Le Serment du jeu de paume

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Imprimerie de David.


LE SERMENT
DU
JEU DE PAUME.
(20 JUIN 1789.)



Ce jour est le second jour qui doit être inscrit dans les fastes de la nation.
(Mémoires de Bailly.)
À PARIS,
DE L’IMPRIMERIE DE DAVID,
RUE DU POT-DE-FER, No14.
1823.



Le plus célèbre des peintres de notre époque (David) avait été chargé de perpétuer le souvenir d’une journée à jamais mémorable, le 20 juin 1789, d’un fait ineffaçable de la mémoire des Français : le serment du jeu de paume. La peinture éplorée regrette que l’artiste fameux n’ait fait qu’esquisser cet immortel sujet. Cependant ce dessin offre un si grand intérêt, tant par la ressemblance frappante des principaux personnages, que par leur admirable disposition, qu’aujourd’hui les amis de la liberté se sont entendus pour confier au burin le soin de reproduire l’importante composition du premier maître de la moderne école française. À l’occasion de la publicité de cette superbe gravure, il est bien naturel de s’arrêter un moment sur l’action sublime qu’elle retrace, et de rappeler les événemens qui ont préparé et suivi cet acte de courage.



LE SERMENT

DU

JEU DE PAUME.





SOUS Louis XIV, les lumières commencèrent à se répandre. Sous Louis XV, la philosophie éclaira de son flambeau ce que depuis des siècles on s’efforçait d’obscurcir. Cette même philosophie déchira le voile épais qui couvrait les intérêts des nations, enseigna le respect pour les droits sacrés de l’humanité, rétablit les principes immuables de cette raison dont la naissance datait du commencement du monde, mais que le peuple n’avait jamais connue. Ces progrès immenses qu’avait fait la société, les souvenirs rapportés par ces Français revenant d’Amérique, les institutions en désaccord avec les mœurs, le mauvais état des finances, tout réclamait un nouveau système, tout sollicitait la réforme des abus sans nombre existant dans l’administration, tout commandait le renversement de la gothique oppression des siècles barbares.

Le gouvernement se hâta de prévenir le désir public. Le parlement, en refusant d’enregistrer l’impôt territorial, prononça le nom d’ÉTATS-GÉNÉRAUX. On lui répondit par son exil à Troyes. Cependant Louis XVI, voulant donner à ses sujets le spectacle imposant des assemblées du peuple, spectacle qui n’avait point été offert depuis 1614, ordonna le 24 janvier 1789, la convocation d’états-généraux pour le mois d’avril de la même année. Jusqu’ici le tiers-état, quoique partie nécessaire de ces assemblées, n’avait jamais été convoqué que dans une proportion contraire aux intérêts publics, puisqu’elle était trop à l’avantage des premiers ordres ; mais le Roi, par son ordonnance, accorda à la majorité de la nation une représentation égale à celle des deux autres ordres. Cette sage innovation présageait au peuple l’avenir le plus favorable. Tout portait à regarder comme un bienfait la délibération par tête. La joie était universelle, l’espérance était générale.

Les provinces, les bailliages, les sénéchaussées s’assemblent pour concourir à la nomination de leurs députés, ils leur donnent des instructions spéciales : toutes portaient sur les besoins de la nation. C’est ce qu’on trouve dans ces cahiers qui expriment si bien ce que voulait le peuple à cette glorieuse époque.

Le costume des députés de la France est fixé par une ordonnance royale. D’une part des habits brillans et pompeux sont affectés au clergé, de même qu’à la noblesse ; de l’autre on n’assigne aux membres du tiers-état que le lugubre vêtement des hommes de loi. C’était déjà marquer une grande distance entre les représentans de la même nation ; mais la différence dans le cérémonial des réceptions les distinguait bien plus encore. En effet, pour le clergé comme pour la noblesse, les portes du cabinet du Roi sont ouvertes à deux battans, tandis que pour le tiers, un demi passage semble assez large pour recevoir cette multitude roturière admise à défiler devant l’auguste monarque, non pas toutefois sans avoir été long-temps pressée dans le vaste salon d’Hercule. Ces puérilités, qui ne sont rien aux yeux des hommes sages, étaient beaucoup à cette époque, car de ce moment on a pu juger quelle serait la conduite des ordres privilégiés à l’égard des communes ; peut-être même ces petites distinctions ont-elles décidé de la fermeté déployée par le tiers-état jusqu’à la réunion définitive des trois ordres en ASSEMBLÉE NATIONALE. Ainsi dès avant l’ouverture des états-généraux, les communes voyaient déjà les humiliations auxquelles elles allaient sans cesse se trouver en butte ; mais ce que l’étiquette avait voulu flétrir, le peuple l’honora, et le 4 mai on entendit le cri vraiment national : VIVE LE TIERS-ÉTAT !

