Histoire naturelle (trad. Littré)/II/45

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Traduction par Émile Littré.
Dubochet, Le Chevalier et Cie (p. 120-121).
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Livre II — § 45

XLV.

1 Mais il importe beaucoup de distinguer le souffle et le vent. Ces vents réglés et durables qui se font sentir, non à une localité, mais à de vastes contrées ; qui ne sont ni une brise ni une tempête, mais qui se montrent mâles jusque dans leur nom, soit qu’ils naissent du mouvement continuel du monde et du mouvement contraire des astres, soit qu’ils émanent de ce souffle fécond qui anime la nature entière, et qui s’agite çà et là comme dans une espèce de matrice, soit qu’on y voie les effets de l’air fouetté par les coups inégaux des planètes et par les jets divers des rayons, soit qu’ils sortent des planètes voisines ou qu’ils tombent des étoiles fixes ; ces vents, dis-je, sont manifestement assujettis à une loi naturelle qui, sans être ignorée, n’est cependant pas non plus complètement connue. (XLVI.) 2Plus de vingt anciens auteurs grecs ont recueilli des observations sur ce sujet. Mon étonnement est extrême quand je vois que dans le monde, en proie à la division et partagé en royaumes comme en autant de membres, un aussi grand nombre d’hommes s’est livré à la recherche de choses si difficiles à trouver ; et cela sans en être empêchés par les guerres, par les hospitalités infidèles, par les pirates ennemis de tous, et interceptant presque les passages ; et cela avec un tel succès, que, pour des lieux où ils ne sont jamais allés, on en apprend plus sur certains points, à l’aide de leurs livres, que par toutes les connaissances des habitants. De nos jours, au contraire, au sein d’un pays que fête l’univers, sous un prince qui se plaît tant à voir prospérer les choses et les arts, non seulement on n’ajoute rien aux découvertes déjà faites, mais encore on ne se tient pas même au niveau des connaissances des anciens. 3Les récompenses n’étaient pas plus grandes, car la puissance souveraine était partagée entre plus de mains ; et pourtant beaucoup ont fouillé ces secrets de la nature, sans autre rémunération que la satisfaction d’être utiles à la postérité. Ce sont les mœurs qui ont déchu, et non les récompenses. La mer est ouverte dans toute son étendue, tous les rivages sont hospitaliers ; 4mais la foule immense qui navigue le fait pour l’amour du gain et non de la science, sans songer, dans son aveuglement et dans son avidité exclusive, que la navigation elle-même devient plus sûre par la science. En conséquence, avec plus de détails qu’il ne convient peut-être au plan de cet ouvrage, je traiterai des vents, en considération de tant de milliers de marins.