Histoire naturelle (trad. Littré)/II/Bilingue/68

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Traduction par Émile Littré.
Dubochet, Le Chevalier et Cie (p. 132-133).
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Livre II — § 68 (bilingue)

LXVIII.

1(LXVIII.) D’abord on semble compter une moitié pour la terre, comme si ce n’était pas faire tort à l’Océan ! Occupant toute la parte moyenne du globe, source et réservoir de toutes les eaux, même de celles qui s’élèvent sous forme de nuages, alimentant les astres eux-mêmes, si grands et en si grand nombre, dans quel vaste espace ne doit-il pas s’étendre ? Le domaine de cette masse énorme d’eau, rebelle à toute mesure, doit être infini. Ajoutez maintenant que, de la portion qui nous reste, plus de la moitié nous est enlevée par le ciel. Le ciel est divisé en cinq parties qu’on appelle zones : un froid rigoureux et des glaces éternelles assiègent toutes les contrées soujacentes[sic] aux deux zones extrêmes, c’est-à-dire qui entourent les deux pôles, l’un appelé boréal, l’autre opposé, appelé austral ; 2une obscurité perpétuelle y règne, l’influence des astres plus doux y est étrangère, et il n’y a d’autre lumière que la réflexion blanchâtre du givre. La zone du milieu, par où passe l’orbite du soleil, est embrasée par les feux, et la chaleur trop voisine la brûle. Deux zones seulement, intermédiaires à la zone torride et aux zones glacées, sont tempérées ; et encore ne sont-elles pas accessibles l’une à l’autre, à cause des feux que laissent les astres. Ainsi, le ciel nous enlève trois parties de la terre, et nous ignorons ce qui est la proie de l’océan. 3Et je ne sais si la portion qui nous reste ne doit pas encore être réduite. En effet, le même Océan, pénétrant, comme nous le dirons (III-IV), dans une foule de golfes, vient mugir si près des mers intérieures, que le golfe Arabique n’est éloigné de la mer d’Égypte que de cent quinze mille pas (V, 12) et la mer Caspienne du Pont-Euxin que de trois cent soixante quinze mille. Entrant par tant de mers dans les terres, et découpant l’Afrique, l’Europe et l’Asie, combien d’espace n’occupe-t-il pas ? Que l’on fasse le compte du terrain pris par tant de fleuves et par de si grands marais ; qu’on y ajoute les lacs et les étangs ; qu’on retranche ces montagnes élevées jusqu’aux cieux, 4et dont les pentes abruptes effrayent même la vue ; les forêts, les vallées en précipices, les déserts et les lieux inhabitables par mille causes ; telle est notre part : ces parcelles de terre, ou plutôt, comme plusieurs l’ont dit, un point du monde (la terre n’est rien de plus dans l’univers) ! telle est la matière de notre gloire, tel est notre séjour ! C’est là que nous remplissons les magistratures, que nous gérons les commandements, que nous ambitionnons l’opulence ; c’est là que nous nous agitons, pauvre espèce humaine, que nous organisons des guerres, même des guerres civiles, faisant par des massacres mutuels l’espace plus grand ; 5et, pour passer les fureurs des nations, c’est là que nous empiétons sur les limites d’autrui, et que par fraude nous ajoutons à notre terrain le bord du terrain voisin. Pourtant, celui qui aura mesuré les champs les plus vastes, qui aura expulsé au loin les propriétaires limitrophes, quelle sera sa part sur la totalité de la terre ? Et quand même il aurait étendu ses propriétés à la mesure de son avidité, mort, quelle portion en occupera-t-il ?

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