Poèmes en prose (Vivien)/Les Quatre Vents

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Poèmes en ProseE. Sansot et Cie (p. 7-15).

LES QUATRE VENTS



Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent du Nord.

Il était vêtu d’un grand manteau et portait une couronne de glaçons.

Il me dit : « Laisse-moi t’emporter vers les neiges.

« Tu verras les forêts de pins qui abritent des troupeaux de loups errants.

« Tu verras le vol des grands cygnes sauvages au-dessus des fjords où s’ébattent les phoques de velours humide. Tu verras aussi les montagnes, les palais, les cités et les jardins de cristal translucide qui voguent sur l’eau d’hiver.

« Tu verras ces énormes solitudes que seuls osent traverser les ours blancs.

« Tu entendras le grelot sonore et mince de ces traîneaux finlandais qu’emporte le léger galop des rennes. Viens ! Tu entreras dans l’énorme silence blanc. »

Je répondis au Vent du Nord :

« Je ne puis quitter mon village, puisque la jeune fille que j’aime y demeure. »

Le Vent du Nord s’enfuit, en un frisson d’ailes.

Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent de l’Est.

Il était vêtu de pourpre et portait une couronne de rayons rouges.

Il me dit : « Laisse-moi t’emporter vers la lumière.

« Tu verras ces mousmés dont la robe de soie riante est brodée d’oiseaux et de fantastiques paysages.

« Elles s’éparpillent en de minuscules jardins dont les très petits arbres sont parés de lucioles comme de lanternes. Tu verras les pagodes de l’éternel Bouddha, ces étranges pagodes aux mille clochetons dentelés. »

Le Vent de l’Est se tut un instant et reprit :

« Je te montrerai les temples hindous entourés de religieux étangs d’où s’élèvent les lotus sacrés.

« Au fond de ces terribles sanctuaires où sont les images sacrées, la terreur règne.

« Mais, dans le doux Japon féerique qui est aussi de mon domaine, tu verras le bienfaisant Bouddha et l’éternel sourire répandu sur toute sa face paisible. »

Je répondis au Vent de l’Est :

« Je ne puis quitter mon village, car la jeune fille que j’aime y demeure. »

Le Vent de l’Est s’enfuit.

Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent du Sud.

Celui-là était vêtu d’or et portait une couronne d’étoiles.

Il me dit : « Laisse-moi t’emporter vers l’azur.

« Tu verras les sables éternels qui emprisonnent des sphinx accroupis dont les yeux de pierre s’ouvrent sur l’immensité. Tu verras les peuplades noires qui hurlent à la lune, ainsi que des chiens inquiets. Tu verras aussi les brousses très pâles où rôde la soif. Tu verras enfin ces îles d’or où les femmes amoureuses s’endorment en des hamacs de soie parmi les oiseaux et les fleurs. »

Je répondis au Vent du Sud :

« Je ne puis quitter mon village. Car la jeune fille que j’aime y demeure. »

Le Vent du Sud s’enfuit, en un frisson d’ailes.

Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent de l’Ouest.

Il était vêtu de vert et portait une couronne de perles humides.


Il me dit : « Laisse-moi t’emporter vers la mer.

« Tu verras l’infini du ciel et de l’eau, de l’eau et du ciel.

« Tu te réjouiras du léger passage des voiles dont la blancheur frissonnante se colore, vers le couchant, de pourpre et d’or rouge. Tu verras les formes architecturales des poissons monstrueux et le vol circulaire des goélands qui tournoient infatigablement au-dessus des mâts. Tu verras mes brumes que j’évoque dans le soir et l’embrun que je fais jaillir des vagues. Tu verras ces divins couchers de soleil qui précèdent la lune. »

Je répondis au Vent de l’Ouest :

« Je ne puis quitter mon village. Car la jeune fille que j’aime y demeure. »

Le Vent de l’Ouest s’enfuit, lui aussi, dans un frisson d’ailes.

Moi, je demeurai solitaire, dans la bonne chaumière où le feu brûlait.

Et je regarde les flammes.