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Le Voyage de Marie Stuart

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Le Voyage


DE


Marie Stuart.


ÉLÉGIE.



Adieu France ! adieu mes beaux jours.

Complainte de Marie Stuart.


Fille et veuve des rois, quand la noble Marie,
Pour le ciel nébuleux de sa triste patrie,
Des princes de Lorraine eut quitté le palais,
Fiers du dépôt sacré que leur glaive protège,
De chevaliers français un amoureux cortège
Apparut avec elle aux remparts de Calais.
Quelle clameur alors fît retentir la rive !
Les enfants, les vieillards, de tant d’éclat ravis,

Entouroient la princesse, et, d’une voix plaintive,
Mêloient à leurs adieux de sinistres avis :


« Pour franchir la liquide plaine,
Ô Marie ! ô guerriers ! quel temps choisissez-vous ?
Modérez, imprudents, l’ardeur qui vous entraîne,
Et des vents déchaînés redoutez le courroux.
Déjà de l’humide pléiade
L’urne se répand à grands flots ;
Déjà l’enceinte de la rade
Abrite les vieux matelots.
L’hiver s’avance, nos rivages
Sont battus par les aquilons ;
Et, messagère des orages,
La grue a fendu les nuages
De ses anguleux bataillons. »


Présage vain ! inutile menace !
Ni l’onde qui mugit, ni ses gouffres ouverts,

Ne peuvent arrêter l’audace
De ces nouveaux enfants des mers :
L’Écosse les appelle ; et de sa jeune Reine
Médicis elle-même ordonna le départ ;
Médicis l’a voulu : pour sa jalouse haine
Un jour est désormais un siècle de retard.
Il faut partir : Marie, en sa douleur amère,
Du sommet de la poupe un moment considère
Ces marins, ces soldats autour d’elle empressés,
Ces voiles où des vents vient mugir la colère,
Et ces créneaux flottants de canons hérissés.


Mais lorsque le léger navire
S’éloigna tout-à-coup de ces bords gémissants :
Lorsqu’elle vit s’enfuir et ce port qu’elle admire,
Et ces plaines dont le sourire
Accueillit ses plus jeunes ans ;
L’infortunée alors, cédant à ses alarmes,
Sentit son cœur pressé d’un grand désir de larmes ;
Et bien que résignée aux célestes décrets,


Elle fit, en ces mots, éclater ses regrets :


« Terre des Lys ! ô doux royaume !
« Le plus beau, le plus riche après celui du ciel,
« Dans un de tes vallons, et sous un toit de chaume,
« Que n’ai-je dû la vie à quelque humble mortel !


« Là, bornant tous mes vœux à des moissons fertiles,
« Simple fille des champs, j’eusse ignoré toujours
« Les crimes du pouvoir, les discordes civiles,
« Et les lâches complots qui règnent dans les cours.


« Perfide Elisabeth ! implacable rivale !
« Hélas ! pourquoi ta flotte et tes nombreux soldats,
« En me fermant sur l’onde une route fatale,
« Ne viennent-ils me rendre à ces heureux climats !


« Adieu, brillant trésor d’honneur, de poésie,
« Domaine des beaux arts, asile des amours !
« Je ne te verrai plus, terre de courtoisie !
« Adieu France ! adieu mes beaux jours ! »

Telle au bord du navire, et d’une voix éteinte,
La fille des Stuarts déploroit ses malheurs ;
Mais les vents emportoient sa plainte,
Comme l’onde emportoit ses pleurs.
Sur une ancre appuyée, et malgré sa souffrance,
Avide, en s’éloignant, de contempler la France,
Elle n’en put distraire et son cœur et ses yeux,
Qu’à l’heure où de la nuit de profondes ténèbres
Vinrent de leurs voiles funèbres
Couvrir les flots silencieux.
Mais dès que les rayons de la naissante aurore
Éclairèrent un ciel de pourpre coloré,
En élevant les mains vers le Dieu qu’elle implore,
Dans l’horizon, Marie encore
Chercha le rivage adoré ;
Et comme la frêle carène,
Docile aux désirs de la reine,
Sur les ondes sembloit dormir,
Une dernière fois cette terre chérie
S’offrit à ses regards, et son âme attendrie
De nouveau se prit à gémir.

Bientôt la voile s’enfle : une brise soudaine
Du vaisseau ranimé précipite l’élan ;
Et le dernier sommet de la côte lointaine,
Comme une vapeur incertaine,
Se perd dans l’immense Océan.
Durant cinq jours entiers une tempête affreuse
Menaça d’entourer la nef aventureuse
Où cette reine généreuse
Bravoit la colère du sort ;
Durant cinq jours entiers, dévouée au naufrage,
Marie, aimable fleur que tourmentoit l’orage,
Sous les vêtements du veuvage,
En silence attendit la mort.
Enfin, à la faveur d’une nuit tutélaire,
À travers mille écueils semés de toutes parts,
Elle échappe aux vaisseaux de l’impie Angleterre,
Et trompe la fureur de ces fiers léopards.


C’est ainsi que la jeune reine,
En butte aux pièges de la haine,

Revit le sol natal et ses bords orageux.
Mais loin de l’entourer de fêtes et de jeux,
Ce moment vint encor abattre son courage.
On lui dit que déjà, rassemblés sur la plage,
Quelques amis pour elle avoient armé leurs bras ;
Et lorsqu’à tant d’amour heureuse de se rendre,
Du funeste vaisseau Marie alloit descendre,
Parmi la folle ivresse et les cris des soldats,
Quel présage !… une hache embarrasse ses pas !
Comme si Dieu lui-même à cette infortunée
Eût voulu révéler toute sa destinée,
Et l’avertir de son trépas !


Ô toi ! dont l’enfant de la Clyde
Vantoit la douce majesté :
Âme tendre, reine intrépide,
Qui semblois marcher sous l’égide
De la grâce et de la beauté,
Devois-tu donc un jour, aux nations tremblantes
Rappeler par ta mort que le royal bandeau

Trop souvent des mains du bourreau
Porta les empreintes sanglantes !
Et ces mêmes Français, témoins de tes malheurs,
Devoient-ils, dans la nuit d’une époque lointaine,
Lire le sort d’une autre reine,
Éternel sujet de nos pleurs !