Contribution à l'étude de la Compagnie du Saint-Sacrement au XVIIe siècle. Duplessis-Montbard

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CONTRIBUTION
à
L’ÉTUDE DE LA COMPAGNIE DU SAINT-SACREMENT
au XVIIe siècle.


DUPLESSIS-MONTBARD.


Les études publiées depuis une vingtaine d’années sur la Compagnie du Saint-Sacrement ont renouvelé l’histoire religieuse de la premiere moitié du xviie siècle.

Peu à peu, l’obscurité qui s’était faite depuis deux siècles sur cette société secrète, dont les archives ont été détruites, se dissipe à l’aide de découvertes partielles et de recherches patientes. Mais que de trouvailles à faire encore avant d’assigner son rôle définitif à cette puissante Compagnie dont les ramifications s’étendaient sur toutes les grandes villes de France ! Elle comprenait parmi ses membres de hauts dignitaires du clergé, mais surtout des laïcs, dont beaucoup appartenaient au Parlement. Il ne faut donc pas s’étonner de rencontrer parmi ses adeptes les plus actifs et les plus dévoués un avocat au Parlement, Duplessis-Montbard, dont il est intéressant de fixer le rôle dans les manifestations sociales les plus diverses où se donnait carrière le zèle des confrères. Aussi bien sa biographie reconstituée nous fournit le type le plus complet, le plus représentatif de ce qu’on appellerait aujourd’hui un « homme d’œuvres », donnant son temps et ses lumières aux sociétés de charité, à leur extension, à leur groupement, sans se laisser rebuter par la difficulté des réalisations.

Nous ne rencontrons aucun événement sensationnel dans la vie de Christophe Duplessis. Il avait deux sœurs, l’une Élisabeth, mariée à M. de Gesvres, trésorier des États de Bretagne, l’autre, Marie, à Henri Chahu, trésorier général des finances aux États de Bretagne, le 5 septembre 1641. Celle-ci mourut le 30 juin 1669[1], en faisant son frère son unique légataire universel.

Duplessis demeurait avec le ménage Chahu, rue de Vaugirard, près des Carmes-Déchaux, au bourg Saint-Germain-des-Prés ; il payait sa pension 100 livres par mois. Il eut certainement une grosse influence sur sa sœur et son beau-frère. Ce dernier s’adressait à lui en raison de ses connaissances juridiques pour les contestations qu’il avait avec d’autres membres de sa famille. Nous avons trouvé dans les papiers d’Henri Chahu une consultation de lui datée du 31 juillet 1672, quelques mois avant sa mort, concernant un arrêt par défaut rendu contre Chahu en parlement de Bretagne. Son beau-frère, en tout cas, imita son exemple. Il fut le bienfaiteur des Bernardines du Précieux-Sang, ses voisines, à qui il laissa 5,600 livres ; de l’Hôpital général, qu’il dota de 1,600 livres, et surtout de l’Hôtel-Dieu, qu’il fit son légataire universel par testament du 12 octobre 1677[2].

Au décès de sa sœur, Duplessis se retira pendant quelques mois au palais Mazarin, rue Neuve-des-Petits-Champs, où demeurait son cousin Aubery ; il y conserva un appartement, en attendant que soit aménagé pour lui, au séminaire des Missions, celui du P. Bernard de Sainte-Thérèse, évêque de Babylone[3]. Il y resta jusqu’à sa mort, le 6 mai 1672. Il y avait réuni une tres importante bibliothèque qu’il légua à la maison. On lit en effet dans son testament[4] :« Je donne et lègue ma bibliothèque à MM. du séminaire des Missions étrangères, estably rue du Bac, prez les Incurables du fauxbourg Saint-Germain (compris les manuscrits), qui est dans le logement que j’occupe dépendant d’eux, et où estoit autrefois M. l’évesque de Babylone ; laquelle ne pourra être vendue ny aliénée, pour quelque cause et occasion que ce soit, et demeurera inséparablement à la maison principale et résidence desdits sieurs du séminaire, soit où ils sont de présent, ou bien où ils s’établiroient ailleurs en cette ville et fauxbourgs de Paris. Je leur donne aussi tous les escripts de piété qui se trouveront dans mes coffres ou cabinets, soit de ceux que j’ai recueillis de diverses personnes, grands serviteurs et servantes de Dieu, soit de mes applications et foibles pensées, quoyque de nulle considération, pour en faire un tel usage qu’ils jugeront pour la plus grande gloire de Dieu et l’édification du prochain, à la charge d’en donner à M. Aubery, mon exécuteur, tels extraits qu’il désirera pour sa consolation ».