Enfin le 5 mai, le Roi ouvrit les états-généraux par un discours dans lequel il manifesta les plus belles intentions pour le bien public. Parlant après le monarque, le garde des sceaux fut à peine écouté ; mais un profond silence annonça que Necker, directeur général des finances, allait prendre la parole ; personne ne perdit un mot de son discours : il y dévoilait le mauvais état des finances. C’était, disait-on alors, la plus profonde plaie de l’administration.

Le lendemain on publie ce qui suit : « De par le Roi. Sa majesté ayant fait connaître aux députés des trois ordres, l’intention où elle était qu’ils s’assemblassent aujourd’hui 6 mai, les députés sont avertis que le local destiné à les recevoir sera prêt à neuf heures du matin[1]. » Les membres des communes se rendent au lieu indiqué, mais ils y attendent vainement les deux autres ordres qui s’étaient réunis séparément chacun de leur côté. Cette conduite extraordinaire excite la plus vive indignation parmi les députés du tiers.

Dès-lors on s’aperçut que principalement la noblesse, en venant aux états-généraux, n’avait rien retranché de ses prétentions absurdes, de son ambition, de son amour pour des priviléges surannés. Ces idées d’orgueil et d’usurpation, grâce à la fermeté des communes, ne devaient durer qu’un instant. Les prêtres, soit intérêt bien entendu, soit politique déliée, ne tinrent point une conduite aussi arrogante que les gentilshommes.

Les communes mettent dans leurs opérations une sage lenteur ; elles laissent aux ordres privilégiés le temps de réfléchir et sur ce qu’ils avaient fait et sur ce qu’ils allaient faire. Le 13, une députation du clergé et de la noblesse vient proposer au tiers la vérification des pouvoirs par des commissaires nommés dans chaque ordre. Cette proposition donne lieu à Rabaut de Saint-Étienne de demander que l’on nomme des commissaires pour tâcher de réunir les trois ordres. Chapelier propose de déclarer au clergé et à la noblesse qu’il ne doit y avoir de représentans légaux que ceux dont les pouvoirs seront vérifiés par des commissaires nommés en assemblée générale, et que pour cela il faut inviter les ordres privilégiés à se réunir dans la salle des états. Après avoir entendu sur ces deux propositions Boissy-d’Anglas, Rabaut, Malouet, Volney, Mirabeau, on prend la décision suivante : « L’assemblée des communes a résolu qu’elle nommerait des personnes pour conférer avec celles qui ont été ou qui seront choisies par MM. du clergé et de la noblesse, sur les moyens proposés pour réunir tous les députés, afin de vérifier tous les pouvoirs en commun, et il sera fait une relation écrite des conférences[2]. »

De part et d’autre on nomme ces commissaires. Rabaut, Target, Chapelier, Mounier, d’Ailly, Thouret, Dupont, Legrand, Volney, Redon, Viguier, Bergasse, Salomon, Milscent, Barnave sont choisis par les communes. Le clergé nomme les archevêques de Bordeaux et d’Arles, l’évêque de Clermont, les curés Coster, Dillon, Richard, Thibault et Lescève. Le duc de Luxembourg, le marquis de la Queille, le comte d’Antraigues, le duc de Mortemart, le vicomte de Pouilly, Cazalès, de Bressand, sont mis en avant par la noblesse. De ces diverses conférences, on ne recueillit pas un résultat plus favorable que de celles tenues en présence des commissaires nommés par le Roi.

Cependant comme les communes ne peuvent rester plus long-temps dans cette inaction, et qu’elles n’espèrent plus de rapprochement, elles sentent, elles proclament même la nécessité de se CONSTITUER définitivement ; la vérification des pouvoirs était entièrement terminée, lorsque l’abbé Sieyès propose de se constituer sous le nom d’ASSEMBLÉE NATIONALE ; Mirabeau demande qu’on ne prenne point d’autre dénomination que celle de REPRÉSENTANS DU PEUPLE.

« Je persévère dans ma motion, dit-il, et dans la seule expression qu’on en avait attaquée, je veux dire la qualification du peuple français. Je l’adopte, je la défends, je la proclame, par la raison qui la fait combattre ! Oui, c’est parce que le nom de peuple n’est pas assez respecté en France, parce qu’il est obscurci, couvert de la rouille du préjugé, parce qu’il nous présente une idée dont l’orgueil s’alarme, et dont la vanité se révolte, parce qu’il est prononcé avec mépris dans les chambres des aristocrates, c’est pour cela même, Messieurs, que je voudrais, c’est pour cela même que nous devons nous imposer, non-seulement de le relever, mais de l’ennoblir, de le rendre désormais respectable aux ministres et cher à tous les cœurs. Si ce nom n’était pas le nôtre, il faudrait le choisir entre tous, l’envisager comme la plus précieuse occasion de servir ce peuple qui existe ; ce peuple qui est tout ; ce peuple que nous représentons, dont nous défendons les droits, de qui nous avons reçu les nôtres, et dont on semble rougir que nous empruntions notre dénomination et nos titres. Ah ! si le choix de ce nom rendait au peuple abattu de la fermeté, du courage !… Mon âme s’élève en contemplant dans l’avenir les heureuses suites que ce nom peut avoir ! Le peuple ne verra plus que nous, et nous ne verrons plus que le peuple, notre titre nous rappellera et nos devoirs et nos forces. À l’abri d’un nom qui n’effarouche point, qui n’alarme point, nous jetons un germe, nous le cultiverons, nous en écarterons les ombres funestes qui voudraient l’étouffer, nous le protégerons ; nos derniers descendans seront assis sous l’ombrage bienfaisant de ses branches immenses…

