueurs.
L’ung ſe plaignoit, ſe voyant abbatu,
L’aultre ventoit ſa Proueſſe & Vertu :
Et voyoit on, du Meurtre nompareil,
Inceſſamment couler le Sang vermeil.
    Ce grand Chapliz dura la matinée
Sans qu’on cogneut la Victoire inclinée,
À l’ung des deux. Chaſcun feit le hardy
De tous coſtez juſques ſur le Midy.
    Lors Iuppiter, afin de diſcerner
Sur qui devoit la Victoire tourner,
Print en ſa main une Balance, & verſe
Aux deux Baſſins, tant leur Fortune adverſe,
Que le Bon heur. En ung coſté mectant
Celle des Grecs, pour les Troiens autant
De l’aultre part, Si poiſe juſtement :
Mais il cogneut toſt & apertement,
Que le malheur des Gregeois ſurpaſſoit
Cil des Troiens, & du tout balancoit
Gaignant la Terre, & l’aultre gaignant l’Air
Surquoy ſoubdain, feit la Fouldre voler
Parmy les Grecs : Leſquelz en leurs Eſpris,
Furent de craincte incontinent ſurpris.
    En meſme inſtant, fut par Idomenée
Roy des Cretoys, ſa Gent abandonnée.
Agamemnon meſmes laiſſa la Place,
Les deux Ajax auſſi, ſans monltrer Face,
Prindrent la fuyte. Et ne fut veu ſur l’heure,
Prince Gregeois, qui feiſt au Camp demeure :
Fors le prudent Neſtor, qui fut contrainct :
De ſ’arreſter. Paris avoit attainct :
Ung des Chevaulx du Vieillart, droictement
Deſſus la Teſte : ou naturellement
On voit les Crins premier naiſtre & ſortir.
Ce Cheval donc le gardoit de partir,
Qui Reculloit, Tournoit, Virevouſtoit,
Pour la douleur mortelle qu’il ſentoit :
Car la Sagette eſtoit bien fort entrée
En la Cervelle, & l’avoit pénétrée.
Dont ſ’efforceoit, pour ſe deſveloper,
À ſon Cheval tous les liens couper.
    Mais ce pendant les grandz Courſiers d’Hector
Portans leur Maiſtre, approchoient de Neſtor,
Qui fuſt la mort, ſans le Grec tant priſé
Diomedés, qui l’ayant adviſé,
Vint au ſecours. Et quant & quant voyant
Le Cauteleux Vlyſſés ſ’en fuyant,
Il luy crioit. Ô Filz de Laertés
Dont les fins tours ſont expérimentez
De longue main, Ou vas tu maintenant ?
Pourquoy fuys tu ? Que n’es tu ſouſtenant
Icy le Faix ? N’as tu point Honte & Craincte
De recevoir, en fuyant, quelque Attaincte
Deſſus l’eſchyne ? Attents, attents, Demeure,
Saulvons Neſtor, gardons qu’icy ne meure.
    Ainſi parla, dont Vlyſſés l’ouyt,
Qui n’arreſta : ains aux Nefz ſ’enfouyt.
Ce nonobſtant Diomedés ſ’adreſſe
Pour le ſaulver, au plus fort de la preſſe.
Et quand il fut tout devant ces Chevaulx,
Luy dict ainſi. Ô Neſtor, grandz travaulx
Te faict ſouffrir la Gregeoiſe jeuneſſe,
Durs à porter à ta foible vielleſſe :
Qui tous les jours ſe trouve deſpourveue,
De la vertu & Force qu’elle a eue.
Ton Chariot, ton Carton, ta Monture,
Tout eſt tardif, & de foible Nature.
Deſcends de la, & vien icy monter
Deſſus mon Char, pour experimenter
La grant Viteſſe, & le Courage exquis
De mes Courſiers, que l’autr’hyer je conquis
Sur Eneas : Noz Valetz meneront
Ton Chariot, & le gouverneront.
    Quant à nous deux, medons nous en devoir
Si bien que Hector & Troiens puiſſent voir
Encor ung coup, quelle eſt noſtre vaillance,
Et ſi je ſcay manier une Lance.
    Suyvant cela, le Vieillard deſcendit,
Et fut le Char du ſort Grec ſe rendit :
Tenant le lieu de Sthenelus, qui paſſe
Sur iceluy de Neſtor en ſa Place.
    Neſtor ſervit pour lors de Conductcur,
Diomedés de Chef & Combateur.
Lors paſſent oultre, afin de povoir joindre
Le preux Hector : qui n’eut volunté moindre
De les trouver. Le ſort Grec ſ’eſvertue
À luy jecter ſa grand Darde poinctue.
Si le faillit. Mais en faillant le Maiſtre,
Dans l’Eſtomach de ſon Carton penetre
Enopëus nommé, Homme d’eſtime.
Filz de Thebée Hardy & Magnanime.
    Le preux Hector fut ſurprins de douleur,
Voyant mourir ſon Servant de valeur.
Ce neantmoins il le laiſſe & ſ’efforce
D’en trouver ung de meſme Cueur & Force.
Incontinent à luy ſe preſenta
Archeptoleme, & tout ſoubdain monta
Sur les Chevaulx, prenant Fouet & Bride,
Avec propos de le ſervir de Guyde.
    Certainement à ces deux nouveaux Changes,
Il ſ’appreſtoit d’Occiſions eſtranges.
Et meſmement pour les Troiens eſpars,
Qu’on euſt contrainctz (comme Aigneaulx en leurs
Se retirer & gaigner la Muraille : Parcz)
Tant ſ’eſchauffoient les Grecs à la Bataille.
Mais Iuppiter, avec ung grand Tonnerre,
Soubdain tranſmit l’ardent Fouldre ſur Terre,
Qui vint tumber de ſi grande Roydeur,
Que le fort Grec vit la Flamme & Ardeur
Bien prés de luy : dont ſes Chevaulx tremblerent :
Et à Neſtor les Reſnes ſ’en volerent
Hors de ſes mains tant fut ſurprins de Craincte.
Si dict alors : C’eſt par Force & Contraincte
Diomedés, qu’il nous fault deſloger.
Fuyons nous en, voys tu pas le danger ?
Le Dieu puiſſant la Victoire depart
Pour ce jourdhuy, à la contraire part.
Vne aultrefois il en ordonnera
Tout aultrement, & la nous donnera.
L’eſprit humain ne ſe doict hazarder
De contredire aux Dieux, ou retarder
Leur volunté. La puiſſance Divine
Eſt du tout grande, il fault qu’elle domine.
    Diomedés adonc luy reſpondit.
Prudent Vieillard, tout ce que tu as dict
Eſt raiſonable : & n’y vueil reſiſter :
Mais ie ne puis que trop me contriſter,
Quand me ſouvient d’Hector, qui me verra
Ainſi fouyr : lequel dire pourra
Ung jour aux ſiens, extollant ſon Audace,
Comme aultreſfois il m’a donné la Chaſſe,
Iuſques aux Nefz. Et ſ’il eſtoit ainſi,
I’aymerois mieulx, que ſans nulle mercy,
Deſſoubz mes piedz ceſte Terre ſ’ouvriſt
Soubdainement, m’engloutiſt & couvriſt.
    Ha que dis tu (Reſpondit lors Neſtor)
Penſeroys tu que l’on en creuſt Hector.
Certainement quand il te nommerait
Laſche & Crainctif, chaſcun eſtimeroit
Tout le contraire. Ilz ont veu trop grand nombre
De leurs Souldards mis en mortel encombre
Par ton Eſpée, Et mainte Femmelette,
Par ton effort, eſtre Veſue & Seulette.
    Diſant ces motz, ſoubdain la Bride tourne
À ſes Chevaulx, recule & ſ’en retourne
Avec les Grecs. Hector & ſes Souldards
Courent aprés, leur ruant Traictz & Dardz,
Non ſans grant Bruict : Meſmes Hector crioit
À haulte voix quand fouyr les voyoit.
Diomedés (diſoit il) tu vouloys,
Eſtre honoré, ainſi que tu vouloys,
Entre les Grecs, La Chair plus delectable,
Le meilleur Vin, le premier Lieu de Table,
Teſtoient donnez, pour ta Vaillance & Fame.
Mais à preſent, comme une vile Femme,
Priſé ſeras, va t’en va Glorieux,
Eſpoventable, avec tes ardans yeulx.
N’eſpere plus deſſus noz Tours monter.
N’eſpere plus noz Femmes tranſporter
En tes Vaiſſeaulx. Moy ſeul ſuis aſſez Fort,
Non ſeulement d’empeſcher ton Effort
Et te chaſſer ains pour mort te donner,
Sans te laiſſer en ta Nef retourner.
    Ainſi diſoit Hector, dont le Gregeois
Fut ſuſpen, ſ’il devoit aultre foys
Tourner Viſaige, & l’injure venger,
Ou ſ’en fouyr, evitant le danger.
De retourner troys fois ſe hazarda :
Mais par troys fois Iuppiter l’en garda.
Qui feit deſcendre ung Tonnerre & Eſcler
À ſon Oreille, Augure ſeur & clair,
Que la Victoire eſtoit celle journée
Aux fortz Troiens, par les Dieux deſtinée.
    Sur quoy Hector, pour animer les ſiens,
Cryoit tout hault. Ô Troiens, Liciens,
Et vous Amys à mon ſecours venuz,
Si l’on vous a pour valeureux tenuz
Par cy devant, ſoyez ores records,
De faire voir voſtre Force de Corps
Aux Ennemys. I’ay cognoiſſance aperte
Que nous vaincrons : & que toute la perte
Sera ſur eulx. Les Murs, la Fortereſſe
Qu’ilz ont baſtiz pour ſaulver leur Foibleſſe,
Seront par moy ſoubdainement forcez :
Car mes Chevaulx franchiront leurs Foſſez
Facilement : Mais lors faictes de forte,
(Quand ie ſeray dans les Nefz) qu’on me porte
Brandons de Feu afin de les bruſler.
Moyen n’auront adonc de reculer :
Ains eſtouffans de l’eſpeſſe Fumée,
Par moy ſera leur Vie conſumée.
    De telz propoz Hector les confortoit :
Et quant & quant ſes Chevaulx enhortoit.
Ô mes Chevaulx Xanthe, Aeton, Podarge,
Aux viſtes piedz, & à la Croupe large,
Et toy Lampus Divin & Remuant,
Pour mon ſalut courant & treſſuant,
Recognoiſſez le Traitement & Chere,
Que bien ſouvent vous faict ma Femme chere
Andromacha : laquelle prend bien peine
De vous donner du Froment & d’Aveine,
En y meſlant, quand il en eſt beſoing,
Du Vin ſouef. Ayant auſſi grand ſoing
De vous penſer, & d’exercer l’Office
D’ung Eſcuyer, qu’à me faire ſervice.
À ceſte cauſe Avancez vous, Courez,
Et voſtre Maiſtre à preſent Secourez :
Tant qu’il Attrappe, ou il rende vaincu
Le viel Neſtor, pour avoir ſon Eſcu.
Le Bruict duquel vole juſques es Cieulx,
Pour ce qu’il eſt de fin Or précieux.
Diomedés auſſi eſtant Surpris,
Nous laiſſera ſa Cuyraſſe de pris,
Que Mulciber jadis voulut Forger.
Et cela faict, on verra deſloger
Toute la Nuict : ceſte Armée Gregeoiſe :
Mectans en Mer, leurs Nefz ſans faire Noiſe.
    Ainſi parla Hector, en ſe ventant,
Qui bien penſoit en povoir faire autant.
Surquoy Iuno (ſaichant en ſa penſée
Tout ce diſcours) fut ſi fort courrouſſée,
Qu’on veit ſoubdain, tout ſes Membres trembler
Par grand Deſpit : & l’Olympe branſler.
    Incontinent à Neptune ſ’adreſſe,
En luy diſant : N’as tu point de Triſteſſe,
Voyant les Grecs ſi durement ſouffrir,
Qui tous les jours ne ceſſent de t’offrir
Pluſieurs beaulx dons & digne Sacrifice,
En la Cité d’Egues ou en Hélice ?
Comment peulx tu eſtre ſans te douloir
De leur Malheur, veu l’extreme vouloir
Que ie t’ay veu favoriſant leurs droictz ?
Ô Neptunus certes quand tu vouldrois,
Et tous le Dieux qui portent leur Querele,
Les preſerver de ceſte Mort cruele,
Il ſeroit faict. Mon Mary Iuppiter
Auroit beau dire & beau ſe deſpiter,
Il n’ouſeroit touteſfois departir
Du mont Ida craignant ſ’en repentir.
    Lors Neptunus reſpond : Ô Téméraire
Ne penſe point que ie vueille deſplaire,
Ou contredire à Iuppiter puiſſant :
À qui chaſcun doit eſtre obeiſſant.
Il eſt trop fort, il le fault recognoiſtre
Pour noſtre Roy, noſtre Seigneur & Maiſtre.
    Ce temps pendant les Grecs furent pouſſez,
Eſtans rompuz) dans leurs Tours & Foſſez.
Le preux Hector, reſſemblant au Dieu Mars,
Les contraignit de gaigner leurs Remparts,
Et ſ’enfermer : Tant que la grande Plaine
D’entre les Nefz, & le Fort, en fut pleine.
    Eſtans ainſi ſerrez & reculez,
Le fort Troien euſt leurs Vaiſſeaulx bruſlez,
Tant il eſtoit des Dieux favoriſé,
Si lors Iuno n’euſt aux Grecs adviſé.
Qui les voyant ainſi en d’eſarroy,
Meit en l’eſprit d’Agamemnon leur Roy,
De les laiſſer, & d’aller à grand Cours
Iuſques aux Nefz, pour demander Secours.
    Agamemnon part adonc promptement,
Et vient aux Nefz, fenant ung Veſtement
De coleur Rouge en ſa main, & ſ’adreſſe
Droict à la Nef principale & Maiſtreſſe
Du Roy d’Ithaque, aſſiſe au beau mylieu
Des aultres Nefz, tant que de meſme lieu,
Il povoit eſtre à ſon aiſe entendu.
    Le Pavillon d’Ajax eſtoit tendu
À l’ung des Flans, cil d’Achillés auſſi
En l’aultre Flan eſtans rengez ainſi
Sur les deux Coings, afin de ſouſtenir
Mieulx les dangers, qui povoient ſurvenir.
    Agamemnon donc monté ſur la Poupe
De ce Vaiſſeau crioit, Ô laſche Troupe,
Ô Princes Grecs, Ô peuple miſerable,
Quelle grand Honte & Marque ineffacable
Eſt imprimée à ce jour ſur la Grece ?
Ou ſont les Veux ? Ou eſt voſtre Promeſſe ?
Ou eſt l’Orgueil, & glorieux Caquet,
Que vous aviez en Lemnos au Banquet,
Lors que diſiez, que des Troiens abſens,
Chaſcun de vous en combatroit Cinq cens ?
C’eſtoit le Vin, la Chair, & la Viande,
Qui vous mectoit ceſte Iaſtance grande
En voz eſpritz : ie le ſens maintenant.
Et qu’il ſoit vray, voicy Hector venant,
Lequel ayant Force le Baſtion,
Mectre à Sac, & en Combuſtion
    Toute l’Armée. Ô pere Iuppiter,
Lequel des Roys as tu faict : contriſter
Plus que ie ſuis ? lequel as tu chargé
(Privé de gloire, Ennuyé, Oultraigé)
Autant que moy ? Ce n’eſt pas l’Eſperance
Par moy conceue, & l’entiere Aſſeurance
Que ie prenois de mon vouloir parfaire :
Quand ie voioys mon Offrande te plaire.
Ie penſoys bien ung jour deſtruire Troie.
Et maintenant fe me voy eſtre Proye
Des Ennemys. Ô ſouverain des Dieux,
Octroye moy (Puis qu’il ne te plaiſt mieulx)
Que tout ce Peuple eſchappe hors des mains
Du fort Hector, & Troiens inhumains.
    Ainſi prioyt pour tous ſes Grecs Genſdarmes
Le Chef de Guerre, accompaignant de larmes
Son Oraiſon. Iuppiter accorda
Entierement ce qu’il luy demanda :
Meu de pitié, le voyant gemiſſant
Pour le Salut du Peuple periſſant.
Si leur tranſmit pour veritable Augure,
L’Aigle portant avec ſa Griphe dure,
Ung petit Fan de Biche, qu’elle laiſſe
Cheoir ſur l’Autel, ou la Grecque Nobleſſe
Sacrifioit au grand Dieu immorte
Quand les Gregeois veirent deſſus l’Autel
Deſcendre l’Aigle, ilz reprindrent Couraige :
Et quant & quant tournent monſtrcr Viſaige.
    Diomedés entre tant de milliers
De bons Souldards, & vaillans Chevaliers,
Fut le premier qui ſortit hors leur Fort
Avec le Char, pour monſtrer ſon Effort
Contre Troiens. Lors ſ’avance & ſe rue
Sur l’ung d’iceulx, & d’ung ſeul coup le tue.
Agelaus fut ce Troien nommé,
Filz de Phradmon, de toute piece Armé :
Lequel voyant Diomedés venir,
N’eut touteſfois cueur de le ſouſtenir,
Et ſ’enfouyt : Mais ſa Darde luy paſſe
Parmy l’Eſchine, & fort par la Cuyraſſe.
Dont il tumba, & en tumbant l’Armure
Avec le Corps feit ung Bruict & Murmure.
    Agamemnon, Menelaus ſon Frere,
Les deux Ajax Princes de hault affaire
Idomenée, & ſon Carton vaillant ;
Merionés, courageux Aſſaillant,
Et avec eulx, le bon Eurypylus
Filz d’Evemon ung des Gregeois eſleuz
De tout le Camp, leur Fort habandonnerent,
Et à travers des Ennemys donnerent.
Oultrc ces Huict, ſe voulut avancer
Pour le Neufieſme, ung Grec nomme Teucer
Frere d’Ajax, portant ſon Arc tendu.
Lequel eſtoit ſubtil & Entendu
À tirer droict : Sa ruzée Cautele
Feit aux Troiens mainte playe mortele.
Car ſoubz l’Eſcu du Frere ſe cachoit,
Puis ſ’il voyoit ſon heure, il deſcochoit,
Et le coup faict revenoit trouver
Le grand Boucler, pour ſa vie ſaulver.
Comme ung Enfant, qui ſe cache & deſrobe
Souventeſfois deſſouz la Cotte ou Robe
De ſa Nourriſſe ou de ſa Mere aimable :
Quand il voit choſe à luy deſagreable.
    Or diſons donc leſquelz furent vaincuz
Par ceſt Archer : Ce fut Orſilochus
Pour le premier Detor, Opheleſlés,
Amapaon, Ormein, Lycophontés,
Menalippus, & Chromius, attainctz
De part en part, & a tumber contrainctz.
    Trop fut joyeux Agamemnon, de voir
Ce rude Archer faire ſi grand devoir.
Si vint à luy, & d’ung plaiſant Langaige
Luy dict ainſi. Ô gentil Perſonaige
Prince d’honeur que ie doibs reverer,
Ie te ſupply vouloir perſeverer.
Car ſans le Loz que l’on te donnera,
Quand Thelamon ton vieil Pere ſcaura
Ce bel Exploict : il en aura grant joye :
Avec Deſir qu’en brief temps te Revoye.
Ie ſcay tres bien qu’il t’honore & t’eſtime :
Bien que tu ſoys Enfant illégitime,
Et qu’il t’a faict nourrir de ton jeune eage,
Comme ſon Filz venant de Mariage.
Quant eſt à moy, ie te jure & promectz
En Foy de Roy, que ſi ie prens jamais
Ceſte Cité, apres moy, tu prendras
Du beau Butin ainſi que tu vouldras.
Ie te donray ung Trepier d’or bruny,
Ung Chariot de deux Chevaulx garny,
Ou pour le mieulx, une belle Troiene
Fille à Priam, ou aultre Citoiene,
Qui avec toy en ton Lict dormira;
Et ſ’il te plaiſt touſjours te ſervira
    La n’eſt beſoing grand Roy, que tu t’efforces
(Dict lors Teucer) à inciter mes Forces.
Souvent ie tire, emploiant ma puiſſance
Et induſtrie, à leur porter nuyſance.
Et qu’il ſoit vray, huict vaillans Ennemys
Sont par mes Traictz à mort cruelle mis.
Mais ie ſerois à mon ſouhait vengé,
Si ie frappois ce Matin enragé.
    Diſant ces motz ſon Arc enfonce, & jecte
Encontre Hector ſa picquante Sagette.
Trop deſiroit l’attaindre & embrocher,
Mais il n’y peuſt aucunement toucher.
Ce neantmoins la Sagette envoyée,
Fut ſur ung Filz de Priam employée
Gorgythion, navré ſoubz la Mammelle :
Dont il receut mort Subite & cruele.
Il eſtoit Filz de la Nymphe honorable
Caſtianire, aux Déeſſes ſemblable :
Qui du bon Roy fut en Thrace Eſpouſée,
Pour la Beaulte dont elle eſtoit priſée.
Et tout ainſi que le Pavot croiſſant
Et gras Iardins, eſt la teſte baiſſant,
Tant pour le fruict, que pour la pluye tendre
Du beau printemps qui peult ſur luy deſcendre :
Semblablement Gorgytion bleſſé,
Et du grand faix de l’Armet oppreſſé,
