Page:The Book of the Homeless (New York, Charles Scribner's Sons, 1916).djvu/131

From Wikisource
Jump to navigation Jump to search
This page has been validated.

LES FRÈRES

Je n'aime pas raconter cette histoire, dit le Général, parce que à chaque fois, c'est bête, je pleure. Mais elle fait aimer la France. … Il s'agit de deux enfants admirablement doués, pleins de cœur et d'esprit et qu'aimaient tous ceux qui les rencontraient. Je les avais connus tout petits. Quand la guerre éclata, le plus jeune, François, venait d'être admis à Saint-Cyr. Il n'eut pas le temps d'y entrer et avec toute la promotion il fut d'emblée nommé sous-lieutenant. Vous pensez s'il rayonnait de joie! Dix-neuf ans l'épaulette et les batailles! Son aîné Jacques, un garçon de vingt ans, tout à fait remarquable de science et d'éloquence, travaillait encore à la Faculté de Droit dont il était lauréat. Lui aussi il partit comme sous-lieutenant.

Les deux frères se retrouvèrent dans la même brigade de "la division de fer," le plus jeune au 26e de ligne et l'aîné au 27e. Ils cantonnaient dans uu village dévasté et chaque jour joyeusement se retrouvaient, plaisant à tous et gagnant par leur jeunesse et leur amitié une sorte de popularité auprès des soldats.

Bientôt on apprit que le régiment du Saint-Cyrien allait avoir à marcher et que ce serait chaud. En cachette Jacques s'en alla demander au colonel la permission de prendre la place de son petit François qu'il trouvait trop peu préparé pour une action qui s'annonçait rude.

Le colonel reconnut la générosité de cette demande mais coupa court en disant:

—On ne peut pas faire passer un officier d'un corps à un autre corps. Le jour fixé pour l'attaque arriva. La première compagnie à laquelle appartenait François fut envoyé en tirailleurs. Elle fut fauchée. Une autre suivit. Et puis une autre encore. Leurs ailes durent se replier en laissant sur le terrain leurs morts et une partie de leurs blessés. Le petit sous-lieutenant n'était pas de ceux qui revinrent.

Le surlendemain nous reprîmes l'offensive. L'aîné en enlevant avec son régiment les tranchées allemandes, passa auprès du corps de son pe-

[ 59 ]