Il existe deux catalogues de la bibliothèque de Duplessis, l’un de 258 feuillets in-folio, cité par Franklin dans son ouvrage sur les anciennes bibliothèques de Paris[5] et conservé à la Bibliothèque nationale[6] ; l’autre, jusqu’ici inconnu, aux archives de l’Assistance publique, formant un cahier de 132 feuillets in-folio[7]. Cette bibliothèque formait un ensemble assez important pour que le séminaire prît la résolution, en 1683, de faire construire, les locaux étant trop étroits, une nouvelle chapelle, avec un espace dans les combles, assez vaste pour loger tous les livres de l’établissement[8]. Le catalogue qui se trouve aux archives de l’Assistance publique comprend les additions faites par Fr. Delatte, libraire, imprimeur et bourgeois de Paris en 1673, chargé par le directeur du séminaire des Missions de réviser le catalogue et de marquer les manquants ; il comprend l’indication des chambres, armoires et tablettes où se trouvaient les livres. Les additions à la liste des manuscrits sont particulièrement nombreuses. Nous y relevons, entre autres : soixante-douze volumes de recueils divers des assemblées et plaidoyers du Parlement de 1254 à 1657 : treize volumes de recueils divers concernant la Chambre des comptes, le domaine du roi et les dépenses de la maison du roi ; trente-cinq volumes d’ordonnances royales ; seize de traités divers, etc.

Dans son testament, Duplessis demandait à être enterré dans l’église « qui se bastit maintenant en la maison de Saint-Denis de l’Hospital général, dite la Salpestrière » ; en attendant son corps sera déposé dans la chapelle Saint-Louis de cet établissement, « où il sera porté avec toute modestie et le moins de cérémonie que l’on pourra » ; en outre, 500 messes devaient être célébrées pour le repos de son âme « par les communautés ecclésiastiques et religieuses qui en auront plus de besoing ».

Il partageait ses donations pieuses entre Paris et Montbard. À Montbard, il laissait aux pauvres 100 livres ; à la paroisse 50 livres ; 150 livres à la chapelle du bourg d’Aran, dépendant de la baronnie de Montbard ; à Brazey, son « châtelain », 50 livres de rente viagère ; à Bigarne, son « receveur », 500 livres ; aux Ursulines, dont il était le fondateur, 50 livres de rente, sans compter 300 livres pour la réparation de leur maison, 150 livres pour acheter des ornements d’église ; à l’hôpital Sainte-Reine, 150 livres.

À ses « gens », il donnait une année de gages. À son cousin de la Motte, ses rentes sur le « sel nouveau » ; au fils aîné de ce dernier, ses rentes sur le « sel vieux », et au cadet 2,000 livres « pour luy aider à avoir une charge ».

À Paris, il réservait ses générosités pour les Bernardines (300 livres), les Carmes (300 livres), la cure de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (300 livres), les Nouveaux-Convertis et Nouvelles-Catholiques du faubourg Saint-Victor et de la rue de Richelieu (150 livres chacun), aux Bénédictins anglais du faubourg Saint-Jacques (150 livres), à la Mission de Saint-Lazare (300 livres pour les bâtiments et 300 livres pour le rachat des captifs), 200 livres enfin pour la délivrance des prisonniers et 400 livres pour aider à la dot de quelque fille ayant la vocation religieuse. Quant au séminaire des Missions, nous avons vu qu’il héritait de sa bibliothèque ; il y joignit tous les meubles qu’il avait achetés pour 703 livres à la succession de l’évêque de Babylone. L’établissement le plus favorisé était l’Hôpital Général, qui bénéficiait de 10,000 livres pour la construction de la chapelle alors en cours d’exécution, 2,500 livres pour les besoins de l’infirmerie et 2,500 livres pour la maison de Refuge (Sainte-Pélagie) ; M. Pajot de la Chapelle[9], l’un des directeurs, recevait tous ses papiers concernant l’Hôpital Général et autres hôpitaux de France, pour être remis « au tresor de l’Hospital général », à la Pitié, où se trouvait en effet le « bureau » et les archives.

