Parlons peinture (3)

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De Stijlannée 4, numéro 3 (p. 36-40).
PARLONS PEINTURE ....
PAR LÉONCE ROSENBERG.

Gardez-vous des animaux malades de la peste apollinarienne. Ils sont non seulement incurables, mais aussi dangereusement contagieux. Regardez-les cependant et contemplez en eux la fin d'un monde.

L’accès du Cubisme est aussi dangereux aux êtres pusillanimes et ignorants que l’était autrefois celui des sanctuaires égyptiens. C’est la mort qui les attend, alors qu’ils croient trouver le salut dans une fuite honteuse.

Le Cubisme ne craint pas ses pires ennemis, ceux qui retournent à un monde agonisant.

On ne sauve pas un moribond avec les vieilles drogues auxquelles il est depuis longtemps habitué. Le malade importuné repousse le charlatan dont il n’a nul besoin.

Pour justifier leur défection, les transfuges du Cubisme glorifient l’œuvre des grands morts auxquels ils désirent être apparentes. Habile façon de se glorifier eux-mêmes, ou encore de vouloir faire légaliser leur signature.

Seuls les hommes vaillants et sérïeux peuvent s’engager dans le Cubisme; ils sauront y trouver le chemin qui mène à la Connaissance.

La preuve de la décadence de l’art avant Cézanne: En remontant, dans un Musée, le cours des siècles, ils apparaît lumineusement au spectateur, qu’au fur et à mesure qu’il s’éloigne de son temps, la qualité des œuvres s’améliore et l’esprit des choses s’élève.

Telle époque, tel art.

Il ne s’agit pas de reconstituer une grande époque, mais d'en constituer une autre équivalente.

Tout art qui n’a pas une portée unïverselle, n’est qu’un amusement.

Les analystes auront beau représenter l’art égyptien comme un art primaire et les empiriques l’ignorer, l’Egypte qui a su déjà initier les esprits les plus élevés de l’humanité: Moïse, Pythagore, Platon, Jésus, saura bien encore éclairer les prophètes de l’avenir.

En art comme à la guerre, le salut est encore et toujours dans l’esprit de victoire.

Qui ne sait pas inventer, ne mérite pas le nom d’artiste.

Au temps des Seigneurs, les peintres, modestes artisans, du réveil au coucher penchés sur leur travail, n’avaient d’autres pré-occupations que celle de matérialiser l’Esprit. Aujourd’hui, certains, se prétendant demi-dieux, en raison d’avantages dont notre bourgeoisie paysanne et boutiquière est incapable de contrôler la valeur et surtout d’en faire la part de mérite, n’acceptent d’autre pré-occupation que celle de tirer du sentimentalisme d’une société inculte, les moyens de matérialiser leur gloriole.

Les demi-dieux aussi ont soif.

Ce qui est consacré à l’intérêt est pris à l’Art. L’oeuvre souffre du temps ainsi sacrifié. Gardez-vous donc des peintres trafiquants. Pressés d’arriver avant que la faiblesse de leur effort artistique ne soit reconnue, ils ne reculeront devant aucun moyen pour forcer votre amour.

La joie d’un spectateur n’est pas révélatrice d’art.

Tant vaut l’amateur, tant vaut l’oeuvre.

Le Cubisme n’est pas une école, mais une ère nouvelle. Après s’être annoncée, comme toujours, dans les balbutiements des primaires, elle s’affirme magnifiquement, aujourd’hui, dans les oeuvres de ses primitifs.

Les philistins ne font pas de différence entre „primitif” et „primaire”. Les pauvres confondent innocence avec ignorance.

A peine une époque de synthèse succède-t-elle à une époque d’analyse, qu’un désaccord irréductible s’établit aussitôt entre personnes d’époques différentes.

L’initié, c’est l’homme parvenu à la Connaissance et la Tradition, la règle transmise par les initiés.

La règle est donc fille de la Connaissance. Appliquée par une âme religieuse et dans un esprit d’amour, elle engendre une grande époque.

A chaque grande èpoque de l’humanitè correspond un aspect nouveau de la Tradition.

Chez l’empirique, sept oeuvres sur dix ne naissent pas viables, mais chez l’initié, tout peut entrer dans la vie.

L’empirique, tributaire du seul Destin, est incapable d’exécuter, sans défaillance, une commande déterminée. Au contraire, l’initié peut se charger avec succès de toutes celles que lui valent la Volonté de l’homme.

En art aussi, il n’y a qu’une base possible: la vérité de l’Esprit.

La vérité des sens, c’est l’apparente convergence de deux rails de chemin de fer à l’horizon, celle de l’esprit, leur parallèlisme réel.

En art il ne s’agit cependant pas de rendre compte de la réalité, mais de créer parallèlement d’après ses principes.

Imiter les apparences c’est mentir. Pour justifier leur travail, les sensuels prétendent que l’art n’est qu’un beau mensonge.

Un vieux dicton affirme qu’il y a dans le coeur de chaque homme un cochon qui sommeille. Le Cubisme libèrera l’homme de son animalité.

Quand il s’agit de la marche, d’étape en étape, de l’homme vers la connaissance, évoluer n’est pas changer, mais s’améliorer.

S’améliorer, ou prendre de la qualité, c’est passer graduellement des valeurs inférieures aux valeurs supérieures.

Beaucoup de personnes disent d’une œuvre qu’elle est belle parce qu’elle est d’une exécution soignée : c’est confondre la qualité du travail avec la qualité de l’intention ; ou encore parce qu’elle est d’apparence plaisante : c’est confondre la qualité du sujet avec la

qualité de l’objet ; ou enfin, parce qu’elle est de proportions imposantes : c’est confondre la qualité de de l’effort avec la qualité de l’esprit.

Si, au lieu de manquer à leur mission prophétique, les artistes étaient plus souvent sortis de leur tour d’ivoire, afin de faire un peuple pour la Religion, ils auraient empêché les faux prêtres d’égarer tout un monde d’innocents et permis à leurs semblables de connaître le succès de leur vivant, sans avoir besoin, pour sortir de l’obscurité, de ceux auxquels, disait le peintre P ..., les artistes — hommes après tout — ne pardonnent jamais de devoir la fin de leur misère matérielle.

Picasso, éclairé par l’esthètique „nègre”, fut le premier parmi tous les artistes — depuis la fin du Moyen-Age qui tenta de s’exprimer subjectivement en se servant intuitivement des lois de l’équilibre.
Herbin, de son côté continuant — sans aucune autre influence vivante que celle de la Tradition universelle — le développement logique de l’idée préssentie par Cézanne et poussant la réalisation de celle-ci bien au-delà de ce que cet artiste aurait pu prévoir ou même supposer, Herbin fut le premier qui osa et sut s’exprimer subjectivement en n’acceptant d’autre discipline que celle imposée par la symétrie.

Le rapport de l’équilibre à la symétrie est égal au rapport de l’Instinct à l’Esprit.

Symètrie — Vèrité — Eternité. Fin.