Pancha ſon chef ſur l’Eſpaule, & ſe laiſſe
Tumber tout mort, par douleur & foibleſſe.
    Le Grec Archer encores ſ’efforca
Encontre Hector, & ſon Arc enfonca.
Si le faillit : mais la Sagette meſme
Alla frapper le fort Archeptoleme,
Soubz le Tetin dont fut contrainct laſcher
Les beaux Courſiers, & bas mort treſbuſcher.
    Quand Hector veit ſon Eſcuyer par terre
Il fut dolent, lors deſcendit grand erre,
Et commanda à Cebrion de prendre
Son Chariot, & la guyde entreprendre :
Ce qui fut faict. Hector adonc leva
Ung grand Caillou de terre, & puis ſ’en va
Contre Teucer, criant de fiere voix.
    Teucer tiroit encores du Carquoys
Ung de ſes traictz, ſe dreſſoit & guindoit,
Pour mettre à mort celuy, qu’il pretendoit.
Mais ſur l’inſtant, Hector tel coup luy donne,
Que hors des mains Arc & Traict : abandonne :
Et tumbe à terre.Il en fut bien contrainct :
Car le dur coup, duquel l’avoit attainct,
Eſtoit mortel, au hault de la Poictrine :
Et ſur le Col, ou la Teſte ſ’encline.
    Son Frere Ajax le voyant abbatu,
Accourt ſoubdain en Prince de vertu,
Pour le defendre : & ſi tres bien le coeuvre
De ſon Eſcu, qu’il le ſaulve & recouvre.
Mecciteus & Alaſtor Amys
Du povure Archer l’ont entre les Bras mis :
Et quant & quant l’ont aux Vaiſſeaulx porté,
Demy paſmé, pour le mal ſupporté.
    Les fortz Troiens ſecouruz du grand Dieu,
Encor ung coup feirent quicter le lieu
À tous les Grecs & gaigner le Foſſé
Et le Rempart, qu’ilz avoient delaiſſé.
    Hector eſtoit entre tous le Premier,
Tout Acharné, comme eſt ung gros Limier :
Qui ſe fiant de ſa Force & Viteſſe,
Suyt le Lion par la Foreſt eſpeſſe,
Ou le Sanglier. Et ſi laBeſte tourne
Pour ſe venger, le Limier ſe deſtourne
Legierement : ores mordant la Cuyſſe,
Ou bien les Flanz, tant qu’il fault que periſſe.
Ne plus ne moins Hector donnoit la Chaſſe
Aux Ennemys, habandonnans la Place.
Et ſi quelquun derriere demouroit,
De ſon Eſpée ou ſa Lance mouroit.
    Eſtans les Grecs Deſconfitz & Chaſſez,
Oultre leurs Fortz & Trenchées paſſez :
Non ſans grand Perte & groſſe Effuſion
De Sang humain, pour la confuſion.
Finablement prés de leurs Nefz ſ’arreſtent :
Et la l’ung l’aultre enhortent, admoneſtent
De tenir bon : dreſſans aux Dieux prieres,
Pour leur ſalut, en diverſes manieres.
    Et ce pendant Hector eſpoventable,
Ayant les Yeulx comme Mars redoubtable.
Et tant ardentz que ceulx de la Gorgone
S’approche d’eulx, & plus fort les eſtonne :
Tournant deca, dela pour adviſer
Comme il pourroit les deſfaire & briſer.
    Adonc Iuno indignée & dolente
De voir ſouffrir peine ſi violente
Aux fortz Gregeois, & craignant qu’il ſurvint
Encores pis à Minerve ſen vint,
En luy diſant. Ô Fille treſamée
De Iuppiter, peulx tu veoir ceſte Armée
En tel danger, ſans avoir quelque Soing
De leur ayder à l’extreme Beſoing ?
Souffrirons nous qu’ilz meurent de la main
D’ung ſeul Hector Meurtrier tant inhumain ?
Ne voys tu pas à quoy ilz ſont reduictz ?
Ne voys tu pas comme il les a conduictz
Iuſqu’en leurs Nefz : & qu’il ne ceſſera,
Iuſques à tant que tous mortz les aura ?
    Alors Pallas reſpondit ie voy bien
Ce que tu dis, ie n’en ignore rien.
Mais ceſt Hector Hardy & Orgueilleux :
Duquel on voit les Faictz tant merveilleux
Et dont les Grecs ſont ſi ſort eſbahiz,
En brief mourra, dans ſon propre Pays.
Or de cuyder reſiſter au vouloir
De Iuppiter, on ſ’en pourroit douloir :
Ie le crains trop. Car ſa Faveur deſpite
Souventeſfois encontre moy ſ’irrite :
Diſſimulant par grande Ingratitude,
L’extreme Peine & la Solicitude
Que j’ay porté, pour Herculés ſaulver,
Lors qu’il alloit ſes Forces eſprouver,
Obeyſſant au Roy Euryſtheus.
Certainement les travaux qu’il a euz
L’euſlent miné : mais quand il ſ’eſcrioit
Ou qu’il plouroit, Iuppiter me prioit
D’aller à luy : Ce que j’ay ſouvent faict,
Le preſervant d’eſtre pris ou deſfaict.
Si ie me fuſſe en ce Temps adviſée,
Comme ie ſuis ores de luy priſée :
Son Herculés euſt eſté retenu
Au fond d’Enfer : onc n’en fut revenu.
Il n’euſt la faict l’honorable Conqueſte
De Cerberus, le Chien à triple Teſte.
One n’euſt paſſe l’Infernale Riviere
Nommée Styx, demeuré fuſt derriere.
Et maintenant pour digne Reſcompenſe
De mon Merite, il me hayt, il me tence,
Pour condeſcendre aux legiers Appetiz,
Et vain deſir de la blanche Thetis :
Qui l’a flatté en Langaige humble & doulx
Touchant ſa Barbe, & baiſant ſes Genoulx :
Pour honorer Achillés ſon cher Filz,
Et les Grecs rendre Oultrez & Deſconfictz.
Si ſcay ie bien qu’en brief le Temps viendra,
Que Iuppiter pour Fille me tiendra :
Et que d’autant que de luy ſuis blaſmée,
D’autant ou plus j’en ſeray bien aymée.
Or ſi tu veulx Iuno, va t’en appreſté
Le Chariot, ie ſeray bien toſt preſte.
Ie m’en iray en ſa Maiſon pour prendre
Son beau Harnoyſ : ie veulx bien faire entendre
À ce Troien, quel Dueil ou quelle Ioye
Il doibt avoir, mais qu’en Guerre me voye
Encontre luy. Et que j’ay la Puiſſance
De luy porter Encombrier & Nuyſance :
Faiſant les ſiens aux gros Maſtins manger,
Et aux Oyſeaux, pour de luy me venger.
    Ainſi parla Minerve Furieuſe,
Sur quoy Iuno ſe monſtra Curieuſe
De mectre en poinct : ſes Chevaulx fourniſſant
Tout l’Equipaige, au Char reſplendiſſant.
    Pallas laiſſa ſon Veſtement gentil,
Qu’elle avoit faict d’ouuraige tres ſubtil.
Et puis ſ’arma de la Cuyraſſe forte,
Que Iuppiter en la Bataille porte.
Eſtant armée au Chariot monta
Legierement, & la Lance porta :
Avec laqueIle elle abbat & : repoulſe
Les Demydieux, quand elle ſe courrouſſe.
    En ung moment aux Portes ſe rendirent
Du Ciel haultain, qui de leur gré ſ’ouvrirent.
    Les Heures ont touſjours la charge entiere
De ces beaulx Huys, chaſcune en eſt Portiere :
Ayans auſſy la ſuperintendence
De tous les Cieulx, avecques la Regence
Du clair Olympe, & d’amener les Nues
Ou ramener quand elle ſont venues.
    Quand Iuppiter qui regardoit en L’air,
Veid les Chevaulx des Deeſſes voler,
Fut courrouſſé grieſvement encontre elles.
Si leur envoye Iris aux promptes Aeſles,
En luy diſant lris ma Meſſagiere
Aux Aelles d’Or, va, monſtre toy legiere.
Va rencontrer ces deux, & leur commande.
De reculer, diſant que ie leur mande
Quelles ne ſoient de ſi ſelon Courage,
De ſe monſtrer ores à mon Viſaige :
Et que par trop ſont de Folie eſpriſes,
De cuyder rompre ainſi mes entrepriſes.
Dy leur encor, que à faulte d’obeyr,
Trop ſ’en pourroient douloir & eſbahyr.
Car leur beau Char ſoubdain ſera froiſſé,
Et le Iarret aux Chevaulx deſpecé,
Si tumberont bas en terre ennuyées
De mon Eſcler rudement fouldroyéeſ :
Dont ne pourront (tant ſaichent bien ouvrer)
La gueriſon de dix ans recouvrer.
Et lors Pallas ſcaura quel Vitupere
Elle merite, en combatant ſon Pere
Quant à Iuno, certes ie ne l’accuſe
Pas grandement, encores ie l’excuſe :
La cognoſſant trop duycte & Conſtumiere
À me faſcher, c’eſt touſjours la premiere.
    Adonc Iris partit du Mont Idée,
Pour accomplir la charge commandée
Et les trouva, non pas loing des yſſues
Du Ciel haultain : Les ayant apperceues
Les arreſta, en diſant. Ô volages,
Quelle Folie a ſurpris voz Courages,
Voulans ayder aux Grecs, pour irriter
Encontre vous l’ire de Iuppiter ?
Il vous defend de paſſer plus avant
Si ne voulez, auſſy toſt que le vent,
Veoir le beau Char deſpecé, corrumpu,
Et le larret de voz Chevaulx rompu.
Et puis tumber en bas parmy la pouldre,
Du coup ſoubdain de ſon Eſclair & Fouldre,
Dont ne pourrez (cheutes & proſternées)
Trouver Santé de dix longues années.
Afin que toy Pallas puiſſes cognoiſtre,
Que Iuppiter eſt ton Pere & ton Maiſtre.
Quant a Iuno, il la ſcait ſi Felonne
De longue main, que point ne l’en eſtonne :
Bien cognoiſſant qu’elle prend grand plaiſir
De contredire à ſon vueil & deſir.
Or donc Pallas ne ſoys opiniaſtre
Comme une Chienne, à le cuyder combatre.
Et garde toy de ta Lance dreſſer
Contre ſon vueil, de peur de l’offenſer.
    Apres ces motz Iris toſt ſ’en vola,
Surquoy Iuno à Minerve parla.
Ô quel regrect : de ne povoir parfaire
Ce que l’on a delibere de faire.
Puis qu’ainſi eſt que Iuppiter reſiſte,
Ie ne ſuis pas d’advis que l’on inſiſte
Encontre luy, ne qu’on ſe mecte en peine
Pour les mortelz : Sa puſſiance haultaine
Diſpoſera ſelon ſa volunté,
De leur Malheur, ou leur Proſperité.
Diſant cela, elle tourne la Bride
À ſa chevaulx, & droict au Ciel les guyde.
Les Heures lors les beaulx Courſiers deſlient
Du Chariot, & aux Creſches les lient.
Conſequemment ont le grand Char poſé
En certain lieu, pour cela diſpoſé.
    Au prés des Dieux ſur deux Chaires dorées
Se vont aſſeoir les Dames honorées,
Pleines de dueil, n’ayant exécuté
Leur beau Project. Iuppiter eſt monté.
Pareillement au Ciel, ou fut receu
En grand honeur, lors qu’il loht apperceu.
    Le Dieu Marin deſlia promptemernt
Ses beaux Chevaulx, ſerrant diligemment
Tout l’ateſlaige & la grand Chaire appreſte
À Iuppiter, qui fut la toute preſte :
Ou il ſ’aſſiſt, comme bon luy ſembla
Mais ſ’aſſeant tout l’Olympe branſla.
    Pallas Iuno eſtoient au prés du Dieu
Des deux coſtez, il faiſoit le mylieu.
Qui touteſfois entre elles ne parloient)
Encores moins à luy parler vouloient
Mais Iuppiter cognoiſſant leur penſée,
De grand Colere amerement bleſſée,
Leur dict ainſi. Déeſſes d’ou procede
Voſtre courroux qui tous aultres excede ?
D’ou vient cela qu’ainſi nuyre voulez
À ces Troiens, & point ne vous ſaoulez
Si ne voyez toſt leur deſtruction,
Contrediſant à mon intention ?
Scavez vous pas que moy ayant la Force
Telle que j’ay, vous ne pourriez par Force,
Ne tous les Dieux & Deeſſes enſemble,
Me deſtourner de ce que bon me ſemble ?
S’il eſt ainſi que ma ſimple Menace
Vous faict : trembler, & paſlir voſtre Face,
Que feriez vous en Bataille terrible,
Sentant l’Effort de ma Force invincible ?
    Eſcoutez donc, & ne ſoit ſi hardye
Nulle de vous, qu’en rien me contredie
S’il vous advient par vouloir indiſcret,
De repugner à mon Divin Decret,
Vous ſentirez cheoir ſur voſtre perſone
Le Fouldre ardent, duquel l’Eſclere & Tonne.
Dont vous fauldra en terre ſejourner,
N’ayant moyen d’icy plus retourner;
Voz Chariotz & Chevaulx ateſlez,
Eſtant du coup deſpecez & bruſlez.
    Celle oraiſon feit Minerve frémir
De chaulde Rage, & dans le cueur gémir :
Qui touteſfois porta tres bien ſon Ire
Sans faire bruyt. Mais lors Iuno va dire.
Ô Dieu faſcheux Iuppiter, quel propos
Eſt ceiluy cy ? Nous ſommes tes Suppoſtz,
On le ſcait bienrta Force ne receoit
Comparaiſon de puiſſance qui ſoit.
Or ſi l’on veult les Gregeois conſoler,
Cela n’eſt pas contre toy rebeller.
C eil la pitié qui à ce nous invite,
Voyans perir ſi puiſſant Exercite.
    Lors Iuppiter luy reſpond. Ne te trouble
De leur grand Perte, ilz en auront au double
Demain matin, ie veulx eſtre moyen
Au fort Hector Chef du Peuple Troien,
De les occire, & jamais ne ceſſer
De les abbatre & de les repouſſer,
Iuſques à tant que tous ſoient retirez
Prés des Vaiſſeaulx demy deſeſperez,
Combatans la, enfermez & reclus,
Tout à l’entour du Corps de Patroclus
Qu’il occira, dont Achillés attainct
D’aigre douleur, voyant l’Amy extainct :
S’enflammera & viendra à grand cours
Pour le venger, & leur donner ſecours.
C’eſt mon vouloir, Et puis la Deſtinée
Eſt en ce poinct : aux Gregeois aſſignée.
Quant eſt de toy Iuno, le Deſplaiſir
Que tu en as, me vient à grand plaiſir.
Va hardiment ſi tu veulx, à grand erre
Dedans la Mer, ou au bout de la Terre.
Va t’en trouver Iapetus & Saturne,
Qui ont touſjours l’obſcurité Nocturne,
Sans veoir Souleil, & ſans ſe delecter
D’ouyr les Ventz : va hardiment trotter
Ou tu vouldras, point ne ſeras ſuyuie
Par mon Adveu.Ie n’ay aulcune envie
De ton Amour : car ton cueur Féminin
Eſt tout remply de Malice & Venin.
Ainſi parla : dont la grande Déeſſe
Se tint tout doulx, redoubtant ſa Rudeſſe.
    Ce temps pendant ſe cacha la Lumiere
Du clair Souleil, comme elle eſt couſtumiere
Dans l’Ocean, & la Nuict Brune & Sombre,
Couvrit aprés la Terre de ſon Vmbre.
Nuict aux Gregeois agreable & duyſante,
Mais aux Troiens faſcheuſe & deſplaiſante.
    Le preux Hector ſes Souldards retira
Loing des Vaiſſeaulx, & : aux Champs ſe tira
Bien prés du Fleuve, ou l’horrible Deſfaicte.
Avoit eſté en ce meſme jour faicte.
Arrivez la, des Chevaulx deſcendirent,
Et au Conſeil promptement ſe rendirent.
Auſquelz Hector tenant en ſa Main dextre
Sa forte Lance, ainſi qu’ung Royal Sceptre.
Lance qui fut bien ſerrée & dorée,
D’unze grandz Piedz de longueur meſuré
Il dictz ainſi. Oyez vaillans Troiens,
Tant eſtrangiers Souldards, que Citoyens,
I’avoys conceu a ce jour Eſperance,
(Et qui plus eſt, j’en avoys aſſeurance)
D’occire tout, & les Nefz ruiner,
Et puis vainqueur à Troie retourner :
Mais mon Entente à eſté empeſchée,
Puis que la Nuict ſ’eſt ſi toſt approchée.
Parquoy ie ſuis d’advis de ne bouger
Encor d’icy : ains Camper & Loger
Tout a noſtre aiſe. Or fus donc que l’on face
Ce qu’il convient, chaſcun preigne ſa Place.
Que les Chevaulx ſoient nourriz & penſez
D’Orge & d’Aveine : Et quant & quant penſez
Les ungs d’aller à Troie, pour avoir
Beufz & Moutons : Les aultres de pourveoir
Au Pain & Vin. Encor fault qu’une Troupe
Avant ſouper grand foiſon de Boys coupe,
Pour faire Feux, qui puiſſent allumer
Toute la Nuict. Ces Grecs pourraient par Mer
Secretement ſ’en fouyr. Et ie veulx
S’il eſt ainſi, ſoubdain courir ſur eulx :
Et les preſſer ſi rudement ſur l’heure,
Qu’en ſ’en fuyant quelque nombre en demeure.
À celle fin que leur Deſconfiture
Serve d’Exemple à toute Creature.
Et qu’on ne ſoit ſi hardy d’entreprendre
Contre Troiens, qui ſe ſcavent defendre.
Et ce pendant que ſommes icy loing
De la Cité, il fault avoir le ſoing
De la garder. Les Heraulx donc iront
Soubdain à Troie, & au Peuple diront :
Comme il convient que toute la jeuneſſe
Et les Vieillardz, prenent la charge expreſſe
De la Çitée mectans en aguet
Sur la Muraille, & la faire bon Guet.
D’aultre coſté, que les Troienes Dames
Facent du Feu, à bien luyſantes Flammes,
Pour adviſer que de Nuict en Surſault
Les Ennemys ne les prenent d’Aſſault.
Sus donc qu’on face ainſi que ie propoſe,
Et que chaſcun a l’oeuvre & diſpoſe.
Demain matin fauldra Parlamenter
De ce qu’il reſte, & puis l’executer,
I’eſpere bien, Ô valeureux Genſdarmes
Que nous mectrons demain fin aux Alarmes.
Et que ces Chiens de Furie agitez,
Seront Occiz, Noyez, Precipitez,
Par noſtre Effort. Or prenons le ſejour
Pour ceſte Nuict, juſque à l’Aube du jour,
Qu’on ſe mectra en Bataille rengée,
Pour debeller ceſte Gent enragée
Ie verray lors comme ſ’avancera
Diomedés, & ſ’il me chaſſera
De ſes Vaiſſeaulx, ou ſi ie ſouilleray
En luy mes Dardz, & le deſpouilleray.
Il pourra veoir ſ’il a Force ou Vaillance,
Pour ſoubſtenir ung ſeul coup de ma Lance.
Certainement ie croy qu’il y mourra,
Et mainct Amy qui lors le ſecourra,
Et ſ’il advient que j’en aye Victoire,
Ie me prepare une eternelle Gloire
Ie me prepare ung Honeur immortel :
Et ne croy point qu’on ne dreſſe ung Autel
À mon Renom, teſmoignant ma Proueſſe
Comme à Phebus & Pallas la Déeſſe.
    Ainſi parla, dont Troyens qui l’ouyrent,
Incontinent à ſonVueil obryrent.
Leurs bons Chevaulx laſſez ont deſliez,
Et aux grandz Chars commodement liez
De la Cite ont ſoubdain apporté
Pain, Vin, Moutons, & Beufz à grand planté.
Puis ont dreſſé au mylieu de l’Armée
Mille grandz Feux dont la Flamme & Fumée
Montoit aux Cieulx, pouſſée par le vent.
Et tout ainſi que l’on peult voir ſouvent,
En Temps ſerain, prés de la Lune claire,
Les Corps du Ciel (car une chaſcun eſclaire
Tant que les Montz les Vallées Plaines
Sont de Lumiere ainſi qu’en beau jour pleines)
Dont le Berger qui ſa Veue en hault jecte,
Se reſjouyt en ſa baſſe Logette.
Semblablement de la Troiene Ville,
En celle Nuict : tant Seraine & Tranquille,
Les habitans voyoient & choyſiſſoient
Le Campa aſſiz, & ſ’en reſjouyſſoient.
    Doncques ayans donné la Nourriture
À leurs Chevaulx d’Aveine & de Paſture,
Se vont aſſeoir (pour mieulx prendre leurs Sommes)
Prés chaſcun Feu, juſtement Cinquante Hommes
Avec Eſpoir que l’Aube retournée,
Seroit des Grecs la derniere journée.