» Plus habiles que nous, les héros bataves qui fondirent la liberté de leur pays, prirent le nom de gueux ; ils ne voulurent que ce titre, parce que le mépris de leurs tyrans avait prétendu les en flétrir ; et ce titre, en leur attachant cette classe immense que l’aristocratie et le despotisme avilissaient, fut à la fois leur force, leur gloire et le gage de leur succès. Les amis de la liberté choisissent le nom qui les sert le mieux, et non celui qui les flatte le plus : ils s’appelleront les remontrans en Amérique, les pâtres en Suisse, les gueux dans les Pays-Bas ; ils se pareront des injures de leurs ennemis ; ils leur ôteront le pouvoir de les humilier, avec des expressions dont ils auront su s’honorer[3]. »

La motion de l’abbé Sieyès l’emporte, et l’assemblée nationale arrête la délibération suivante :

« L’assemblée, délibérant après le résultat de la vérification des pouvoirs, reconnaît que cette assemblée est déjà composée de représentans envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation.

» Une telle masse de députations ne saurait rester inactive par l’absence des députés de quelques bailliages, ou de quelques classes de citoyens ; car les absens qui ont été appelés ne peuvent point empêcher les présens d’exercer la plénitude de leurs droits, qui est un devoir impérieux et pressant.

» De plus, puisqu’il n’appartient qu’aux représentans vérifiés de concourir à former le vœu national, et que tous les représentans vérifiés doivent être dans cette assemblée, il est encore indispensable de conclure qu’il lui appartient, et n’appartient qu’à elle d’interpréter et de présenter la volonté générale de la nation ; nulle autre chambre de députés simplement présumés, ne peut rien ôter à la force de ses délibérations, enfin, il ne peut exister entre le trône et cette assemblée aucun veto ni pouvoir négatif.

» L’assemblée déclare donc que l’œuvre commencée de la régénération de la France, peut et doit être commencée sans retard par les députés présens, et qu’ils doivent la suivre sans interruption comme sans obstacle.

» La dénomination d’assemblée nationale est la seule qui convient à l’assemblée, dans l’état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent sont les seuls représentans légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu’ils sont envoyés par la presque totalité de la nation, soit enfin parce que la représentation nationale est une et indivisible ; aucun des députés, dans quelque autre classe qu’il soit choisi, n’a le droit d’exercer des fonctions séparément de la présente assemblée.

» L’assemblée ne perdra jamais l’espoir de voir réunis dans son sein tous les députés aujourd’hui absens, qu’elle ne cessera d’appeler à remplir l’obligation qui leur est imposée de concourir à la tenue des états-généraux. À quelque moment que les députés se présentent dans le cours de la session qui va s’ouvrir, elle déclare d’avance qu’elle s’empressera de les recevoir et de partager avec eux, après la vérification de leurs pouvoirs, la suite des grands travaux qui doivent opérer la régénération de la France.

» L’assemblée nationale arrête que les motifs de la présente délibération seront incessamment rédigés, pour être présentés au roi et à la nation[4]. »

Après la constitution proclamée, on demande le serment général ; plusieurs difficultés s’élèvent sur sa formule ; mais elle est enfin rédigée, et le serment est prêté en ces termes : « Nous jurons et promettons de remplir avec zèle et fidélité les fonctions dont nous sommes chargés. » Ce serment, prêté par six cents membres, environnés de quatre mille spectateurs, excite la plus grande émotion et l’enthousiasme le plus général : on nomme Bailly pour président, Camus et Pison du Galand pour secrétaires ; moins éclatant peut-être, mais aussi remarquable, l’arrêté rédigé par Target et Chapelier est approuvé dans la même séance.

