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Ducray-Duminil fut loin d’être un écrivain, son renom de romancier semble bien terne aujourd’hui. Cependant on ne saurait lui refuser de la fécondité d’imagination, un talent ingénieux à disposer ses plans et à conduire ses péripéties.

Marie-Françoise-Sophie Nichault de Lavalette, plus tard Mme Gay, née à Paris le 1er juillet 1776, toucha successivement à la nouvelle sentimentale, au roman de mœurs, et au simple récit d’aventures. Elle écrivit en 1802 son premier roman, Laure d’Estelle, plein d’allusions piquantes. Mme de Genlis, sous le nom de Mme de Gencourt, est présentée là comme une femme « sentencieuse et pédante, adroite et flatteuse, visant à une perfection méthodique, fort suspecte de mettre les vices en action et les vertus en préceptes. » Dans cet essai Sainte-Beuve reconnaît déjà le style net, courant et généralement pur qui distingue les écrits de Sophie Gay. Au lendemain de cette publication, la jeune femme se maria et resta dix ans sans faire parler d’elle. Elle revint aux occupations littéraires en 1813, et donna Léonie de Montbreuse, l’un de ses plus délicats ouvrages. Son troisième roman, Anatole (l815), écrit sur le même ton gracieux et léger, appartient à cette classe de romans anecdotes « dont la donnée repose sur une infirmité ou une bizarrerie de la nature : ainsi Ourika de Mme de Duras, Aloïs de M. de Custine, le Mutilé de M. Saintine. » Après Anatole, Sophie Gay changea de manière et composa les Malheurs d’un amant heureux (1818-1823), dont l’allure et le style sont plus lestes et dont les traits de mœurs visent à l’épigramme. Dans les nombreux romans qui suivirent ces diverses publications, Sophie Gay s’attacha de plus en plus à prendre le ton du jour, et même à revêtir cette manière simple et naturelle qui n’a pas d’époque. Elle sema d’observations fines, de pensées délicates et bien dites, Ellénore, le Moqueur amoureux, la Duchesse de Châteauroux, la Physiologie du ridicule, les Souvenirs d’une vieille femme[1].

« Mais, dit Sainte-Beuve, Mme Sophie Gay était bien autre chose qu’une personne qui écrivait, c’était une femme qui vivait, qui causait, qui prenait part à toutes les vogues du monde depuis plus de cinquante ans, qui y mettait du sien jusqu’à sa dernière heure. Elle eut vers le milieu de sa carrière un bonheur dont toutes les mères qui écrivent ne se seraient pas accommodées ; elle eut des filles qui l’égalèrent par l’esprit et dont l’une la surpassa par le talent. »

Sophie Gay, dont la parole d’une gaieté si vive et si franche était goûtée des gens d’esprit, donna de précieux détails sur les réunions littéraires dans un ouvrage élégamment écrit : les Salons célèbres.

Théophile Gautier s’annonça par un recueil de nouvelles gogue-

  1. Lévy.