LE NEVFIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




LES FORTS Troiens eſtoient ainſi rengez,
Faiſans le Guet : mais les Grecs affligez
D’auoir perdu leur Gent & la Campaigne
Eſtoient dolents. Car la Fuyte Compaigne


De froide Craincte, iceulx avoit menez


Honteuſement juſques dedans leurs Nefz.
    Et tout ainſi que l’on peult veoir ſouvent
La Mer Pontique agitée du Vent
Dict Boreas, ou Zephyrus, ſortans
Des Montz de Thrace, & les Flotz agitans
Si fierement, qu’ilz ſont que la noire Vnde
Eſt eſlevée hors de la Mer profonde.
Semblablement ſe trouvoient les Eſpritz
Des Princes Grecs, tous eſmeuz & ſurpris.
Entre leſquelz, Agamemnon eſtoit
Celuy qui plus au Cueur ſe tormentoit.
    Si commanda aux Heraulx de prier
Chaſcun des grandz (doulcement ſans crier)
De ſe vouloir aſſembler en ſa Tente,
Pour leur monſtrer clerement ſon Entente.
Ce qui fut faict : Tous les Roys ſ’y rendirent
Auſſy ſoubdain que ſon Vueil entendirent.
    Eſtans aſſis ſelon leur Ordre & Place,
Agamemnon (monſtrant dolente Face)
Se meit debout, jectant la Larme tendre,
Que l’on voyoit par ſa joue deſcendre,
Ne plus ne moins que l’Eau d’une Fonteine
Fortant d’ung Roch, coule parmy la Plaine.
Si dict ainſi ſouſpirant grieſuement.
Trop m’a traicté Iuppiter rudement
(Ô Princes Grecs) & encores ne ceſſe
De me Plonger en plus grande Triſteſſe.
Il me promiſt jadis que ie mectroye
En Feu & Sang, ceſte Ville de Troie.
Et maintenant (dont trop ie m’eſmerveille)
Tout le Rebours me commande & conſeille,
Ceſt aſſavoir qu’ores ie me deſtourne
De l’Entrepriſe, & qu’en Grece retourne :
Ayant perdu l’Honeur, la Renommée,
Et la pluſpart de ma puiſſante Armée.
Ainſi le veult ce grand Dieu, qui abaiſſe
Quand il luy plaiſt toute Force & Haulteſſe.
Qui les Citez plus grandes extermine,
Rez Pied, rez Terre, & mect tout en Ruine.
Puis qu’ainſi va, ie ſuis d’advis qu’on ſuyve
Sa Volutée : & que plus on n’eſtrive.
Allons nous en, auſſy bien noſtre Peine
Seroit icy trop inutile & vaine.
    Tout le Conſeil ayant leur Chef ouy,
Fut ung long temps Muet & Eſbahy :
Iuſques à tant que le Preux & Diſpos
Diomedés entama le Propos.
Filz d’Atreus (dict il) ton Ignorance
Me perſuade une grande Aſſeurance
Preſentement, ayant ouy ton dire,
De te Reſpondre, & de te Contredire.
Doncques ne ſoys contre moy irrité,
Ne contre aulcun : puis que la Liberté
Et juſte Loy du Conſeil eſt qu’on peult
Mectre en avant la Sentence qu’on veult.
Ie te ſupply, dy moy ores ſans Faincte,
Quand as tu veu ce Camp ſi plein de Craincte,
Tant mal expert aux Aſſaultz & Alarmes,
Qu’il leur convienne ainſi laiſſer les Armes ?
As tu ſi mal leur Cueur conſideré ?
As tu ſi peu de leur Force eſperé.
Qu’il ſoit beſoing à ta ſimple Requeſte,
Habandonner la Troiene Conqueſte,
Certainement l’Injure eſt par trop grande,
De Meſpriſer ſi valeureuſe Bande.
Mais ce n’eſt rien, tu en es Couſtumier,
I’en ay ſouffert moy meſmes le Premier,
Ieunes & Vieulx de ce Camp ſcavent comme
Tu m’as tenu aultreſfois pour ung Homme
Laſche & Craintif, ſachant trop mieulx cauſer,
Qu’aux grandz Dangers de Guerre m’expoſer.
Et puis qu’il vient à Propos de reſpondre,
Ie te diray ces motz, pour te confondre.
Les Dieux haultains t’ont departy l’Honeur
De porter Sceptre, & d’eſtre Gouverneur
De ce grand Oſt : Mais de Force & Courage
Et bon Conſeil, qui eſt grand Avantage
En faict de Guerre, ilz t’ont voulu priver,
Et ne pourrais à ce But arriver.
Garde toy donc deſormais d’entreprendre
D’injurier les Grecs, ou les reprendre.
Et ſi tu as Fantaſie ou Soulcy
En ton Eſprit, de t’en fouyr d’icy :
Monte ſur Mer, vat’en, ton Equipage
Eſt deſja preſt ſur le Bord du Rivage.
Qui en brief temps, ſans nul Adverſité,
Te conduyra juſques en ta Cité.
Les aultres Grecs icy feront ſejour,
En attendant le tant deſiré jour,
Qu’on prendra Troie. Et ſ’ilz ont le vouloir
De ſ’en aller, mectans à nonchaloir
La belle Empriſe, Eſthenclus ſera
Avecques moy, qui ne ſe laſſera
De demeurer, juſques à tant qu’on voye
La fin du tout. Bien certains que la voye
Qu’avons tenue, arrivans en ces lieux,
Fut enſeignée & monſtrée des Dieux.
    Ceſt Oraiſon du Preux Filz de Tidée,
Fut grandement des Grecs recommandée :
Louans tout hault ſon Advis ſingulier.
Sur quoy Neſtor le prudent Chevalier
Se meit debout, & à luy ſ’adreſſant,
Reſpond ainſi. Certes tu es puiſſant
Et fort en Guerre, Et pour donner Conſeil :
En verité tu n’as point de pareil
Entre les Roys qui ſont de meſmes eage.
Et ne croy point qu’il y ait perſonaige
En tout le Camp, qui dommageable treuve
Ce tien Advis, voire qui ne l’appreuve.
Mais tu n’es pas venu juſques au bout
De ce qu’il fault, tu n’as pas dict le tout
Ie qui ſuis Vieulx, & tel que ie pourrois
Eſtre ton Pere, & de tous ces bons Roys,
Acheueray. Et quand on m’entendra,
Ie penſe bien que nul ne contendra,
Pour reprouver mon Conſeil proufitable.
Car par trop eſt Cruel & Deteſtable,
Tres malheureux, & de la vie indigne,
L’homme qui ayme une Guerre inteſtine.
Ce qu’il fault faire à preſent, veu la Nuict,
Eſt de Souper : & quant & quant ſans Bruict :
Aſſeoir le Guet : auquel fauldra commectre
De jeunes Gens, les diſpoſer & mectre
Entre le Mur & Foſſé, pour entendre
Si les Troiens taſcheroient nous ſurprendre.
Quant eſt de toy Agamemnon, tu doibs
(Comme il me ſemble) aſſembler tous ces Roys
À ton Souper. Tu n’as aulcun default
Pour les traicter, de tout cela qu’il fault.
Et meſmement ta Tente eſt toute pleine
De vin ſouef que de Thrace on t’ameine.
Lors en Soupant ſ’offrira tel Diſcours,
Qui ſervira de Conſeil & Secours.
Certainement l’on en a grand beſoing,
Car l’Ennemy n’eſt de nous gueres loing.
Las qui eſt cil qui ſe peut eliouyr,
Voyant leurs Feux, & les povant ouyr ?
Voicy la Nuict laquelle ſi nous ſommes
Gens de bon Sens, & bien adviſez Hommes,
Nous ſaulvera. Mais eſtans endormiz,
Nous tumberons es Mains des Ennemiz.
    Ainſi parla, Et l’ayant eſcouté,
Le tout fut faict : ſelon ſa Volunté.
Incontinent Sept Princes entreprindrent
D’aller au Guet, & Sept Centz Souldards prindrent
Avecques eux, l’ung fut Thraſymedés
Filz de Neflor aulcre Lycomedés
Filz de Creon, Aſcalaphus le Tiers,
Merionés feit le Quart voluntierſ :
Aphareus, IalmenuS Deiphyre,
Trop mal ayſez à vaincre & deſconfire,
Feirent les Sept. Leſquelz, & leurs Genſdarmes
Tres bien muniz de leurs Lances & Armes,
Entre le Mur & le Foſſſe meirent
Toute la Nuict, & point ne ſ’endormirent :
Faiſants du Feu, mangeans, ſe promenans,
Ayans l’Oreille & l’Oeil aux Survenans.
    D’aultre Coſté, Agamemnon mena
Auecques ſoy les Roys, & leur donna
Bien à Souper. Leſquelz ſi bien mangerent
Que Fain & Soif de leurs Corps eſtrangerent.
Apres ſouper, Neſtor (dont la Prudence
Et bon Conſeil eſtoient de l’aſſiſtence
Tres bien cogneuz) ſa Parole adreſſa
Au Chef de Guerre, & ainſi commenca.
    Prince d’honeur, mon parler ne ſera
Que de toy ſeul : par toy commencera,
Et prendra fin. Puis qu’il eſt ordonné
Que par toy ſoit ce Peuple gouverné.
Puis que les Dieux t’ont donné le Pouvoir
Sur tous les Grecs, on doibt appercevoir
Plus qu’en aultruy, de Conſeil & de Force
En ton Eſprit lequel fault que ſ’eſforce
Inceſſamment d’Ouyr, de Conſulter,
Et quelquefois de bien Executer.
Et meſmement lors que l’on t’admoneſte
De quelque faict, proufitable & honeſte.
En ce faiſant, rien ne ſera trouvé
Sortant de toy, qui ne ſoit appreuvé.
Cela me meut ores de t’adviſer
D’ung bon Conſeil, qu’il fault auctroriſer
Et enfuyuir, ſans point me contredire :
Comme tu feis, alors que par grand Ire
Contre Achillés ſ’eſmeuz & courrouſſas.
Et qui pis eſt, ſi tref fort l’offenſas,
Que Briſeis, qu’on luy avoit donnée,
Fut de ſa Tente en tes Vaiſſeaux menée.
L’injure fut trop grande d’irriter
Tel Perſonage, ayme de Iuppiter,
Et de grandz Dieux. Parquoy fault que l’on penſe,
De reparer (ſi lon peut) ceſte Offence.
Et l’appaiſer par beaulx Dons precieux :
Ou par moyen de parler Gracieux.
    Agamemnon ſoubdain luy reſpondit.
Digne Vieillard, tout ce que tu as dict,
Eſt trop certain, la Faulte dont m’accuſes,
Fut par moy faicte il n’y a point d’excuſes.
Ie l’offencay, & voy bien que Ioutrage
À faict ſouffrir aux Grecs ce grand Dommage.
Iuppiter l’ayme, & l’homme aymé d’ung Dieu,
Tient en ung Camp de beaucoup d’Hommes lieu.
Et vault trop mieulx, qu’une Troupe effrénée,
Qui ne peult eſtre à peine gouvernée.
Mais tout ainſi que ſeul ie l’offenſay
Injuſtement, ie veulx faire l’Eſſay
De l’appaiſer, luy donnant en Guerdon,
De mes Threſors maint beau & riche Don;
Leſquelz ie vois preſentement nommer,
Si en pourrez la Valeur eſtimer.
Premierement ſept Trepiers excellentz,
Qui n’ont jamais touché Feu : dix Talentz
D’Or pur & fin : Vingt Chaulderons bruniz
D’Arain luyſant : Douze Courſiers garniz
De beaulx Harnois, qui ont par leur Viteſſe
Pluſieurs grandz Pris raporté de la Grece.
Et ne devroit ſe nommer indigent,
C’il qui ſeroit pourveu de tant d’Argent,
Et de Threſor, comme par leurs travaulx
M’ont faict gaigner aultrefois ces Chevaulx.
Oultre cela ſept Femmes, qui de Grace
Ont ſurpaſſé la Feminine Race :
Sachans ouvrer de Broderie exquiſe :
Que j’euz pour moy, quand Leſbos fut conquiſe
Par Achillés.Neammoins avec elles
Ie luy rendray la Fleur des Damoiſelles,
Sa Briſeis : ſi Pure & peu Souillée,
Comme le jour qu’elle me fut baillée,
En luy juant mon Sceptre & Royaulté,
Que ie n’ay eu aulcune Privaulté
Avecques elle : Oncques ne ſ’eſt Couchée
Dedans mon Lict, onc ne l’ay approchée
Pour y toucher : comme les Hommes peuvent,
Quand ſeul à ſeul avec Femmes ſe treuvent.
Voyla le Don & le Riche Preſent,
Qu’il recevra de moy, pour le preſent.
Et ſi les Dieux favoriſent l’Empriſe
La commencée, & que Troie ſoit priſe :
Ie me conſens, que ſur le Sac il charge
D’Or & d’Arain, une Nef grande & large.
Et qu’il choyſiſſe entre les Citoyenes,
Iuſques à Vingt des plus belles Troienes
Hors miſe Heleine. Apres eſtant venu
En mon Pays, de moy ſera tenu
Comme Oreſtés mon Enfant tres aymé.
Et ſ’il luy plaiſt à Mariage entendre,
Ie le prendray voluntiers pour mon Gendre,
En luy donnant à choyſir de mes Filles,
I’en nourrys trois pudiques & Gentilles,
Chryſotemis la Blonde, & la Prudente
Laodicé, avec la Diligente
Iphianaſia. Or qu’il en prenne l’une,
Sans aſſigner pour le Dot, choſe aulcune.
Car de ma Part ſi bien Douer l’eſpere,
Qu’on n’aura point encores veu qu’ung Pere
    (Tant fuſt honeſte & Royalle Party)
Ayt tel Douaire à Fille departy.
Ie bailleray Sept Citez bien fermées,
Pleines de Gens, & Riches renommées :
Toutes joignans prés de la Mer de Pyle.
Ceſt aſſavoir Enopa, Cardamyle,
Pheres divine, Hira environnée
De beaulx Fruitiers, Pedaſos en Vinée
Tres planteureuſe, Epea la flourie,
Et Anthia qui eſt pour la Prairie
Recommandée. En ces Sept bonnes Villes
Il trouvera les Gens ſi tres civiles,
Que de leurs biens touſjours luy donneront,
Et comme ung Dieu preſque l’honoreront.
Voulans leurs Corps & Richeſſes ſoubzmectre
À la Iuſtice, & povoir de ſon Sceptre.
Ce ſont les dons, ce ſera le Bienfaict,
Qu’il recevra ſi ceſt Accord ſe faict.
Que plaiſe aux Dieux (Ô Vaillant Achillés)
Que nos Debatz ſoient tous annichilez.
Ainſi te ſoit Pluton favoriſant,
Que ceſte Paix tu ne ſoys refuſant.
Ainſi Pluton m’octroye tant de Grace,
Que tout ainſi qu’en biens ie te ſurpaſſe,
Et en long Eage, il face de maniere,
Que par toy ſoit receue ma Priere.
    Lors par Neſtor, ayant bien entendu
Agamemnon, fut ainſi reſpondu.
Filz d’Atreus, tous ces Dons racontez,
Par Achillés devront eſtre accepte
Car ilz ſont grandz. Parquoy fault qu’on pourvoye
De mectre toſt Ambaſſadeurs en Voye,
Par devers luy, j’en ſcauray bien choyſir
Trois ſuffiſans filz y prenent plaiſir.
Le bon Phénix jadis ſon Précepteur
Pour le Premier, qui ſera conducteur
De l’Ambaſſade : Ajax pour le Second,
Et pour le Tiers Vlyſſés le Facond.
Leſquelz ſeront ſuyuiz de deux Heraulx,
Eurybatés & Odius feaulx.
Or ce pendant pour le Faict approuver,
Il nous convient à tous les mains laver.
Apportez l’Eau Heraulx, & vous Gregeois
(Chaſcun à part) ſuppliez ceſte fois
À Iuppiter, que la Légation
Sorte l’Effect de noſtre Intention.
    Les deux Heraulx incontinent verſerent
De l’Eau es mains des Princes, qui dreſſerent
Leurs Oraiſons aux Dieux : & cela faict
Beurentdu Vin. Puis ayans ſatiſfaict
À l’Appetit, les Ambaſſadeurs ſortent.
Auſquelz Neſtor prie encor qu’ilz enhortent
Si dextrement Acliillés, qu’ilz obtiennent
Bonne Reſponce, avant qu’ilz ſ’enviennent.
Meſme Vlyſſés par ſon prudent Langage,
Face ſi bien qu’il vainque ſon Courage.
    Ainſi ſen vont les Princes députez
    En grand Deſir d’eſtre bien eſcoutez :
Prians chaſcun au Dieu de la Marine,
Que la Colere ainſi haulte & maligne
Du Vaillant Grec, ſoit doulce & abaiſſée,
Pour achever leur Charge commencée.
    Or ſont venuz droict aux Vaiſſeaux & Tentes
Des Mirmydons, tres belles & patentes.
Et ont trouvé Achillés qui chantoit
Sur la Viole, & ſon cueur delectoit
Par la Muſique en diſant Vers & Hymnefs
Des Dieux haultains, & des Mortelz inſigne.
    Ceſte Viole eſtoit la nompareille
En ſa Doulceur, tant belle que merveille,
Paincte tres bien : aiant ſon Chevalet
De fin Argent, gentil & propelet.
Laquelle fut par Achillés gaignée,
Au temps du Sac de Thebes ruynée.
Thebes j’entens du Roy Aetion,
Qui fut par luy miſe à Deſtruction.
Or chantoit il, n’ayant pour Compaignie
Que Patroclus, eſcoutant l’Armonie.
    Quand Achillés veid ces Princes venuz,
Leſquelz avoit de longue main tenuz
Ses bons Amys, il ne voulut faillir
De ſe lever, & de les recueillir,
S’eſmerveillant. Patroclus ſe leva
Pareillement recevoir les va.
Lors Achillés leur dict : Bien venuz ſoyent
Les bons Amys & Seigneurs qui me voyent
Dedans mes Nefz, par bonne affection.
Certainement la Viſitation
M’eſt agréable. Et bien que mon Courroux
Soit aigre & grand ſi n’eſt il pas pour vous.
De tout mon Cueur vous ayme & aymeray :
Et touſjours bien de vous eſtimeray.
    Diſant ces motz (avecques Face humaine)
Les introduit, & puis aſſeoir les meine,
L’ung aprés l’aultre, en beaulx Sieges eſleuz,
Enuironnez de grans Tapis Veluz.
Et quant & quant, à Patroclus commande
De tirer hors ſa Coupe la plus grande :
Et du Vin pur, pour leur en preſenter.
Car ceulx qui ſont venuz me viſiter
(Ce diſoit il) ſont Vaillantz Chevalierſ :
Oultre cela mes Amys ſinguliers.
    Quand Patroclus le vouloir entendit
De ſon Amy, ſoubdain feit ce qu’il dict.
Et davantage il print ung Chaulderon,
Faiſant grand Feu deſſoubz & environ :
Dedans lequel il meit de bonne grace,
Tout le cymier d’une Chievre bien graſſe :
