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ÉMILE VERHAEREN
LE PRINTEMPS DE 1915
Tu me disais de ta voix douce,
Tu me disais en insistant:
—Y a-t-il encor un Printemps
Et les feuilles repoussent-elles?
La guerre accapare le ciel
Les eaux, les monts, les bois, la terre:
Où sont les fleurs couleur de miel
Pour les abeilles volontaires?
Où sont les pousses des roncerois
Et les boutons des anémones?
Où sont les flûtes dans les bois
Des oiseaux sombres aux becs jaunes?
—Hélas! plus n'est de floraison
Que celle des feux dans l'espace:
Bouquet de rage et de menace
S'éparpillant sur l'horizon.
Plus n'est, hélas! de splendeur rouge
Que celle, hélas! des boulets fous
Éclaboussant de larges coups
Clochers, hameaux, fermes et bouges.
C'est le printemps de ce temps-ci:
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