Revue des Romans/Sophie Gay

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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GAY (Mme Sophie, née Lavalette), née à Paris vers 1776.


*LÉONIE DE MONTBREUSE, 2 vol. in-12, 1813. — À seize ans, Léonie de Montbreuse est retirée du couvent, où elle a passé son enfance, et établie dans la maison de son père, qui est depuis longtemps veuf. M. de Montbreuse a un neveu, Alfred, jeune militaire étourdi et brillant, que les femmes se disputent, qui devient amoureux de sa cousine et qu’elle paye de retour. M. de Montbreuse met à cette passion des obstacles qui ne réussissent qu’à y faire persévérer les deux amants ; cependant il cède, mais à condition qu’avant de se marier les jeunes gens viendront avec lui, dans sa terre, vivre huit mois loin de toute société. La seule personne admise dans leur solitude est Edmond de Clarency, pupille de M. de Montbreuse, jeune homme d’un esprit solide, et aussi sage qu’Alfred est futile et déraisonnable. Celui-ci peu à peu néglige Léonie ; Edmond, au contraire, devient assidu et complaisant auprès d’elle. La pauvre Léonie ne tarde pas à s’apercevoir que son amour pour Alfred n’avait été qu’une émotion légère, née de la circonstance, prolongée quelque temps par la contrariété, et promptement dissipée avec les obstacles qui l’entretenaient. Bientôt même elle est forcée de s’avouer et d’avouer à Edmond lui-même l’amour véritable qu’il a su lui inspirer. Alfred fait des folies de toute espèce, couche souvent hors du château, et veut séduire l’honnête et jolie Suzette, fille du concierge. M. de Montbreuse, justement courroucé contre son neveu, n’en veut plus pour gendre. Léonie lui pardonne et se sacrifie par excès de générosité ; mais Alfred, par une générosité mieux entendue, renonce à Léonie, qu’il ne se sent pas fait pour rendre heureuse, et la cède à Edmond, de qui il a reçu des preuves signalées de dévouement. — Ce joli roman est rempli d’esprit et d’intérêt. Les événements en sont simples, vraisemblables et bien ménagés ; le jeu des passions y est infiniment bien observé ; le style a du piquant et de la grâce.

ANATOLE, 2 vol. in-12, 1815. — L’auteur débute vivement, à la manière de Sterne ; il nous apprend en deux conversations que la marquise Valentine de Saverny, jeune, riche et belle, veuve d’un mari trop vieux pour être éternellement regretté, quitte son château gothique et vient jouir à Paris, avec Mme de Nangis, sa belle-sœur, des avantages de sa position. Rien n’est plus maladroit à une jolie femme que de rapprocher d’elle une autre jolie femme : Mme de Nangis en fit la triste expérience ; jeune, jolie, spirituelle, pleine de grâce et de talent, elle voit bientôt ses attraits éclipsés par ceux de Valentine, et bientôt elle ne tarde pas à redouter les suites de l’impression que cette dangereuse beauté fait sur le cœur du chevalier Démerange, auquel Mme de Nangis prend le plus vif intérêt. Admis dans la société de Valentine, le chevalier en devint en effet éperdument amoureux, mais Valentine ne soupçonnait même pas sa passion ; toutes ses pensées se reportaient sur un bel inconnu qui l’avait sauvée d’un grand danger, un soir où elle faillit être écrasée en sortant de l’Opéra. Valentine brûlait de connaître son libérateur, et commençait à craindre que toutes les perquisitions qu’elle avait faites ne fussent inutiles, lorsqu’on lui apprit que son libérateur se nommait Anatole ; mais on ne voulut rien dire de plus, et on lui déclara même que sa curiosité affligeait ce jeune homme, et qu’un obstacle invincible l’empêchait de se faire connaître. La délicatesse prescrivait à Valentine de cesser toute enquête ; mais quel était donc ce secret ? voilà ce qu’elle se demandait d’autant plus souvent qu’elle avait la certitude d’être aimée de lui. Il ne venait point chez elle, mais il la suivait partout ; elle le rencontrait à la promenade, au spectacle, et toujours il se plaçait de manière à prouver qu’il n’était là que pour elle. Tout ce que le profond incognito dans lequel il s’enveloppait ne lui défendait pas, il le mettait en usage pour lui prouver qu’il était sans cesse occupé d’elle. Billets tendres, surprises agréables, cadeaux ingénieux, Anatole ne négligeait rien ; tous ces soins étaient vivement sentis, jamais deux amants ne s’étaient mieux entendus sans s’être parlé ; il y avait même entre eux jusqu’à des brouilleries et des raccommodements. L’auteur a fait, dans cette partie de l’ouvrage, un véritable tour de force en disposant les incidents de manière à ce qu’on ne se fatigue point de la monotonie d’une telle situation. Cependant l’orage grondait sur la tête de la sensible Valentine ; l’amour du chevalier Démerange n’avait fait qu’augmenter, et la douleur qu’en ressentit Mme de Nangis troubla tellement sa raison, qu’elle se permit de lâches calomnies sur le compte de sa belle-sœur. Valentine, forcée de quitter le monde pendant quelque temps, n’y reparaît que pour apprendre, au milieu d’un cercle de cinquante personnes, le secret d’Anatole. Cette fatale découverte la touche si douloureusement, qu’elle tombe anéantie et comme frappée de la foudre. Peut-être la connaissance de ce terrible secret eût-il refroidi une femme moins tendre, moins courageuse et moins raisonnable ; mais l’amour de Valentine était assez fort pour résister à tout ; elle épousa l’inconnu. — Quel était donc ce grand secret ? Nous engageons les lecteurs à le chercher dans l’ouvrage même, dont la lecture leur procurera, nous en sommes certains, le plus grand plaisir.