À son cousin Philippe Aubery[10], son exécuteur testamentaire, était destiné le reste de ses biens, y compris la baronnie de Montbard. Aubery devait recevoir également, à la mort d’Henri Chahu, lors du partage fait avec l’Hôtel-Dieu, deux maisons rue Cassette et rue de Vaugirard, qui furent achetées par les Bernardines.

Cette succession fut pour Aubery la source de tribulations de toutes sortes[11]. En 1675, Cl. Vialet, fermier général des domaines, fit saisir, sur l’ordre de Boucher, intendant de Bourgogne, les « fruits et revenus » de la terre de Montbard, prétendant qu’elle appartenait au domaine de la Couronne. Pour justifier cette revendication, il s’appuyait sur un fait remontant au xve siècle ; en 1478, Louis XI l’avait donnée au maréchal de Bourgogne ; puis en 1551, à la suite du décès de François d’Orléans, duc de Longueville, elle était passée, en vertu d’un partage fait en 1554 par Henri II, au duc de Nemours ; celui-ci avait vendue en 1613 au duc de Bellegarde, grand écuyer de France ; ce dernier l’avait échangée avec son frère le baron de Termes en 1616, à la succession duquel elle avait été adjugée, par décret du Parlement du 13 mai 1638, à Duplessis-Montbard, créancier. Aubery put présenter ses titres de possession et on le laissa momentanément tranquille. Mais, en 1676, on reprit les poursuites sous un autre prétexte, à savoir que les bois avaient été déclarés communaux par les anciens ducs de Bourgogne, seigneurs de Montbardt[12]. Un arrêt du procureur du roi du 5 février 1676 conclut que la terre devait être réunie au domaine. Aubery fit préparer un long factum pour sa défense par l’avocat Husson. L’instance introduite par Vialet fut reprise par Buisson, son successeur, et le 14 février 1682 la seigneurie de Montbard était réunie au domaine de la Couronne[13].

L’activité de Duplessis, avons-nous dit, s’exerça à peu près dans tous les sens où agit la Compagnie du Saint-Sacrement, qui fit appel à lui pour les missions les plus délicates, tant à Paris qu’en province. Il suffit de parcourir à ce sujet les Annales de la Compagnie, rédigées par d’Argenson et publiées par dom Beauchet-Filleau. « Dieu lui avait sans doute donné le don des œuvres par-dessus tous ses confrères », écrit d’Argenson, rendant ainsi un témoignage mérité à ses services et à son zèle. En 1650, il entreprend une visite générale des compagnies de province, à Orléans, Nantes, Rouen, Senlis. En 1658, il est désigné pour s’occuper de la communauté des Prêtres hibernois (Irlandais), pour lesquels la Compagnie cherchait un logement, et fit une importante charité.

La même année, il négocia l’achat d’une nouvelle maison, qui allait devenir le monastère du Précieux-Sang, pour les religieuses bernardines émigrées de Lorraine, venues s’établir en 1636 rue du Bac, puis rue de Vaugirard, au coin de la rue Cassette, assistées par la Compagnie dès 1654, chassées de chez elles par leurs créanciers en 1656 et « déménagées » en 1657 grâce aux secours financiers de la Compagnie et du marquis de Laval, leur bienfaiteur[14].

En même temps, il prend une part active à la fondation du séminaire des Missions étrangères ; il organise avec Vincent de Paul l’hôpital Sainte-Reine, en Bourgogne, qui allait devenir l’objet d’un pélerinage très fréquenté dans la deuxième partie du xviie siècle ; il ne cesse enfin de donner ses soins à l’Hôpital Général, fondé en 1656[15], dont il dirige les constructions, dont il prépare les règlements, et au sujet duquel il fait maints rapports aux assemblées de la Compagnie (cf. 22 mars 1657[16]. Par lui, on peut dire que l’esprit de cette société s’insinue dans toutes les grandes fondations charitables de l’époque, en même temps que s’opère sur les couvents une mainmise qui allait bientôt donner ombrage à l’autorité ecclésiastique. N’oublions pas enfin les compagnies de charité des paroisses ; Duplessis travaille en particulier aux bonnes œuvres du « canton » de Saint-Sulpice, au développement des écoles des petits Savoyards, et en 1662 il s’occupe des missions de la Compagnie des dames qui secourent les provinces réduites à la famine[17]. Mais, dès 1660, la Compagnie est supprimée, du moins officiellement ; les Annales cessent de nous renseigner sur une activité qui, de plus en plus, s’enfonçait dans le mystère. Dans son mémoire envoyé aux provinces en 1660, résumé par d’Argenson, il expliquait le but du secret et l’esprit de la Compagnie : « La fin de ce secret est de donner moyen d’entreprendre les œuvres fortes avec plus de prudence, de désappropriation [désintéressement], avec plus de succès et moins de contradiction. Car l’expérience a fait connaître que l’éclat est la ruine des œuvres et que la propriété [l’amour-propre] est la destruction du mérite et du progrès en vertu. » Ce système n’avait pas trop mal réussi, si l’on songe que l’Hôpital Général et les Missions étrangères ont traversé sans périr trois siècles de tribulations et d’épreuves.