« L’assemblée nationale, considérant que le premier usage qu’elle doit faire du pouvoir dont la nation recouvre l’exercice sous les auspices d’un monarque qui, jugeant la véritable gloire des rois, a mis la sienne à reconnaître les droits du peuple français, et d’assurer pendant la durée de la présente session, la force de l’administration publique ;

» Voulant prévenir les difficultés qui pourraient traverser la perception et l’acquit des contributions, difficultés d’autant plus dignes d’une attention sérieuse qu’elles auront pour base un principe constitutionnel et à jamais sacré, authentiquement reconnu par le roi, et solennellement proclamé par toutes les assemblées de la nation, principe qui interdit toute levée de deniers et de contributions dans le royaume sans le consentement formel des représentans de la nation ;

» Considérant qu’en effet les contributions, telles qu’elles se perçoivent actuellement dans le royaume, n’ayant point été consenties par la nation, sont toutes illégales, et par conséquent nulles dans leur création, extension ou prorogation,

» Déclare, à l’unanimité des voix, consentir provisoirement pour la nation, que les impôts et contributions, quoiqu’illégalement établis et perçus, continuent d’être levés de la même manière qu’ils l’ont été précédemment, et ce, jusqu’au jour seulement de la première séparation de cette assemblée, de quelque cause qu’elles puissent provenir ;

» Passé lequel jour, l’assemblée nationale entend et décrète que toute levée d’impôts et contributions de toute nature, qui n’auront pas été nommément, formellement et librement accordés par l’assemblée, cessera entièrement dans toutes les provinces du royaume, quelle que soit la forme de leur administration.

» L’assemblée s’empresse aussi de déclarer qu’aussitôt qu’elle aura, de concert avec sa majesté, fixé les principes de la régénération nationale, elle s’occupera de l’examen et de la consolidation de la dette publique, mettant dès à présent les créanciers de l’état sous la garde de l’honneur et de la loyauté de la nation française.

» Enfin l’assemblée, devenue active, reconnaît aussi qu’elle doit ses premiers momens à l’examen des causes qui produisent, dans les provinces du royaume, la disette qui les afflige, et à la recherche des moyens qui peuvent y remédier de la manière la plus efficace et la plus prompte ; en conséquence, elle a arrêté de nommer un comité pour s’occuper de cet important objet, et que sa majesté sera suppliée de faire remettre audit comité tous les renseignemens dont il pourrait avoir besoin.

» L’assemblée nationale ordonne que la présente délibération sera imprimée, et qu’elle sera envoyée dans toutes les provinces du royaume[5]. »

Ces premiers arrêtés, fruits d’une marche ferme et vigoureuse, rendirent à la France les droits imprescriptibles des hommes réunis en société. En effet, il venait d’être décidé par les communes que le tiers état est la NATION ; un grand nombre des membres du clergé faisait déjà partie de l’ASSEMBLÉE NATIONALE ; le reste avait décidé la vérification des pouvoirs en commun, vérification à laquelle on attachait beaucoup d’importance, même parmi les gentilshommes, car ce fut alors que le patriote Montcalm s’écria : « J’ai treize mille livres de rente, j’en sacrifierais la moitié pour obtenir cette réunion si désirée, et mes six enfans ne me désavoueront pas. » Une foule immense attendait la nouvelle de la résolution du clergé, lorsque plusieurs curés se mettent aux fenêtres et annoncent la majorité en faveur de la réunion. Aussitôt retentissent mille acclamations de vive le Roi. L’archevêque de Bordeaux et l’évêque de Chartres sont à leur sortie couverts d’applaudissemens ; les curés reçoivent indistinctement les embrassemens de la multitude qui les environne.

Mais bientôt devait luire un jour plus mémorable encore dans les annales de la liberté, plus glorieux pour la représentation nationale. Prévenu que le plus grand nombre des membres du clergé doit se réunir à l’assemblée, le public se porte avec empressement de très-grand matin à la salle générale ; mais déjà des héraults d’armes publiaient la proclamation suivante : « De par le Roi, le Roi ayant résolu de tenir une séance royale aux états-généraux, lundi 22 juin, les préparatifs à faire dans les trois salles qui servent aux assemblées des ordres, exigent que les assemblées soient suspendues jusqu’après la tenue de ladite séance : Sa Majesté fera connaître, par une nouvelle proclamation, l’heure à laquelle elle se rendra lundi à l’assemblée des états[6] ».

Un détachement de gardes françaises s’était emparé de l’hôtel des états, en défendait l’accès, arrêtait les transports de cette curiosité patriotique qui avait conduit aux environs de la salle un nombreux concours de spectateurs.

Vers les neuf heures du matin, accompagné de deux secrétaires, le président de l’assemblée, Bailly, se présente à l’entrée principale de la salle : l’avenue de Paris est couverte de monde : on y remarque un grand nombre de députés. La sentinelle s’opposant au passage de Bailly, il fait demander l’officier de garde ; alors M. le comte de Vortan se présente et dit qu’il a des ordres pour ne laisser entrer personne dans la salle, à cause des préparatifs qui s’y font pour la séance royale. Bailly lui déclare avec fermeté qu’il proteste contre l’empêchement mis à l’ouverture de la séance indiquée la veille, et QU’IL LA DÉCLARE TENANTE. L’officier ajoute que néanmoins il est autorisé à laisser entrer le président et les secrétaires pour prendre les papiers dont ils peuvent avoir besoin. Bailly et les secrétaires s’assurent qu’en effet la plus grande partie des bancs est enlevée, et que tous les environs de la salle sont gardés par des soldats.