Et d’ung Mouton. Puis la belle Eſchinée
D’ung Pourceau tendre engreſſé de l’année.
    Autumedon & Achillés trencherent
Le Reſidu, & tres bien l’embrocherent :
Ce temps pendant que Patroclus allume
Ung Feu bien clair, & garde qu’il ne fume.
    Eſtant le Bois bien embraſé, & bon
À faire Roſt, il eſtend le Charbon
Tres proprement auquel furent couchez
Tous les Loppins qu’on avoit embrochez :
Iectant du Sel deſſus, pour leur donner
Gouil délicat, & les aſſaiſonner.
    Quand tout fut preſt, Patroclus prend du Pain
D’ung beau Pennier, qu’il portoit en ſa Main :
Et ſert à Table. Achillés faict ranger
Les Princes Grecs, les priant de Menger.
Et quant & quant il prend luy meſme Place
    Tout au deuant d’Vlyſſés Face à Face.
Encores plus à Patroclus commande,
De faire aux Dieux l’accouſtumée Offrande.
Ce qui fut faict. Si mangerent & beurent
Tout à loiſir, & ainſi qu’ilz voulurent.
    Aprés Soupper, le Chef de L’ambaſſade
Le bon Phenix, feit une baſſe Oeillade
À Vlyſſés. Lequel bien entendant
À quoy eſtoit ceſte Oeillade tendant,
Prend une Coupe, & Achillés invite
De boire à luy. Ô des Gregeois l’eſlite
(Dict il alors) Il convient, ce me ſemble,
Puis que l’on a repeu ſi bien enſemble,
Que par toy ſoit l’intencion cognue,
Qui à cauſé icy noſtre Venue.
Si tu nous as abondamment traictez,
Agamemnon nous avoit Bancquetez
Auparavant : mais ce bon Traictement,
Ne nous ſcauroit donner Contentement.
Le temps preſent aultre choſe demande,
Que de penſer ainſi à la Viande.
Tout noſtre Soing maintenant eſt de voir,
Comment pourrons à noſtre faict pourvoir.
Et d’inventer quelque prudent moyen,
De reſiſter à ce Peuple Troien :
En deſendant, que par eulx noz Vaiſſeaux
Ne ſoient bruſlez, & nous mortz à monceaux.
Ce qu’on ne peult nullement eviter,
S’il ne te plaiſt ta puiſſance exciter :
Et te veſtir de Force & bon Courage,
Pour nous, garder de ce cruel Dommage.
Les Ennemys ſe ſont deſja Campez
Aupres de nous. Ilz ont tous Oceupez
Les lieux prochains, faiſants Feux, menans Ioye :
Se promettans de ne rentrer en Troie,
Que tous les Grecs ne ſoient exterminez,
Et mis à mort, voire dedans les Nefz.
Encores plus, pour leur Audace accroiſtre,
On a peu voir en leur Camp apparoiſtre,
Le Fouldre ardant à la main dextre, Signe
Tres apparent de leur Victoire inſigne.
Le fort Hector enflé de la Victoire
Du jour paſſé, & du ſecours Notoire
De Iuppiter, ne deſire aultre choſe
Que de voir l’Aube : & alors il propoſe
(Tant il eſt Brave, Horrible, Furieux,
Et Meſpriſant les Hommes & les Dieux)
Bruſler les Nefz Deffaire noſtre Armée :
Et nous Meurtrir, Eſtouffans de Fumée.
Ceſte Menace à noz eſpritz comblez
De froide Craincte, & grandement troublez.
Doubtans qu’il ſoit ainſi predeſtiné,
Et que les Dieux ayent la determiné,
Que tout ceſt Oſt, aprés longue Demeure,
Soit mis en Route, & qu’en ce Pays meure.
Or ſi tu as différé juſque à ores
De nous aider (bien que trop tard encores)
Reprens ton cueur, & tes forces excite,
Pour garantir ce dolent Exercite.
Car aultrement aprés la Perte faicte,
Marry ſeras (voyant la grand Deſſaicte
De tes amys) de n’avoir eu le Soing
À les ſaulver, quand en eſtoit beſoing.
Il vauldroit mieulx, afin de n’encourir
En ceſt Erreur, de toſt les ſecourir.
Et prevenir l’irréparable perte,
Qui ne ſcatiroit eſtre plus recouuerte.
Certes (Amy) ie ſuis bien ſouvenant,
Que Peleus quant tu fus cy venant,
(Meu de pitié & chaulde affection
De Pere à Filz) te feit inſtruction
Bonne & honefte & dont pour le devoir,
    Ie te la veulx ores ramentevoir,
À celle fin que ton eſprit l’obſerve.
Filz (diſoit il) la Déeſſe Minerve,
Avec Iuno, te donneront aſſez
Cueur Magnanime, & Membres renforcez :
Mais il les fault embellir en partie,
D’honeſteté d’Amour & Modeſtie.
En te gardant de Simulation,
Et d’Appétit de Vindication.
Et ce faiſant des Ieunes & des Vieulx
Priſé ſeraſ : & t’en aimeront mieulx.
Ainſi te dict ainſi te commanda
Le bon Vieillard, quant icy te manda :
Mais tu n’es plus de ces beaulx dictz records.
Helas Amy, oublie ces Diſcords.
Revien en grace : avec ton Chef de guerre.
Qui delirant ta bonne Grace acquerre,
Te faict : par nous offrir & preſenter
Tous les beaulx Dons, que ie te vois compter.
En premier lieu ſept Trepiers neufz & ronds
Dix Talentz d’or, vingt luiſans Chaulderons.
Douze Courliers, qui ont louvent conquis
À bien courir, pluſieurs pris tres exquis.
Et qui aurait tant d’Or & de Richeſſe,
Que ces Chevaulx ont gaigné par Viteſſe
À leur Seigneur, il luy pourroit ſuffire,
Et ne devroit jamais poure ſe dire.
Avec cela, Sept Femmes nom pareilles
En Broderie, & Belles à merveilleſ :
Qu’il eut alors que Leſbos fut pillée,
Par ton effort. Et te ſera baillée
Ta Briſeis : ſur quoy il interpoſe
Son grand Serment, ne luy avoit faict choſe
Contre raiſon. Que jamais n’eſt Montée
Deſſus ſon Lict : Qu’il ne l’a fréquentée :
Aulcunement, pour avoir Plaiſir d’elle,
Comme le Malle en prend de la Femmelle.
Tous ces beaulx Dons ſeront preſentement
Icy livrez faiſant l’appoinctement.
Et ſi les Dieux permectent qu’on deſtruiſe
Troie la Grand, & qu’aprés on diviſe,
Le beau Pillage, il conſent que tu charges
D’Or & d’Argent une des Nefz plus larges
Seul à par toy : avec vingt Citadines
Toutes d’eſlite, & de tel Maiſtre dignes
Et ſi tu veulx (celle Guerre finie)
Eſtre avec luy, hantant la Compaignie.
Aymé ſeras comme ſon Filz unique
Dict Oreſtés. Et ſi ton cueur ſ’applique
À prendre Femme, il te donra le choix
De ſa Maiſon. Il a de Filles troiſ :
La premiere eſt Chryſothemis la Blonde :
Laodicé Prudente la ſeconde :
Iphianaſſa la tierce Tres louées,
Pour les Vertus dont elles ſont Douées.
De ces trois la, ſ’il te vient à plaiſir,
Tu pourras lors la plus Belle choyſir,
Et la conduire a l’Hoſtel de ton Pere,
Sans rien bailler. Car luy meſmes eſpere
Si grand Douaire, & Riche t’aſſigner,
Qu’on n’a point veu, à nul Pere donner
Autant à Fille. Il a intention
De mectre adonc en ta Poſſeſſion,
Sept grans Citez pres de la Mer, peuplées.
De Citoiens, & de grands Biens meublées
Ceſt aſſavoir Enopa la gentille,
Cardamyla, & Hira la fertille,
Pheres divine, Epea la puiſſante,
Et Anthia, en Paſtiz floriſſante :
Puis Pedaſos eſtimée Tres noble
Et planteureuſe à cauſe du Vignoble.
    En ces Citez tu ſeras Honoré,
Ainſi qu’ung Dieu ſervy & reveré,
Les Citoiens vivans ſoubz la Police
De ton beau Sceptre, & Royale Iuſtice :
Voilà les Dons, voila la Recompenſe
Que recevras, en oubliant l’Offence.
Si tu ne veulx faire compte de l’Offre
Que l’on te ſaict, ny de cil que le t’offre,
N’auras tu pas au moins Compaſſion
De tes Amys, & de ta Nation ?
N’auras tu pas vouloir de ſecourir
Ces poures Grecs, ſans les laiſſer perir ?
Qui te ſeront comme aux Dieux obligez ?
Se cognoiſſans ſaulvez & deſchargez
Par ton moyen : Choſe louable, & telle
Qui t’acquerra une Gloire immortelle.
Et meſmement veu l’occaſion bonne,
Que tu auras d’eſprouver ta Perſone
Encontre Hector : lequel ores ſe vante
(Tant il eſt plain de ſuperbe Arrogante)
Qu’en tout ce Camp ny a Grec à luy Per :
Ny qui luy puiſſe à la fin eſchapper.
    Quand Achillés eut ouy l’Oraiſon
Du ſubtil Grec. Certes il eſt raiſon
Ô Vlyſſés, qu’à tes dictz ie reſponde
Tout franchement, afin qu’on ne ſe ſonde,
Ne toy ny aultre à me venir faſcher
Penſant de moy aultre choſe arracher.
Tout ce que j’ay une fois retenu
En mon Eſprit, ſera entretenu.
Celuy qui dict de la Bouche une choſe,
Et dans ſon Cueur le contraire propoſe,
Eſt tant hay de moy en toutes ſortes,
Comme ie hays les infernales Portes.
Doncques entends ores ma volunté :
Et ce que j’ay conclud & arreſté.
Impoſſible eſt au Roy Agamemnon,
À vous Gregeois, & aultres Roys de nom,
De me conduire à ce poinct, que ie mecte
Encor ung Coup pour vous l’Armet en Teſte.
Puis que ie voy cil qui ſ’eſt efforcé
De vous aider, ſi mal recompenſé.
Et qu’on ne faict non plus cas d’ung Vaillant,
D’ung bon Gendarme, & hardy Aſſſaillant,
Que d’ung Oyſif, d’ung Laſche, qui ne part
Du Pavillon : & qu’il a plus De part
Aux grandz Butins, & plus d’Auctorité
Que celuy la qui l’aura merité.
Cecy ie dis pour moy, qui ay ſouffert
Tant de Travaulx & qui me ſuis offert
Aux grans Dangers, ayant maintes Nuictées
Entierement ſans dormir Exploitées.
Et tout pour vous, Eſtant de meſme Soing
Que l’Oiſelet, qui vole prés & loing
Cherchant Paſture à ſes Petitz, qui ſont
Encor ſans Plume en leur Nid, & qui n’ont
Aulcun povoir de prendre l’Air champeſtre :
Et ne ſcauroient d’eulx meſmes ſe repaiſtre.
Chaſcun ſcait bien les Priſes & Ruines
Des grans Citez : des Iſles voiſines
De ce Pays. Car mes forces Navales
En ont conquis douze des Principales.
En Terre ferme, onze ont eſté vaincues
Par mon Effort, & ſubjectes rendues.
Dont le Butin comme vous ſcavez bien,
Fut apporté, ſans en excepter rien
À voſtre Chef : lequel à ſon plaiſir
L’a diſpenſé, & ſ’eſt bien ſceu ſaiſir
De la pluſpart. Moy & les aultres Princes
En avons eu les Portions bien Minces.
Et nonobſtant que du Partage faict,
Chaſcun ſe tint content, & ſatiſfaict,
Moy meſmement : Neantmoins par Malice,
Par Tyrannie, & cruele Injuſtice,
Agamemnon m’a tres bien deſpouillé
Du peu de Bien que l’on m’avoit baillé.
Que touteſfois aſſez grand j’eſtimoye,
Tant ſeulement pource que ie l’aimoye.
C’eſt Briſeis. Or donc qu’il l’entretienne
Tant qu’il vouldra, & pour Sienne la tienne.
Reſpondez moy, Qui eſt la cauſe expreſſe,
Qui a mené tant de Princes de Grece
Iuſques icy ? Par quel Droict & Conſeil
Agamemnon a faict tant d’Appareil
De bons Souldards ? Eſt ce pas pour l’Envie
De recouvrer leur Heleine ravye ?
Son Frere & luy penſent ilz eſtre telz,
Et feulz au monde entre tous les mortelz,
Aymans leur Femme ? Ont ilz le jugement
Si aveuglé, de ne voir clairement,
Que tout bon cueur honore & faict eſtime
De ſa Compaigne, ou Femme legitime.
Quand eſt à moy, j’ay eu Sens & Eſpritz,
Du Feu d’Amour pour Briſeis eſpris.
Et l’honoroys de ſemblable maniere
Qu’une Eſpouſée, encor que Priſoniere.
Mais voſtre Chef, tout droict pervertiſſant,
Me la oſtée, & en eſt jouiſſant.
Et maintenant ayant ce Tort receu,
Aiant eſté ſi laſchement deceu :
Par doulx parler & fainctif, il ſ’eſſaye
De refermer celle ulcerée Playe ?
Nenny, nenny, Voiſe ſi bon luy ſemble
Avec les Grecs, & avec toy enſemble
Se conſeiller, & penſe de ſoy meſme
Se tirer hors de ce Danger extreme.
Helas voyez en quelle Adverſité
Il eſt tumbé, par ſa Perverſité.
Son Mur, ſon Fort, les Foſſez, & Palliz,
Vous gardent ilz d’eſtre ores aſſailliz
Du fort Hector ? Certes lors que j’eſtoye
Avecques vous, & pour vous Combatoye,
Tant ſ’en falloit qu’il ſ’oſaſt approcher,
Qu’on ne l’a veu oncques Eſcarmoucher :
Que tout au prés de la Porte Troiene
Dicte Scea, doubtant la Force mienne.
Ung jour advint, qu’il me voulut attendre
Prés du Fouſteau : Mais ie luy feis toſt prendre
Le grand Chemin, & ſeur ne ſe trouva,
Iuſques à tant que dans Troie arriva.
Or maintenant puis que tout le Plaiſir
Que j’avois lors, me tourne à Deſplaiſir
Puis que ie n’ay vouloir de m’employer
Aulcunement, ne ma Force eſſſayer
Encontre Hector. Demain matin j’eſpere
Partir dicy : ſi j’ai le Vent proſpere
À mon Depart ie ſeray Sacrifice
À Iuppiter, pour le rendre propice.
Et quant & quant prenant la haulte Mer,
Tu pourras voir (Ô Vlyſſés) Ramer
Mes grands Vaiſſeaulx, Leſquelz (ſi par Neptune
Sont preſervez, & ne courent Fortune)
Dedans trois jours me conduiront à Phthie,
Mon bon Pays Chargez une partie
D’Arain vermeil, de Fer blanc, de fin Or,
Et d’aultres biens & précieux Threſor.
Sans oublier les Pucelles exquiſes,
Que j’ay, moy ſeul, à la Guerre conquiſes.
Car du Butin, pour ma part advenu,
Agamemnon la treſbien retenu.
À ceſte cauſe (Amy) tu pourras dire
Publiquement à tous les Grecs, que l’Ire
Que j’ay eſt juſte : & qu’il ſoient adviſez,
Pour ne ſe voir de leur Chef abuſez,
Ainſi que moy, Dont ie me veulx garder
Doreſnavant, & ne le regarder
Iamais en Face. Auſſi ie croy (Combien
Qu’il ſoit ſans Honte, & qu’il n’ait en ſoy rien
De vertueux) Aumoins ſa Conſcience
Le garderoit d’endurer ma Preſence.
Et ſil vouloittant ſe laiſſer aller,
Que de cuyder avecques moy parler,
Ie ne pourrois ma Fureur contenir :
Dont plus grand mal luy pourroit advenir.
Suffiſe luy de m’avoir mal Traicté.
Suffiſe luy que ſon Iniquité
Le Ronge & Mine, ainſi qu’ung Eſperdu
Ayant le Sens entierement perdu.
Et quant aux dons qu’il me faict preſenter,
Autant ſ’en fault, que les vueille accepter,
Que le Donneur, & Tes Dons ſont plus fort
Hayz de moy, que la cruelle Mort.
Non ſ’il m’offroit dix fois, vingtz fois autant,
Non ſ’il eſtoit tout ſon bien preſentant
Avec celuy qu’on Amene & Ramene
En deux Citez Thebes & Orchomene.
Thebes ie dis la ville Egyptiene,
Tant Populeuſe illuſtre & Ancienne :
D’ou, ſans ceſſer, par Cent Maiſtreſſes Portes
On voit ſortir Biens de diverſes ſorteſ :
Car tous les jours, plus de deux cens Chartées
Par chaſque Porte, en ſont hors tranſportées.
Et pour le tout en brief propos reſouldre,
Quand tout le Sable, & la terreſtre Pouldre
Seraient nombrez, & que l’on m’Offriroit
Autant de bien, cela ne ſuffiroit.
Impoſſible eſt que ie ſoys jamais aiſe,
Ne que mon Ire encontre luy ſ’appaiſe,
Iuſques a tant que ie voye la Peine
Correſpondant à l’Injure inhumaine.
    Tu m’as touché encores ce me ſemble
Ung aultre poinct, c’eſt de nous joindre enſemble,
En eſpouſant quelcune de ſes Filles,
Qu’il dict avoir Pudiques & Gentilles.
Certainement quand ſa Fille ſeroit.
Comme il la vente, & quelle paſſeroit
Venus Dorée, en parfaicte Beaulté,
En diligence, Honeur, & Chaſteté
Dame Pallaſ : Point ne fault qu’il eſpere
De ſe nommer à jamais mon Beau pere.
Cherche ſ’il veult en Grece aultre perſone
De ſon Calybre, & ſa Fille luy donne.
Car de ma part, ſi les Dieux me permettent
D’aller chez moy, ainſi qu’il me promettent,
Par le vouloir de Peleus j’auray
Femme pour moy, que lors j’Eſpouſeray.
En Achaie & Phthie eſt grand foiſon
De Riches Roys : aians en leur Maiſon
Mainte Pucelle, & qui prendront plaiſir,
Que l’en puiſſe une à mon ſouhait choiſir.
Ce que veulx faire, eſtimant mieulx de vivre
En paix ainſi, & ma Volupté fuyure,
Qu’à l’advenir à mon treſgrand Dommage
Mourir en Guerre, en la fleur de mon eage.
Tous les grands Biens, les joyaulx, la Richeſſe
Qui fut à Troie, avant qu’on vint de Grece
Pour l’aſſieger Tout le Meuble ſacré
Qui eſt au temple à Phœbus Conſacré,
N’eſt ſuffiſant à reparer ma Vie,
Si hors du Corps m’eſt une fois Ravie.
Beufz, & Moutons, Trepiers, Choſes ſemblables


Et grandz Courſiers ſont touſjours recouvrables.

