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PELLEAS AND MELISANDE.

air étrange qu'il a depuis qu'il est malade: "Est-ce toi, Pelléas? Tiens, je ne l'avais jamais remarqué, mais tu as le visage grave et amical de ceux qui ne vivront pas longtemps. Il faut voyager; il faut voyager..." C'est étrange ; je vais lui obéir... Ma mère l'écoutait et pleurait de joie. Tu ne t'en es pas aperçue? Toute la maison semble déjà revivre, on entend respir- er, on entend marcher... Ecoute, j'en- tends parler derrière cette porte. Vite, vite, réponds vite, où te verrai-je? MÉLISANDE. Où veux-tu? Pelléas. Dans le parc : près de la fontaine des aveugles? Veux-tu? Viendras- tu? Oui. MÉLISANDE. Pelléas. Ce sera le dernier soir. Je vais voy- ager comme mon père l'a dit. Tu ne me verras plus... MÉLISANDE. Ne dis pas cela. Pelléas... Je te verrai toujours; je te regarderai tou- jours... Pelléas. Tu auras beau regarder... je serai si loin que tu ne pourras plus me voir. MÉLISANDE. Qu'est-il arrivé, Pelléas? Je ne comprends plus ce que tu dis... Pelléas. Va-t-en, va-t-en, séparons-nous. J'entends parler derrière cette porte. (Ils sortent séparément.) (Puis Arkel entre aceompagné de MÉLISANDE.^ Arkel. Maintenant que le père de Pelléas est sauvé, et que la maladie, la vieille servante de la mort, a quitté le châ- teau, un peu de joie et un peu de soleil vont enfin rentrer dans la maison... Il était temps ! — Car depuis ta venue, on n'a vécu ici qu'en chuchotant au- tour d'une chambre fermée... Et vrai- ment, j'avais pitié de toi, Mélisande... Je t'observais, tu étais là, insouciante peut-être, mais avec l'air étrange et égaré de quelqu'un qui attendrait tou- jours un grand malheur, au soleil, dans un beau jardin... Je ne puis pas expliquer... Mais j'étais triste de te voir ainsi; c?r tu es trop jeune et trop belle pour vivre déjà, jour et nuit, sous l'haleine de la mort... Mais à pré- sent tout cela va changer. A mon age, — et c'est peut-être là le fruit le plus sûr de ma vie, — à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi â la fidélité des événements, et j'ai toujours vu que tout être jeune et beau, créait autour de lui des événe- ments jeunes, beaux et heureux... Et c'est toi, maintenant, qui vas ouvrir la porte à l'ère nouvelle que j'entre- vois... Viens ici ; pourquoi restes-tu là sans répondre et sans lever les yeux? — Je ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le jour de ta ve- nue ; et cependant, les vieillards ont besoin de toucher quelquefois de leurs lèvres, le front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour croire en- core à la fraîcheur de la vie et éloig- ner un moment les menaces de la mort. As-tu peur de mes vieilles lèvres? Comme j'avais pitié de toi ces mois-ci!... MÉLISANDE. Grand-père, je n'étais pas malheur euse... Arkel. Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un moment... on a tant be- soin de beauté aux côtés de la mori.., (Entre Golaud.j Golaud. Pelléas part ce soir.