Il est impossible, même aujourd’hui, de rendre compte de ce qui se disait dans les groupes de députés rassemblés sur l’avenue de Versailles et entourés d’une population accourue soit de Paris, soit des alentours. Les uns, pénétrés de la plus vive douleur, n’entrevoient dans l’avenir que la dissolution des états-généraux. On se demande réciproquement ce qu’il faut faire dans des conjonctures aussi douloureuses. Là on s’écrie : « Allons tous à Marly tenir notre séance au pied même du château ; que le Roi nous voie, qu’il nous entende, qu’il vienne prendre place parmi nous ! C’est au milieu des députés de son peuple, c’est dans une communication libre avec eux, qu’il apprendra à connaître l’esprit qui les anime, et non dans le morne silence d’une séance royale ». Ici on se dit : « On veut empêcher la réunion du clergé ». Les uns s’interrogent : « Et quoi ! se disent-ils, veut-on dissoudre les états ? Le gouvernement veut-il plonger la patrie dans les horreurs de la guerre civile ? » Les autres s’écrient : « Partout est la disette ! Partout on éprouve les rigueurs de la famine ! Nous allions mettre un terme à ces malheurs et l’on nous ferme le lieu de nos délibérations. » Telle est l’agitation des députés exprimant au milieu de la multitude, avide d’entendre, les sentimens patriotiques dont ils sont animés.

Ceux-là veulent s’assembler sur la place d’armes. « C’est dans ce lieu, dit-on, qu’il faut retracer ces beaux jours de notre histoire ; c’est là que nous tiendrons le champ de mai. »

Ceux-ci parlent de se réunir dans la galerie du château, afin d’y donner le spectacle tout neuf de parler le langage de la liberté dans la résidence même du pouvoir absolu. Mais une rumeur se fait entendre : on annonce aux députés que sur la proposition de Guillotin on va se rendre AU JEU DE PAUME ; mais toujours ombrageux l’amour de la liberté veut prévenir qu’un coup d’autorité ne ferme les portes du modeste asile que viennent de se choisir les mandataires du peuple français. Six députés courent s’en emparer. Les groupes se réunissent ; on s’encourage en marchant, on promet de ne jamais se séparer et de résister jusqu’à la mort. On fait avertir ceux des députés qui ne sont pas instruits de ce qui se passe ; un député malade Maupetit (de la Mayenne) s’y fait transporter.

On arrive au jeu de paume ; le propriétaire reçoit les mandataires de la nation avec joie, avec empressement. Deux députés se placent à la porte pour empêcher la foule de remplir ce local. Les gardes de la prévôté viennent demander à continuer leur service de même qu’à la salle ordinaire ; on accepte l’offre de ces soldats citoyens.

C’est cette espèce de gymnase, construit pour de frivoles exercices, que l’assemblée nationale va changer en sanctuaire de liberté ; cette enceinte va bientôt retentir des accens du patriotisme le plus énergique. On offre un fauteuil au président, il le refuse ; il ne doit point être assis, dit-il, quand l’élite de la nation est debout. L’assemblée s’organise enfin, un profond silence règne, Bailly rend compte des faits et communique la lettre qu’il a reçue du marquis de Brézé : « Le Roi m’ayant ordonné, Monsieur, de faire publier par les héraults l’intention dans laquelle Sa Majesté est de tenir, lundi 22 de ce mois, une séance royale, et en même temps la suspension des assemblées, que les préparatifs à faire dans les trois salles des ordres nécessitent, j’ai l’honneur de vous en prévenir. Je suis avec respect, Monsieur, etc. »

P. S. Je crois qu’il serait utile, Monsieur, que vous voulussiez bien charger MM. les secrétaires du soin de serrer les papiers, dans la crainte qu’il ne s’en égare ; voudriez-vous bien aussi avoir la bonté de me faire donner les noms de Messieurs les secrétaires, pour que je recommande qu’on les laisse entrer, la nécessité de ne point interrompre le travail pressé des ouvriers ne permettant pas l’accès des salles à tout le monde[7] ? »

Bailly fait connaître qu’il a répondu à cette lettre dans les termes suivans : « Je n’ai encore reçu aucun ordre du Roi, Monsieur, pour la séance royale, ni pour la suspension des assemblées, et mon devoir est de me rendre à celle que j’ai indiquée pour ce matin à huit heures ». En réponse, le président reçut du marquis de Brézé la lettre suivante : « C’est par un ordre positif du Roi que j’ai eu l’honneur de vous écrire ce matin, Monsieur, et de vous mander que Sa Majesté voulant tenir lundi une séance royale qui demande des préparatifs à faire dans les trois salles de l’assemblée des ordres, son intention était qu’on ne laissât entrer personne et que les séances fussent suspendues jusqu’après celle que tiendra Sa Majesté[8]. »

Ces diverses lectures faites, Bailly dit qu’il n’a pas besoin de faire sentir la situation affligeante où se trouve l’assemblée. Il propose de mettre en délibération le parti qu’il faut prendre dans un moment aussi orageux.