Mais l’Ame humaine alors qu’elle eſt partie,
Iamais ne tourne au Corps d’ou eſt ſortie.
Thetis ma Mere aultrefois m’a compté,
Que ie ne puis de mort eſtre exempté :
Et que ma vie a eſté aſſignée
De prendre fin, par double Deſtinée.
Si ie demeure icy faiſant la Guerre,
Ie pourray Gloire immortelle conquerre.
Mais j’y mourray. Et ſi ie m’en retourne
En ma Maiſon : & que la ie ſejourne,
Mes ans ſeront tres longs, vivant en Heur,
Mais deſpouillé de Gloire & grand Honeur
Quant eſt à moy, j’ay adviſé de prendre
Ce ſeur Party, ſans rien plus entreprendre.
Et m’eſt advis que vous ſeriez treſbien
De faire ainſi, veu que n’avancez rien :
Et que l’on a l’Eſperance perdue,
Que Troie ſoit entre voz mains rendue.
Meſmes voyant Iuppiter & les Dieux,
À la garder eſtre ſi curieux.
Donques amys Ajax, & Vlyſſés,
Allez vous en, & icy me laiſſez.
Allez vous en pour les Grecs advertir
De ma Reſponce, & de mon Departir.
À celle fin que les plus Vieulx adviſent
Quelque aultre Voye & mieulx leurs faictz con-
Recognoiſſans qu’ilz n’ont rien avancé, (duiſent
Depuis le temps que ie fus offenſé.
Le viel Phenix ceſte Nuict à dormira
Dedans ma Tente, & Demain ſ’en ira
Avecques moy : au moins ſ’il veult venir,
Pas ne ie veulx maulgré luy retenir.


    De l’Oraiſon ſi Bruſque & du Refuz


Furent les Roys eſtonnez & conſuz
Par ung long temps : mais Phénix le prudent,
Qui diſcouroit le peril evident
De tout le Camp, jectant la Larme tendre
Recommenca. S’il ne te plaiſt entendre
(Ô Prince illuſtre) au ſalut de l’Armée :
Et que tu as ceſte Ire confermée
Et ton eſprit y voulant la Mer paſſer :
Helas comment me pourras tu laiſſer
Mon tres cher Filz ? moy qui te fus donné
Pour Conduſteur quant tu fus cy mené.
Le propre jour que Peleus permit
Ton partement, deſlors il me commiſt
Aupres de toy, pour ta jeuneſſe inſtruire,
De ce que peut à jeune Prince duire :
En te faiſant de parole & de faict,
Vaillant en Guerre & Orateur parfaict
L’Adoleſcence aſſez flexible & tendre,
Ne povoit pas trop bien ces poinctz entendre
Sans Precepteur : auſſi ces dons ſuffiſent
À ung bon Prince, & tres fort l’auctoriſent.
Doncques ayant eu de toy charge expreſſe,
Eſt il poſſible (Ô Filz) que ie te laiſſe ?
Certes nenny. Non quand les Dieux haultains
Qui ſont touſjours, en leur conſeil certains,
Me promectroient de faire Rajeunir
Ce Corps la Vieil, & du tout revenir
Tel qu’il eſtoit, lors que ie fus forcé
D’habandonner mon Pere courroucé,
Dict Amyntor & les biens qu’il tenoit
Dedans Hellade, ou pour lors il regnoit.
Le Courroux vint par une Damoiſelle
Qu’il cheriſſoit tres gratieuſe & belle,
L’entretenant trop mieulx que ſon Eſpouſe.
Surquoy ma Mere indignée & jalouſe,
Qui bien l’amour du Mary cognoiſſoit,
À joinctes mains, tous les jours me preſſoit
De me vouloir de la Dame approcher,
Tant que ie peuſſe avec elle coucher :
À celle fin que la faulte cognue,
Iamais ne fuſt du Pere entretenue.
Ce que ie feis. À ma Mere obey.
Dont Amyntor fut bien fort eſbahy.
Et du courroux qui pour lors l’agita,
Deſſus mon Chef grands Mauldiſſons jecta
En invoquant les Furies damnables,
Et prononçant pluſieurs motz excecrables.
Entre leſquelz, il pria que ie feuſſe
Du tout ſans Hoirs : & que jamais ie n’euſſe
Aulcuns Enfans, au moins qu’il deuſt porter
En ſon Giron, ou les faire allaicter.
Si croy pour vray que ſa Plaincte dreſſée,
Fut de Pluton ouye & exaulcée.
Parquoy ſaichant ſa Malédiction,
Soubdainement j’euz ferme intention
De le laiſſer : & de ne me tenir
En ſa Maiſon, quoy qu’il deuſt advenir.
Mes Compaignons, mes Amys, mes Voiſins,
Mes Alliez, & bien proches Couſins
Voyans cela, ne ceſſoient de taſcher
Par tous moyens, mon deſpart empeſcher.
Et pour ce faire, ilz adreſſoient leurs veux
Aux Dieux haultains, immolans Brebiz, Beufz,
Et gras Pourceaulx, leſquelz ilz roſtiſſoient
Commodement, & puis ſ’en nourriſſoient :
Beuvans du Vin ſouef à grand foiſon,
Que le Vieillard avoit en ſa Maiſon.
Encores plus par neuf entieres Nuictz,
Feirent bon Guet, ayans fermé les Huyſ :
Veillans par ordre en la Court, en la Porte
Du grand Palais, afin que ie ne ſorte.
Finablement leurs grands Feuz allumez
Leur Vigilance & Guetz accouſtumez,
Furent perduz. Car la dixieſme Nuict
Ie m’en fouy, & forty hors ſans bruyt.
Sans que Valetz, Chambrieres, ou Garde,
De mon depart : ſe print aulcune garde.
Eſtant dehors ie traverſay les Landes
De mon Pays, bien fertiles & grandes.
Et m’en vins droict ton bon Pere trouver,
Qui me receut. Et pour mieulx approuver
En mon endroit ſa bonne affection,
Soubdain il meit en ma poſſeſſion
Pluſieurs grands biens, & me feit Gouverneur
De Dolopie. au reſte tant d’Honeur,
Tant de Faveur, & de benivolence,
Qu’à ung Enfant yſſu de ſa ſemence.
En ce temps la, Achillés tu naſquiſ :
Parquoy ie fus de Peleus requis,
Bien toſt aprés de ſoigner & d’entendre
À gouverner l’Enfance encores tendre :
Ce que ie feis. Ta force incomparable,
Et ce beau Corps, aux celeſtes ſemblable,
Au prés de moy à prins nourriſſement.
Puis eſt venu à tel accroiſſement.
Ie t’ay nourry, non ſeulement Pourtant
Que ie t’ay mois, mais tu m’eſtois portant
Si grand Amour, qu’il eſtoit impoſſible
Qu’on te rendiſt voluntaire & flexible,
À rien qui fuſt, ſi de moy ne venoit.
Si quelque fois ſoupper on te menoit
Hors mon Hoſtel, on travailloit en vain :
Rien ne mengeois qui ne vint de ma main.
Qui te vouloit rendre amiable & doulx,
Il te faloit mectre ſur mes Genoux.
Si ie voulois rien te faire gouſter,
Il me faloit en maſcher & taſter.
Et bien ſouvent du Vin à toy baillé,
En vomiſſant m’as l’eſtomach ſouillé
Ainſi que ſont les petitz Enfancons
À leur Nourrice, en diverſes facons.
Tous ces travaulx de bon cueur j’enduroye
En te ſervant Car ie conſideroye,
(Eſtant ainſi privé de geniture)
Que j’eſtois Pere, au moins par Nourriture.
Et que j’aurois (advenant la Vieilleſſe)
Appuy tres ſeur en toy, pour ma foibleſſe.
Ce brief diſcours que t’ay voulu compter,
N’eſt ſeulement que pour t’admoneſter,
Mon tres cher Filz, & prier qu’il te plaiſe
Dompter ton Cueur, & ceſte Ire maulvaiſe.
Les immortelz (leſquelz ont leur Nature
Plus noble en tout que n’a la Créature)
Eſtans priez des humains, condeſcendent
À leur requeſte, & placables ſe rendent.
Et n’eſt Peché ou grand Faulte commiſe,
Qui ne leur ſoit (en les priant) remiſe.
    Tu doibs ſcavoir (mon Filz) que les Prieres
Oraiſons ſont Filles droicturieres
De Iuppiter, ſuivans par tout l’Injure,
Laquelle eſt bien plus Robuſte & plus Dure
Qu’elles ne ſont. Car la Priere eſt Louſche,
Boiteuſe, & Foible : & l’Injure eſt Farouſche,
Et bien allant tellement qu’elle avance
Plus de Chemin, & touſjours les devance.
Lors pas à pas les Foiblettes la ſuyvent.
Et ſ’il advient qu’en meſme lieu arrivent,
Et quelles ſoient de bon cueur acceptées
Du perſonage auquel ſont preſentéeſ :
Incontinent à Iuppiter ſupplient
En ſa faveur, & à ſon Gré le plient.
Ei au rebours ſi l’on faict plus de compte
De ceſte injure, elles pleines de Honte
De leur Rebut, vont le tout rapporter
Aux Dieux haultainſ : les prians qu’arreſter
Facent l’Injure, en la propre Maiſon
De c’il qui n’a ouy leur Oraiſon.
Certes mon Filz, tu doibs pour le devoir
De ton Honeur, ces Dames recevoir.
Meſmes voyant les Preſens de valeur,
Qui à l’accord donnent plus de Couleur.
Quand noſtre Chef ſerait Opiniaſtre,
Tenant ſon Cueur, & tant Acariaſtre,
Qu’il ne vouldroit à toy ſ’humilier,
Ne par beaulx Dons te reconcilier :
Ie n’oſerois te conſeiller de faire
Rien pour les Grecs, tant fuſt urgent l’Affaire.
Mais quand ie voy l’Offre ſi belle & grande,
Et le deſir dont ton Amour demande,
Il m’eſt advis que tu ſeras treſbien,
De t’adoulcir, & ne reffuſer rien.
À quoy te doibt induire la Proueſſe
De ces deux Roys, les plus nobles de Grece :
Qui ſont venuz vers toy Ambaſſadeurs.
Quand ne ſeroit que pour les Demandeurs,
Leur dignité requiert bien que l’on face
Pour eulx grand choſe, entretenant leur Grace.
À celle fin qu’apres on ne te nomme,
Ung Deſdaigneux & trop Arrogant homme.
Au temps paſſé les Heroes antiques,
Si d’adventure avoient Noiſes ou Piques
Contre quelzcuns, en fin avec le temps
Ilz ſ’appaiſoient, & demeuroient contens.
Et bien ſouvent par Priere ou par Don,
À l’Ennemy faiſoient Grace & Pardon.
Il me ſouvient d’une Hiſtoire notable
À ce propos, & qui eſt véritable,
Que ie te veulx (au moins ſ’il m’eſt permis)
Ores compter, & à vous mes Amys.
Les Curetois contre ceulx d’Etolie,
Qui deſendoient Calydon aſſaillie,
Feirent jadis la Guerre autant mortele
Qu’il en fut onc & de Furie telle;
Qu’on veit par Mort beaucoup d’Hommes failliz
Des Aſſaillans, & plus des aſſailliz.
Mais pour vous faire au vray la Source entendre
De ceſte Guerre, il fault le compte prendre
Ung peu plus haute. En Calydon regnoit
Oeneus ung bon Roy, qui donnoit
De ſes beaulx Fruictz chaſcun an les Primices
Aux Immortelz, leur faiſant Sacrifices.
Or il advint (ou bien par ſon vouloir,
Ou par oubly ) qu’il meit à nonchalloir
Diane chaſte, & ne luy feit offrande :
Dont ellcprint Indignation grande
Encontre luy : & pour bien le punir,
Feit ung Sanglier dedans ſes Champs venir
Horrible & fier, qui luy feit grand dommage :
Tuant ſes Gens & gaſtant le Fruictage.
Maintz beaulx Pommiers, maintz Arbres reveſtuz
De Fleur & Fruict, en furent abbatuz.
Et de ſa Dent aguiſée & poinſtue,
Le Bled gaſté, & la Vigne tortue,
Meleager le Filz de ce bon Roy
Voyant ainſi le piteux Deſarroy
De ſon Pays, & de ſa Gent troublée,
Propoſa lors de faire une aſſemblee
De bons Veneurs, & Levriers pour chaſſer
L’horrible Beſte, & ſa Mort pourchaſſer.
Ce qui fut faict maintes Gens ſ’y trouverent :
Qui contre luy ſes Forces eſprouverent.
Mais à la fin, le Sanglier inhumain
Receut la Mort de ſa Royale main.
Eſtant occis, deux grandes Nations
Pour la Deſpouille, eurent contentions.
Les Curetois diſoient la meriter,
Ceulx d’Etolie en vouloient heriter.
Voila d’ou vint proprement la Querele,
Qui meut entre eulx ceſte Guerre cruele.
    Doncques eſtant Calydon aſſiegée
Des Curetois elle fut ſoulagée
Par la vertu du preux Meleager,
Par quelque temps. Et n’oſoient ſe bouger
Les Aſſiegeans (bien qu’ilz feuſſent grand nombre)
Craignans ſouffrir par luy mortel encombre.
Mais il advint que Fureur & Courroux
(Qui ſont aigrir les eſpritz bons & doulx
Des plus conſtans) dedans ſon Ame entrerent
Soudainement, & ſi tres fort l’oultrerent,
Qu’il propoſa de mectre ius les Armes,
Sans plus hanter les Combatz & Alarmes.
Cette Colere ainſi chaulde & amere,
Vint du debat qu’il eut avec ſa Mere
Dicte Althea : laquelle eſtoit dolente
Que ſon Enfant euſt par Mort violente
Son Frere occis. Dont elle ſ’eſcrioit,
Baiſant la Terre : & à Pluton prioit
Qu’a ſon dict : Filz, pour la faulte punir,
Luy deuſt ung jour mort pareille advenir.
    Meleager adverty de cecy,
En avoit prins tel Deſpit & Soucy,
Qinl n’alloit plus en Guerre ne venoit,
Ains Solitaire en l’Hoſtel ſe tenoit :
Accompaigné de ſon Eſpouſe amable
Cleopatra de beaulté admirable.
    Cleopatra fut Fille de Marpiſe
La belle Nymphe aymée & puis conquiſe
Du Dieu Phoebus, vers lequel ſon Mary
Dict ldeus (trop jaloux & marry)
Oſa jadis le Combat entreprendre,
À tout ſon Arc, pour la luy faire rendre :
Mais il ne ſceut contre Phœbus ouvrer
Si bien, qu’il peuſt ſa Femme recouvrer.
Dont ſes Parens jecterent Larmes mainteſ :
Meſmes la Mere. Et teſmoignant ſes plaintes,
Voulut qu’il fuſt ung nouveau Nom donné
À la Ravie; & dicte Alcyoné.
    Or pour venir à mon premier Propos,
Meleager ſe tenant en Repos,
Les Ennemys cognoiſſans ce Default,
Soubdainement livrerent ung Aſſault
À Calydon, battans les Tours, les Portes,
Et ſ’efforceans d’entrer par toutes fortes.
Dont les plus grands de la poure Cité
(Eſtans reduictz à la neceſſité
D’eſtre forcez) Meleager prierent
De leur aider : mais point ne le plierent.
Par devers luy vindrent auſſi les Preſtres,
Le ſupplier en faveur de leurs Maiſtres :
En luy offrant une grand Portion
De leurs beaulx Champs, à ſon Election.
Aprés ceulx la, Oéneus ſon Pere
Vient à ſon Huys, & convertir l’Eſpere.
Par devant luy ſe mect à deux Genoux,
Et luy requiert de laiſſer ce courroux,
Pour ſecourir la Ville la perdue :
Mais point ne fut ſa Priere entendue.
Autant en feit ſa Mere, à joinctes mainſ :
Tous ſes Amys, tous ſes Freres germainſ :
Mais on ne ſceut ſi bien ſon Cueur ployer,
Qu’il ſe voulut à leur aide employer.
    Ce temps pendant les Ennemys paſſerent
Sur la Muraille & la Cité forcerent,
Et ne fut lors cruaulté delaiſſée :
Telle qu’on faict en Ville ainſi forcée.
    Adonc ſa Femme oyant la Crierie,
L’effroy piteux, le Feu, la Tuerie
    Des Citoiens, toute deſchevelée
Vers ſon Mary, à grand courſe eſt allée.
Ô cher Eſpoux (diſoit elle en pleurant)
Ie te ſupply ſaulve le demourant,
Qui eſt petit. La les Peres & Filz,
Ieunes, & Vieulx, ſont mortz & deſconfitz.
Et ſ’il y a Femmes encores vives,
On les emmeine Eſclaves & Captives.
Meleager oyant ceſte parole,
Tout enflammé, & plein de Chaulde cole,
Subitement prend ſes Armes & fort,
Et faict ſi bien qu’il chaſſe ou met à Mort
Les Ennemys, & la Ville ſaulva.
Mais touteſfois, trop bon on ne trouva
Le ſien Secours, comme eſtant tard venu :
Et qu’il avoit aidé & ſubvenu.
Aux Etoliens non pas à leur requeſte,
Mais au Deſſeing & vouloir de ſa Teſte.
Las Dieu te gard (Achillés) de penſer
À faire ainſi de nous, & nous laiſſer
Iuſqu’au Beſoing la l’eſprit qui te meine,
Ne le permecte. Helas quelle grand peine
Ce te ſeroit, en voyant le Feu mis
En nos Vaiſſeaux, & puis les Ennemys :
Nous découper. Certes ton grand Effort
Serviroit peu à noſtre Reconfort.
Il vault trop mieulx (mon Filz) que tu t’eſforces
Preſentement, à employer tes Forces,
Pour le ſalut de la dolente Armée :
Tant pour les Dons, que pour la Renommée
Qui t’en viendra. Car ſi tu veulx attendre
Encor plus tard, avant que les defendre :
De ton Secours & tardiſve defence,
Iamais n’auras Honeur ne Recompence.
    À tant ſe teut Phénix le Gouverneur.
Lors Achillés reſpondit. De l’honeur
Dont as parlé & des Biens qu’on preſente
Ie n’ay beſoing. Aſſez ie me contente
Que mon Honeur, ma Gloire, ma Louange
Viennent de Dieu, qui mon Injure venge.
Il me ſuffit de la Faveur Divine
Que ie recoy. Parquoy ie determine
Me gouverner ſelon ſa volunté.
Tant que ce Corps pourra eſtre porté
De mes Genoux. Tant que l’Ame & le Corps
Demeureront en leurs premiers Accordz,
Veu ne ſera, que de mes Nefz ie ſorte
Pour ſecourir les Grecs en quelque ſorte.
Et quant à toy (Ô bon Phénix) eſcoute
Mon jugement & dans l’eſprit le boute.
Il m’eſt advis que tu n’as poinct Raiſon
De me prier, par exquiſe Oraiſon
Et triſte Pleur, moy qui ſuis ton Amy,
Voulant complaire à mon grand Ennemy.
Plus beau ſeroit à toy, plus raiſonable
De te monſtrer Amy, & ſecourable
À ceulx que j’ayme, & de ſuyure mon gré.
Veu meſmement noſtre Eſtat & degré,
Qui eſt pareil poſſedans par moitié
Tous noz grans biens, en entiere amitié.
Au demourant ces deux Princes iront
Faire Reſponce aux Grecs, & leur diront
Ma volunté : & toy ne bougeras
D’auecques moy, mais icy logeras,
Pour ceſte Nuict. Et quant l’Aube viendra,
Entre nous deux adviſer conviendra
Du partement ou de noſtre Sejour,
En attendant plus convenable jour.
    Diſant ces motz, à Patroclus feit ſigne
De faire ung Lict : pour le Vieillard inſigne :
Beau & mollet, afin qu’il repoſaſt,
Et qu’au partir deſja ſe diſpoſaſt.
    Le Preux Ajax Telamon cogneut bien,
Oyant cela, qu’on ne profitoit rien
À le prier : ſi dicta Vlyſſés,
Allons nous en mon Amy, ceſt aſſés.
Ie ne voy point qu’on puiſſe mectre fin
À ce Propos. Allons nous en, afin
De raporter aux Roys qui nous attendent,
Noſtre Reſponce, aultre qu’ilz ne pretendent.
Ceſt Homme cy eſt ſans Raiſon, ſans Honte :
Plein de Superbe, & qui ne tient plus Compte
De ſes Amys. En Reſolution
De fuyure en tout ſa folle Intention.
Il ſ’eſt trouvé pluſieurs grans Perſonages,
Ayant ſouffert execrables Oultrageſ :
Iuſques à veoir, par Excez inhumains,
Leurs Filz occiz, & leurs Freres germainſ :
Qui touteſfois ont pardonné l’Offenſe,
Par doulx parler, ou priſe Recompenſe.
Voire ſi bien qu’ilz ont veu voluntiers,
Avec le temps, au prés d’eulx les Meurtriers.
Les Immortelz (Achillés) t’ont oſté
Ceſte Doulceur & Debonnaireté
Qui ſans avoir grande Injure ſoufferte
Mort de Parent, ou aultre grieſve Perte.
(Fors ſeulement d’une ſimplette Femme)
Si grand Fureur as logée en ton Ame.
Et pour laquelle on t’en preſente & donne
Iuſques à Sept, & la meſme Perſone.
L’accompaignant, pour mieulx te contenter,
De ſi beaulx Dons qu’on pourroit ſoubhaiter.
Ie te ſupply (dict Achillés) adviſe
À ce deſſus, & tant ne nous meſpriſe.
Garde le droict de l’Hoſpitalité
Que tu nous doibs : penſe à la qualité
De ceulx qui ſont Ambaſſadeurs tranſmis,
Qui ont eſté touſjours tes bons Amys.
    Le Remuant Achillés reſpondit :
Divin Ajax, tout ce que tu m’as dict :
Me ſemble bon, & voy bien qu’il ne vient
Que d’Amitié mais quand il me ſouvient
Du Tort ſouffert par moyen ceſte Guerre :
Si grand Colere alors le Cueur me ſerre,
Que ie ne puis mon Ire contenir.
Meſmes voyant qu’on m’a voulu tenir
Comme ung Banny, taſchant à deſpriſer
Moy, qu’on devoit ſur tous auctoriſer.
À ceſte cauſe, Amys, ſans plus contendre,
Allez vous en, faictes à tous entendre
Ma Volunté : C’eſt que ie ne propoſe
Pour les Gregeois jamais faire aultre choſe.
À tout le moins juſque à ce que ie voye
Le fort Hector, & les Souldards de Troie,
Mectre le Feu aux Pavillons & Nefz
Des Myrmidons, &les Grecs ruinez
Tout à l’entour de ma Tente. Combien
(À mon advis) qu’Hector ne ſera rien :
Et n’oſera ſ’en approcher, de Craincte
D’y recevoir quelque mortele Attaicte.
Ainſi parla. Sur quoy la noble Troupe
Chaſcun à part, prend une ronde Coupe,
Boyvent ung peu, le demourant reſpandent :
L’offrant aux Dieux, auſquelz ſe recommandent.
Puis Vlyſſés, comme le plus ſcavant,
Prend ſon Congé, & ſe met tout devant.
    Ce temps pendant, on dreſſe promptement
Ung tres beau Lict, accouſtré gentement
De Materas, de Linge, & de Courtine
Tres deliez, & d’une Panne fine
Pour Couverture; auquel Phénix ſe meit
Sans Compaignie, & tres bien ſ’endormit.
    Bien toſt aprés, en une Riche Couche,
Le Vaillant Grec ſe repoſe & ſe Couche.
Avec lequel, pour prendre ſes Eſbas,
S’en vint Coucher la Fille au Roy Phorbas,
(Roy de Leſbos) dicte Diomedée,
Pour ſon beau Tainct : de pluſieurs regardée.
    Son Compaignon pour avoir ſon Délict,
Semblablement ſe meit dedans ung Lict :
Et avec ſoy pour Dormir amena
La belle Iphis, qu Achillés luy donna,
Lors que Scyros la Cité bien conſtruicte,
Par ſon Effort fut pillée & deſtruicte.
    En peu de temps les Princes arriverent
Au Camp des Grecs : & le Conſeil trouverent
Encor enſemble, en la Royale Tente.
À leur venue ung chaſcun leur preſente
Du Vin à boire, en mainte riche Taſſe.
On les ſalue, on leur offre une Place.
Voulans avoir la Cognoiſſſance entiere
De leur Exploict, & Fons de la Matiere.
    Adonc le Chef à Vlyſſés ſ’adreſſe,
En luy diſant. Ô Gloire de la Grece
Noble Vlyſſés, ie te pry nous compter,
Si Achillés veut noz Dons accepter.
Quel bon Rapport, quelle bonne Eſperance
Nous portez vous, de noſtre Delivrance.
À il dompté ſon Courage ſevere
Encontre nous, ou bien ſ’il perſevere.
    Puis qu’il convient que le vray ie te dye :
Son Ire n’eſt morte ne refroidie
(Dict Vlyſſés) ains tous les jours augmente
De plus en plus, & ſe faict vehemente.
À ton Amour, à tes Dons il renonce.
Et qui pis eſt, il nous a faict Reſponce,
Si bon te ſemble, adviſer de toy meſme,
À te tirer de ce Danger extreme.
Et que demain venant l’Aube du jour
Il partira (ſans plus faire ſejour)
De ce Pays. En nous admoneſtant,
De noſtre Part en vouloir faire autant :
Puis qu’on ne peut trouver aulcune yſſue
De ceſte Guerre, en Miſere tiſſue :
Et que les Dieux propoſent ſecourir
Ceulx de Phrygie, & nous faire mourir.
Le Preux Ajax & les Heraulx enſemble
Teſmoigneront cecy, ſi bon leur ſemble :
Ayans ouy tout le Propos tenu.
Quant à Phenix, il eſt la retenu
Par Achillés, en ſon Lict dormira :
Et puis ſ’il veult aucy luy ſ’en ira.
Non que par luy ſoit contraint du deſpart
S’il ny conſent, comme il dict de ſa Part.
    Les Princes Grecs & toute l’aſſemblée
Fut grandement eſbahie & troublée,
Oyans cela : & furent long Eſpace
Sans dire mot, & ſans haulſer la Face :
Iuſques à tant que le Grec d’excellence
Diomedés va rompre le Silence.
    Agamemnon tu ne fus pas bien Sage,
De luy tranſmectre Ambaſſade ou Meſſage
Pour le prier, & Dons luy preſenter.
Il eſt Superbe, &tu l’as faict monter
Encores plus par ta Legation,
En grand Orgueil, & vaine Elation.
Laiſſons le la, qu’il voiſe ou qu’il demeure,
Il combatra lors que viendra ſon heure :
Et que les Dieux gueriront ſa Penſée,
Qui eſt ainſi de Fureur oppreſſée.
Quant eſt à nous finiſſans ce Propos :
Allons Repaiſtre, & prendre le Repos.
Demain matin lors que l’Aube viendra,
Chaſcun de nous en Armes ſe tiendra
Devant les Nefz : tant la Chevalerie
Et Chariotz, que noſtre Infanterie.
La te fauldra Agamemnon monſtrer
Ta grand Vaillance, & ſi bien t’accouſtrer
Que l’on te voye aux premiers Rencz Combatre
Et les Troiens deſconfire & abbatre.
    Ainſi parla, dont il fut bien loué,


