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LE MARI A L’ESSAI.

vient d’avoir de la générosité à ton égard. Et ç’a été le but de ma démarche extraordinaire, qui sûrement ne serait pas approuvée si elle était connue : car on ne saurait pas comme je l’ai préparée, comme je l’ai amenée, et que je ne l’ai faite, que certaine du succès-[1].

Demeuré seul, je tombai dans une rêverie profonde, occasionnée par tout ce qui venait de se passer. Je brûlais d’envie de posséder Sophie : mais d’un autre côté, elle m’était trop chère pour lui ôter la plus belle fleur de la couronne de beauté. Je me confirmai dans mes résolutions, et j’imposai silence aux désirs tumultueus, qui souvent criaient très-haut, au-point que j’entendais à peine la voix de la raison. Ils la fesaient même parler quelquefois pour eux ; ils sollicitaient la nature, et l’engageaient à faire cause commune. Je surmontai tout ; parceque j’aimais réellement, et j’eus la satisfaction de sentir, que je ne devais la force que j’avais sur moi-même, qu’à celle de mon amour.Je vécus donc avec ma Sophie dans la plus grande intimité. Sa Mère crut, ou plutôt feignit de croire, que j’avais profité du don qu’elle m’avait fait. Comme ma conduite devint encore plus tendre qu’auparavant, elle en fut comblée, et se plaisait, me disait-elle souvent à voir sa conduite extraordinaire couronnée par le succès.

— Mais ce n’est pas encore bien là ce que je désire, me dit-elle un-jour : je voudrais vous voir dans l’opinion que vous êtes engagés par des liens indissolubles, qui ne le seraient pas, pour savoir comment vous vous en tireriez, et si votre conduite serait encore la même ? — Pour celui-là,

  1. Une chose qu’on n’a jamais dite à Mr  Saintpreux, et que je tiens de Mme  Sainteusèbe elle-même, c’est que cette Dame n’aurait pas souffert ce qu’elle paraissait avoir presqu’ordonné. Mais comme elle aurait occasionné un choc des passions aussi fort ; elle n’en aurait pas puni l’Amant de sa Fille : elle les aurait unis sur-le-champ.(Dulis).