Mounier émet une opinion fortement appuyée par Target, Chapelier et Barnave ; il montre combien il est étrange que la salle des états-généraux soit occupée par des hommes armés ; que l’on n’offre pas un autre local à l’assemblée nationale ; que son président ne soit averti que par des lettres du marquis de Brézé, et les représentans nationaux que par des placards ; qu’enfin ils soient obligés de se réunir dans un jeu de paume, pour ne pas interrompre leurs travaux ; que blessés dans leurs droits et dans leur dignité ; avertis de toute la vivacité de l’intrigue et de l’acharnement avec lequel on cherche à pousser le Roi à des mesures désastreuses, les représentans de la nation doivent se lier au salut public et aux intérêts de la patrie par UN SERMENT SOLENNEL.

Il s’élève à l’instant un cri unanime d’approbation et l’assemblée prend à l’instant l’arrêté suivant : « L’assemblée nationale considérant qu’appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle ne continue ses délibérations, dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin partout où ses membres sont réunis, là est l’assemblée nationale,

» Arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront LE SERMENT SOLENNEL de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des bases solides, et que le serment étant prêté, tous les membres et chacun d’eux en particulier, confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable[9]. »

Le président demande pour les secrétaires et pour lui l’honneur de prêter le serment les premiers, ce qu’ils font à l’instant dans la formule suivante : « Nous jurons de ne jamais nous séparer de l’assemblée nationale, et de nous réunir partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondemens solides. » Bailly prononça ce serment à voix si haute et si intelligible que ses paroles furent entendues de tout le peuple qui était dans la rue, et sur-le-champ, au milieu des applaudissemens, il part de l’assemblée et de la foule des citoyens qui étaient dehors, des cris réitérés et universels de vive le Roi.

Tous les membres prêtent le même serment entre les mains du président.

Les députés de la colonie de Saint-Domingue se présentent pour demander la permission de s’unir provisoirement à la nation en prêtant le même serment.

Bailly rend compte à l’assemblée que le bureau de vérification a été unanimement d’avis de l’admission provisoire des douze députés de Saint-Domingue ; l’assemblée se range à cet avis ; les députés sont introduits, ils font le même serment. M. le marquis de Gouy leur adresse ces paroles remarquables : « La colonie de Saint-Domingue était bien jeune quand elle s’est donnée à Louis XIV ; aujourd’hui, plus brillante et plus riche, elle se met sous la protection de l’assemblée nationale. »

On procède ensuite à l’appel des bailliages, sénéchaussées, provinces et villes suivant l’ordre alphabétique, et chacun des membres répond, s’approche du bureau et signe.

Camus, l’un des secrétaires, annonce à l’assemblée que Martin d’Auch, député du bailliage de Castelnaudary, a signé OPPOSANT.

Un cri général d’indignation se fait entendre ; un tumulte effroyable règne dans l’assemblée, la fureur est au comble ; on a la douleur de voir s’évanouir l’unanimité de la délibération ; cependant l’assemblée se calme, le silence s’acquiert à la voix du président, qui supplie que l’on entende les raisons de l’opposant. Alors Martin d’Auch déclare qu’il ne peut jurer d’exécuter des délibérations qui ne sont pas sanctionnées par le Roi. Bailly lui répond que l’assemblée a proclamé les mêmes principes dans ses adresses et dans ses délibérations et qu’il est dans le cœur et dans l’esprit de tous les membres de reconnaître la nécessité de la sanction du Roi pour toutes les résolutions prises sur la constitution et la législation.

L’opposant persiste dans son avis, et l’assemblée arrête qu’on laissera sur le registre la signature, pour prouver la liberté des opinions. Ce fait rappelle la conduite de ce palatin qui, dans une diète de Pologne, refusa seul sa voix à celui à qui l’unanimité avait déféré la couronne : « J’ai voulu voir, dit-il, si nous étions encore libres ». Mais le palatin réunit ensuite son suffrage à celui de ses concitoyens…[10].

Plusieurs membres, avant de se quitter, proposent de présenter une adresse au Roi. Cette proposition n’a pas de suite, et l’assemblée, après avoir donné un grand exemple, non-seulement à la France, mais encore au monde entier, se sépare en s’ajournant au lundi 22. Elle décide en outre que dans le cas où la séance royale aurait lieu dans la salle ordinaire, les membres seraient tenus de rester après la cérémonie, pour continuer leurs travaux.