UN MARIAGE SOUS L’EMPIRE, 2 vol. in-8, 1832. — Le fond de ce roman est très-simple. M. de Lorency, colonel de l’armée, épouse Mlle de Brenneval par convenance, pour plaire à l’empereur. Blessée de la froideur et des infidélités de son mari, la jeune femme se monte la tête, et, s’imaginant qu’elle aime le jeune comte de Kerville, elle est assez faible pour lui céder. Éclairée par ses remords, elle a bientôt abjuré ce faux amour. Mais il est trop tard ; elle devient mère, et son amant d’un jour est le père de son enfant. Cette irréparable faute, que doit pourtant ignorer M. de Lorency, creuse plus profondément l’abîme qui les sépare. Il y a maintenant entre eux un secret et un repentir ! Quel malheur ! Et c’est par dépit seulement qu’ils se sont trompés ! et cependant ils étaient nés pour s’aimer ; leurs deux cœurs étaient dignes de se comprendre ! Que de souffrances ils auront à subir avant de se pardonner, avant de se jeter dans les bras l’un de l’autre. Tout le roman est là ; cette paisible action lui suffit, et elle marche toujours intéressante et soutenue jusqu’au dénoûment, entrelacée avec art de scènes vives et historiquement spirituelles.

SOUVENIRS D’UNE VIEILLE FEMME, in-8, 1834. — Les Souvenirs d’une vieille femme forment un recueil de contes plus ou moins moraux ou fantastiques. Il y a dans le premier chapitre, intitulé Mystère et Leçon, toute une histoire magnifique : un M. Alphonse, officier de la plus haute distinction, arrivant de l’armée, amoureux par lettres avant le jour où il vit danser l’auteur des Souvenirs, et qui court ensuite se faire tuer à je ne sais quelle bataille ! Cette histoire est si touchante que M. Gay lui-même en eut les larmes aux yeux lorsque sa femme lui en fit la confidence à son retour de Savoie. L’analyse des autres nouvelles nous entraînerait beaucoup trop loin. Nous voudrions seulement pouvoir raconter l’histoire de la princesse de Conti, dont le duc de Richelieu est le héros ; mais il n’y a que Mme Gay, en France, pour raconter si naïvement, et par suite si chastement, le marché onéreux auquel la vertueuse princesse dut se résigner pour recouvrer son portrait tombé dans les mains du terrible maréchal. Tout cela est présenté avec grâce ; le dialogue est plein d’esprit et de bon goût, et les Souvenirs d’une vieille femme ne pouvaient être terminés par une anecdote plus piquante.

Nous connaissons encore de Mme S. Gay : *Laure d’Estell, 3 vol. in-12, 1808. — Les Malheurs d’un amant heureux, 3 vol. in-12, 1823. — Théobald, 4 vol. in-12, 1828. — Le Moqueur amoureux, 2 vol. in-8, 1830. — Scènes du jeune âge, 2 vol. in-12, 1833. — La Duchesse de Châteauroux, 2 vol. in-8, 1834. — La Comtesse d’Egmont, 2 vol. in-8, 1836.