Et ſon Conſeil des Princes advoué.

Suyuant lequel chaſcun d’eulx ſe retire :
Et va dormir en ſa Tente ou Nauire.



FIN DV NEVFIESME
LIVRE.



LE DIXIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




LES PRINCES GRECS en leurs Vaiſſeaulx ſe meirẽt
Pour repoſer, & tresbien ſ’endormirent.

Agamemnon plein de ſoucy paſſe la nuict ſans dormir.

Agamemnon ſeul ayant la Penſée

De grief Soucy durement oppreſſée,


Fut ſans Repos. Et comme on voit ſouvent


Tonner, Plouvoir, Greſler, faire grand Vent,
Et Eſclairer, quand Iuppiter fouldroye,
Ou quand la Neige en ces bas Lieux envoye.
Ne plus ne moins ſortoient Souſpirs, Regretz,
De l’Eſtomach du grand Paſteur des Grecs :
Son Ctjeur trembloit, & l’Ame tres dolente
Sentoit en ſoy Angoiſſe violente
Meſmes alors que ſon Regard jectoit
Au Camp Troien, qui gueres loing n’eſtoit :
Ou il voyoit de grandz Feuz alumez,
Oyoit grand Bruict, Criz non accouſtumez,
Et les Haulxboys, & Fleuſtes qui ſonnoient,
Dont tous les Lieux prochains en reſonoyent.
D’aultre part, quand il tournoit la Veue
Deſſus ſa Gent, Crainctiſve & deſpourveue,
Qu’il contemploit mornes, & endormis,
Et preſtz à cheoir es Mains des Ennemyz,
Douleur griefue qui le faſchoit,
Tous ſes cheveux de la Teſte arrachoit
Tendant les Mains, invoquant Iuppiter,
Pour à pitié le cuyder inciter.
    En ce Combat d’Eſprit inſupportable,
Il luy ſembla que le plus proufitable
Seroit d’aller prompteinent eſveiller
Le Viel Neſtor, ſon prudent Conſeiller,
    Et avec luy faire quelque Ouverture
De bon Conſeil, affin que la Rompture
Qu’il craignoit tant, fuſt ailleurs deſtournée,
Et que ſa Gent ne fuſt exterminée.
    Eſtant debout, il prend ſon Veſtement
Accoutumé, & chauſſe promptement
Ses bons Souliers. Aprés cela il charge
Sur ſon Eſpaule une Peau belle & large
D’ung grand Lion traynant juſques en Terre :
Puis prend ung Dard, & ceint ſa Cymeterre.
    Ce temps pendant que ce Roy ſ’acouſtrois,
Menelaus d’aultre coſté n’eſtoit
Moins ſoucieux, ains de Craindte & de Dueil
Qui le tenoit, ne peult onc clorre l’Oeil :
Conſiderant le perilleux Danger
De tant de Grecs, leſquelz pour le venger
Avoient paſſé la Mer, faiſans la Guerre
Aux fortz Troiens, y penſans Gloire acquerre.
Adonc ſe leve, & deſſus ſon Corps mect
Son bel Harnoys, & au Chef ſon Armet.
Sur le Doz prend la Peau d’ung Liepard,
La Lance en Main, puis ſoudainement part,
Et ſ’en va droict aux Vaiſſeaux pour trouver
Agamemnon, & le faire lever.
Si le trouva ainſi qu’il achevoit
De ſ’abiller. Son Frere qui le voit
En eſt joyeux : Menelaus ſ’avance
Au prés de luy, & a parler commance.
    Mon Frere Aiſné, Qui te faict entreprendre
Preſentement ainſi les Armes prendre ?
Vouldroys tu point quelque Grec inciter
D’aller de Nuict les Troiens viſiter
Comme Eſpyon ? ie doubte grandement
Qu’on n’obeyſſe à ton commandement.
Et ſ’il advient que quelcun le parface,
Dire le fault Homme de grande Audace.
    Agamemnon reſpondit lors, Mon Frere
Et toy de moy avons tres grand aſfaire
De bon Conſeil, pour noz Gens ſoulaiger
Et preſerver les Vaiſſeaulx de danger.
Meſme voyant que Iuppiter ſ’adonne
Aux Ennemys, & qu’il nous habandonne.
Ie n’ay jamais veu ny ouy compter,
Qu’ung Homme ſeul peuſt tant executer
De Vaillantz Faictz, comme par ſa Proueſſe
À faict : Hector au jourdhuy ſur la Grece.
Il n’eſt de Dieu ny de Deeſſe Filz,
Et touteſfois il nous a Deſconfitz.
Et croy pour vray qu’aux Gregeois ſouviendra
De ceſt Effroy tout le temps qui viendra,
Ie ſuis d’advis doncques que tu t’en voiſes
Diligemment juſques aux Nefz Gregeoiſes
Devers Ajax & le bon Roy de Crete :
Pour les prier tous deux a ma Requeſte,
De ſ’en venir au Conſeil. Ie verray
D’aultre coſté, ſi mener ie pourray
Le Viel Neſtor juſques au Guet : pour veoir
Comme on pourra a noſtre Faict : pourveoir.
Son Filz eſt Chef, avec Merionés,
De ceulx qui ſont pour le Guet ordonnez.
Et penſe bien qu’aulcun d’eulx ne fauldra
D’executer ce que Neſtor vouldra.
    Menelaus dict : lors. Ie te demande,
Quand j’auray faict : ce que ton Vueil commande :
Ne veulx tu pas que vers toy ie retourne
Incontinen ou que la ie ſejourne
Les attendant, pour avec eulx venir ?
    Il vauldra mieulx au prés d’eulx te tenir,
Afin (dict il) que nul ne ſe forvoye,
S’il aduenoit qu’ilz prinſſent aultre Voye,
Car en ce Camp y a pluſieurs Sentiers,
Qui leur ſeroient tenir divers Quartiers.
Oultre cela le te veulx conſeiller,
Qu’en t’approchant d’eulx pour les eſveiller,
Tres humblement & a Voix doulce & baſſe
Nommes leur Nom, leur Eſtat, & leur Race,
Sans leur tenir Propoz Audacieux,
Ains tout Courtois, Begnin & Gracieux.
Il nous convient toy & moy travailler
De faire ainſi, & nous appareiller
Doreſnavant, à mainct Faict indécent.
Puis que le Dieu Iuppiter ſ’y conſent.
    Agamemnon ayant ſi bien inſtruict :
Menelaus, part doulcement ſans Bruyct
Et va ſi bien qu’il arrive en peu d’heure
Dedans la Tente, ou faiſoit ſa demeure
Le Roy Neſtor. Adone ſ’eſt approché
Du bon Viellard, lequel trouva Couché
Dedans le Lict. Son Harnoys reluyſant,
Son bel Armet, deux Dardz, l’Eſcu peſant
Eſtoient au prés, & la riche Ceincture,
Dont il ſe ceinct : quand il prend ſon Armure,
    Menant aux Champs les Grecs d’ardant Courage,
Sans ſuccomber ſoubz le Faix du viel Eage.
    Neſtor ſentant de ſon Lict approcher
Agamemnon, & coyement Marcher;
Haulſa la Teſte, & l’ayant appuyée
Deſſus ſon Coulde, en Perſone ennuyée,
Luy dict ainſi. Qui es tu, qui de Nuict :
Vas ainſi ſeul par ce Camp, qui te duict :
Dedans ces Nefz ? Qui t’a en queſte mys,
Voyant ainſi les aultres endormys ?
Cerches tu point ores quelque Mulet ?
Tes Compaignons t’ont ilz laiſſé ſeulet,
Les cerches tu ? dy moy quelle Fortune
T’ameine icy a ceſte Heure importune ?
Si rien te fault ne le vueilles celer,
Et ne l’approche autrement ſans parler.
    Ô Roy Illuſtre, Ô la Gloire, & Renom
De tous les Grecs, ie ſuis Agamemnon,
Agamemnon Dolent & Malheureux :
Que Iuppiter Cruel & Rigoreux
À tant chargé de Honte & Vitupere,
Qui rien que mal de ma Vie n’eſpere.
Ie viens a toy, pource que ie ne puis
Prendre Repoz en l’eſtat que ie ſuis.
L’extreme Soing, le Soucy nom pareil
Que j’ay des Grecs, m’empeſche le Sommeil.
Et ſuis conduit à telle Honte & Craincte
Que mon Cueur tremble, & mon Ame eſt attaincte
De Deſeſpoir puis les jambes me faillent,
Pour les Doleurs qui mon las Cueur aſſaillent.
À ceſte cauſe, Amy, & que ie voy
Que tu ne dors ainſy non plus que moy,
Ie te ſupply d’adviſer le moyen,
De nous ſaulver de ce Peuple Troien.
Sus, leive toy. Et puis ſi bon te ſemble)
Allons nous en juſques au Guet enſemble,
Afin de voir ſi les Souldards laiſſez
Pour ceſt Effect ſont endormyz, laſſez
Du grand Travail. Las, noz Ennemyz ſont
Bien prés de nous, & ne ſcavons ſ’ilz ont
Quelque vouloir ceſte Nuict : nous ſurprendre,
Sans qu’on ſe puiſſe aulcunement defendre.
    Ainſi parla. Surquoy le Roy Neſtor,
Luy reipondit : Penſes tu bien qu’Hector,
De Iuppiter ſoit tant favoriſé,
Qu’il mette a fin ce qu’il a deviſé ?
Nenny Nenny, ie penſe quant à moy,
Qu’il eſt luy meſme en grand peine & eſmoy
Pour Achillés, & doubte qu’il l’appaiſe
Aveques toy, laiſſant l’Ire maulvaiſe.
Au demeurant ie m’appareilleray,
Pour te ſuyvir & ſi eſveilleray,
Aveques toy, Vlyſſés le ſubtil
Diomedés le fort, Megés gentil,
Et le ſecond Ajax dict Oilée,
Dont la proueſſe eſt en Grece extollée
Or pleuſt aux Dieux que quelcun ſ’en allaſt
Devers le grand Ajax, & l’appellaſt.
Idomenée & luy ont leurs grans Tentes,
Aſſez de nous loingtaines & diſtantes.
Que n’eſt venu Menelau icy ?
À il ſi peu de cure & de Soucy ?
Luy qui devroit veiller inceſſamment
Au prés des grands les priant humblement,
Peult il dormir & te laiſſer le Soing
De ceſte Guerre en ſi tres grand Beſoing ?
Certainement quelque benivolenee,
Que j’aye a luy, & quelque reverence,
Que l’on luy doibve, il fault que ie le pouſſe
De motz piquantz & à luy me courrouſſe :
Tu ne ſcaurois m’en garder : Nonobſtant
Que tu luy ſois grand Amytie portant.
    Agamemnon derechef reſpondit,
Digne Viellard, Aultreſfois t’ay ie dict,
Et ſupplié de le vouloir tencer.
Quand ne vouloit au travail ſ’avancer.
Non que Pareſſe, ou trop grande ignorance,
L’en ayt gardé : mais la ferme aſſeurance,
Qui a de moy regardant à mes faictz,
Et me laiſſant tout ſeul porter le faix.
Quant a preſent, point ne fault qu’on l’accuſe
Comme il me ſemble, ains eſt digne d’excuſe.
Il a eſté le premier eſveillé,
Puis eſt venu vers moy appareillé,
De m’obeyr. Si l’ay ſoubdain tranſmys
Devers Ajax, & aultres noz amys.
Allons nous en, ie ſuis ſeur qu’ilz viendront,
Devant le Fort au Guet, & ſ’y tiendront.
Menelaus leur aura faict entendre,
De ne faillir & venir, & d’attendre.
    Lors dict Neſtor, ſi ton Frere germain
Se montre ainſi diligent & humain,
Comme tu dis, & qu’il prie ou commande,
Modeſtement, toute la Greque bande
Le ſervira, & luy ſeront honeur,
Autant qu’a toy qui es leur Gouverneur.
    Diſant ces motz, il laiſſe promptement
Son Lict mollet, & prend ſon veſtement
Beau& Royal ſoubz ſes piedz à lié
Les beaulx Souliers de Cuyr tres delié
Apres veſtit une Robe vermeille,
De fine Laine, & tres riche à merveille :
Car elle eſtoit bien fort elabourée,
Et ſ’attachoit dune Boucle dorée.
Eſtant veſtu, il prend ſa Lance forte,
En ſa main Dextre, & ſoubdain ſe tranſporte
Au Pavillon d’Vlyſſés, ſi l’excite
Criant tout hault, & de lever l’incite.
Lequel oyant la Voix du Viel bon Homme,
Tout en ſurſault habandonne ſon Somme,
Et ſort dehors, en leur diſant. Pourquoy
Vaguez vous ſeulz ainſi en ce Temps Coy
Et tenebreux ? Quel danger, quel deſfault
Eſt advenu, & qu’eſt ce qui vous fault ?
    Ô Prudent Filz de Laertés, ne ſoys
Eſmerveillé, ſi tu nous appercoys,
(Dict lors Neſtor) car la Neceſſité
Nous a menez a ceſte extrémité.
Vien aprés nous, afin d’aller trouver
Ung aultre Roy, & le faire lever,
Pour conſulter ſur la Forme & Conduire
De Batailler, ou de prendre la Fuytte.
    Quand Vlyſſés eut Neſtor entendu,
Soubdainement ſon Eſcu a pendu
Sur ſon Eſpaule, & puis les a ſuivyz.
Si ont trouvé la Tente viz à viz
Du fort Gregeois Diomedés, qui lors
(Armé du tout) ſ’eſtoit couché dehors,
Ayant ſoubz ſoy une grand Peau de Beuf,
Et ſoubz la Teſte ung beau Tapis tout neuf.
Ses Compaignons, ſes Souldards & Genſdarmes
Dormoyent aupres, ayans pendu leurs Armes
Tout à l’entour, leurs Lances & Bouclers
Qui reluyſoient, comme ſont les Eſclers.
    Le Viel Neſtor menant Bruyt : ſ’approcha
Du noble Grec, & le Corps luy toucha
De ſon Talon, & en le reprenant
Luy diſt ainſi. Quoy ? dors tu maintenant,
Filz de Tidée ? Es tu ſi endormy
Saichant ſi prés le Camp de l’ennemy ?
N’entens tu pas à leurs Cris, que la Plaine
Dicy au prés en eſt couverte & pleine ?
    Diomedés oyant Neſtor ſ’eſveille,
Et luy reſpond, Certes ie m’eſmerveille,
De toy Viellard qui es ſi endurcy
À ſupporter tant de peine & ſoucy.
Dont vient cela que ton eſprit ne ceſſe
De travailler ? N’as tu point de jeuneſſe
Aupres de toy, pour les Roys appeller,
Sans qu’il te ſaille ainſi par tout aller ?
Certes ouy : mais ta Nature vive,
Iamais n eſt laſſe, & ne peult eſtre oyſive.
    Il eſt tres vray Amy, & n’as dict rien,
Reſpond Neſtor, que ie ne ſaiche bien.
I’ay des Enfans tres preux, j’ay Serviteurs
Et mamtz ſubjectz, tous ardans Zélateurs
De mon repos ayans volunté grande
De m’obeyr en ce que ie commande.
Mais le danger & le Péril urgent,
Auquel ie voy & nous &c noſtre Cent,
Ne me permect : que par tout ie n’aſſiſte.
Bien cognoiſſant qu’il fault que l’on reſiſte
À ceſte fois : car ſi trop l’on demeure,
On ne ſcauroit garder que tout n’y meure.
Or maintenant, puis que tu as Pitie
De ce vieulx Corps, va t’en par Amytie,
Faire venir Ajax dict Oilée,
Et avec luy Megés Filz de Philée.
    Diomedés incontinent veſtit
Vne grand Peau de Lion, & partit
    (Sans oublier ſa longue & forte Darde)
Si va devers ces deux Grecs, & ne tarde
À les trouver, puis ſoubdain les invite
De ſ’en venir au Chef de l’Exercite.
    En peu de temps tous les Princes & Ducz
Deſſus nommez, ſe ſont au Guet renduz.
Pas n’ont trouve ceulx qu’ilz avoyent commys
À faire Guet, mornes ny endormys.
Ains tous Veillans par Ordre, & eſcoutans,
En bons Souldards, & ruſez Combatans.
Car tout ainſi que les Maſtins qui gardent
Les grandz Tropeaux, de tous coſtez regardent
Si le Lion deſcend de la Montaigne,
S’il ſort du Boys, ou vient par la Campaigne,
Pour aſſaillir les Brebis & Moutonſ :
Dont les Bergers diſpoſez aux Cantons
De leur beau Parc, ſont grand Tumulte & Bruict,
    De peur qu’ilz ont d’eſtre ſurpris la Nuict.
Et n’eſt Sommeil ſi preſſant qui les garde,
Que l’on ne face une ſoigneuſe garde.
Semblablement, voire d’ardeur plus forte,
Se contenoit la Gregeoiſe Cohorte.
Car le Sommeil en leurs Yeulx periſſoit,
Et le Deſir de veiller leur croiſſoit.
Auſquelz Neſtor trop joyeulx de les voir
Si ententifz a faire leur Debvoir,
Diſoit ainſi. Mes Enfans tres ayrnez
Veillez, veillez, & ne vous endormez,
À celle fin que l’Ennemy ne puiſſe
Executer deſſus nous ſa Malice,
Nous ſurprenant à faulte de bon Guet,
Qui nous ſeroit ung merveilleux Regret.
    Diſant ces motz (Suyvy des Roys) il paſſe
Hors les Foſſéz, & vient droict à la Place,
Pleine de Mortz, ou Hector avoit faict :
Le jour devant en Armes maint beau faict,
Continuant juſques à la Nuict noire,
Sa glorieuſe & inſigne Victoire.
Eſtans venuz les bons Princes ſ’aſſirent
Tout bas en Terre, & a parler ſe meirent :
Ayans auſſi appelle en conſeil
Merionés combateur nom pareil,
Et le vaillant & preux Thraſymedés,
Apres les Roys des plus recommandez.
    Adonc Neſtor la fleur des Chevaliers,
Leur dict ainſi : Ô Amys ſinguliers,
Lequel de vous a tant de Confidence
En ſon eſprit tant de Force & Prudence,
Qu’il oſe aller juſque au Camp des Troiens,
Pour l’eſpier, & chercher les moyens
D’entendre au vray ſ’ilz veulent ſ’emparer
Les Champs prochains & gaigner leur Maiſon
Ayans occis de Grecs ſi grand foiſon ?
Il le ſcaura en prenant Priſonnier
Quelque Troien demeuré le dernier,
Ou bien (peult eſtre) il orra les Propos,
Qu’ilz ont enſemble en prenant le Repos.
Et ſ’il revient vers nous ſain, & rapporte
Entierement, comme tout ſ’y comporte,
Dire pourra qu’il aura mérité, Gloire
Immortele en la Poſterité,
Et davantaige il aura pour Guerdon
De ſon labour, de nous maint riche Don.
Il n’eſt Patron de Neſf qui ne luy baille,
Vne Brebis noire de graſſe taille,
Et ſon Aigneau Preſent à vray parler
Qu’on ne ſcauroit paſſer ou eſgaler :
Et ne fera jamais Feſtin tenu,
Ou il ne ſoit toujours le bien venu.
    Ainſi parla : mais ceulx qui l’entendirent
D’ung bien long temps mot ne luy reſpondirent.
Diomedés aprés devant les Roys,
Ouvrit la Bouche & dict à claire voix.
Le noble eſprit qui dans mon Cueur repoſe
Me ſolicite, & veult que ie m’expoſe
Des maintenant comme preux Champion
À ce danger de ſervir d’Eſpion.
Et le ſeray, proveu que l’on me donne,
Ung Compaignon qui de rien ne ſ’eſtonne
Car ie ſcay bien que le Conſeil de deux
Eſt plus certain en faict ſi haſardeux
Que n’eſt d’ung ſeul : Car l’on ſ’entre conſeille,
D’ou ſort aprés l’Audace nom pareille.
Mais l’Homme ſeul tant ſoit ſort & puiſſant,
Bien Reſolu, & ſon faict : cognoiſſant,
Quand vient au point il en eſt plus tardif,
Et quelque ſois plus Timide & Crainctif.
    Les Roys oyans l’entrepriſe louable
De ce ſort Grec, eurent vouloir ſemblable.
Les deux Ajax ſoffrirent de le ſuyvre :
Merionés vouloit mourir & vivre
Aveque luy. Thraſymedés bien fort
Le deſiroit : Menelaus le Fort
S’y preſenta, Et Vlyſſés le Sage,
Dict qu’il iroit hazarder ce Paſſage
Sans craindre rien. Et pour vray eſtoit il
Le plus Acort des, Grecs, & plus Subtil.
    Agamemnon dict lors, voyant l’Empriſe
Continuer : Ô Amy que ie priſe
Comme mon Cueur, Puis que tu voys chaſcun
Preſt de te ſuyvre, eſliz entre eulx quelcun
À ton plaiſir, qui ſoit le plus Adroit
Pour reſiſter quand on vous aſſauldroit.
Et garde toy, que par Honte ou Vergoigne
Ton jugement de raiſon ne ſ’eſloigne.
N’adviſe pas ſi toſt au grand Lignage,
Comme au bon Sens, & au Hardy Courage.
Ce te ſeroit ung extreme Malheur,
Prendre le pire, & laiſſer le meilleur.
Ainſi diſoit Agamemnon, doubtant
Que l’on choyſiſt Menelaus, d’autant
Qu’il eſtoit Riche, & de grand Parenté.
    Puis que le Choix eſt à ma Volunté
Dict le preux Grec, doibz ie mectre en oubly
Cet Vlyſſés, de Prudence ennobly ?
L’Eſprit duquel eſt tout accouſtumé
Aux grandz Dangers, & qui eſt tant aymé
Des Dieux Haultains, meſmement de Minerve
Qui en ſes Faictz le dirige, & conſerve ?
Certainement avec ceſte noble Ame,
Ie penſerois eſchapper de la Flamme
D’ung Feu ardent, & m’en retourner ſain,
Tant ie le ſcay de grand Prudence plein.
    Ie te ſupply (dict Vlyſſés) ne chante
Icy mes Faictz, ne me blaſme ne vante
Devant ces Roys, qui ſcavent de long temps
Mon Impuiſſance, ou bien ce que j’entens.
Allons nous en, deſja la Nuict ſe paſſe :
Les Aſtres ont avancé long eſpace
De leur Chemin, l’Aube ſe monſtrera
Sans trop tarder qui le jour portera :
Et ceſte Nuict aura peu de durée,
Car de troys partz la tierce eſt demeurée.
    Diſant ces motz les deux Grecs Renommez,
Des aſſiſtans ont eſté bien Armez
Thraſymedés bailla ſa grand Eſpée
(À deux trenchans poinctue & bien trempée)
Au fort Gregeois, qui de venir preſſé
Avoit ſon glaive en la Tente laiſſé
Et ſon Eſcu : Aprés luy meit en Teſte
Ung ſien Armet ſans Pannache & ſans Creſte
Faiſt de bon Cuyr de Taureau, on le nomme
Ung Cabaſlet, armure de Ieune homme.
    Merionnés à Vlyſſés preſente
Son Arc, ſa Trouſſe, une Eſpée peſante,
Et quant & quant ung bel accouſtrement
Faict pour le chief bien & : tres proprement.
Car il eſtoit de ſort Cuyr par dedans
Bien extendu, le dehors fut des dentz,
De mainct Sangler, rengées par tel ordre,
Qu’il n’eſt trenchant qui peult par deſſus mordre
Et davantaige oultre la dure Peau,
On povoit mectre au dedans ung Chappeau.
    Autilochus en l’antique Saiſon,
L’avoit trouvé ſoſſyant la Maiſon,
D’ung Amyhtor Filz d’Ormenus, aſſiſe
Dans Eléon la forme tres exquiſe.
Du Cabaſlet, feit qu’il en honora
Amphidamas, lequel en demoura
Par ung long temps Poſſeſſeur, puis le donne
Au preux Molus, & Molus l’habandonne
À ſon Enfant, qui touſjours le porta,
Mais pour ce coup au fin Grec le preſta.
    Eſtans Armez(comme dict eſt) ilz partent,
Et de la Troupe en peu de temps ſ’eſcartent.
En ſ’en allant Minerve leur envoye
Ung grand Heron, qui chante, & les coſtoye :
Point ne l’ont veu, obſtant la Nuict obſcure,
Mais joyeulx ſont de ſi bonne Advanture :
Et meſmement Vlyſſés qui entend
Tres bien l’Augure, en eſt aiſe & content.
Si commença à dreſſer ſa Priere
À la Deeſſe, en devote Maniere.
    Entens à moy Fille de Iuppiter
Ou Dame Pallas qui daignes aſſiſter
À mes Travaulx, Dame qui me confortes
En tous Perilz, me guydes & ſupportes.
Octroye moy aujourd’huy tant de Gloire,
Que ie retourne aux Nefz plein de Victoire.
Et que nous deux achevions tel Ouvrage,
Que les Troiens en recoyvent Dommage.
    Diomedés auſſy devotement
Feit ſa Priere, & dict tout baſſement.
Eſcoute moy, Ô Deeſſe Gentille
Tritonia, tant bien aymée Fille
De Iuppiter, foys ma guyde Proſpere,
Comme tu fus a Tideus mon Pere,
Alors qu’il fut Ambaſſadeur tranſmys
Vers les Thebains, afin de faire Amys
Eulx & les Grecs. Certes à ſon Retour
Il leur monſtra de ſa Force ung bon Tour
Par ton moyen, Ô prudente Deeſſe.
Las, donne moy la Force & Hardieſſe,
Qu’il eut adonc, & me conduyz de ſorte,
Qu’a mon honeur de l’empriſe ie ſorte.
Et ie promectz de faire Sacrifice,
Sur ton Autel d’une belle Geniſſe,
Qu’on n’aura veu encores labourer.