Cette résistance courageuse, dont l’influence s’est fait si grandement sentir par la suite, assure à l’assemblée nationale l’admiration de la postérité la plus reculée. Les effets de cette fameuse journée sont innombrables dans l’histoire de la révolution, sont incalculables dans la marche des événemens. Toutefois cette séance, aussi imprévue que mémorable, n’accomplissait pas encore le vœu public, la réunion des trois ordres n’ayant eu lieu que quelques jours après.

Gardées par des soldats avec l’ordre de n’y laisser pénétrer personne, les portes de la salle des états continuent à être fermées. Annoncée pour le lundi, la séance royale est remise au lendemain. La ville de Louis XIV, Versailles, vit encore les représentans de la France courir de rue en rue, errer d’édifice en édifice sans savoir où poursuivre leurs délibérations.

Curieuse d’assister à une séance semblable à celle du samedi, connaissant le renvoi de la séance royale au mardi, une foule de citoyens inondent le jeu de paume. Mais comme on a l’espérance que la majorité du clergé viendra se réunir aux communes, on juge qu’un lieu de plaisir n’est point un endroit convenable pour recevoir le clergé. On se transporte aux Récollets ; mais la chapelle de ce couvent est-elle trouvée petite et incommode ? Les religieux sont-ils peu touchés de l’honneur que leur fait l’assemblée ? Craint-on de les chagriner ? N’importe, on s’achemine vers l’église Saint-Louis ; on s’installe dans la nef, et ce que l’on appelait de tous ses vœux, arriva comme par ordre du Dieu dans le sanctuaire duquel on s’était réfugié.

On entend aussitôt l’appel des cent quarante-neuf membres du clergé venus pour se réunir aux communes et assemblés dans le chœur. Pendant cet appel, les noms de l’archevêque de Bordeaux, de l’évêque de Chartres, de M. l’abbé Grégoire, curé d’Embermenil et député de Lorraine, et de plusieurs autres curés du Poitou, sont couverts des applaudissemens de la multitude remplissant presque entièrement l’église.

Cette opération terminée, la porte du chœur s’ouvre, une députation, ayant à sa tête l’évêque de Chartres, s’avance majestueusement et demande à être admise avec les autres membres du clergé. Un moment après, l’archevêque de Vienne, trois autres prélats et tous les ecclésiastiques formant la majorité, viennent prendre les places qui leur sont destinées. Le silence auguste qui régnait lorsque les portes du sanctuaire se sont ouvertes est rompu par des acclamations universelles. Des larmes de joie et d’attendrissement coulent de tous les yeux. On cherche à entendre l’archevêque de Vienne et Bailly, mais des applaudissemens réitérés interrompent leurs discours, dans lesquels on remarquait les expressions touchantes du plus pur civisme, et qui mériteraient, ainsi que les noms de ces généreux députés du clergé, d’être gravés en lettres d’or dans les annales de la patrie.

Cette réunion était plus solennelle et plus auguste à cause de la sainteté du lieu : il se mêlait à l’intérêt de la patrie quelque chose de religieux et de sacré. Quelles émotions agréables n’inspirait point ce spectacle imposant de dignes prélats et de vénérables pasteurs venant jurer au pied des autels du Dieu de paix dont ils étaient les ministres, l’alliance la plus sublime et la plus patriotique.

Enfin, le jour de la séance royale arrive. Une galerie de bois servant de vestibule à la porte par laquelle doit entrer le tiers-état, est trop petite pour contenir les députés, de sorte qu’un grand nombre se trouve dehors, exposés à la pluie. C’est là cependant que les communes sont réunies. Les murmures commencent à se faire entendre, les esprits s’échauffent, on manifeste l’intention de se retirer ; on va presque opérer cette retraite lorsque heureusement les maîtres de cérémonie ouvrent les portes ; Bailly fait sentir à M. de Brézé l’inconvenance d’un pareil endroit et du retard qu’on leur a fait éprouver, mais qui, au grand étonnement des communes, se trouve justifié par le placement déjà opéré des autres ordres.