Marcel Fosseyeux.

  1. Marie Duplessis eut un service aux Carmes, un enterrement à Saint-Sulpice, sa paroisse, mais elle fut inhumée dans le cimetière de Saint-Côme ; le total des frais funéraires s’éleva à 664 livres. Elle demanda en outre 1,000 messes à dire entre diverses églises et couvents. L’inventaire fait après son décès indique une somme de 31,432 livres, dont 9,872 livres de meubles et vaisselle d’argent et 18,405 livres de deniers comptants (archives de l’Assistance publique).
  2. H. Chahu, dont l’enterrement eut lieu à Saint-Sulpice, fut inhumé, auprès de sa femme, dans le cimetière de la paroisse Saint-Côme.
  3. Voir l’inventaire fait après le décès de Mgr l’évêque de Babylone, Bernard de Sainte-Thérèze, mort le 10 avril 1669 (Arch.  nat., S. 6866). Voir son épitaphe dans Félibien, II, 1487.
  4. Arch. de l’Assistance publique, Testament in-extenso, et aussi Bibl. nat., ms. lat. 17924, « Extrait du testament olographe de deffunct Mre Christophe Duplessis, seigneur et baron de Monbar, conser du Roy en ses conseils, en date du 1er novembre 1671, par luy reconnu par dt Lange et Carnot, notaires au Chastelet de Paris, le 7 mai 1672, et déposé pour minute ez mains dud. Carnot le lendemain jour du décez dud. sr Duplessys » (extrait).
  5. Franklin, les Anciennes bibliothèques de Paris, 1873, t. III, p. 165.
  6. Bibl.  nat., ms. lat. 17924.
  7. Arch. de l’Assistance publique, Hôtel-Dieu, dons et legs (legs de Fiennes).
  8. G. Brice, Nouvelle description de Paris, t. IV, p. 24.
  9. Pajot, l’un des premiers administrateurs de l’Hôpital Général, était membre de la Compagnie du Saint-Sacrement depuis 1656. Il se retira au séminaire des Missions étrangères.
  10. Sa bibliothèque fut remise au séminaire des Missions par Catherine, Marguerite et Charlotte Aubery, « filles majeures et jouissantes de leurs droits, héritières bénéficiaires de défunt Philippe Aubery, advocat » (arch. des Missions étrangères, vol. II, p. 89, cité par A. Launay, Documents historiques relatifs à la Société des Missions étrangères, 1904).
  11. Bibl. nat., ms. fr. 515, 516, 517.
  12. Voir Perdrizet, Buffon et la forêt communale de Montbard. Origines de cette forêt. Son aliénation en 1665 et procès qui s’ensuivirent avec M. de Buffon, Dijon, 1888, in-8o.
  13. Madault, Mémoires pour servir à l’histoire de Montbard, Paris, 1882.
  14. Les Bernardines devaient acheter à Philippe Aubery, le 13 mars 1680, deux maisons, rue Cassette, pour 45,000 livres, et provenant du partage fait avec l’Hôtel-Dieu (Arch. nat., S. 4750).
  15. Parmi les vingt-six premiers directeurs, douze au moins appartenaient à la Compagnie du Saint-Sacrement.
  16. Arch. de l’Assistance publique. Le 5 octobre 1658 il remet au Bureau un bijou de pierreries valant 1,250 livres ; le 9 octobre il apporte deux pendants d’oreilles valant 4,000 livres ; le 30 août une tapisserie de haute lisse, l’histoire de Didon, valant 12,000 livres.
  17. Il organise en particulier des dépôts de vivres ou magasins généraux à l’hôtel de Bretonvilliers, dans l’île Saint-Louis, et à l’hôtel Maudosse, près de l’hôtel de Bourgogne (cf. Feillet, la Misère au temps de la Fronde).