Ie luy feray ſes Cornes bien dorer :
Puis te ſera de bon cueur preſentée,
Si ma priere eſt de toy acceptée.
    Ainſi prioient les deux nobles Gregeoiſ :
Dont la Deeſſe enclinant à leurs voix
Et Oraiſons, pleinement accorda
À chaſcun d’eulx ce qu’il luy demanda.
Lors vont avant, deux Lions reſſemblantz
Mectans les piedz ſur les Corps fraiz ſanglantz :
Dont la Campaigne eſtoit preſque couverte,
Tant fut des Grecs exceſſive la perte.
    Pas ne laiſſa Hector dormir les ſiens
De ſon coſté, car les plus anciens,
Et plus expers feit venir en ſa Tente,
Pour leur monſtrer clairement ſon entente.
    Lequel de vous (dict il) me veult promectre,
D’executer ce que luy vue il commectre :
Et il ſera en honeur avancé,
Et qui plus eſt tres bien récompenſé :
En recevant de moy, pour ſes travaulx,
Ung Chariot mené de deux Chevaulx,
Les plus exquis de l’Armée Gregoiſe ?
De luy ne veulx fors ſeulement qu’il voiſe,
Iuſques aux Nefz des Ennemys, entendre,
S’ilz ont encor vouloir de nous attendre.
S’ilz ſont le Guet ainſi que de couſtume,
En leurs Vaiſſeaulx. Ou comme ie preſume,
Eſtans batus ilz penſent de ſouyr
Couvertement qu’on ne les puiſſe fouyr.
Ainſi parla, mais nul qui l’entendit,
Ung tout ſeul mot alors ne reſpondit.
    En ce Conſeil ung Troien aſſiſtoie
Nommé Dolon, qui Filz unique eſtoit
Au bon Hérault dict Eumedes, pour lors
Tres abondant en Biens & en Threſors.
Ce Dolon cy fut tres laid de Corſage,
Mais aultrement diſpoz a l’avantage,
Et de ſon Pere aymé & honoré,
Comme eſtant ſeul de ſix Filz demouré,
Lequel penſant a la belle promeſſe,
Du Preux Hector, ſoubdain de bout ſe dreſſe,
Et dict ainſi. Hector, Ardent courage,
Force mon cueur à prendre ce voyage :
Pour rapporter ſi les Grecs ſe deſpoſent
À la defenſe ou à fouyr propoſent.
Et le ſeray, mais comme Chef loyal,
Tu jureras par ton Sceptre Royal,
De me donner le beau Char d’Achillés,
Et les Courſiers qui y ſont ateſlez.
Et quant à moy, ne crains poinct que ie fruſtre
En rien qui ſoit ton entrepriſe illuſtre,
Car j’iray droict dans les Vaiſſeaulx des Grecs,
Voire du Chef, & ſcauray leurs ſegretz.
    Alors Hector haulſant le Sceptre en l’air,
Luy reſpondit Puis que tu veulx aller,
Ou ie t’ay diſt, par Iuppiter qui Tonne,
Ie te prometz que nulle aultre perſone
Ne montera ſur ces Courtiers exquis,
Que toy Dolon. Tu les auras conquis
Tres juſtement. Or done d’iceulx hérite,
Pour le Loyer digne de ton Merite.
    De pareilz motz le noble Hector jura
À ſon Troien mais il ſe parjura.
Si le ſemond de partir tout à coup,
Surquoy Dolon prend la Peau d’ung vieulx Loup
Deſſus ſon Dos, ayant ſon Arc tendu,
Soubi le Manteau à l’Eſpaule pendu,
Et ſur la Teſte une Salade neuſve
De Cuyr de Bouc endurcy à l’eſpreuve.
Puis en ſa main ung beau & luyſant Dard,
Se contenant en aſſeuré Souldard.
    Eſtant Armé il part ſans ſejourner :
Mais ce ſera ſans jamais retourner,
Trop grandement eſt deceu ſ’il eſpere
Reveoir Hector, encores moins ſon Pere :
Et va ſi toſt, qu’en peu de temps il gaigne
Ung grand Chemin par la belle Campaigne.
    Lors Vlyſſés qui n’avoit aultre Soing
Qu’a ſon voyage, apperceut de bien Loing
Venir Dolon. Si dict à ſon Amy
Diomedés, voicy ung Ennemy
Venant du Camp des Troiens ie me fie,
Ou bien qu’il ſert aux Ennemys d’Eſpie,
Ou bien qu’il vient deſpouiller quelque Corps
De ceulx qui ſont à la Bataille mortz :
Il ſera bon de le laiſſer paſſer
Encores oultre, & aux Nefz ſ’avancer,
Nous le ſuyvrons ſoubdain eſtans derriere,
Et le prendrons de facile maniere.
Adviſe bien touteſfois ſ’il ſ’efforce
De ſ’enfouyr, que l’on le chaſſe à force
Vers noz Vaiſſeaulx, le faiſant eſloigner
Du Camp Troien qu’il cuydera gaigner.
Suy le de prés avec ta longue Lance
Tant qu’on entende à ce Coup ta vaillance.
    Diſant ces motz les deux Grecs ſe deſvoyent
Entre les Mortz. Puis eſcoutent, & voyent
Leur Eſpion qui ſ’en alloit grand erre.
Quand ilz l’ont veu loing d’eulx autant de Terre,
Qut les Muletz accouplez deux à deux
En labourant gaignent devant les Beufz
Qui ſont tardifz : Incontinent ilz ſortent,
De leur Embuſche, & vers luy ſe tranſportent.
    Dolon oyant leur Bruict penſa qu’ilz fuſſent
Quelques Troiens qui partager voluſient
Aveques luy, empeſchans ſon Marché.
Ce temps pendant les Grecs l’ont approché,
D’ung ject de Dard : lequel appercevant
Quelz ilz eiloient, gaigna toſt le devant
À pleine courſe : Et les deux Gregeois partent
Qui de ſes pas (tant ſoit peu) ne ſ’eſcartent.
Qui aura veu deux Leuriers quelque ſoys
Et la preſſer tellement que la Beſte,
Penſe que ainſi ces Princes valeureux,
Donnoient la chaſſe au Troien malheureux.
Lequel n’avoit nul moyen d’eſchapper
Ains ſe voioyt plus ſort envelopper.
    Tant a ſouy Dolon à vau de Routte
Que peu failliſt qu’il n’entranſt en l’Eſcoute,
Et Guet des Grecſ : mais Pallas la Déeſſe
Accreut pour lors la Force & la Viteſſe
Au courageux Diomedés, doubtant
Qu’ung aultre Grec fuſt l’Honeur emportant
De l’avoir pris : Si l’attainct : & l’arreſte,
En luy diſant, Garde toy ſur ta Teſte
De paſſer oultre : aultrement tu n’as garde
De m’eſchapper, & mourras de ma Darde.
    Diſant cela, il la jecte, & luy paſſe
Bien prés du Col Dolon plus froid que Glace,
S’arreſte court, & de Peur ſi fort tremble,
Qu’on oyt ſes Dentz ſe marteler enſemble.
Les nobles Grecs hors d’aleine ſurujennent,
Et le Troien attrapent & retiennent :
Lequel jectant abondance de Larmes
Leur dict ainſi. Ô valeureux Gendarmes,
Saulvez ma Vie, & ie l’achepteray
Tant qu’on vouldra, & me racheteray.
Mon Pere eſt riche ayant en ſa Maiſon
Or, Fer, Arain, & Ioyaulx à foiſon,
Qu’il donnera ſaichant que ie ſuis vif
Entre voz mains Priſonnier & Captif.
    Lors Vlyſſés remply de grand Prudence
Luy dict ainſi. Troien pren Confidence,
En ton eſprit de chaſſe ceſte Craindre,
Qui t’a ſurpris, d’avoir la vie extaincte.
Et compte au vray ſans point me decevoir
Ce que ie vueil ores de toy ſcavoir.
Quelle entrepriſe as tu, venant de Nuict,
Vers noſtre Camp tout ſeulet & ſans Bruyct,
Meſmes ſaichant qu’à ceſte heure les Hommes
Sont en repoz dormans de profonds Sommes,
Mais viens tu point pour quelque mort ſouiller
Du jour paſſé, & pour le deſpouiller ?
Hector t’a il preſentement tranſmis,
Pour Eſpier que ſont ſes Ennemys ?
Es tu venu de ſon Auctorité,
Ou de ton gré, dy moy la Vérité ?
    Alors Dolon tout crainctif & tremblant,
Mieulx ung Corps mort qu’Homme vif reſſemblant,
Luy dict ainſi, Hector par ſa parole
M’a tant chargé d’eſperanee frivole,
Qu’a ſon vouloir, ie ſuis icy venu :
Dont ie me treuve ores circonvenu.
Il m’a promis d’Achillés la monture
Et Chariot, hazardant l’advanture
De ce voyage, & que ie luy revele,
De voſtre Camp quelque ſeure nouvelle.
Ceſt à ſavoir ſi vous delibérez
D’entrer en Mer, ou ſi vous demeurez,
Pour tenir bon. Sur tout que ie regarde
Quel Guet on faict, ſi les Nefz ſont ſans garde.
Lors Vlyſſés avec ung fainct ſoubrire
Luy dict : ami ie voy bien par ton dire,
Que ton eſprit a ung bien deſiré,
Trop grand pourtoy, & trop deſmeſuré.
Car ces Courſiers ſont de Nature telle
Qu’impoſſible eſt à perſone mortelle
De les dompter ſi ce n’eſtoit leur Maiſtre,
Que Iuppiter a faict de Thetis naiſtre,
Mais ie te pry Compte moy ſans mentir,
Alors qu’Hector t’a preſſé de partir,
Ou eſtoit il ? Son Harnoys tant famé,
Ou le met il quand il eſt deſarmé ?
En quel endroit logent ſes bons Chevaulx,
Et Chariotz apres leurs grans travaulx ?
Dy moy encor ſi ſes gens ſont couchez
Dedans leurs Lictz, de Batailler faſchez,
Ou ſ’ilz ſont Guet ? Se veulent ilz tenir
Encor aux Champs, & deſſus nous venir
Demain matin ? ou reprendre leur voye,
Victorieux pour retourner à Troie ?
    Lors dict Dolon, le vous advertiray,
Certainement, & point n’en mentiray.
Le preux Hector à mon depart eſtoit
Prés du Tombeau d’llus, ou conſultoit
Avec les grands, des choſes neceſſaires,
Pour debeller (ſ’il peult) ſes adverſaires.
Et quant au Guet dont tu m’as demandé,
Il eſt certain qu’Hector l’a commandé :
Mais les Souldards n’obeiſſent en rien
À ſon vouloir, & ſ’endorment tres bien.
Tant ſeulement les Troiens par contraindre
Sont quelques Feux o& veillent, de la craincte
Qu’ilz ont de perdre Enfans, Femmes, Cité,
Et ne ſont rien que par neceſſité :
Les Eſtrangiers leur en laiſſent le Soing
Leur Femmes ſont, comme ilz diſent, trop loing.
    Vlyſſés veult entendre plus avant,
Et l’interrogue, Ores ſay moy ſcavant,
D’ung aultre faict, & point ne le me cele.
Les Eſtrangiers logent ilz peſle meſle
Parmy Troiens, ou ſ’ilz ont leurs Quartiers
Tous ſeparez ? ie l’orray voluntiers.
    Quant à cecy qu’a preſent me demandes,
Ie te diray comme logent les Bandes,
Sans te tromperies Cares, les Peons,
Leſlegiens, Pelaſges, & Caucons,
Sont tous Campez le long de la Marine.
D’aultre coſte, tirant vers la Colline
Dicte Thymbra, campent les Lyciens,
Les Phrygiens, Meons & Myſiens.
Mais de quoy ſert qu’ainſi ie vous recite
Par le menu le Troien exercite ?
Si vous avez volunté d’y aller,
Vous trouverez en tout vray mon parler.
Les Thraciens nouvellement venuz
Se ſont encor loing de nous contenuz,
Mectans à part leurs Bandes & Charroy :
Entre leſquelz j’ay veu Rheſus leur Roy,
Et ſes Courtiers merveilleux & puiſſans
En grand blancheur la Neige ſurpaſſans,
Leſquelz on peult aux Ventz comparager
Tant ilz ſont promptz quand il fault deſloger.
ſI’au veu ſon Char compoſe par Art gent
De deux metaulx, Or fin, & clair Argent :
Et ſon Harnois tout d’Or, ſi admirable
Qu’il n’en eſt point au monde de ſemblable.
Et croy pour vray qu’ung Homme ſoit indigne
D’avoir ſur ſoy Armure tant inſigne,
Certainement elle ſierroit trop mieulx
À Iuppiter, ou à quelcun des Dieux.
Donc vous ayant du tout acertenez,
Ie vous ſupply menez moy en voz Nefz.
Ou me laiſſez lyé eſtroictement
En ce lieu cy : Puis allez promptement,
En noſtre Camp, ou pourrez à l’Oeil voir
Si i’ay voulu en rien vous decevoir.
    Diomedés lors de travers regarde
Le poure Eſpie, & luy dicf Tu n’as garde
De m’eſchapper Ne metz en tes eſpritz
Eſpoir de vivre, encor qu’on ayt appris
Choſe de toy qui ſervir nous pourra.
Ie ſcay tres bien que quand on te lairra
Des maintenant aller en liberté,
Vne aultre fois tu auras volume
De viſiter noſtre Camp, & viendras,
Pour l’eſpier, ou bien nous aſſauldras.
Mais ſi tu meurs, comme eſt en ma puiſſance,
Tu ne ſeras jamais aux Grecs nuyſance.
    Ainſi luy dict. Et Dolon qui penſoit
Le convertir, prés de luy ſ’avancoit,
Pour luy toucher le Menton doulcement,
Et le prier : mais ſur ce penſement
De ſon Eſpée ung ſi grand Coup luy rue
Deſſus le Col qu’il l’abbat & le tue
Couppant les Nerfz, dont la Teſte ſ’en vole
En murmurant encor quelque parole.
Incontinent ont prins ſon Cabaſſet,
De peau de Bouc & le gentil Corpſfet
De peau de Loup, ſon Dard, ſes Arcz tenduz.
Puis Vlyſſés a ſes bras extenduz
Devers le Ciel : & tenant ces Harnois,
Prioit ainſi Pallas a baſſe voix.
Reſjouy toy Deeſſe de l’Offrande
Qu’on te preſente ainſi qu’a la plus grande,
Et la plus digne entre les Immortelz
À qui l’on doibt dreſſer Veux & Autelz.
Doreſnavant ta Deité haultaine
Aura de nous Oblation certaine.
Mais ce pendant Dame fay nous la Grace,
Que nous allons au lieu ou ceulx de Thrace
Sont endormys : fay nous voir leurs Armures,
Leur beaulx Courſiers, & Char plein de Dorures.
    Quand l’Oraiſon du Grec fut achevée,
Encor ung Coup il a ſa main levée
Bien hault en l’air, puis a faict ung Monceau,
De ces Habitz & a ung Arbriſſeau
Les a penduz, aprés coupe & branche
    D’ung Tamarin ung grand Rameau & branche,
    Pour luy ſervir de Marque ou de briſée,
Et que la voye en {bit mieulx adviſée
À leur retour. Cela faict : ilz cheminent
Parmy les Mortz & trouver determinent
Les Thraciens ſ’y ont tant cheminé
Qu’lz ſont venuz au lieu déterminé.
    Trouvé les ont couchez & endormys
À troys grands Rengs, car ainſi ſ’eſtoient mys
Et au plus prés de chaſcun, l’Equipage
De ſon Harnoys, ſa Monture, & Bagage.
Rheſus dormoit au mylieu de ſes Gens,
Et es chevaulx exquis & diligens, tre les jjens.
Bien prés de luy, au Chariot liez
De grands Licoulz riches & deliez.
    Lors Vlyſſés voyant ce Deſarroy,
Dict, Compaignon, Certes voycy le Roy,
    Et les Chevaulx que Dolon nous diſoit
Quand de ce Camp à plein nous inſtruyſoit.
Or maintenant il fault que tu t’efforces
(Mieulx que devant) à demonſtrer tes Forces
Pas ne convient icy porter en vain
Sallade en Teſte & Eſpée en la Main.
Fay l’ung des deux, ou ces Courſiers deſlie,
Et j’occiray ceſte troupe faillye.
Ou ſi tu veulx que toſt ie les deſtache,
Prens ton Eſpée & a ces gens t’attache.
    Ainſi luy dict, lors Pallas la Deeſſe,
Au fort Gregeois accreut la Hardieſſe :
Si les occit & découpe à merveille,
Tant que du Sang la place en eſt vermeille :
Oyant ſouſpirs & plainctz interrompuz
De ceulx qui ſont detrenchez & rompuz.
Car tout ainſi qu’ung Lion d’aventure.
Trouvant Brebis, ou Chievres ſans cloſture,
Et ſans Berger, ſur icelles ſe rue,
Puis les abbat de ſa Griphe & les tue :
Ne plus ne moins le Gregeois deſpeſchoit
Les Thraciens, aulcun ne l’empeſchoit.
    Douze en paſſa par le fil de l’Eſpée,
Tant que la Place en fut toute occupée,
Mais Vlyſſés ainſi qu’il leur donnoit
Le coup mortel ſboubdain les entraynoit,
Et faiſoit voye, afin que les Courſiers
Qu’il deſiroit, partiſſent voluntierſ :
Et n’euſſent craincte en marchant par deſſus,
    Pour n’en avoir oncques plus apperceuz.
    Diomedés juſques au Roy arrive
Pour le trezieſme, & de vie le prive.
Trop doulcement dormoit, mais le poure homme
Fut endormy d’ung mortifere Somme,
Que celle Nuict le Grec luy apporta,
Avec Pallas qui en tout aſſiſta.
    Ce temps pendant Vlyſſés mect grand peine
À deſlier les Chevaulx, & les meine
Haſtivement parmy la multitude,
En les frappant de ſon Arc fort & rude :
Car il n’eut pas l’advis de ſcavoir prendre,
Le beau Fouet craignant de trop attendre.
    Quand il ſe veit ung petit eſloigné,
Et ſon Amy encor embeſoigné :
Soubdain le huſche, & ſiffle de facon,
Qu’il entendit incontinent le Son.
Diomedés ce pendant diſcouroit
(Sans ſe bouger) pour ſcavoir qu’il ſeroit.
Aſſavoir mon ſ’il devoit emmener
Le Char tout plein d’ Armure, & le traiſner
Par le Timon, ou le prendre aultrement
Sur ſon Eſpaule, & partir promptement :
Ou ſ’il devoit encor perſeverer,
À tuer Gens, ains que ſe retirer.
De ces troys poinctz eſtoit l’entendement
Du vaillant Grec agité grandement.
    Surquoy Pallas a ſes faictz aſſiſtente
De ton exploict : va t’en & ne ſejourne :
À celle fin que ton Corps ſ’en retourne
En tes Vaiſſeaulx ſeurement & ſans craincte.
Doubter te fault la Retraite contraincte
Qui t’adviendra, ſi quelque Dieu concite,
Pendant cecy, le Troien exercite.
    Diomedés des qu’il a entendu
Ce bon Conſeil, promptement ſ’eſt rendu
Vers Vlyſſés. Adonc chaſcun d’eulx monte
Sur les Courſiers, qui ont l’alleure prompte :
Car Vlyſſés les preſſoit tant d’aller
A tout ſon Arc, qu’il les faiſoit voler.
    D’aultre coſté Phoebus à l’Arc d’argent,
Pour les Troiens ſe monſtra diligent,
Car lors qu’il veit que Minerve parloit,
Au vaillant Grec, & apres luy alloit;
Tout indigné du Dommage advenu,
Soubdainement eſt aux Troiens venu.
Entre leſquelz il voulut eſveiller
Hippocoon Oncle & grand Conſeiller
Du Roy Rheſus lequel en ſe levant,
Et ne voyant ainſi qu’au paravant
Les beaulx Courſiers, ains la place couverte
D’hommes occis, ſoubdain cognut la perte :
Alors ſ’eſcrie & pleure à chauldes Larmes
En regretant les Thraciens Genſdarmes,
Meſmes Rheſus, Rheſus qu’il a nommé
Son cher Nepveu, ſon Prince tant aymé.
    À ces grands cris, tout le Camp ſe troubla,
Et quant & quant la plus part ſ’aſſembla,
Deſſus le lieu, pour voir la Nouveaulté,
S’eſmerveillant de telle cruaulte,
Et diſoient tous, que trop hardy courage
Avoient les Grecs de faire tel ouvrage.
    Quand les deux Roys qui ſ’en alloient, ſe veirent
Tout juſtement au lieu, ou a mort meirent
Leur Eſpyon, Vlyſſés arreſta
Les beaulx Chevaulx, raultreſe deſmonta,
Pour luy bailler l’habit enſanglanté,
Ce qu’il a faict : & puis eſt Remonte,
Et vont ſi bien qu’en peu d’heure ilz ſe rendent
En leur Vaiſſeaulx, ou les Grecs les attendent.
    Entre les Roys Neſtor premierement
Ouyt ung Bruict & cognut clairement,
Qu’ilz arrivoient. Adonc dict,
Ô Paſteurs de peuple Grec, Ô prudentz Conducteurs
De ce beau Camp, diray ie point menſonge,
Ou verité comptant ce que ie ſonge ?
Certainement mon Cueur veult que ie croye
Ce mien advis avant que ie le voye,
Ung certain Bruict ; de Cheval galoppant
Preſentement m’eſt l’Oreille frappant.
Or pleuſt aux Dieux quenoz deux Champions
Euſſent eſté ſi ſubtilz Eſpions,
Qu’en eſchappant des perilleux dangers,
Peuſſent mener deux beaulx Courſiers legerſ :
Mais trop ie crains que ces grands perſonages,
Ayent enduré quelques mortelz dommages.
    À peine avoit ces troys motz achetez,
Que les deux Roys ſont illec arrivez,
Et deſcenduz, lors chaſcun les accolle
Chaſcun leur dict une bonne parole,
Et meſmement le viel Neſtor ſ’adreſſe
À Vlyſſés. Ô gloire de la Grece
Digne d’honeur, ie te prie me dire,
De ces Chevaulx que ie vous voy conduyre,
Tant excellentz en blancheur admirable,
    Et aux rayons du clair Souleil ſemblable,
Les avez vous ſur les Troiens gaignez ?
Ou quelque Dieu les vous a il donnez ?
Long temps ya qu’aux Combatz ie me treuve
Contre Troiens, ou ie fais claire preuve
De ma vertu, ſans que ie m’en retire
Pour ma vieilleſſe, on me cache au navire,
Mais ie n’ay veu oncques en la Bataille,
Ces deux Courſiers n’y aultre de leur Taille.
Si croy pour vray qu aucun des plus grands Dieux
(De voſtre bien & ſalut curieux)
Vous en a faict ung preſent honorable.
Iuppiter eſt à tous deux ſecourable,
On le faict bien, & Pallas l’invincible
Vous favoriſe autant qu’il eſt poſſible.
    Prudent Neſtor, Filz du bon Nelëus
(Dict Vlyſſés) Chevaulx trop plus eſleuz,
Pourroient les Dieux facilement donner
Quant ilz vouldroient ung mortel guerdonner.
Car leur puiſſance eſt à donner plus grande,
Qu’il n’eſt de prendre à l’homme qui demande.
Quanta ceulx cy ilz ſont en Thrace nez,
Et de nouveau par Rheſus admenez
En ce payſt mais il n’a plus d’envie
De batailler, ayant perdu la vie.
Diomedés luy a le couteau mys
Dedans la Gorge, & a douze endormys
Au pres de luy. Quant à ce veſtement
Ainſi ſanglant, C’eſtoit l’accoutrernent
D’ung Eſpion, que nous avons ſurpris,
Et mys a mort apres avoir apris
Ce qu’il ſcavoit voyla tout en effecr
Entierement ce que nous avons faict.
    Diſant ces motz, ſes Courtiers a paſſez
Demenant joye, oultre les grands Foſſez,
Suyuy des Roys qui faiſoient tres grand feſte
De leur voyage & heureuſe conqueſte.
    Quand Vlyſſés fut en la riche Tente
Du compaignon, alors il diligente
De bien lier ſes Chevaulx, & les loge
Soigneuſement dedans la meſme Loge :
Et au reng meſme, ou la belle monture
Du fort Gregeois, mangeoit Pain & paſture.
    Quant aux habitz de Dolon, il les poſe
Dedans ſa Nef ſur la poupe, & propoſe
En faire ung jour à Pallas Sacrifice,
Et luy offrir à jamais ſon Service.
    Bien toſt apres ces deux Grecs de valeur
Se cognoiſſans oppreſſez de chaleur,
Et de ſueur, dedans la Mer entrerent
Pour ſe laver, & tres bien ſe froterent
Le Col, le Dos, les Iambes, & les Cuiſſes,
Oſtans du Corps toutes les Immondices.
Eſtans ainſi refreſchiz & bien netz,
Dedans des Baingz ſoufz bien ordonnez,
S’en ſont entrez, & quant & quant leurs Corps
Ont eſte oinctz d’huyle par le dehors,
Puis ſont allez manger, prians Minerve :
Qu’en tous leurs faictz les dirige & conſerve :
En reſpandant du Vin à pleine Taſſe,
(Pour Sacrifice) au mylieu de la Place.