Le Roi avait pris pour type de son discours la division qui avait allumé les esprits de tous les ordres et l’impatience où était la nation de la voir finir, ensuite le garde des sceaux prend les ordres du Roi, et lit la déclaration des volontés de son souverain ; on y remarquait l’annullation des délibérations du tiers-état, prises le 17 juin, comme inconstitutionnelles. Puis le Roi reprenant la parole dit : « Si vous m’abandonnez je ferai le bien de mes peuples seul ; je serai leur représentant : réfléchissez. Aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans ma sanction ;… défiance serait injustice… Je vous ordonne de vous séparer de suite, et de reprendre demain le travail dans vos chambres. J’ordonne à M. le maître des cérémonies de les faire arranger[11]. »

Après le départ du Roi, un grand nombre de curés et tous les membres de l’assemblée nationale immobiles et en silence sur leurs banquettes, contenaient à peine leur indignation en voyant LA MAJESTÉ DE LA NATION si indignement outragée, lorsque le marquis de Brézé s’approche du président et dit : « MM. vous avez entendu les intentions du Roi. » Le bouillant Mirabeau se lève, avec le ton et les gestes d’un homme vivement insulté et lui crie : « Les communes de France ont résolu de délibérer : nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès de l’assemblée nationale ; vous qui n’avez ici, ni place, ni voix, ni droit de parler, allez dire à votre maître que nous sommes ici par la puissance du peuple, et qu’on ne nous en arrachera que par la force des baïonnettes. » D’une voix unanime tous les députés se sont écriés : tel est notre sentiment[12].

Des ouvriers venus pour enlever l’appareil fastueux de cette séance, frappés de l’immobilité des pères de la patrie, s’arrêtent et suspendent leur travail. Cependant Camus, rompant le profond silence qui règne dans la salle, fait la motion de persister dans les précédens arrêtés. Barnave, Gleizen, Péthion, Buzot, Garat l’aîné, l’abbé Grégoire et beaucoup d’autres membres appuient vigoureusement cette motion. Se résumant froidement, l’abbé Sieyès dit : « Messieurs, vous êtes aujourd’hui ce que vous étiez hier. » On va aux voix et l’assemblée nationale déclare à l’unanimité qu’elle persiste dans ses précédens arrêtés.

« Je bénis la liberté, s’écrie Mirabeau, de ce qu’elle mûrit de si beaux fruits dans l’assemblée nationale. Assurons notre ouvrage en déclarant inviolable la personne des députés aux états-généraux : ce n’est pas manifester une crainte, c’est agir avec prudence, c’est un frein contre les conseils violens qui assiégent le trône. » Après une très-courte discussion, l’assemblée se sépare après avoir pris l’arrêté suivant : « L’assemblée nationale déclare que la personne de chacun des députés est inviolable ; que tous individus, toutes corporations, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député pour raison d’aucunes propositions, avis, opinions ou discours par lui faits aux états-généraux, de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucuns desdits attentats, de quelque part qu’ils soient ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation et coupables de crime capital. L’assemblée nationale arrête que dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour faire rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs ; arrête pareillement que toutes poursuites civiles et criminelles seront interdites à toutes personnes et à tous tribunaux pendant la présente session contre lesdits députés, si elles ne sont autorisées par l’assemblée nationale. »

Ainsi se termina cette séance royale, dans laquelle le courage de l’assemblée ne s’est pas moins fait admirer que dans celle du 20 juin. Ces grands exemples de fermeté et de courage donnèrent beaucoup à penser, et plus encore à réfléchir ; ils arrachèrent à la noblesse et à la minorité du clergé d’importantes concessions ; enfin, le 27 juin, ils amenèrent la réunion définitive des trois ordres.



FIN.

  1. Moniteur.
  2. Moniteur.
  3. Discours et opinions de Mirabeau. Édition de 1820, tome I, pages 203 et 205.
  4. Moniteur et Point du jour.
  5. Moniteur et Point du jour.
  6. Moniteur et Point du jour.
  7. Moniteur et Point du jour.
  8. Ibidem.
  9. Moniteur et Point du jour.
  10. Martin d’Auch va le lendemain dimanche, trouver Bailly, lui parle le langage de l’homme de bien, lui expose toute sa douleur ; ce n’était pas qu’il rétractât son opinion ; mais il était au désespoir d’avoir manqué par la forme à l’assemblée et de voir qu’on soupçonnât son patriotisme et sa droiture. Comme il ne savait s’il devait s’y représenter, Bailly lui dit que rien au monde ne pouvait l’empêcher de remplir ses devoirs et exercer ses droits. Tous ces éclaircissemens donnés à l’assemblée, elle promit que le passé serait oublié, que Martin d’Auch, inébranlable dans ses opinions, avait prouvé qu’il était homme d’honneur et de courage, et qu’il n’éprouverait aucun désagrément (Mémoires de Bailly).

    On ne sait dans cette occasion ce que l’on doit le plus admirer, ou de la conduite de l’opposant ou de celle de l’assemblée, qui s’est bien gardée de faire jeter à la porte par les gardes de la prévôté, Martin d’Auch. Ce souvenir généreux, rapproché de l’héroïque séance du 4 mars 1823, nous fournirait-il cette vérité chagrinante, que le temps a frappé de mort le sentiment universel qu’on avait à cette brillante époque des droits et des convenances ?…

  11. Point du jour.
  12. Discours et opinions de Mirabeau. Édition de 1820, tome I, p. 206.