Poems and Ballads (second series)/Ode
ODE.
(TOMBEAU DE THÉOPHILE GAUTIER.)
Quelle fleur, ô Mort, quel joyau, quel chant,
Quel vent, quel rayon de soleil couchant,
Sur ton front penché, sur ta main avide,
Sur l'âpre pâleur de ta lèvre aride,
Vibre encore et luit?
Ton sein est sans lait, ton oreille est vide,
Ton œil plein de nuit.
Ta bouche est sans souffle et ton front sans ride;
Mais l'éclair voilé d'une flamme humide,
Flamme éclose au coeur d'un ciel pluvieux,
Rallume ta lèvre et remplit tes yeux
De lueurs d'opale;
Ta bouche est vermeille et ton front joyeux,
O toi qui fus pâle.
Comme aux jours divins la mère des dieux,
Reine au sein fécond, au corps radieux,
Tu surgis au bord de la tombe amère;
Tu nous apparais, ô Mort, vierge et mère,
Effroi des humains,
Le divin laurier sur la tête altière
Et la lyre aux mains.
Nous reconnaissons, courbés vers la terre,
Que c'est la splendeur de ta face austère
Qui dore la nuit de nos longs malheurs;
Que la vie ailée aux mille couleurs,
Dont tu n'es que l'âme,
Refait par tes mains les prés et les fleurs,
La rose et la femme.
Lune constante! astre ami des douleurs
Qui luis à travers la brume des pleurs!
Quelle flamme au fond de ta clarté molle
Éclate et rougit, nouvelle auréole,
Ton doux front voilé?
Quelle étoile, ouvrant ses ailes, s'envole
Du ciel étoilé?
Pleurant ce rayon de jour qu'on lui vole,
L'homme exècre en vain la Mort triste et folle;
Mais l'astre qui fut à nos yeux si beau,
Là‑haut, loin d'ici, dans un ciel nouveau
Plein d'autres étoiles,
Se lève, et pour lui la nuit du tombeau
Entr'ouvre ses voiles.
L'âme est dans le corps comme un jeune oiseau
Dont l'aile s'agite au bord du berceau;
La mort, déliant cette aile inquiète,
Quand nous écoutons la bouche muette
Qui nous dit adieu,
Fait de l'homme infime et sombre un poëte,
Du poëte un dieu.