AVX LECTEVRS.


LE Translateur (Ô Galliques eſpritz)
Vouloit celer ceſte Traduction,
Iuſques à tant que l’ouurage entrepris
Fuſt mys au poinct de ſa Perfection :
Sans l’Auarice & la Preſumption
D’vng Lionnois, qui contre le deuoir,
Vous en a faict deſia deux liures voir
Tous deſpouillez de leur grace premiere.
Puis qu’ainſi eſt, ſ’il vous plaiſt receuoir
Ores ces dix, en brief pourrez auoir,
Le Catalogue & le reſte en lumiere.







Les faultes plus notables qu’on a faictes en
l’impreßion de ce preſent Liure.


Pour ces cheueulx, liſez ſes cheueulx, page xxx vers xxx
Pour enflamblé, liſez enflambé, page lx-vij vers premier
Pour faire feſte, liſez faire teſte, page lxxxiij vers xxiij
Pour ſeize pas, liſez ſeize pans, page cxv vers xxv
Pour partie, liſez part ie, page cxxvi vers xvi
Pour tremblant, liſez tombant, page cxlij vers xij
Pour ces cheuaulx, liſez ſes cheuaulx, page clvi vers xiij
Pour comme elle, liſez contre elle, page clxxix vers xxx
Pour vous auez, liſez vous aurez, page ccxlviij vers xxxi
Pour faueur, liſez fureur, page cclxvi vers xxix
Pour elle, liſez elles, page cclxviij vers xxiij
Pour approuné, liſez approuué, page cclxxxiij vers xx
Pour deſpoſent, liſez diſpoſent, page cccxxxvi ers xix.

On pourra außi trouuer quelques poinctz mal mys par inaduertence : mais le lecteur de bon iugement cognoiſtra aſſez le ſens par la ſuyte des ſentences, & excuſera le tout ſ’il luy plaiſt.



IMPRIME
A PARIS PAR IEHAN LOYS
M. D. XLV.